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Full text of "De l'origine et des débuts de l'imprimerie en Europe"

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in  2011  with  funding  from 

Boston  Public  Library 


http://www.archive.org/details/delorigineetdesd01bern 


DE  L'ORIGINE 

ET  DES  DÉBUTS 

DE  L'IMPRIMERIE 

EN   EUROPE. 


A  PARIS,  CHEZ  JULES  RENQUARD  ET  C'F\ 

LIBRAIRES-ÉDITEURS  ET  LIBRAIRES-COMMISSIONNAIRES  POUR  L'ETRANGER. 
RUE  DE  TOURNON,  N°  6. 

SE  TROUVE  AUSSI   CHEZ  L'AUTEUR,   RUE   LE    PELETIER,  N°  25. 


DE  L'ORIGINE 

ET   DES   DÉBUTS 

DE    L'IMPRIMERIE 

EN  EUROPE, 

PAR   AUG.  BERNARD, 

MEMBRE  DE  LA  SOCIETE  DES  ANTIQUAIRES  DE  FRANCE. 


PREMIERE  PARTIE. 


P1RIS. 


IMPRIME  PAR  AUTORISATION  DE  L'EMPEREUR 

A  L'IMPRIMERIE   IMPÉRIALE. 

MDCCC  LUI. 


il1 


/* 


A    MONSIEUR 
GOTTHELF  FISCHER  DE  WALDHEIM, 

CHEVALIER  DE  PLUSIEURS  ORDRES, 

CONSEILLER  D'ETAT, 

PRÉSIDENT  DE  LA  SOCIETE  IMPERIALE  DES  NATURALISTES, 

À  MOSCOU. 

Pardonnez-moi,  Monsieur,  la  liberté  que  j'ai  prise,  ne 
vous  étant  pas  connu,  de  vous  dédier  ce  livre  :  il  m'a 
semblé  que  rien  ne  pouvait  être  aussi  favorable  à  mon 
œuvre  que  de  paraître  sous  les  auspices  du  doyen  des 
historiens  de  la  typographie;  d'ailleurs,  je  n'ai  pas  cru 
pouvoir  me  dispenser  de  rendre  un  hommage  public  au 
savant  dont  les  découvertes  précieuses  et  les  ouvrages  in- 
téressants1 m'ont  en  grande  partie  engagé  à  entreprendre 
ce  travail. 

Votre  tout  dévoué  serviteur, 

Aug.  BERNARD. 
Paris,  le  ier  mai  1 85 1 . 


1  Voici ,  pour  ne  parler  que  de  ce  qui  nous  intéresse ,  la  liste  des 

A. 


iv  AVANT-PROPOS. 

doute  de  me  prêter  son  concours  pour  traiter  ce 
sujet,  qui  lui  était  à  lui-même  agréable  et  familier. 
La  merveilleuse  subtilité  de  son  esprit,  suppléant 
aux  connaissances  pratiques,  eût  pu  me  fournir  le 
moyen  d'éclaircir  plus  complètement  que  je  ne  l'ai 
fait  une  question  fort  obscure  encore,  malgré  les 
découvertes  nouvelles  de  la  bibliographie. 

Ce  n'est  pas  un  panégyrique  que  j'ai  entrepris  : 
il  n'est  heureusement  pas  nécessaire  de  se  mettre 
en  frais  d'imagination  pour  prouver  que  l'imprime- 
rie est  la  plus  importante  invention  des  temps  mo- 
dernes. Mon  livre  est  purement  historique.  Jusqu'ici 
on  s'est  plus  attaché  aux  raisonnements  et  aux  hypo- 
thèses qu'à  l'étude  des  monuments  :  c'est  le  contraire 
que  j'ai  fait.  Je  laisse  au  lecteur  à  juger  jusqu'à  quel 
point  j'ai  su  éviter  le  défaut  que  je  signale  chez  mes 
devanciers.  Toutefois,  je  crois  devoir  le  prémunir 
tout  d'abord  contre  une  idée  peu  exacte  que  pour- 
rait lui  faire  concevoir  de  mes  recherches  le  mot 
origine  employé  dans  le  titre  de  mon  livre.  Je  n'ai 
pas  entendu  suivre  dans  toutes  leurs  déductions  ces 
chercheurs  de  quintessence  qui  rattachent  directe- 
ment l'art  de  Gutenberg  à  l'opération  que  faisaient 
subir  jadis  à  leur  mobilier  vivant  certains  proprié- 
taires d'esclaves,  opération  consistant  dans  Y  impres- 
sion d'une  ou  plusieurs  lettres  au  front  de  ces  der- 


AVANT-PROPOS.  v 

niers  au  moyen  d'un  fer  gravé  rougi  au  feu.  Pour 
moi,  l'imprimerie  c'est  l'art  de  faire  des  livres  :  je 
ne  vais  pas  au  delà.  Par  le  mot  d'origine  j'entends 
donc  seulement  parler  des  essais  qui  ont  précédé 
immédiatement  la  réalisation  des  caractères  mobiles 
de  fonte.  Vouloir  pousser  plus  loin  les  investiga- 
tions me  semble  une  chose  puérile,  car,  si  l'on  se 
laisse  entraîner  dans  cette  voie,  on  remonte  forcé- 
ment à  l'antiquité  la  plus  reculée.  Tous  les  faits  s'en- 
chaînent dans  l'humanité,  et  il  n'y  a  pas  à  proprement 
parler  d'invention  :  il  y  a  seulement  des  modifica- 
tions et  des  perfectionnements  successifs.  Si  donc 
j'appelle  l'imprimerie  une  invention,  c'est  unique- 
ment au  point  de  vue  du  résultat  pratique,  car  phi- 
losophiquement il  n'en  est  pas  ainsi  :  l'imprimerie 
est  la  conséquence  naturelle  de  faits  antérieurs.  Dans 
cet  ordre  d'idées,  le  mot  imprimerie  n'est  peut-être 
pas  celui  que  j'aurais  dû  inscrire  sur  mon  livre ,  ce 
mot  s'appliquant  à  plusieurs  arts  dont  les  procédés 
sont  bien  distincts ,  quoique  donnant  un  résultat 
analogue;  mais  le  mot  typographie ,  que  j'avais  d'a- 
bord adopté,  a  paru  à  quelques-uns  de  mes  amis 
trop  technique  ou  trop  scientilique,  et  j'y  ai  renoncé , 
sur  leur  avis,  pour  prendre  celui  qui  seul  est  bien 
connu  de  tout  le  monde. 

J'ai  dit,  que  mon  livre  était  tout   historique  :  ce 


vi  AVANT-PROPOS. 

n'est  cependant  pas  un  pur  récit  de  faits  que  j'ai 
entrepris.  Les  écrivains  qui  se  sont  occupés  de  ce 
sujet  avant  moi,  presque  tous  étrangers  à  la  profes- 
sion d'imprimeur  et  à  ses  mille  détails,  ont  soutenu, 
les  uns  après  les  autres,  les  plus  étranges  hypo- 
thèses, et  il  fallait  les  réfuter  d'abord.  Avant  de  bâtir 
une  maison ,  il  convient  de  déblayer  le  terrain  des- 
tiné à  recevoir  l'édifice  :  c'est  ce  que  j'ai  fait.  J'ai 
rencontré  sur  mon  chemin  tant  de  traditions  er- 
ronées encore  debout,  que  j'ai  dû  consacrer  beau- 
coup de  temps  à  les  renverser.  Toutefois,  je  n'ai  pas 
entrepris,  on  le  comprendra,  de  réfuter  tous  les 
systèmes  et  tous  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  l'im- 
primerie :  dix  volumes  n'eussent  pas  suffi  pour  cette 
besogne  ingrate;  je  me  suis  attaché  seulement  aux 
erreurs  les  plus  accréditées  ou  les  plus  spécieuses, 
abandonnant  les  autres  au  simple  bon  sens  des  lec- 
teurs. Mais  j'ai  eu  soin  de  recueillir  partout,  sinon 
de  mettre  en  œuvre,  les  matériaux  qui  m'ont  paru 
bons  à  conserver,  et  j'en  ai  rassemblé  d'autres  qui 
n'avaient  pas  encore  servi.  On  reconnaîtra,  je  l'es- 
père, qu'il  était  difficile  de  réunir  plus  de  docu- 
ments que  je  ne  l'ai  fait  en  si  peu  d'espace. 

Maintenant,  en  quoi  consiste  l'invention  de  l'im- 
primerie ?  Ce  n'est  pas,  comme  une  foule  d'auteurs 
le  répètent,  dans  l'art  de  graver  des  poinçons,  car 


AVANT-PROPOS.  vu 

les  Romains,  les  Grecs  et  les  Egyptiens  eux-mêmes 
ont  pratiqué  la  gravure  sur  métal,  et  n'ont  pas  fait 
de  livres  imprimés;  ce  n'est  pas  non  plus,  comme 
l'a  dit  un  auteur  moderne ,  uniquement  dans  la 
découverte  de  Y  impression,  car  l'impression  a  été 
connue  de  tout  temps,  ainsi  que  le  prouve  l'anti- 
quité de  ce  mot  pris  dans  son  sens  général  :  c'est 
dans  la  combinaison  de  divers  procédés,  plus  ou 
moins  anciens ,  dans  le  but  spécial  de  multiplier  des 
livres  pour  les  mettre  à  la  portée  des  masses.  C'est 
ainsi  que  l'application  de  la  vapeur  aux  chemins  de 
fer,  usités  depuis  fort  longtemps,  mais  restés  jusqu'à 
nos  jours  sans  importance  sociale,  a  donné  à  ce 
mode  de  locomotion  toute  sa  valeur  civilisatrice. 

Beaucoup  de  personnes  étrangères  à  la  profession 
croient  que  l'imprimerie  est  un  art  fort  simple,  dont 
tout  l'ensemble  dut  se  présenter  à  la  fois  dans  le  cer- 
veau d'un  seul  homme  :  c'est  une  erreur  que  con- 
tredisent et  l'histoire  des  progrès  de  cet  art  et  l'état 
actuel  des  choses.  Lorsqu'on  étudie  le  mécanisme 
de  l'imprimerie  dans  toutes  ses  parties,  on  est  émer- 
veillé des  efforts  de  génie  qu'il  a  fallu  faire  pour  en 
combiner  les  mille  ressorts,  et  pour  atteindre  cette 
précision  admirable  en  toutes  choses  qui  a  permis 
de  réaliser  les  miracles  quotidiens  sur  lesquels  sont 
fondées  la  gloire  et  la  puissance  de  cette  merveil- 


vin  AVANT-PROPOS 

leuse  industrie ,  qui  fait  de  la  science  de  chacun  le 
patrimoine  de  tous. 

Si  Ton  en  croyait  les  adorateurs  du  dieu  Hasard , 
il  ne  manquait  plus  au  peuple  romain,  pour  réa- 
liser l'imprimerie,  que  la  permission  de  leur  divi- 
nité, permission  quelle  refusa  constamment,  sans 
qu'ils  en  puissent  indiquer  la  raison.  Ils  ne  songent 
pas  qu'avant  de  trouver  l'imprimerie ,  les  Romains 
avaient  à  inventer  la  mécanique ,  la  chimie ,  et 
une  foule  d'industries  qu'il  serait  trop  long  d'énu- 
mérer.  A  quoi  aurait  servi,  par  exemple,  la  décou- 
verte de  l'imprimerie  avant  qu'on  eût  trouvé  l'art 
de  faire  du  papier?  Quelques  personnes  se  récrie- 
ront sans  doute,  en  disant  qu'on  aurait  pu  impri- 
mer sur  vélin  :  oui,  c'est  vrai;  mais  le  vélin,  qui 
manquait  déjà  au  moyen  âge,  à  ce  point  que  les 
moines  étaient  souvent  forcés  pour  écrire,  soit  le 
cartulaire  de  leur  abbaye,  soit  Y  Office  de  la  Vierge, 
de  gratter  un  Tacite  ou  un  Cicéron,  ne  pouvait 
suffire  à  l'imprimerie ,  qui  n'a  d'importance  que 
par  la  masse  des  produits  qu'elle  met  au  jour1.  Cet 
art  serait  mort  d'inanition  s'il  fût  né  alors,  et  ce 

1  Les  grandes  choses  tiennent  souvent  à  de  fort  peliles.  Ainsi 
l'on  n'aurait  pas  pu  employer  les  mécaniques  pour  l'impression , 
si  1  on  n'avait  trouvé  d'abord  le  moyen  de  remplacer  les  balles  par 
les  rouleaux. 


AVANT-PROPOS.  ix 

n'est  pas  pour  mourir  qu'il  devait  naître.  Non,  non, 
toute  chose  vient  en  son  temps.  C'est  un  enfan- 
tillage de  regretter  que  les  Romains  n'aient  pas 
connu  l'imprimerie;  car  ils  ne  pouvaient  la  con- 
naître, n'en  ayant  pas  besoin1.  Des  millions  d'es- 
claves étaient  là  pour  satisfaire  les  goûts  littéraires 
du  petit  nombre  de  lettrés  des  temps  anciens.  C'est 
à  tort  qu'on  cite  Cicéron,  saint  Jérôme  et  je  ne  sais 
plus  qui  encore  comme  ayant  conçu  l'idée  de  l'im- 
primerie :  ce  que  ces  auteurs  ont  écrit  n'a  aucun 
rapport  avec  l'impression  des  livres. 

Je  le  dis  hardiment,  le  hasard  n'est  pour  rien 
dans  ces  sortes  d'inventions.  On  ne  les  trouve  que 
parce  qu'on  les  cherche,  et  on  ne  les  cherche  que 
parce  qu'on  en  a  besoin.  Voilà  pourquoi  le  peuple 
chinois,  qui  a  devancé  les  Européens  dans  la  civili- 
sation, a  aussi  trouvé  longtemps  avant  eux  un  pro- 

1  Si  l'on  s'en  rapportait  au  commentaire  fait  de  nos  jours  sur 
un  passage  de  Pline ,  les  anciens  auraient  connu  l'art  d'imprimer 
les  portraits;  ce  procédé  aurait  même  été  employé  par  Varron,  qui 
aurait  reproduit  avec  son  secours  les  nombreux  portraits  dont  son 
livre  intitulé  De  imaginibus  était  enrichi.  Mais  je  dois  dire  que  ce 
commentaire  n'a  guère  trouvé  jusqu'ici  que  des  incrédules.  (Voyez 
au  reste  dans  le  Précis  analytique  des  travaux  de  l'Académie  de 
Rouen,  année  184.7,  un  article  de  M.  A.  Deville  intitulé  Examen 
d'un  passage  de  Pline  relatif  à  une  invention  de  Varron.  Cet  article 
a  été  tiré  à  part  en  une  brochure  in  -  8°  de  16  pages ,  avec  une 
planche.) 


x  AVANT-PROPOS. 

cédé  particulier  d'impression  approprié  à  ses  be- 
soins. Malheureusement  son  système  d'écriture  met 
obstacle  au  développement  de  son  art.  Pour  les 
Chinois,  la  mobilité  des  caractères,  ce  qui  fait  tout 
le  mérite  économique  de  l'imprimerie,  est  sans 
avantage,  et  ils  continuent  à  faire  graver  leurs  livres 
sur  des  planches  fixes  :  ils  sont  ainsi  privés  tout  à  la 
fois  du  bénéfice  des  corrections  d'auteur  et  de  l'emploi 
réitéré  des  mêmes  caractères.  Au  reste,  la  civilisation 
de  ce  peuple,  qui  s'est  mis  de  lui-même  en  dehors 
de  la  marche  de  l'humanité  vers  le  progrès,  s'est 
arrêtée  au  point  où  nous  en  étions  au  commence- 
ment du  xve  siècle.  Les  instruments  d'imprimerie  du 
peuple  chinois  sont  encore  tout  primitifs  :  non-seule- 
ment il  ignore  l'existence  de  ces  admirables  machines 
qui  peuvent  tirer  en  une  heure  dix  mille  exemplaires 
d'un  journal  comme  le  Times  anglais,  par  exemple, 
renfermant  la  matière  d'un  volume,  mais  il  n'en  est 
pas  même  arrivé  à  la  presse  à  bras ,  qui  tire  deux  à 
trois  mille  par  jour.  C'est  donc  bien  gratuitement 
que  quelques  auteurs  ont  voulu  faire  remonter  jus- 
qu'aux Chinois  l'honneur  de  l'invention  de  la  typo- 
graphie :  ce  peuple  étrange  connaît  à  peine  l'imprime- 
rie, en  prenant  ce  mot  dans  son  sens  le  plus  large1. 

On  peut  consulter  sur  ce  sujet  un  curieux  article  qu'a  publié 
M.  Stanislas  Julien  ,  clans  le  Journal  asiatique  (n°  1  2  de  18/17) ,  sous 


AVANT- PROPOS.  xi 

D'ailleurs,  d1  après  ce  que  Ton  sait  des  premiers  im- 
primeurs européens,  on  ne  peut  contester  à  la  ty- 
pographie son  origine  moderne  et  européenne. 

C'est  ce  qui  ressort  jusqu'à  l'évidence  du  travail 
qu'on  va  lire,  et  dans  l'intérêt  duquel  je  n'ai  pas 
hésité  à  entreprendre  un  grand  voyage  pour  visiter 
successivement  toutes  les  villes  qui  ont  joué  un 
certain  rôle  dans  les  débuts  de  l'art  typographique, 
et  interroger  sur  les  lieux  mêmes  les  savants,  les 
livres  et  les  traditions. 

Paris,  16  novembre  i85i. 

P.  S.  La  date  qu'on  vient  de  lire  est  celle  du  jour 
où  j'ai  remis  mon  manuscrit  à  l'Imprimerie  natio- 
nale ,  pour  être  soumis  au  jugement  du  Comité  des 
impressions  gratuites.  Ce  Comité  ayant  émis  un  vote 
favorable  dans  sa  séance  du  28  mai  185a1,  l'Impri- 

le  titre  suivant  :  Documents  sur  l'art  d'imprimer  à  l'aide  de  planches 
en  bois,  de  planches  en  pierre,  et  de  types  mobiles,  inventé  en  Chine 
bien  longtemps  avant  que  l'Europe  en  fît  usage.  (Tiré  à  part  de  16 
pages  in-8°.)  On  fera  bien  toutefois  de  se  mettre  en  garde  contre 
les  préventions  bien  naturelles  de  l'auteur  en  faveur  du  peuple 
chinois. 

1  Ce  comité,  pris  dans  le  sein  de  l'Institut,  était  alors  composé 
de  MM.  Arago,  Burnouf,  Cousin,  Dumas,  Girod,  Hase,  de  La- 
grange,  Mobl,  Naudet,  Pardessus,  Vite  t. 


xn  AVANT-PROPOS. 

merie  nationale  en  a  commencé  l'impression  dans 
le  mois  de  juin  suivant. 

Dans  le  cours  de  mon  livre  j'ai  souvent  employé 
le  terme  de  point,  suivant  l'usage  actuel,  pour  indi- 
quer la  force  des  caractères  ou  la  hauteur  des  pages; 
comme  les  points  ne  sont  pas  précisément  de  même 
force  dans  toutes  les  fonderies  et  imprimeries  de 
Paris,  je  dois  prévenir  le  lecteur  que  j'ai  adopté  le 
système  qui  donne  vingt-cinq  points  au  centimètre  : 
cela  convenu,  il  sera  facile  de  faire  la  conversion  des 
points  en  mesure  métrique. 

N'ayant  pu  reproduire  avec  les  caractères  typo- 
graphiques en  usage  aujourd'hui  les  nombreuses 
abréviations  usitées  au  xve  siècle  (abréviations  dont 
l'interprétation  aurait,  du  reste,  offert  des  difficultés 
à  la  majorité  des  lecteurs) ,  j'ai  restitué  tous  les  pas- 
sages des  livres  de  cette  époque  transcrits  dans  le 
mien,  sauf  dans  quelques  cas  rares,  qui  présentaient 
du  doute. 

Paris,  20  octobre  i85a. 


DIVISION  DE  L'OUVRAGE. 


PREMIERE  PARTIE. 

DE  L'INVENTION  ET  DES  INVENTEURS  DE  L'IMPRIMERIE. 

Pages. 

Ch.  Ier.  Des  premiers  produits  de  l'imprimerie i 

II.  Laurent  Coster  et  son  école  (1 42 3-i  45o) 56 

III.  Jean  Gutenberg  à  Strasbourg  (î  420-1 444) 1 1  5 

IV.  Gutenberg  à  Mayence  (i445-i4Ô7) i55 

V.  Jean  Fust  et  Pierre  Schoiffer  (i455-i466) 216 

VI.  Pierre  Schoiffer  et  Conrad  Fust,  dit  Hanequis  (1467-1 5o3).  269 


DEUXIEME  PARTIE. 

DE  LA  PROPAGATION  ET  DES  PREMIERS  PROPAGATEURS 
DE  L'IMPRIMERIE. 

Ch.  Ier.  Allemagne  (  i454-i48o) 1 

Si.  Mayence  et  Eitvil  (Henri  et  Nicolas  Bechtermuntze, 
Wigand  Spyess ,  Jean  Numeister,  Henri  Keffer, 
Jean  et  Jacques  de  Meydenbach ,  Frédéric  Misch , 
Pierre  de  Friedberg,  les  frères  de  la  Vie  commune 

de  Marienthal ,  Jean  de  Petersheim) 4 

§  2.  Bamberg  (  Albert  Pfister) 20 

S  3.  Strasbourg  (Jean Mentelin, Henri Eggestein,  etc.) ..  .  61 

§  4.  Cologne  (Ulric  Zell,  Arnold  Ther  Hoernen) 109 

S  5.  Nuremberg  (Henri  Keffer,  Jean  Sensenschmidt,  etc.).  1 1 5 

§  6.  Bâle  (Berthold  Bot,  Bernard  Biche!) 119 

§  7.  Augsbourg  (Gunther  Zainer,  Jean  Schùssler,  Mel- 

chior  de  Stanheim ,  Jean  Bamler) 121 

§  8.  Munster  en  Argovie  (Hélie  de  Louffen,  etc.) 127 

§  9.  Spire  (Jean  et  Vindelin  de  Spire  [?] ,  Pierre  Drack).  1 33 


xiv  DIVISION  DE  L'OUVRAGE. 

Pages. 

Cii.  II.  Italie  (i465). 

§  1 .  Rome  et  Subiaco  (Conrad  Sweinheim  et  Arnold  Pan- 
nartz,  Ulric  Hahn,  Simon  Nicolaï  de  Chardelle, 
Georges  Laver,  Philippe  de  Lignamine,  etc.) 1 36 

S  2.  Venise  (Jean  et  Vindelin  de  Spire,  Nicolas  Jenson, 
Christophe  Valdarfer,  Jean  de  Cologne ,  Jean  Her- 
bort,  André  de  Asula ,  Aide  Mannce ,  etc.  ) 174 

§3.  Lucqnes (Clément  Patavinus, Rarthélemy de Civitale).    198 

S  4.  Foligno  (Jean  Numeister,  Émilien  de  Orfmis).  .  .  .    208 

S  5.  Milan  (Antoine  Zarot,  Philippe  de  Lavagna,  Chris- 
tophe Valdarfer,  Denis  Paravisinus,  Archange  Un- 
gardus ,  etc.  ) 211 

S  6.  Rologne  (Balthazar  Azzoguidi,  André  Portilia) 234 

S  7.  Florence  (les  Cennini  père  et.  fils ,  Jean  de  Mayence , 

Nicolas  d'Allemagne, etc.) 237 

§  S.  Trévi ,  Trévise,  Ferrare ,  Pavie ,  Vérone,  Gênes  (Jean 
Raynardi  d'Eningen,  Pamphilo  Gastaldi,  Gérard 
de  Lisa,  André  Belfort ,  Matthias  Moravus) 262 

§9.  Naples  (Sixtus  Riessinger,  Arnold  de  Bruxelles,  etc.).   257 

§  10. Sicile  (Henri  Alding,  André  de  Bruges) 258 

Ch.  III.  France. 

§  1.  Paris  (Pierre  Schoiffer,  Jean  Fust,  Nicolas  Jenson, 
Ulric  Gering,  Michel  Friburgier,  Martin  Crantz, 
Pierre  Cœsaris,  Jean  Stoll,  etc.) 260 

§2.   Lyon  (Guillaume  le   Roy,  Rarthélemy    et  Jacques 

Ruyer,  etc.  ) 33g. 

§  3.  Rruges  (  William   Caxton  ,  Colard  Mansion  ,  Jean 

Rrito  [?]) 3/17 

§4.  Alost  et  Louvain  (Jean  et  Conrad  de  Westphalie, 

Thierry  Martens,  Jean  Veldener) 4oi 

S  5.  Anvers  (Vander  Goes,  Thierry  Martens) 4i6 

S  6.  Utrecht  (Nicolas  Ketelaer  et  Gérard  de  Leempt) ...    419 

Ch.  IV.  Angleterre  (William  Caxton,  Thierry  Rood,  etc.) 422 

Ch.  V.    Espagne  (Lambert  Palmart,  Nicolas  Spindeler,  etc.) 43g 


TABLE  DES  PLANCHES. 


FAC-SIMILE  DE  DOCUMENTS  ORIGINAUX. 

i  et  2.  —  Extraits  des  Mémoriaux  de  Jean  le 
Robert,  abbé  de  Saint-Aubert  de  Cambrai 

(à  Lille) t.  I,  p.    98 

fi.  1. ...  7       3   —  Extraits  de  l'Obituaire  ou  Nécrologe  de 

Saint-Victor  de  Paris  (à  Paris) Ibid.       254 

.4.  —  Extrait  du  Registre  capitulaire  de  l'église 

de  Saint-Pierre  de  Mayence  (à  Paris).  ....   Ibid.       260 

5.  —  Quittance  de  Pierre  Schoiffer  (à  Paris). .    Ibid.       272 

6.  —  Autre  quittance  du  même  (à  Paris) ....    t.  II,      328 
PI.  II.  .  .  /       7.  — 'Note  écrite  par  Louis  de  Lavernade  sur 

j  un  Cicéron  de  i466  (à  Genève) Ibid.       290 

'       8.  —  Signature  du  même  (à  Paris) Ibid.       290 

FAC-SIMILE   DE  CARACTERES  1. 


PI.  III..    n°   1. — Spéculum humanœ Salvationis (sans date),  t.  I,  îii 

Pl.  IV .  .  2.  —  Donat  (sans  date  ) Ibid.  \  54 

'  3  et  4-  —  Lettres  d'indulgences  de  i454-i455 

(édition  de  3i  lignes) Ibid.  176 

5  et  6. — *  Lettres  d'indulgences  de  i454-i455 

(édition  de  3o  lignes) Ibid.  176 

PI.  VI. .  .    n"  7.  —  Rible  de  42  lignes Ibid.  182 

PI.  VII.  .    nos  8  et  9. — Psautier  de  1457  (les  deux  caracl.). .  Ibid.  192 

'  Tous  ces  fac-similé  (sauf  les  trois  qui  sont  marqués  d'un  astérisque)  ont  été 
pris  sur  les  originaux,  à  la  Bibliothèque  nationale,  à  Paris.  Les  irrégularités  qu'on 
remarque  dans  la  forme  de  certaines  lettres ,  ou  même  dans  l'ensemble  de  certains 
fac-similé,  pourraient  faire  croire  que  ces  derniers  représentent  des  caractères  fixes 
en  bois;  mais  tous  nos  fac-similé  figurent  des  caractères  mobiles,  et  les  irrégularités 
signalées  ici  doivent  être  attribuées  aux  accidents  éprouvés  par  les  originaux,  soit 
papier,  soit  parchemin. 


PI.  VIII. 

PI.  IX.. 

PI.  X . . . 
PI.  XI .  . 

PI.  XII. . 


Pi.  XIII. 


TABLE  DES  PLANCHES. 

nus  10  et  11.  — *  ïraclatus  de  celebratione  missa- 

rum t.  I ,  p. 

12. —  Spéculum    sacerdotum    Hermani    de 

Saidis Ibid. 

n°   i3.  —  Rationaie  Durandi  (de  1  /(. 5 9  ) Ibid. 

i4-  —  Grammatica  latina  (de  1468  ) Ibid. 

i5.  —  Bible  de  i46*j  (souscrip.  avec  écusson).  Ibid. 

n°   16.  —  Catholicon  (de  i46o) t.  II, 

17. — *  Lettres  d'indulgences  de  i46i Ibid. 

n°   18.  —  Bible  de  36  lignes Ibid. 

n°   19. —  Lactance  de   Sweinheim   et  Pannartz 

(Subiaco,  i465) Ibid. 

20. —  Cicéron,  des  mêmes  (Rome,  1467).  .  .  Ibid. 

2  1  et  2 2 .  —  Cicéron  de  Hahn  (  Rome ,  1 468  ) .  Ibid. 

23.  —  Cicéron  de  Jean  deSpire  (Venise,  1 469).  Ibid. 
n°   24.  —  Recueil  des  histoires  de  Troyes  (sans 

date) Ibid. 

2  5.  —  Lettres  deGasparin  de  Bergame  (Gering, 

Paris,  1470) Ibid. 

26.  —  Eusèbe  (Jenson  ,  Venise,  1470) Ibid. 


204 

209 

232 

276 

236 


3o 

i4o 
i48 
i63 
176 

36a 


CORRECTIONS. 

T.  I,  p.  91 ,  ligne  2  4,  au  lieu  de  l'abbé  des  Roches ,  lisez  Jean  des  Roches. 
p.  2o5,  ligne  17,  au  lieu  de  le  n°  6,  lisez  les  n°s  10  et  11. 
p.  287,  à  la  note,  au  lieu  de  n"  7,  lisez  n°  6. 


Pl.  1.  (Documents) 


J°  1 


N°  2. 


r-^ry* 


UytôtfovShpè. 


\jibew  Annuia-Cmam  {pncLMmywty  pdrt  CcoÇcv 
ftlut^r  pàtcntû  xmcvj  et  tm£uh>i'  comnïc;  aux  \xtvm  et  «marte*  "dczerunt  nci? 
âi\x\  -qtt  pwé&tt  mtpeCGw^  rctfpcrum  fvr  mnnue  "Dm^^tnp  Abto£  \)iu$tccc/i/ 

Y   nto&9  <*/$£>  <L^p  [<&'  <2t~jpd™  yJi  fydk 


Pl.IL  (Documents). 


_'-4    k+*-f*<+jfi  'oofl^j    ^&Jl~Q  qf>4%ifi~£,  <fc~l 


^IvJ 


#~~  p^  £*_; 


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vW*»Jm.     <x   "Vy**^*  /%+*h*»  (ys^i-    b*~tzixj 

jJrf         <ff 


Xlay^^cJ^a^^t^j^ 


Pl.  III.  (Caractères). 

aiiff  3t  mt  maria  ad  optamàt  Obi  a  aira 
^ettf  *  mrttaltô  filtf  marie  emt!  içefos 
abapmm  autê  jjflattfl  xiniôfû  cra«  gcttutf 
Cacttalî^  fili?  mottuf  em«  moue  fpûaii 
31tt  patfioî  wf  Wtt  wtft  g??  panû  &#  crlipt 
<£«  ueo  oïtf  tjomo  motmf  i  aïa  eeatl 
J5tû  &tm$  magtta  mari&rôitrë  ûiftimbail 
©tita  &tâi$  eg  affrfl  cot&iô  bilifleba» 
<£ti  fui*  glifl  tafi  pl?  $  ftpîô  amatrfl 
X8  Qbi  pUcuie  ué  g  motte  fu6  noe  libtixtti 
fftalutfi  eut  fcuïriflïg  me  «ta  îllu  rotoatf 
atti  nofif  ttiom  gpetua  eôtaltfgtôpttatf 
€8  y  pcttïîm?  épier  tgtfi  maria  nce  amaba* 
©uê  bium  filifl  tofi  #  mS  taîutr  moi  atfcSbat 
Cu  eut  tma  çss  4?  alia  totti*  F  çmumt 
4te0  9  ompif  ptf  amati  fcitetf  gnUa  Q  mf 
Mirt'ergo  $  maïa  no0pl?$  fiUa&iû  îriligîbtf 
i|  pûri?  ipm  rouififli  #  poo  ^tâfittari  aolebff 
^çcriô  gpf  bl  potfi?  $fû  pt  cdeftttf  ttod  ama 
4  twigeïw  filiS  GtC  #  noïf  î  moue  lobait    btf 
aimbo  igituf  ta  mt  $  pg  tmtltS  amauewft 
<£ij  utl  eo$  toto  coiir  amem?  bfi  meturriïfl 
JD  bo£  iftfl  ta  ttob  tô  bfic  îmite&tof  tfa  cogime 
33Ç  tetfi  meâmutf  î  trio  etetnalitr?  babibu* 
<\ml$  #mo  mpFo 


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■» Use  sIS's  S'C'B  S 


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«  rtîtlfffiC  CîiTtifi&eïtfcpittes  tittenwiiifpectuiis  pfttUHIliO  CtaipeConfiliaii?  ambafiatoj  i  ycUîatot  geneialisSierer 
Tffimi Régie  cjpn  rbac fitt  i&alutf in  Dnô  Cû  J&a&ilBm?  fvpo  pr  *  &ns  rtt.îms  flicolaij  MuÛi  pui&êtKupapa^  afiïicriôï  Kc  = 

ïiïiïm SigiUum  a&  l)oc  o:ï»inatum  pStfiïij  Uttczie  tcfûmonialibj  cft  aipcnfum  6atwm  àniio  &m  aJccccïmi 

kw«o  COcufis  r 

ff  mma  îiimtffimc  abfoltmonts  rt  rcmittioms  m  inta 

«  tfCCCatUt  tUt  1î  bîîs  nf  inclus  jeps  p  IUâ  fctiflimtt'  et  piiflîm^mîâj  te  ablohuu  Gt  aù'ctc  ipi?  bcatoijq?  .pétri  et  pauli 
âptwi  ei?  ac  ai'ictc  aptica  nuchi  ztmflà  et  tibi  aceflà  6go  te  abfoluo  ab  omibj  pefis  mie  sttitis  sfcfli*  * obliti*  Gtia"  ab  onubj  cali 

tfdmia  plraarit  rcmitftonionnnoitmaimuia 

^tfErCatUV  tUI  iffrn*  rtoftet  utfupM  Ggo  te  abfoluo  ab  omibj  penetuie  strttte  sFcflts  ^  oblitk  reftituenoo  te  Milita  = 


U 


UÎUECuôcTrtllifiOelibjpûteelrâeinfpcehtrie  ^flUUUUBjt^ûjp^CôriltûriçâmBafi'ûf-inî.peuratoigcneralie  #cr«nifTïmi 
cru?  îrpri  m  bac  perte  ,£>aPmt3no  <£îi  ibâcKfTïmg  fxpo  pr  v  C^it?  nr  &neKicolauô&iqia;pm&ctiaipquît9  3fJFWcti5i'Rcgnt<£ppit 


Rc0 


pntib?  lue  tefrituom'ahb)  cft  appcufum  ^atu 


âuiiodni  ODccrclquito  chevero 


menfîe 


jf  02111a  plauffuncabroliirioiuci  rr  rmuffionismutra 

^l'ff fCiltUr  tUt  K  ÏPiïe  nofter  îbefut?  vpe  p  fiiâ  fandifTmiâ  et  pnf/imâ  mtoj  te  ab/oluat  (ft  aïïctc  ipiçi  beatcttûqî  petri  î  pault 
ciplbu  eio  ar  aûclc  aplïca  iittcbi  omifta  t  tibi  zcelTa  (?go  te  abfoluo  ab  onubi  pcâe  tuic-  rtrttie  sfc/fie  toblt'tt'ô  € tio.  ab  omîbj  cafib 

(Forai  a  plciitiuc  rcmîflîoms  in  morne  articule 

iffl'CÛtUr  tUI  "H  ^"G  nofter  urfup:a(fgo  te  abfoluo  ab  ottub)  pcâs  tuÎ6côt*tti6  ofcflle  et  obh'ci'6  reftitucnootevntfari 


Pl.  VI.  (Caractères) 
N°7. 


artts  te  altart  Ht  liante  fttt|tm> 
qua&  Ijabtbtt  quîq?  rubttae  in 
Jonçttuîïim:^  toriîé  m  larituirint  io 
tft  quaîirûict  nte  rubitos  in  aitîtubî 
nt  JXo2nua  auttg  mtatunî  anplne 
tgîpfl  ttûtttt  tq|tts  illuîï  tte.  Jfaritftn 
ht  orne  tins  Itbttte  aîï  uiwpimîïne 
rintttsrtt  ftutîptô-attn  fuftinulao^ 
îgnhl  reoptatta.  ffltma  oala  t£  m  & 
britabîa  JCraurfanutt  in  raobû  rttir 
tntanuç  rui9  quatuo:  angulne  toit 
mtatuiw  anuh  «nuquoe  ponte  wbf 
arulâ  altarte.  ifcïtqî  ttatitfa  uftp  au 
alrarîe  mtùriLjfatite*  ntdce  altanf 
Ht  liante  ïtrtfim  Duoequoe  optrit*" 
lanume  cntie*tr  iuDurce  g  rirculoe: 
tcuntq;  t|  tmtwn  lance  altarie  ûD  po** 
tanîm.  Jfton  fnïioû  fto  înant  *  tanû 
tntrînftcue  fonce  îlhm:  fttuîj  ribi  m 
raontetnôutatû  tft.jfatitett  atrium 


Pl  VII.  (Carac 
Nos  8  et  9. 

gjatecDotretuimîiua 

omîrfalufifatrrçrê, 

^aiuûfatpapuiflm 


£3 

tat  pa?  irrumute  tu 
remuôjpomîtena 
ro  mfimue  i  raptiu 


Innftîiijôtya* 
tolUto  nos  Hnt, 
b  mftîHja  oîra 


Pl.  VIII.  (Caractères 
N°10  et  11. 

ht  iûimmta  mfmutfanûm  a* 
frcuftoms  ftrmitri^ 

tDoniïrrica^riniapDft  bieafcennois  bni 
o  fTtciû  b  ni  cale  (Eraiid  i«£to  ht]  cû  fuff ia£n  s 
bnob  AlFa*Seqiïtia*et  pfctcoe  be  fefto  afcen 
fioirifc  necno  (5fta  rn  e;ccelfis  Oebo  et  1  tenti  f* 
fabmcaltter  bicefcur. 

Jbmriliter  bicendn$  eft fi  facïa  eft  alïqua  ad 
bîcô  crroneaificut  fuit  addicô  arrtf  vel  ftiiwe 
addicô  cnnptincfé  baptisas  nuliomô  credat 
fiei  pDiïc  bapfcfmû.^bi^babiliter  bubitat* 
te  obmnTis  an  fmt  &nibftâtïa»an  &  addicoe 
an  nnpcduitbaptirmiï  an  nô-ad  fb?tnâ  côdû 
côn  aie  returiatur*que  fil  p  pfi  ta  eft  m  prmi  a 
fpcrae  be  materna  fq  be  emcndâdis  arca  mate 
rt'atm§ï  tn  obtmffa  funt  1  Ua que  nô  funt  & 
fubftâtU.utego»etamé-Tel  fine  onn  malitia 
facïa  eft  binuuucô\*:l  addicô»v:l  co:rup  cô  ar 
ca  fine  bicl:ôi6«qucnônocet:etcertû eft  omïa 
alta  rite  bicfca  etpacta»tatis  miliomô  rebap 
iijâduG  necabfolute*nccfib  odtcôe:cpvaibe 
cauendû  eft  ncTcrebaptifatus  rebapfcfetui\ 
c>bicûcp<pbabiU  bubixi;  eft  fb^inaodîcôna^ 
iis  teneatur  ut  bîcfcum  eft. 


Pl.  IX. 

ÏP  13..  14  et  15. 

ceûto  loco'pafcaf  cerc?  bfidteer^Cit  qt>  fci« 
en6  c  cp  îptictpio  ofFici) tôt?  m  cccfat^tg-s 
cytuig"ut.xncm?  te  lapite  pcufTo  cû  calîte 
"WcycftaUo  folîobiectafc?  cHciTtc  farméto  Jôucn 
tg-uiôAttt?  "veteré  ltgfl-icatlcgv.au?  fig-uc  m  môrc 
£pt  côplete fuere*  atteo  Wut  cytni<H-c  cciïac  tebuc * 
rut.Ç  te  lapitc  ici  c  te  ypo.qm  c  (apts  angulane.q 
'Verbe  miwôpcufJuôfpmfcrn  nobift  cffudit^vl  te 
criftallo  inter  folenn.lnnâmcd»âtc.id  cft-ypo  qui 

ÇSpçricmbo  nup  btrf#p*tii 

f        ticttaquedâg-tâmaticeru* 

tmneta  cerro  p  cndtîiê  mi* 

meropôdercctmenfurahi 

rmi  cobcrcémg-ctilaboc  conattiffiï 

quobifcébô  a  ccrtioîmcneftcrctTab 

fSns  boc  optifailu*  firritû  ac  côplctû*<t  ad 
cwfcbiaj  fccinuiuftrie  iti  cuutatv  Q)agunttj 
pzr"Jobannc  fliO  ciué'Ct  JSetrû  fd:pifmrr  te 
gerti£bepm  clcnai  fciotep  cuifde3  cil-  confus 
matû.  Antio  iîicarnacôiô  t>nicc-AV-cccc»l>:t)» 
"Jn  vig-ilia  affumpcôis  fjtbfcvirginiô  marie. 


Pl 

N°  16. 

"cuuo.fl.mn. in  loua  exponitur. 
^cx  leçje.t>7  a  lecco.çie.leccj.qz  Icccîtur.Çt  cfr 
Icxjîtô  fcn'ptiï  afcifccns  bonel>u.fpbibcn'à  conf 
riO.u?  lex  ê  fcnptû  populo  cpniulçttû  maçjiftm 
tu  quercnre  et  populo  refpontxmfe.Ç'olcbat  enij 
maçifter  ciuiratfe  aim  aliquâ  leçjem  udlet  iitftitu 
en?  afeencere  pnlpifii  m  meoia  concône  c?t  que*é* 
a  populo  f)  ucllot  îîluo  ràtû  cOc.ct-  arroptu  rïîfio 
tic  A  populo  ttinceps  <p  (ccje  babebaf  .Fni  bucj. 

ÎGt  feias  q>  lec^o.çis.eofïe  in  piîti  fi  in  pteriro 
roti.VnDe  lex  Icçio  tenet  naturam  bumo  preri 
ti  leçf.aini  prirnam  prob\*\?.flon  ûcect  illa  !egi 
ÉjL£unt  contraria  lecji.De  leçe  nâli  uioo  in  confcfa 
2Qgxîs  in  te  pratu:  paufàcû  ucl  formo.et  fîî  ba* 
barolexio  £  buaj.pap  ucro  oicit.Lexiô  greo?  lati 
ne   loaiOD.î.queubet  filFa  nV  uox  que  faibi  fccbj 

Nc  . 

Li-O  ôtamurvnuuj^pnc  g  iui rmpzcmm  \-?  q««<a 

î»iôc  pzo  repacône  ccdïc  Aubufen  et  ad  op9  fabnee  n5i9  intentû*  cd  i 
pzo  5uo£ccim  ôicb?&ifpo»u  polîlt  )&x>qspavticcpslneul$cnnau.  m 
emm  nrm  pium  papa  fcfcm  coceflaij  elfe  fccbebit  viîchcetq?  eltcjc  po 
moztiô  arneulo  çfeflTorem  T»&oneum  q  cutn  ab  orn\b9<Dcntcnni$  c: 
inquas  nonfcfi  incibilTê  îtdarar9  e(>  Accnô  et  ab  oriïib9  crinubP  peri 
cafib9  ceu  fcfci  aplïcc  retmaris  abfoluê  et  p  le  n  aria  rcmilïionë  aûcte  j 
pofT\t6ic  tîi  q>  fariffariat  û  alicui  p  eu  farilTactio  impen&êda  fit  tt  Ç\ 
vl  loco  fcxtr  rcric  qfî  aliunôe  in  »lla  tetunare  renenir  alto  Mo  in  fep 
pictatie  iuxta  ôictamen  fui  conheffbris  maxïc  afc  fabricam  Dicte  ceci 
fariat  £t  in  obebiêda  (coi*  aplïce  ac  pfati  (ctiflimî  oni  nri  pij  pan 
bulla&tctï  bni  pape  p\)  pleni9  conrieturfn  cui9  reft'n  îoïuinSicjillui 
ftepnbazdûtpm  âc  ftuflolpbum  îecunû  vVo:irwuLn  pio  bac?nî)u 
a  oicto  brio  p»o  fûmo  ponrifice  cft  î5an\  Pacultae  pnhbus  efb  ajpen 
OOillehnAoquabrinçjcnrd'imolcxaarcfimopzimo 


N°18. 


atelptamfr 

$iïmvâ  tut  ftcht  t  ufebm 
qui  lîttccài^  tuariï  mûtp  g/am 
miplmtumrcfafa  ïjontftatmt 
moîû  tuoi|*  tontemptu  ftû*  fi 
îftn  amîtiiif  amoH  rpi  ^am 
pmîratîâ  tt  umuûatêf  (otjuiî 
main  aïjfc^  îllo  îpa  tpfa  pfecc^ 
baMfdttna  tmtfo  tetrt  tfttmf 
f  faio  nanîtulf  ♦  toi  magîs  p^ 
tiîf  aiiâ  folm  •  #mto  rnnmria* 
tut9  feculottof  poteft  oc  «tecc 
ouï  arnirtît  ut  ut nîccct»  lanfo 
qo  îc  tuo  ïïtmipt?  tulmstpîo 
iutco  ;>puta  ^ntîqwliîîrfû  I 
^uaro  le  eft  tara  quofc  trabtt  : 
quâ  qîi  non  ^abtt^teîfti  tôt? 


a 


Pl  XII.  (Caractères). 
N°  19. 

H1MADVERT1  fepeDonateplurimosidexnlHare: 
quod  marn  nonulli  pbilofopbo  je  putaiimmc  :  non  irafri 
deû*  quom'am  uel  bmefica  fie  tantumodo  natara  duima  : 
nec  cuignocere  preftâtiffime  atep  optie  congrnar  potart, 
ud  certe  nil  oiret  oïno.ut  neep  oc  bénencenâa  crus  cjuicq 

N°20. 

_  R. ebatiuf  f  amiliarif  meuf  ad  me 
fcrtpfit  ce  exquififïc  quibuf  i  lo/ 
cifefïe  :moIe(î:eqr  ferre  <j  me  pp/ 
ter  uahtudi  nem  tua  eu  ad  urbem 
accefciffé  non  m diffef  ;  ec  boc  te/ 

N°  21  et  22. 

c  Dgïtantiîuibifepemi/ 

mero  &  memoûa  ueterarepetentîperbeatifu 
liïe  .  Qifratcr  itti  uiden  iolét  qui  in  optima 
RE  .  PV  :  quom  &  bonoribus  &rerum  gef 
tarum  gloria  f  lorerent  eum  uite   curfuTn 

N°23. 

Iipfa  Rcsp.ttbinarrare  poflf&cjuo  fefebaberôC: 
non  facihus  ex  ea  cognofcerepofTes:<|ex  liberto 
tuo  Pbanianta  eft  bomo  nô  modo  prudens:  ue^ 
etiâuirpquus:&quoduidicuriofus.  Quapropter 
ille  tibi  omnia  tibi  explanabir.Id  emm  mibi  &  ad 


N°24. 

DDané  J<  tscfarbe  ce  cortcjnoitf  &e  oypxtri 
onç  bc^  Çbmmce  nourrie  «tj  awcurw*  fin 
gu8cflC0  Çi/ïoitc*  fce  trope*  /  v£é  \*>p  ce 
txjjarfce  rtuffi  qtK  fce  JneÛc  fuît*  vncj  te  * 
ruai  j[c  Jnbicptt  ap  wceu  tè  commaribes 
mcftf  fce  trce  noB&  et  tec*  tîhiaijr  prince 
}OÇi6fp<  par  Gt  $vact  fttifeut  te  to  titra 


tfifti  nupet  ad  me  fuauiffimas  Gafpa' 
rtni  petgamenfif  epiftolaf^no  a  te  modo 
diligent  emedatas»  fed  a  tuis  quoq?  get'/ 
manis  tmpreiïotibus  nitide  A  tetfe  tw 
f  captas  «Magnant  tibi  gcatia  gafpannus 

N°26. 

e  VSEBIVM  Pamphili  de  euangelica  prapararione 
latinum  ex  graxo  beatifTime  pater  îuiïu  ttio  effeci  * 
Nam  quom  eum  uirum  tum  eloquétia:  tû  multa^ 
rerum  peritia:et  fgemi  mirabili  flumine  ex  his  qua» 
ïam  traducta  funt  pra^ftâtifTimum  fandtitas  tua  iw 
dicet:  atq^  ideo  quaxiïq?  apud  grascos  îpfius  opéra 
extét  latina  facere  fftituerit:  euangelica  prarpationé 
quae  in  urbe  forte  reperta  efh  primum  aggreffï  tra' 


DE  L'ORIGINE 

ET  DES  DÉBUTS 

DE   L'IMPRIMERIE 

EN   EUROPE. 


PREMIERE  PARTIE. 

DE  L'INVENTION   ET  DES  INVENTEURS  DE  L'IMPRIMERIE. 

CHAPITRE  PREMIER. 

DES  PREMIERS  PRODUITS  DE  L'IMPRIMERIE. 

Depuis  bien  longtemps  déjà  l'on  disserte  sur  l'origine 
de  l'imprimerie,  sans  qu'on  ait  pu  s'entendre  encore  ni 
sur  l'époque  précise  de  cette  invention,  ni  même  sur  la 
nation  à  laquelle  en  doit  revenir  l'honneur  :  c'est  qu'en 
réalité  ce  n'est  ni  à  une  année  ni  à  un  peuple  qu'elle 
appartient  -,  elle  est  due  au  progrès  de  la  civilisation ,  et 
toutes  les  générations  ont  apporté  successivement  leur 
contingent  à  la  réalisation  de  cette  précieuse  industrie, 
devenue  au  xve  siècle  une  véritable  nécessité,  et,  par 
conséquent,  l'objet  des  recherches  directes  de  beaucoup 


2  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

de  personnes.  L'imprimerie  était,  en  effet,  indispensable 
à  cette  époque  de  renaissance  générale ,  où  tant  d'esprits 
aspiraient  à  puiser  aux  sources  de  la  science.  Le  christia- 
nisme, en  renversant  les  barrières  de  l'esclavage ,  avait  ap- 
pelé peu  à  peu  à  la  vie  intellectuelle  une  masse  innom- 
brable d'individus,  et  pour  satisfaire  aux  besoins  moraux 
de  ces  hommes  nouveaux,  il  fallait  qu'un  travail  méca- 
nique vint  suppléer  aux  mains  trop  lentes  des  scribes, 
qui  ne  pouvaient  plus  suffire  déjà  à  la  confection  des 
livres  nécessaires  aux  classes  privilégiées.  Plusieurs  ten- 
tatives eurent  lieu  dans  ce  but  :  il  n'y  eut  pas  un  seul 
inventeur  de  l'imprimerie,  il  y  en  eut  cent  peut-être,  si 
l'on  compte  tous  les  arts  divers  qui  contribuèrent  à  réa- 
liser le  grand  œuvre,  la  véritable  pierre  philosophale. 
Aussi  trouva- 1-  on  presque  vers  le  même  temps  trois 
genres  d'impression  différents  :  la  xylographie  ou  impres- 
sion sur  planches  de  bois  ;  la  chalcographie  ou  impres- 
sion sur  planches  de  métal ,  soit  au  moyen  de  la  gravure 
en  relief,  comme  pour  la  xylographie,  soit  au  moyen 
de  la  gravure  en  creux  ou  taille-douce  ;  et  la  typographie 
ou  impression  au  moyen  de  types  mobiles,  c'est-à-dire 
l'imprimerie  proprement  dite,  qui  fait  seule  l'objet  de 
ce  travail. 

On  a  prétendu,  dans  ces  derniers  temps,  faire  dériver 
la  typographie  de  la  gravure  sur  métal1.  Cette  opinion  me 

1  Voyez  un  article  que  M.  de  Laborde  a  publié  dans  Y  Artiste,  t.  IV, 
(année  i83g),  p.  n3,sous  ce  titre:  La  plus  ancienne  gravure  du  cabinet 
des  estampes  de  la  Bibliothèque  royale  est-elle  ancienne  ? 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  I.  3 

paraît  tout  à  fait  dénuée  de  fondement.  La  gravure  sur 
métal,  qui  était  déjà  connue  des  Romains,  n'avait  pas 
d'abord  pour  but  l'impression  en  couleur,  mais  était  desti- 
née à  marquer  en  creux,  sur  l'objet  soumis  à  la  pression , 
soit  le  chiffre,  soit  le  signe  qu'elle  portait.  Ce  sont  les 
gravures  sur  bois  du  xvc  siècle  qui  ont  révélé  aux  or- 
fèvres le  parti  nouveau  qu'ils  pouvaient  tirer  de  leur  art. 
Ces  derniers  s'étaient  contentés  jusque-là  de  faire  des 
épreuves  de  leur  travail  pour  leur  usage  personnel  :  ils 
se  mirent  plus  tard  à  graA~er  pour  l'imprimerie.  La  plus 
ancienne  gravure  sur  métal  datée  qu'on  connaisse  est  de 
1  ho  à 1  :  c'est  un  saint  Bernard,  dont  l'exemplaire  unique 
se  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale,  département  des 
imprimés 2.  Le  département  des  estampes  du  même 
établissement  possède  beaucoup  d'autres  gravures  de  ce 
genre,  mais  non  datées.  Il  existe  des  nielles  d'une  époque 
antérieure  sans  doute,  témoin  Y  Assomption  de  Maso  Fini- 
guerra,  gravée  en  1^02,  et  dont  la  Bibliothèque  natio- 
nale possède  une  des  précieuses  épreuves;  mais  ces  pièces 
d'orfèvrerie  n'avaient  pas  été  exécutées  pour  l'impression, 
et  ce  qui  le  prouve,  c'est  que  la  gravure  était  faite  dans 
le  sens  droit,   et   aurait   produit  par   conséquent  une 

1  II  y  a  des  gravures  portant  des  dates  plus  anciennes,  mais  ces  dates 
n'ont  rien  d'authentique.  Voyez,  entre  autres,  celle  publiée  en  tète  de  la 
Notice  des  monum.  tjpogr,  de  la  bibliotli.  de  M.  le  comte  Razomowski  [par 
M.  Fischer],  Moscou,  1810,  in-8°,  et  qui  porte  la  date  de  1/122. 

a  Elle  a  été  reproduite  plusieurs  fois  sur  bois,  sur  cuivre  et  sur  pierre; 
on  la  voit  particulièrement  dans  le  travail  de  M.  de  Laborde  cité  à  la  note 
de  la  page  précédente. 


4  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

impression  à  rebours1;  parce  qu'il  en  a  été  fait  quelques 
épreuves,  peut-être  longtemps  après  l'exécution  des 
planches,  ce  n'est  pas  une  raison  pour  les  considérer 
comme  le  point  de  départ  de  l'imprimerie.  Il  y  avait  long- 
temps qu'on  faisait  des  livres  avec  des  planches  en  bois 
lorsqu'on  s'est  avisé  de  faire  des  estampes  sur  des  plaques 
de  plomb  ou  de  cuivre.  Ce  dernier  mode  de  gravure  a 
conduit  seulement  à  Yimpression  en  taille-douce ,  c'est-à- 
dire  en  creux  ;  car  il  est  bon  de  faire  remarquer  que  les 
premières  impressions  sur  métal  sont  produites  par  la 
gravure  en  relief,  comme  dans  la  xylographie.  Cette 
gravure  de  métal  en  relief,  à  laquelle  on  donne  divers 
noms:  genre  criblé,  niellé,  etc.,  est  facile  à  reconnaître  à 
son  aspect  général,  qui  est  plus  noir  que  celui  des  gra- 
vures sur  bois ,  malgré  le  soin  qu'on  a  pris  de  cribler  le 
fond  de  petits  trous  destinés  à  en  adoucir  la  teinte,  ce 
fond  ne  pouvant  être  évidé  complètement.  Le  nom  de 
Bernardus  Milnet,  qu'on  lit  au  bas  d'une  de  ces  gravures 
représentant  la  sainte  Vierge  et  l'enfant  Jésus ,  a  porté 
M.  Duchesne2,  conservateur  du  cabinet  des  estampes 
à  la  Bibliothèque  nationale,  à  attribuer  à  ce  Bernard 
Milnet,  qu'il  croit  Français,  toutes  les  gravures  en  re- 
lief sur  métal  qu'on  connaît  ;  mais  il  est  évidemment 
dans  l'erreur  sur  ce  dernier  point,  en  admettant  même 
que  le  nom  de  Milnet  soit  bien  celui  du  graveur  de 

1  C'est  ce  qui  a  lieu  dans  l'épreuve  de  V  Assomption  de  Maso  Finiguerra  ; 
les  quelques  mots  qui  s'y  trouvent  sont  imprimés  à  rebours. 

2  Voyage  d'un  Iconophile ,  p.  2  2  3,  383. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  I.  5 

l'estampe  en  question  ;  car  il  y  a  de  grandes  différences 
dans  le  dessin  de  ces  diverses  gravures ,  et  il  est  facile  de 
reconnaître  qu'elles  proviennent  de  plusieurs  artistes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'impression  sur  planches  de  bois 
était  certainement  antérieure  à  l'impression  sur  métal. 
Nous  avons  la  preuve  qu'on  imprimait  déjà  des  cartes  à 
jouer  au  xive  siècle1.  Quant  aux  images  de  saints,  elles 
sont  au  moins  du  commencement  du  xve,  car  on  en  pos- 
sède plusieurs  datées  de  cette  époque.  Je  citerai  parti- 
culièrement :  i°  celle  de  1  /u  82,  qui  a  été  trouvée  à  Ma- 
lines  en  1 844 ,  et  a  été  acquise  par  la  Bibliothèque  royale 
de  Bruxelles,  au  prix  de  cinq  cents  francs3;  2°  le  fameux 
saint  Christophe  de  i/t2  3,  qui  se  trouve  dans  la  biblio- 
thèque de  lord  Spencer4;  3°  le  calendrier  de  i/i3(),  de 
Jean  de  Gamundia.  Il  n'y  a  d'ailleurs  rien  d'extraordi- 

1  Voyez  le  travail  de  M.  Leber,  inséré  dans  les  Mémoires  de  la  société 
des  antiquaires  de  France,  t.  XVI. 

2  Je  ne  parle  pas  ici  d'une  gravure  portant  la  date  de  1 384  ,  et  qui  se 
trouve  dans  la  bibliothèque  du  Palais  des  arts  à  Lyon ,  parce  que  cette 
gravure  est  du  xvie  siècle,  comme  l'indique  le  costume  du  personnage  re- 
présenté. Il  y  a  erreur  dans  un  chiffre.  (Cetle  gravure  a  été  reproduite 
dans  le  Catalogue  par  ordre  alphabétique  des  bibliothèques  du  Palais  des  arts 
à  Lyon,  par  M.  Monfalcon,  bibliothécaire,  in-fol.  i845  ,  p.  xxiv.) 

3  Feu  M.  de  Reiffemberg  en  a  plusieurs  fois  entretenu  le  public  (Biblio- 
phïlebelcje,  i845,  vol.  I,  p.  l\  35).  Quoique  j'aie  vu  ce  monument  de  mes 
propres  yeux,  je  n'ose,  attendu  l'état  dans  lequel  il  se  trouve  et  mon  in- 
compétence en  fait  d'art ,  me  prononcer  sur  son  authenticité. 

4  La  Bibliothèque  nationale  de  Paris  en  possède  aussi  un  exemplaire , 
mais  on  lui  conteste  son  originalité  (voyez  le  travail  de  M.  de  Laborde  cité 
à  la  note  de  la  page  2).  H  y  en  a  également ,  dit-on,  un  exemplaire  dans  la 
bibliothèque  publique  de  Bâle-,  mais  je  n'ai  pu  le  voir  lors  de  mon  passage 


6  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

naire  à  faire  remonter  la  gravure  sur  bois  au  xive  siècle, 
lorsqu'on  voit  que  la  fabrique  des  cartes  et  des  images , 
qui  était  devenue  un  commerce  important  de  la  répu- 
blique de  Venise ,  donna  lieu  à  un  décret  du  sénat  de  cette 
ville,  en  îkla  ,  décret  où  nous  trouvons  déjà  un  mot 
(stampido)  qui  sert  encore  aujourd'hui  à  désigner  l'impres- 
sion typographique  en  vénitien1. 

On  sait,  au  reste ,  qu'il  y  avait  à  Anvers ,  à  Bruges ,  etc., 
dans  la  première  moitié  du  xve  siècle,  des  corporations 
ou  corps  de  métiers  composés  de  calligraphes ,  d'enlu- 

dans  cette  ville,  par  suite  d'un  manque  de  parole  du  bibliothécaire,  qui 
depuis  n'a  fait  aucune  réponse  à  mes  lettres. 

1  Voici  les  termes  de  ce  décret,  rapportés  dans  une  lettre  de  Temanza 
au  comte  Algarotti  [Litière  pittoriclie,  t.  V,  p.  320,  etOtlley,  An  inejuiry 
into  thé  origin  and  carly  history  ofehgraving  upon  copper  and  ivood,  p.  48)  : 

«  MCCCCXLI.  a  di  xi.  otubrio.  Conciosia  che  l' arte  et  mestier  délie  carte 
«  e  figure  stampide  che  se  fano  in  Venesia  è  vegnudo  a  total  defïaction ,  e 
«  questo  sia  per  la  gran  quantité  de  carte  da  zugar  e  fegure  depente  stam- 
«  pide ,  le  quai  vien  fate  de  fuora  de  Venezia ,  ala  quai  cosa  è  da  meter  re- 
«  medio ,  cbe  i  diti  maestri,  i  quali  sono  assaii  in  fameja ,  habiano  più  presto 
«utilitade  cbe  i  forestieri.  Sia  ordenado  e  statuido,  come  anchora  i  diti 
«  maestri  ne  ha  supplicado ,  che  da  mo  in  avanti  non  possa  vegnir  over 
«  esser  condutto  in  questa  terra  alcun  lavorerio  delà  predicta  arte,  che  sia 
«  stampido  o  depento  in  tella  o  in  carta ,  como  sono  anchone  e  carte  da 
«  zugare ,  e  cadaun  altro  lavorerio  delà  so  arte  facto  a  penello  e  stampido, 

«soto  pena  di  perdere  i  lavori  condutti  e  liv.  xxx.  e  sol.  xn delà 

«quai  pena  pecuniaria  un  terzo  sia  del  comun,  un  terzo  di  signori  justi- 
«  tieri  vechi  ai  quali  questo  sia  comesso ,  e  un  terzo  sia  del  accusador.  Cum 
«( questa  tamen  condition,  che  i  maestri,  i  quali  fanno  de  i  predetti  lavori 
«in  questa  terra,  non  possano  vender  i  predetti  suo  lavori  fuor  délie  sue 
«botege,  sotto  la  pena  preditta,  salvo  che  de  merchore  a  S.  Polo,  e  da  sa- 
it bado  a  S.  Marco ,  sotto  la  pena  predetta » 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  I.  7 

mineurs,  d'imprimeurs  (printers),  de  relieurs,  etc.1.  L'abbé 
de  Marolles  possédait  dans  sa  riche  collection,  qui  est 
venue  se  fondre  dans  le  cabinet  des  estampes  de  la  Bi- 
bliothèque nationale  2 ,  une  gravure  sur  bois  de  cette 
époque,  portant  l'inscription  suivante  en  flamand  :  Ghe- 
print  t' Antwerpen  by  my  Pliilery  de ficjursnicler ,  c'est-à-dire, 
«  imprimé  à  Anvers  par  moi  Philery ,  graveur  d'images.  » 
Ces  premiers  résultats  conduisirent  bientôt  à  l'impres- 
sion des  livres  sur  planches  fixes.  On  connaît  encore  une 
dizaine  d'ouvrages  à  gravures,  avec  texte  explicatif  sur 
planches  de  bois3,  antérieurs  à  l'imprimerie  proprement 
dite,  c'est-à-dire  à  la  typographie.  Ces  ouvrages,  dont  il 
existe  un  grand  nombre  d'éditions  différentes  sans  nom 
de  lieu  d'impression  ni  d'imprimeur,  et  sans  date ,  étaient 
destinés  à  apprendre  d'une  manière  sensible,  au  vul- 
gaire ,  les  préceptes  des  livres  saints  :  c'était  une  sorte  de 
résumé  de  ces  livres,  trop  rares  et  trop  coûteux  alors 

1  Mémoires  de  l'académie  de  Bruxelles,  t.  1,  p.  5 1 5.  — Esprit  des  jour- 
naux, juin  1779,  p.  2/I6. — Lambinet,  Origine  de  l'imprimerie,  t.  I,p.  2^7. 

2  Cette  pièce  est  citée  par  plusieurs  auteurs  du  xvuie  siècle,  et,  entre 
autres,  par  Heinecke,  Idée  générale  d'une  collection  d'estampes,  p.  197; 
mais  on  n'a  pu  me  la  montrer  au  cabinet  des  estampes. 

3  Heinecke,  Idée  générale,  etc.  p.  292  et  suiv. —  Ottley,  An  inquirj,  etc. 
p.  1 1 1  et  suiv.  —  Daunou,  Analyse  des  opinions  diverses  sur  l'imprimerie, 
p.  5  et  suivantes.  (Ce  travail  a  été  réimprimé  par  Lambinet,  à  la  fin  du 
tome  I  de  son  livre  intitulé  Origine  de  l'imprimerie.)  —  Falkenstein,  Ges- 
chichte  der Buchdrucherkunst ,  etc.  (Hist.  de  l'imprimerie,  Leipsick,  in -4°, 
i84o),  p.  19-60.  Ce  dernier  ouvrage  renferme  la  liste  la  plus  complète; 
il  donne  la  description  de  plus  de  trente  ouvrages  xylographiques  avec  ou 
sans  texte. 


8  DE  L'ORIGINE  DE  L  IMPRIMERIE. 

pour  que  la  masse  du  peuple  pût  se  les  procurer  en 
manuscrit. 

Les  ouvrages  xylographiques  étaient  exécutés  dans 
différentes  villes  d'Allemagne  et  des  Pays-Bas ,  qui  con- 
servèrent longtemps  le  monopole  de  cette  industrie. 
Leur  procédé  d'exécution  était  celui  du  frotton ,  qu'em- 
ploient encore  les  cartiers1,  c'est-à-dire  que  l'impression 
était  produite  à  l'aide  d'un  frottement  opéré  sur  la  feuille 
de  papier,  du  côté  opposé  à  celui  qui  était  appliqué  sur 
la  planche.  Cette  circonstance  explique  pourquoi  tous 
ces  livres  ne  sont  imprimés  que  d'un  seul  côté  :  1  °  le  frot- 
ton nécessitait  l'emploi  d'une  matière  particulière ,  huile, 
savon  ou  autre ,  qui  lui  permît  de  glisser  sur  la  feuille 
de  papier  sans  la  déranger,  et  cette  matière  mettait  en- 
suite obstacle  à  l'impression  sur  le  verso ,  en  s'opposant 
à  l'adhérence  de  l'encre;  2°  en  admettant  que  l'encre 
eût  pu  adhérer  au  verso ,  le  frottement  du  recto ,  déjà 
imprimé ,  frottement  nécessaire  pour  opérer  l'impression 
sur  le  côté  opposé  de  la  feuille  de  papier,  aurait  effacé 
l'empreinte  existante  sur  ce  recto.  La  retiration,  pour  me 

1  Les  cartiers  emploient  deux  modes  différents  d'impression,  s'il  est 
permis  de  se  servir  de  ce  mot  pour  désigner  leurs  travaux  :  le  premier 
consiste  à  appliquer  la  couleur  sur  le  papier  au  moyen  d'une  brosse  qu'on 
promène  sur  une  feuille  de  carton  ou  de  métal  découpée  à  certains  en- 
droits ;  l'autre  a  beaucoup  plus  de  rapport  avec  l'imprimerie  proprement 
dite,  puisqu'il  exige  une  planche  gravée  :  on  pose  la  feuille  de  papier  sur 
cette  planche,  qu'on  a  préalablement  enduite  d'encre  à  la  détrempe,  et  l'on 
promène  sur  le  verso  un  tampon  de  drap  qu'on  appelle^/roMon,  et  qui  est 
lui-même  enduit  d'un  corps  gras  destiné  à  faciliter  l'opération,  c'est-à-dire 
à  empêcher  que  le  frotton  ne  dérange  la  feuille. 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  I.  9 

servir  du  terme  technique ,  n'étant  pas  possible ,  on  en 
était  alors  réduit  à  coller  les  feuilles  dos  à  dos  par  le  côté 
resté  en  blanc. 

Ce  sont  ces  livres  informes  qui  ont  conduit  à  l'impri- 
merie typographique.  Combien  d'essais  furent  tentés  pour 
simplifier  le  travail  du  graveur,  le  plus  coûteux  et  le  plus 
lent  de  tous  ceux  auxquels  l'imprimerie  xylographique 
était  assujettie  !  Il  est  plus  facile  de  le  concevoir  par  l'ima- 
gination que  de  le  dire.  La  première  idée  qui  dut  se  pré- 
senter à  l'esprit  fut  sans  doute  celle  d'utiliser  les  lettres 
gravées  sur  une  planche  devenue  inutile,  en  les  déta- 
chant les  unes  des  autres  à  l'aide  de  la  scie,  ou  tout  au 
moins  d'en  graver  sur  des  morceaux  de  bois  découpés  à 
l'avance,  afin  de  pouvoir  s'en  servir  plusieurs  fois.  Mais 
ce  procédé  ne  pouvait  réussir.  Les  caractères  d'impri- 
merie demandent  une  telle  précision  dans  leur  force  et 
dans  leur  hauteur,  qu'il  n'est  pas  admissible  qu'on  ait  pu 
imprimer  avec  ces  petits  cubes  de  bois.  Il  eût  été  impos- 
sible de  les  justifier  sans  un  travail  immense ,  qui  aurait 
coûté  certainement  beaucoup  plus  que  la  gravure  d'un 
grand  nombre  de  planches.  L'emploi  de  pareils  carac- 
tères aurait  été  d'autant  plus  difficile  à  cette  époque, 
qu'on  ignorait  l'usage  des  interlignes  \  et  qu'on  n'eût  pu 
serrer  une  page  composée  de  la  sorte. 

A  la  vérité,  on  suppose  que  les  interlignes  étaient 
suppléées  alors  par  un  fil  de  fer  qui  traversait  toutes  les 

1  On  donne  ce  nom  à  de  petites  lames  de  métal ,  de  longueur  et  d'épais- 
seur variables,  qui  se  placent  entre  les  lignes. 


10  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

lettres,  et  les  maintenait  dans  la  direction  exacte:  on  cite 
même  des  caractères  ainsi  perforés  qui  auraient  existé  à 
Mayence  jusque  dans  ces  derniers  temps...  Je  ne  mets 
pas  en  doute  l'existence  de  ces  caractères,  dont  je  n'ai 
pu  cependant  retrouver  à  Mayence  aucun  échantillon1; 
mais  ils  ne  prouveraient  pas ,  suivant  moi ,  qu'on  ait  im- 
primé avec  des  lettres  mobiles  de  bois;  ils  démontre- 
raient seulement  qu'on  fit  de  nombreux  essais  pour  uti- 
liser cette  sorte  de  caractères.  Je  dis  plus ,  c'est  que  ces 
trous  pratiqués  dans  les  lettres  de  bois  auraient  été  une 
nouvelle  difficulté ,  bien  loin  d'être  une  amélioration  ; 
car,  pour  être  utiles ,  ils  devaient  être  précisément  de  la 
grosseur  du  fil  de  fer  destiné  à  y  passer,  et  par  consé- 
quent mathématiquement  à  la  même  hauteur  :  or  cette 
précision  était  impossible  avec  une  matière  aussi  impres- 
sionnable que  le  bois ,  l'humidité  et  la  sécheresse  le  fai- 
sant varier  de  mille  manières. 

Mais  à  quoi  bon  discuter  un  pareil  système?  il  suffit 
d'avoir  vu  serrer  une  forme  pour  comprendre  que  l'em- 

1  Voyez  les  détails  que  donne  à  ce  sujet,  sur  la  foi  de  Bodmann,M.  Fis- 
cher, Essai  sur  les  monuments  typographiques  de  Gutcnbcrg ,  page  39.  J'ai 
quelque  raison  pourtant  de  me  méfier  de  cette  tradition.  Ces  prétendus 
caractères  primitifs  étaient  peut-être  des  essais  modernes.  Lors  de  mon 
passage  à  Mayence,  en  i85o,  je  priai  M.  Wetter,  auteur  d'une  Histoire  de 
l'imprimerie,  de  me  faire  voir  les  caractères  de  bois  qu'il  a  fait  graver 
pour  la  planche  I  de  son  livre  -,  il  eut  l'obligeance  de  me  conduire  chez 
son  imprimeur,  dans  l'atelier  duquel  il  les  avait  laissés  ;  mais  le  prote  nous 
apprit  qu'ils  avaient  été  volés.  Peut-être  un  jour  quelque  naïf  Allemand ,  les 
trouvant  parmi  les  reliques  du  voleur,  nous  les  donnera  pour  les  caractères 
de  Gutenberg.  Voilà  comment  s'établissent  trop  souvent  les  traditions. 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  I.  11 

ploi  du  fil  de  fer  n'était  pas  possible  :  lorsqu'on  aurait 
pressé  la  page  dans  le  châssis,  ce  fil  de  fer,  d'abord  trop 
court  pour  enfiler  toutes  les  lettres  non  serrées,  serait 
devenu  trop  long  ensuite,  et,  ne  pouvant  se  loger,  au- 
rait dérangé  toute  l'harmonie  de  la  composition  ' .  Lais- 
sons de  côté  ces  hypothèses,  dont  on  pourrait  remplir 
plusieurs  volumes  sans  rien  apprendre  au  lecteur.  Qui 
saurait  dire ,  en  effet ,  maintenant  tous  les  essais  qui  ont 
été  tentés2? 

En  définitive,  je  soutiens  que  les  caractères  mobiles 
de  bois  n'ont  pas  été  employés  à  l'impression  de  tout 
un  livre,  car  on  n'aurait  pu  parvenir  à  les  aligner,  et 
alignés ,  à  les  tirer.  Ils  n'auraient  pas  d'ailleurs  atteint  le 
but  qu'on  cherchait,  car  ils  n'auraient  pu  servir  deux 
fois  :  les  circonstances  de  l'impression,  et  surtout  le  la- 
vage de  la  forme  après  cette  opération ,  auraient  détruit 
toute  l'harmonie  de  cette  multitude  de  petits  morceaux  de 

1  Quelques  personnes  ont  pensé ,  avec  plus  d'apparence  de  raison ,  que 
le  trou  pratiqué  dans  certains  caractères  aurait  servi  uniquement  à  enfiler 
les  lettres  à  mesure  qu'on  les  prenait  dans  la  casse,  pour  composer  la 
ligne.  Dans  ce  cas,  le  fil  de  fer,  enlevé  lorsque  la  ligne  aurait  été  dans  la 
qalée,  aurait  tenu  lieu  d'abord  de  composteur. 

2  Meerman  (Orig.  typogr.  t.  I,  p.  Z2)  mentionne  des  caractères  en  ar- 
gile fabriqués  dans  des  moules  au  xvmc  siècle  :  cela  prouve-t-il  qu'il  y 
a  eu  des  livres  imprimés  avec  des  caractères  d'argile  ?  J'ai  imprimé  moi- 
même  des  affiches  qui  devaient  être  tirées  à  un  très-petit  nombre  d'exem- 
plaires en  collant  tout  simplement  les  lettres  à  la  distance  voulue  sur  le 
marbre  de  la  presse,  pour  m' éviter  la  peine  de  justifier  les  lignes  et  de  les 
serrer  dans  un  châssis  :  en  conclura-t-on  qu'il  a  été  fait  des  livres  de  cette 
manière? 


12  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

bois,  l'eau  opérant  de  diverses  manières  sur  chacun  d'eux. 
Dans  tous  les  cas,  je  nie  positivement  qu'il  existe  aujour- 
d'hui des  livres  imprimés  en  caractères  mobiles  de  bois. 
Je  prouverai  plus  loin  que  ceux  que  Fournier  et  d'autres1 
ont  pris  pour  tels  ont  été  exécutés  avec  des  lettres  de 
métal  fondu.  Quand  je  dis  qu'il  n'existe  pas  de  livres 
imprimés  avec  des  lettres  mobiles  de  bois,  il  est  bien 
entendu  que  je  veux  parler  du  texte  en  petit  caractère 
courant,  et  non  des  grosses  lettres,  pour  lesquelles  le 
bois  est  encore  de  nos  jours  employé  fort  utilement. 

Au  reste ,  comme  il  est  inutile  de  se  battre  contre  des 
moulins  à  vent,  je  pose  résolument  ce  dilemme  aux  par- 
tisans encore  nombreux  des  caractères  en  bois  :  ou  il 
n'y  a  pas ,  ou  il  y  a  des  livres  imprimés  ainsi.  S'il  n'y  en 
a  pas,  sur  quoi  se  fonde -t- on  pour  dire  qu'il  y  en  a  eu? 
s'il  y  en  a,  qu'on  me  les  montre,  et  je  me  fais  fort  de 
prouver  qu'ils  sont  en  planches  fixes  ou  en  caractères 
mobiles  de  métal.  Cela  dit,  j'entre  en  matière. 

Les  lettres  d'indulgences  de  1 454 ,  que  je  décrirai 
longuement  plus  loin,  peuvent  prouver  indirectement 
que  les  caractères  de  métal  fondu  avaient  été  employés 
plusieurs  années  auparavant;  un  autre  monument,  non 
moins  célèbre,  et  beaucoup  plus  curieux  encore,  nous 
en  fournit  la  preuve  positive  :  je  veux  parler  des  pre- 
mières éditions  connues  du  Spéculum  liumanœ  salvationis. 

1  Fournier,  De  l'origine  de  l'imprimerie,  mc  partie,  p.  i5o  et  suivantes. 
—  Meerman,  Orig.  typogr.  t.  I,  cliap.  v.  —  Van  Praet,  Catal.  des  vélins 
de  la  Biblioth.  du  roi,  Bellcs-Jettres,  n°  12. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  I.  13 

Ce  livre,  qui  a  déjà  été  l'objet  d'un  grand  nombre  de 
dissertations,  et  qui  les  mérite  à  tous  égards,  va  nous 
donner  le  moyen  de  démontrer  que  la  typographie  est 
plus  ancienne  qu'on  ne  le  croit  généralement.  C'est  par 
là  que  nous  commencerons  nos  investigations  pratiques 
sur  l'imprimerie. 

Comme  base  de  la  discussion,  je  crois  devoir  donner 
ici  une  description  détaillée  des  éditions  anonymes  du 
Spéculum,  non  pas  au  point  de  vue  littéraire,  qui  nous 
importe  peu,  et  qui  a  déjà  été  traité  d'ailleurs  d'une 
manière  fort  complète  par  mon  confrère  et  ami  Jean- 
Marie  Guichard  \  mais  au  point  de  vue  purement  ty- 
pographique. Dans  l'impossibilité  où  je  suis  d'assigner  à 
ces  éditions  un  rang  chronologique  précis,  je  les  dési- 
gnerai par  les  premières  lettres  de  l'alphabet.  On  voudra 
bien  me  pardonner  des  répétitions  indispensables  pour  la 
clarté  des  explications,  et  surtout  les  termes  techniques 
que  je  serai  obligé  d'employer  pour  éviter  l'obscurité 
des  périphrases.  Je  suppose  mes  lecteurs  initiés  aux  pre- 
miers éléments  de  l'art,  condition  nécessaire  pour  bien 
comprendre  une  dissertation  sur  ce  sujet. 

Voici  la  liste  des  éditions  du  Spéculum  qui  nous  in- 
téressent ;  elles  sont  toutes  in-folio  : 

A.  Edition  latine  ayant  soixante-trois  feuillets  impri- 
més d'un  seul  côté  du  papier,  plus  un  feuillet  entière- 

1  Notice  sur  le  Spéculum  humanœ  salvationis,  in-8°,  Paris,  i84o.  Voyez 
aussi  Ottley,  An  inquiry,  etc.  p.  1 53  et  suiv.  et  Heinecke ,  Idée  générale,  etc. 
p.  432  et  suiv. 


14  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

ment  blanc  en  tête  du  livre.  Ce  feuillet  manque  dans 
quelques  exemplaires ,  mais  il  doit  exister  dans  ceux  qui 
sont  complets.  Ces  soixante -quatre  feuillets,  ou  plutôt 
ces  trente-deux  feuilles ,  sont  divisés  en  cinq  cahiers  :  le 
premier  de  trois  feuilles,  les  trois  suivants  de  sept,  et 
le  dernier  de  huit.  La  préface ,  qui  est  en  vers  comme  le 
reste  du  livre ,  occupe  les  cinq  derniers  feuillets  du  pre- 
mier cahier;  elle  est  disposée  sur  une  seule  colonne  rem- 
plissant toute  la  page ,  sauf  l'espace  vacant  laissé  au  bout 
des  lignes  par  suite  de  leur  inégalité  poétique.  Les  cin- 
quante-huit feuillets  suivants  contiennent  le  corps  de  l'ou- 
vrage ,  et  ont  deux  colonnes  à  la  page.  En  tête  de  chaque 
page  du  texte  proprement  dit  se  trouve  une  gravure  en 
bois.  Chaque  gravure  est  divisée  en  deux  compartiments , 
séparés  l'un  de  l'autre  par  un  pilier  perpendiculaire  de 
forme  gothique.  Au  bas  de  chaque  compartiment  est 
une  ligne  de  texte  en  latin ,  gravée  sur  le  bois  même ,  in- 
diquant le  sujet  représenté,  et  servant  de  titre  au  texte 
qui  suit1.  On  trouve  aussi  çà  et  là  des  rouleaux2  mêlés 
aux  personnages,  et  portant  des  inscriptions  latines. 
Au  bas  de  chaque  colonne  de  texte  est  l'indication  du 
livre  auquel  ce  texte  est  emprunté.  Chaque  vers ,  ou 
plutôt  chaque  ligne,  commence  par  une  majuscule  ou 
capitale.  On   ne  trouve  dans  tout  le  livre  aucun  autre 

1  Le  graveur  a  fait  quelques  transpositions  sans  importance. 

2  On  appelle  rouleaux  des  espèces  de  banderoles  qui  sortent  de  la 
bouche  ou  des  mains  des  personnages,  et  sur  lesquelles  se  trouvent  quelques 
mots  analogues  au  sujet  représenté. 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  I.  15 

signe  de  ponctuation  que  le  point,  qui  n'est  même  pas 
très-fréquent.  Caractère  gothique  de  la  force  du  saint- 
augustin (quatorze  points  typographiques),  mais  avec  l'œil 
très-compacte,  équivalant  à  celui  d'un  gros-romain  gras. 
Aucune  indication  d'année,  de  ville,  ni  d'imprimeur; 
point  de  titre,  folio,  signature,  ni  réclame.  La  préface  et 
la  majeure  partie  du  texte  sont  imprimés  en  caractères 
mobiles  de  métal  fondu,  comme  je  le  démontrerai  plus 
loin  ;  mais  il  y  a  dans  cette  édition  vingt  pages  de  texte 
en  planches  xylographiques ,  semées  comme  au  hasard 
dans  les  quatre  derniers  cahiers1,  avec  cette  circonstance 
toutefois  qu'elles  sont  toutes  accouplées  deux  à  deux  sur 
la  même  feuille,  ainsi  que  les  pages  en  caractères  mo- 
biles2. Cet  arrangement  est  rendu  évident  par  certains 
accidents  de  l'impression  :  ainsi,  les  gravures  ayant  été 
tirées  avec  une  encre  plus  pâle  que  celle  employée  pour 
les  caractères  mobiles ,  et  par  un  procédé  différent ,  il  en 

1  Le  premier  qui  n'a  point  de  gravure,  est  tout  entier  en  caractères 
mobiles. 

2  Afin  de  rendre  ma  description  plus  claire  aux  gens  de  l'art,  je  donne 
ci-dessous  la  disposition  des  pages  par  forme  et  par  cahier,  telle  qu'elle 
se  trouve  dans  l'édition  A.  On  va  voir  qu'elle  demandait  une  certaine  com- 
binaison typographique.  Je  mets  en  italique  les  chiures  des  pages  xylo- 
graphiques. 

iercahier  (6  feuillets,  et  non  5)  :  blanche-5,  i-4,  2-3. 
2e  cahier  (  1 4  f -  )  :  6-19,  7-18,  8-17  ,  9-16, 10-15, 11-lk,  12-13. 
3e  cahier  [ià  f.)  :  20- 33 ,  24-32,  22-3:/,  23-3o,  24-29,  25-28,  26-27. 
4e  cahier  (a  f.):  34-^7,  35-46,  36-45,  37-44,  38-43,  39-42,4o-4i. 
5e  cahier  (1 6  f.)  :  48-63,  49-62,50-61,  51-60,  52-59,  53-58,  54-57, 
55-56. 


16  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

est  résulté  quelquefois  désaccord  entre  les  deux  parties 
de  la  page  (comme  cela  arrive  encore  fort  souvent  aujour- 
d'hui lorsqu'on  fait  imprimer  une  planche  en  faille-douce 
au  bas  d'un  texte  typographique);  eh  bien,  ce  désaccord 
est  toujours  le  même  pour  les  deux  pages  qui  compo- 
sent une  forme.  Les  textes  xylographiques  ont  été  tirés 
en  même  temps  que  la  gravure ,  avec  la  même  encre  et 
par  le  même  procédé,  celui  du  frotton  du  cartier;  mais 
les  pages  en  caractères  mobiles  ont  bien  certainement  été 
tirées  à  la  presse,  comme  je  le  démontrerai  plus  loin. 

On  connaît  une  dizaine  d'exemplaires  de  cette  édition. 
Il  y  en  a  deux  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris.  Le 
plus  intéressant  est  celui  de  l'ancien  fonds,  coté  A  1 866  ; 
il  est  intact,  et  possède  par  conséquent  le  feuillet  blanc 
dont  j'ai  parlé  plus  haut.  Le  second  provient  de  la  biblio- 
thèque de  la  Sorbonne,  dont  il  porte  encore  le  timbre1. 
Tous  les  feuillets  de  ce  volume  ont  été  remontés  par  le 
relieur,  qui  en  a  retranché  le  feuillet  blanc  :  il  offre 
donc  moins  d'intérêt  que  le  précédent,  au  point  de  vue 
typographique2. 

1  H  fut  trouvé  un  jour  sur  les  tables  d'un  étalagiste  du  quai  de  la  Tour- 
nelle  par  Cheviller,  auteur  de  l'Origine  de  l'imprimerie  de  Paris,  qui  l'a- 
cheta et  en  fit  présent  à  la  Sorbonne,  dont  il  était  le  bibliothécaire.  Cet 
exemplaire  passa  en  1792  à  la  Bibliothèque  nationale  avec  tous  les  autres 
livres  de  ce  célèbre  collège,  dont  j'aurai  occasion  de  reparler  longuement 
dans  la  seconde  partie  de  ce  travail. 

2  U  y  avait  un  troisième  exemplaire  de  cette  édition  à  Paris  au  milieu 
du  xvme  siècle;  il  était  en  la  possession  de  M.  de  Cotte,  et  a  été  décrit 
par  Fournier,  De  l'origine  de  l'imprimerie,  p.  1 53  et  suivantes.  H  est  passé  à 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  I.  17 

B.  Edition  latine ,  en  tout  conforme  à  la  précédente , 
sauf  en  ce  qui  concerne  les  pages  xylographiques,  qui 
ont  été  remplacées  par  des  pages  en  caractères  mobiles. 
Du  reste,  mêmes  gravures,  même  caractère,  même  pa- 
pier, même  mode  d'impression,  c'est-à-dire  le  frotton 
pour  les  planches ,  et  la  presse  pour  les  textes. 

Cette  édition  est  assez  rare  :  on  n'en  connaît  que  cinq 
exemplaires,  dont  deux  seuls  sont  complets  :  i°  celui  qui 
se  trouve  dans  la  Bibliothèque  impériale  à  Vienne,  et  qui 
provient  des  Célestins  de  Paris  :  il  a  été  longuement  décrit 
par  Fournier1  ;  1°  celui  qui  est  dans  la  bibliothèque  du  pa- 
lais Pitti,  à  Florence,  décrit  par  M.  Noordziek2.  Les  trois 
incomplets  sont  :  i°  celui  de  l'hôtel  de  ville  de  Haarlem, 
auquel  il  manque  la  préface;  2°  celui  de  la  bibliothèque 
du  roi  de  Hanovre ,  qui  n'a  que  quarante-quatre  feuillets  ; 
3°  celui  de  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles,  incom- 
plet de  cinq  feuillets,  et  qui  provient  du  bibliophile  Van 
Hulthem,  de  Hollande3. 

C.  Edition  en  hollandais  :  c'est  une  traduction  en 
prose.  Cette  édition  ne  diffère,  typographiquement  par- 
lant, de  l'édition  précédente,  que  par  la  disposition  du 

l'étranger,  aussi  bien  qu'un  exemplaire  d'une  autre  édition  qui  se  trouvait 
au  couvent  des  Célestins,  et  dont  nous  disons  un  mot  plus  loin. 

1  De  V origine  de  l'imprimerie,  p.  161.  Pour  prouver  que  les  pages  en 
caractères  mobiles  des  éditions  A  et  B  sont  bien  de  deux  éditions  diffé- 
rentes, Meerman  a  reproduit  les  notes  de  Fournier,  Orig.  tjp.  1. 1,  p.  124. 

2  Préface  de  la  traduction  française  de  l'ouvrage  de  M.  de  Vries,  inti- 
tulé: Arguments  des  Allemands,  etc.  in-8°,  la  Haye,  1 845. 

3  Bibliotheca  Hulthemiana,  1 836 ,  t.  I,  p.  19,  n°io,2. 


18  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

premier  cahier,  qui  n'a  que  quatre  pages1,  c'est-à-dire 
deux  feuilles  au  lieu  de  trois.  Le  nombre  des  feuillets  du 
livre  entier  est  ainsi  réduit  à  soixante-deux,  soit  trente 
et  une  feuilles.  Du  reste ,  même  mode  d'impression , 
mêmes  gravures,  même  caractère ,  sauf  deux  pages,  l\  g  et 
60 2,  c'est-à-dire  une  feuille,  qui  sont  en  caractère  un 
peu  plus  petit.  Une  circonstance  digne  de  remarque , 
c'est  que  ces  deux  pages,  qui  diffèrent  des  autres  du  même 
volume  pour  Y  oeil  et  la  force  du  caractère,  diffèrent  aussi 
entre  elles,  quant  à  l'arrangement  typographique,  dans 
les  divers  exemplaires  qu'on  possède  de  cette  édition. 
Ainsi  Meerman  a  constaté  plusieurs  différences  impor- 
tantes 3  dans  ces  deux  pages  seulement  entre  deux  exem- 
plaires de  ce  livre,  l'un  qui  était  à  lui,  l'autre  qui  appar- 
tenait à  M.  Enschedé,  imprimeur  célèbre  de  Haarlem, 
dont  la  famille  exerce  encore  cette  profession  dans  la 
même  ville4.  Il  est  bon  de  noter  en  outre  que  dans  cette 
édition,  qui  est  en  prose,  ainsi  que  je  l'ai  dit  déjà,  on  ne 
retrouve  pas,  comme  dans  les  précédentes ,  qui  sont  en 
vers,  des  capitales  au  commencement  de  chaque  ligne. 
On  a  suivi  l'usage  actuel,  qui  ne  les  admet  qu'au  commen- 
cement des  phrases. 

1  Trois  de  préface  ou  proœmuun  et  une  de  table. 

2  Je  compte  toujours  dans  la  pagination  les  feuillets  duproœmium,  que 
beaucoup  de  bibliographes  laissent  en  dehors  dans  leurs  appréciations. 

3  Orig.  tjpogr.  1. 1,  p.  121,  note  cl. 

4  Outre  leur  établissement  typographique,  qui  est  considérable,  MM.  En- 
schedé ont  conservé  et  accru  le  petit  musée  bibliographique  fondé  par  leur 
aïeul. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  I.  19 

On  connaît  une  dizaine  d'exemplaires  de  cette  édition , 
ou  du  moins  qu'on  regarde  comme  lui  appartenant; 
car  on  peut  voir,  par  ce  qui  précède ,  qu'il  y  a  eu  pro- 
bablement plusieurs  tirages  différents.  Presque  tous  ces 
exemplaires  sont  en  Hollande  1. 

D.  Edition  hollandaise,  conforme  à  la  précédente 
quant  à  la  disposition  générale ,  mais  différente  par  le 
caractère,  qui  est  plus  petit,  quoique  ayant  la  môme  forme 
que  celui  des  éditions  A,  B,  G.  Meerman2  dit  que  vingt 
lignes  de  l'édition  D  occupent  l'espace  de  dix-neuf  lignes 
des  éditions  précédentes,  ou  du  moins  de  l'édition  H, 
la  seule  qui  soit  homogène.  Ottley 3  conteste  l'exactitude 
de  ce  renseignement,  en  se  fondant  sur  l'aspect  tout  à 
fait  analogue  des  caractères  des  deux  éditions,  à  en  juger 
par  les  spécimens  donnés  par  Meerman  lui-même;  mais 
ce  mode  d'appréciation  est  bien  imparfait.  Koning4  a  cons- 
taté dans  quelques  lettres ,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus 
loin,  des  différences  qui  ne  permettent  pas  de  croire  que 
ce  soit  le  même  caractère.  Il  est  certain  que  cette  édition 
est  très-défectueuse;  c'est  ce  qui  a  porté  plusieurs  auteurs5 
à  la  considérer  comme  la  première  de  toutes. 

On  ne  connaît  que  trois  exemplaires0  de  l'édition  D, 

1  Heinecke,  Idée  générale,  etc.  p.  'iôfi. 

2  Orig.  typogr.  t.  I,  p.  120. 

3  An  inquiry,  etc.  p.  2  16. 

'  Dissertation  sur  l'origine  de  l'imprimerie,  p.  !\. 
5  Meerman,  Orig.  typogr.  t.  I,  p.  1 18  et  suiv. 

0  Pour  cette  édition ,  comme  pour  les  précédentes ,  je  n'aipas  cru  devoir 
mentionner  les  feuillets  isolés  possédés  par  quelques  personnes. 


20  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

et  ils  sont  tous  trois  incomplets  :  le  premier  est  à  l'hôtel 
de  ville  de  Haarlem,  le  second  dans  la  bibliothèque  pu- 
blique de  la  même  ville,  et  le  troisième  dans  la  biblio- 
thèque communale  de  Lille.  Ce  dernier,  qui  n'a  encore 
été  décrit  nulle  part  1 ,  réclame  une  mention  particu- 
lière, à  cause  des  deux  feuillets  opisthographes ,  c'est-à- 
dire  imprimés  des  deux  côtés,  qu'il  renferme.  Il  est  vrai 
que  cette  circonstance  est  plutôt  un  défaut  qu'une  qua- 
lité; car  non-seulement  les  pages  ainsi  retirées  ne  cor- 
respondent pas  avec  les  autres  pages  de  la  feuille ,  et  ne 
sont  pas  accompagnées  des  gravures,  mais  encore  elles 
ressemblent  plutôt  à  une  maculature  qu'à  une  impression 
réelle.  Toutefois  ces  feuillets  opisthographes,  les  seuls  qui 
existent  dans  les  diverses  éditions  du  Spéculum,  ont  ac- 
quis trop  de  célébrité  parmi  les  bibliophiles  qui  se  sont 
occupés  de  ce  livre  pour  que  je  puisse  me  dispenser 
d'en  dire  un  mot. 

Voici  la  description  de  ce  curieux  volume,  que  j'ai 

1  Je  me  trompais  :  M.  Em.  Cachet  en  a  donné  une  description  dans  le 
Compte  rendu  des  séances  de  la  Commission  royale,  d'histoire  de  Belgique, 
t.  VI,  p.  201  (Bruxelles,  i843);  mais  comme  ce  document,  que  j'ai  sous 
les  yeux,  est  écrit  à  un  point  de  vue  différent  du  mien,  je  ne  crois  pas 
devoir  supprimer  les  détails  que  je  donne  ici  ;  j'emprunterai  seulement  les 
lignes  suivantes  à  M.  Gachet  :  <t  L'encre  des  gravures  est  d'un  gris  jaune 
ou  noir  de  fumée  ;  celle  du  texte  est  fort  noire. . .  -,  dans  le  texte ,  les  lettres 
sont  dérangées  et  disjointes  presque  partout ,  ce  qui  ne  laisse  pas  de  doute, 
sur  la  mobilité  des  caractères.  L'exemplaire  indique  même  que  les  lettres 
étaient  taille'es  en  bois.  H  y  a  des  endroits  oîi  l'on  voit  qu'elles  étaient  écra- 
sées, et  alors  l'impression  est  tout  embrouillée.  »  H  est  inutile,  je  pense, 
de  réfuter  en  détail  l'erreur  que  renferment  ces  dernières  lignes.  Le  fait 


PREMIERE  PARTIE.— CHAPITRE  I.  21 

pu  étudier  à  mon  aise  à  Lille ,  grâce  à  l'obligeance  du 
bibliothécaire,  M.  Semet. 

Comme  tous  les  exemplaires  des  éditions  hollandaises , 
le  volume  de  Lille  commence  par  le  côté  blanc  de  la 
première  feuille,  puis  viennent  deux  pages  imprimées 
en  regard  l'une  de  l'autre,  et  ayant,  la  première,  trente 
et  une  lignes;  la  seconde,  trente;  ensuite  les  deux  pages 
du  milieu  du  cahier,  qui  sont  blanches;  puis  deux  pages 
imprimées  en  regard ,  ayant ,  la  première ,  trente  ;  la  se- 
conde, trente-deux  lignes.  Le  cahier  finit  naturellement, 
comme  il  a  commencé,  par  une  page  blanche  :  en  tout, 
pour  ce  cahier,  qui  contient  le  proœmiuni  et  la  table,  quatre 
pages  blanches  et  quatre  imprimées.  Le  cahier  suivant, 
où  commence  le  texte,  débute  de  même  par  une  page 
blanche ,  puis  deux  pages  imprimées  1  en  regard ,  etc. 
Chaque  cahier  commence  et  finit  ainsi  par  une  page 
blanche2.  Pour  ce  qui  est  des  quatre  cahiers  du  texte, 

que  M.  Cachet  cite  comme  une  preuve  que  les  caractères  sont  en  bois 
prouve  le  contraire.  Il  n'est  pas  une  personne  initiée  aux  cléments  de  l'art 
qui  ne  sache  que  le  bois  ne  s'écrase  pas  à  l'impression. 

1  Presque  toutes  les  colonnes  du  texte  ont  vingt-six  lignes  :  quelques- 
unes  cependant  n'en  ont  que  vingt-cinq  ou  vingt-quatre. 

2  Voici  la  disposition  typographique  de  chaque  forme  par  cahier  dans 
les  exemplaires  complets  des  éditions  hollandaises  : 

icr cahier  (4  feuillets):  i-4,  2-3. 

2e  cahier  (i4  f.)  :  5-i8,  6-17,  7-16,  8-1 5,  9-1  4  ,  10-1 3,  11-12. 
3e  cahier  (i4  f.  )  :  19-32 ,  20-3i ,  2i-3o,  22-29,  23-28,  24-27,  20-26. 
4e  cahier  (i4  f.):  33-46,  34-45,  35-44,  36-43,  37-42  ,  38-/u,  3g-4o. 
5e  cahier  (  16  f.)  =  47-62 ,  48-6!,  49-60,  5o-5g,  5i-58,  52-57,53-56, 
54-55. 

Maintenant,  si  l'on  fait  abstraction  des  pages  de  l'avant -propos,   c'est- 


22  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

l'ordre  est  le  même  ici  que  dans  les  éditions  latines. 
Celles-ci  ne  diffèrent  des  éditions  hollandaises  que  par 
la  disposition  du  premier  cahier,  renfermant  le  proœmium, 
qui  a  exigé  une  page  de  plus,  à  cause  de  sa  forme  poé- 
tique 1.  Toutefois  l'ordre  naturel  des  troisième  et  qua- 
trième cahiers  a  été  un  peu  dérangé  dans  l'exemplaire 
de  Lille ,  par  suite  de  la  perte  d'une  feuille  ou  de  deux 
pages,  la  trente-troisième  et  la  quarante-sixième2.  Par 
une  singularité  dont  il  est  difficile  de  se  rendre  compte , 
cette  feuille  manquante,  qui  est  la  première  du  qua- 
trième cahier,  a  été  remplacée  par  la  septième  (celle  du 
milieu)  du  troisième,  renfermant  les  pages  28-26,  sur 
le  revers  desquelles  on  a  imprimé  en  retiration3  le  texte 
de  la  première  feuille  du  cinquième  cahier,  renfermant 
les  pages  4 7-6  2.  Ces  deux  dernières  pages  font  double 

à-dire  du  premier  cahier,  et  si  l'on  ne  compte  que  par  numéro  des  gra- 
vures, cpii  sont  au  nombre  de  58,  voici  l'ordre  d'imposition  dans  toutes 
les  éditions  tant  hollandaises  que  latines  : 

2e  cahier  :  1-1 4 1  2-1 3,  3- 12  ,  i-n,  5-io,  6-9,  7-8. 

3e  cahier  :  i5-2  8,  16-27,  !7-26,  18-26  ,  19-2 4,  20-2 3,  21-22. 

4°  cahier  :  29-42 ,  3o-4i,  3i-4o,  32-3g,  33-38,  34-37,  35-36. 

5°  cahier:  43-58,  44-57,  45-56,  46-55,  47-54,  48-53,  4g-5a,  5o-5i. 

1  Comme  je  l'ai  dit,  les  éditions  latines  commencent  par  un  feuillet  tout 
entier  blanc,  puis  vient  la  première  page  du  proœmium,  suivie  de  deux 
pages  blanches,  de  deux  pages  imprimées ,  de  deux  autres  pages  blanches, 
de  deux  pages  imprimées ,  et  enfin  d'une  page  blanche  en  regard  de  la 
première  page ,  blanche  aussi ,  du  cahier  suivant. 

2  D'après  Koning  [Dissert,  sur  l'orig.  de  l'impr.  p.  69),  M.  Van  West- 
phalen  possédait  le  feuillet  46. 

3  Je  me  sers  de  ce  mot  faute  d'autre,  car  ce  n'est  pas  là  une  véritable 
rcliralion. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  I.  23 

emploi,  car  elles  sont  encore  à  leur  place  dans  le  cin- 
quième cahier.  La  troisième  feuille  du  deuxième  cahier, 
contenant  les  pages  8  - 1  5 ,  se  compose  de  deux  parties 
distinctes,  le  texte  et  les  gravures,  qui  sont  sur  deux 
bandes  de  papier  ajustées  ensemble.  La  cinquième  feuille 
du  troisième  cahier  présente  la  même  circonstance  1.  On 
a  écrit  à  la  main,  dans  le  rouleau  de  la  gravure  de  la 
dernière  page ,  les  mots  :  Marie  thecel  phares.  Le  volume 
est  relié  en  parchemin.  Sur  le  plat  de  la  couverture  sont 
imprimées  à  froid  les  armoiries  de  la  ville  de  Haarlem 
(un  glaive ,  la  pointe  en  haut ,  surmonté  d'une  croisette , 
et  accompagné  de  quatre  étoiles,  deux  de  chaque  côté; 
légende  :  vicit.  vim.  virtvs.).  Le  dos  porte  ce  titre  ma- 
nuscrit en  hollandais,  d'une  écriture  du  xvie  siècle  : 
«Spiegel  der  behoudenis  sijnde  het  eerste  van  Lauris 
«  Koster  vinder  der  druckerij  gedruckt  binnen  Haerlem 
«  ontrent  a.  î  [\ko.  »  (Miroir  du  salut,  le  premier  de  Lau- 
rent Koster,  inventeur  de  la  typographie,  imprimé  à 
Haarlem  vers  l'an  \lxko.)  On  a  ajouté  entre  le  second 
et  le  troisième  feuillet,  c'est-à-dire  au  milieu  du  premier 

1  L'exemplaire  en  hollandais  de  l'hôtel  de  ville  de  Haarlem ,  et  l'exem- 
plaire en  latin  de  la  bibliothèque  du  palais  Pitli,  à  Florence,  offrent  des  par- 
ticularités semblables.  Ceci  démontre  que  lorsque,  par  une  circonstance 
quelconque ,  l'impression  du  texte  ne  pouvait  avoir  lieu  sur  une  feuille , 
ou  avait  été  manquée,  pour  ne  pas  perdre  le  tirage  des  gravures,  on  cou- 
pait la  portion  où  elles  se  trouvaient ,  et  on  la  collait  à  une  autre  bande  de 
papier  destinée  à  recevoir  le  texte.  C'est  pourquoi  on  voit  sur  le  bas  des 
bandes  qui  ont  les  gravures  la  trace  du  foulage  des  caractères  :  preuve  in- 
contestable qu'on  imprimait  les  gravures  avant  le  texte. 


24  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

cahier,  un  portrait  de  Laurent  Coster,  gravé  par  J.  Van 
Velde,  d'après  J.Van  Campen,  avec  ces  mots  imprimés 
en  haut:  «Laurentius  Gosterus  Harlemensis,  primus  ar- 
<(  tis  typographicœ  inventor,  circa  annum  i/i4o.  »  Et  au 
bas  ces  vers  : 

Vana  quid  archetypos  et  praela ,  Maguntia,  jactas  ? 

Harlemi  archetypos  praelaque  nata  scias. 
Extulit  liic,  monslranle  Deo,  Laurentius  artem  ; 

Dissimulare  virum  hune ,  dissimulare  Deum  est. 

P.  SCRIVEMUS. 

D'après  tous  ces  détails,  on  voit  que  cet  exemplaire 
curieux  est  celui  dont  parle  Scriverius1,  comme  appar- 
tenant à  Van  Campen,  et  que  Heinecke2  et  Meerman3 
croyaient  vaguement  avoir  été  acheté  par  l'empereur  de 
Russie.  J'ignore  comment  ce  volume  est  devenu  la  pro- 
priété de  la  ville  de  Lille  ;  mais  il  est  certain  qu'il  n'y  a 
point  en  Russie4  d'exemplaire  imprimé  du  Spéculum. 

Si  nous  nous  en  tenons  rigoureusement  à  la  classifica- 
tion adoptée  pour  les  exemplaires  connus  du  Spéculum, 
le  nombre  des  éditions  anonymes  de  ce  livre  se  réduit 

1  Laure-Crans,  p.io5.  (Voyez  dans  Wolf,  Monum.  tjpogr.  t.  I,  p.  4 18.) 

2  Idée  générale y  etc.  p.  455. 

3  Orig.  tjpogr.  t.  I,  p.  117,  note  bx. 

4  Je  tiens  ce  détail  de  M.  Noordziek,  qui  s'est  assuré  du  fait  en  écrivant 
directement  à  Saint-Pétersbourg.  Ce  savant  a  bien  voulu  me  communi- 
quer, lors  de  mon  séjour  à  la  Haye,  le  manuscrit  d'un  mémoire  qu'il  se 
disposait  à  publier  sur  ce  sujet.  Je  fais  des  vœux  pour  qu'il  fasse  un  joui- 
un  travail  complet  sur  les  éditions  anonymes  du  Spéculum  :  personne  n'est 
mieux  que  lui  en  état  d'éclaircir  ce  sujet,  auquel  il  est  particulièremenl 
intéressé  comme  Hollandais. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  I.  25 

à  quatre ,  comme  on  a  pu  le  voir  ;  mais  si  l'on  étudie  avec 
soin  les  différents  volumes ,  on  voit  que  ce  nombre  pour- 
rait être  porté  à  six  ou  sept.  En  effet,  on  peut  penser 
que  les  pages  xylographiques  de  l'édition  A  proviennent 
d'une  édition  antérieure ,  tout  entière  en  planches  fixes , 
qui  auraient  servi  longtemps  avant  d'être  mises  au  rebut. 
Gela  admis,  nous  aurions  l'indication  de  trois  éditions 
latines.  Quant  aux  éditions  hollandaises,  si  l'on  tient 
compte  des  différences  de  caractère  et  de  composition,  on 
peut  en  porter  le  nombre  à  quatre  :  1  °  l'édition  G;  2°  l'édi- 
tion dont  faisaient  partie  les  pages  Zig-6o  de  l'exemplaire 
de  Meerman  1  ;  3°  celle  dont  faisaient  partie  les  mêmes 
pages  de  l'exemplaire  de  M.  Enschedé  -  ;  A0  enfin  l'édi- 
tion D.  Total  :  sept.  Et  ce  n'est  pas  tout  probablement. 
On  ne  saurait  se  figurer  combien  de  livres  des  premiers 
temps  ont  disparu  sans  laisser  de  trace.  Le  fait ,  au  reste , 
ne  paraît  pas  extraordinaire  ,  lorsqu'on  songe  que  les 
premiers  livres  exécutés  par  l'imprimerie  étaient  ceux 
dont  le  débit  était  le  plus  facile,  et  par  conséquent  les 
plus  usuels.  Ceux  que  nous  possédons  avaient  été  im- 
primés si  souvent,  et  en  si  grand  nombre,  qu'il  est  tout 
naturel  qu'il  en  soit  resté  quelques-uns,  fort  faciles  à 
compter,  d'ailleurs.  Leur  caractère  particulier  les  a  fait  re- 
chercher de  bonne  heure  par  les  érudits,  et  depuis  ils  ne 
sont  pas  sortis  des  bibliothèques 3. 

1  Meerman,  Orig.  typogr.  t.  I,  p.  121,  note  cl.  (Voy.  ci-dessus,  p.  18.) 

-  là.  ibid. 

3  Je  puis  citer  à  l'appui  de  mon  opinion  sur  ia  disparition  des  pic- 


20 


DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 


Quoi  qu'il  en  soit,  nous  sommes  certains  de  quatre 
éditions  anonymes  du  Spéculum  :  cela  nous  suffit.  Cha- 
cun des  auteurs  qui  ont  parlé  de  ce  livre  a  présenté  un 
système  particulier  pour  le  classement  chronologique  de 
ces  éditions.  Voici  l'ordre  adopté  par  les  principaux  : 


MEERMAN. 

HEINECKE. 

OTTLEY. 

KONING. 

1"  édition 

D. 
A. 
B. 
C. 

A. 
B. 

D. 

c. 

B. 
C. 
A. 
D. 

D. 
B. 
C. 

A. 

3° 

4e 

Les  raisons  alléguées  en  faveur  de  ces  différents  sys- 
tèmes me  semblent  fort  contestables.  Ainsi  Meerman  est 
évidemment  dans  l'erreur  lorsqu'il  place  en  premier  lieu 
une  édition  hollandaise  :  tous  les  mots  gravés  sur  les 
planches  sont  en  latin ,  et  il  n'est  pas  probable  qu'on  ait 
débuté  par  un  texte  différant  des  planches  quant  à  la 
langue  ;  il  est  d'ailleurs  bien  plus  naturel  d'admettre  qu'on 
s'occupa  d'abord  des  éditions  d'un  débit  général ,  avant 
de  songer  à  celles  d'un  débit  restreint.  D'un  autre  côté , 
le  système  d'Ottley,  qui  relègue  au  troisième  rang  l'édi- 

miers  produits  de  la  typographie  un  exemple  bien  plus  extraordinaire.  On 
ne  connaît  pas  aujourd'hui  un  seul  exemplaire  de  la  première  édition  du 
premier  volume  de  YAstrée  d'Honoré  d'Urfé,  imprimé  vers  1609,  quoique 
ce  livre,  tout  littéraire,  et  tiré  à  un  grand  nombre  d'exemplaires,  ait  eu 
beaucoup  plus  de  chances  que  tout  autre  d'être  conservé  dans  les  biblio- 
thèques. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  I.  27 

tion  A,  est-il  plus  solide?  Je  ne  le  pense  pas.  Cet  au- 
teur a  basé,  dit-il,  son  système  sur  l'état  des  gravures, 
et  sur  le  nombre  et  l'étendue  des  cassures  qu'il  y  a  remar- 
quées. Personne  ne  serait  plus  disposé  que  moi  à  ac- 
cueillir ce  genre  de  preuves,  s'il  s'agissait  déjuger  d'une 
impression  faite  de  nos  jours  et  dans  des  conditions  nor- 
males; mais  je  ne  crois  pas  qu'il  puisse  être  appliqué  ri- 
goureusement aux  éditions  du  Spéculum,  d'abord  parce 
que  les  exemplaires  de  chaque  édition  sont  en  trop  petit 
nombre  et  trop  éloignés  les  uns  des  autres  pour  qu'on 
puisse  en  faire  une  comparaison  sérieuse  \  et  ensuite 
parce  que  ce  livre  a  été  imprimé  par  des  procédés  et  des 
instruments  si  défectueux ,  qu'il  est  impossible  de  tirer 
une  conclusion  positive  des  imperfections  qu'on  y  trouve. 
D'ailleurs,  je  ferai  remarquer  qu'Ottlcy  lui-même,  qui 
n'a  opéré  cependant  que  sur  deux  ou  trois  exemplaires  et 
par  correspondance,  a  rencontré  dans  son  appréciation  des 
difficultés  insolubles  2.  Les  observations  que  j'ai  faites 
de  mon  côté  m'ont  démontré  l'incertitude  de  ses  don- 

1  La  Hollande  est  le  seul  pays  où  Ton  puisse  étudier  le  Spéculum,  parce 
que  c'est  le  seul  où  l'on  puisse  comparer  les  éditions  entre  elles.  Je  me 
rappelle  avoir  vu  à  la  Haye,  dans  la  bibliothèque  de  feu  M.  Wcstreencn 
deTiellandt,  qui  sera  bientôt  ouverte  au  public  grâce  à  la  libéralité  de 
ce  savant  généreux,  un  exemplaire  plus  ou  moins  complet  de  chacune 
des  quatre  éditions  que  j'ai  décrites.  On  a  peine  à  se  figurer  qu'il  ait  été 
possible  de  nos  jours  de  réunir  un  pareil  trésor. . .  et  ce  n'est  pas  la  seule 
richesse  du  merveilleux  musée  typographique  de  M.  deTiellandt,  et  la 
Haye  n'est  qu'à  quelques  lieues  de  Haarlem,où  l'on  trouve  également  trois 
ou  quatre  exemplaires  du  Spéculum  ! . . . 

-  Voyez  ce  qu'il  dit ,  p.  2  1 1\. 


28  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

nées.  Ainsi  j'ai  trouvé  dans  les  deux  exemplaires  de  Pa- 
ris, qui  sont  cependant  de  la  même  édition,  la  troisième 
suivant  Ottley,  des  différences  considérables  dans  l'état 
apparent  des  planches.  L'un  d'eux,  par  exemple,  possède 
des  gravures  aussi  intactes  que  celles  des  éditions  B  et 
C,  qu'Ottley  a  prises  pour  point  de  comparaison,  et  qu'il 
considère  comme  antérieures.  On  peut  conférer  particu- 
lièrement les  exemples  qu'il  donne  aux  pages  208  et  209 
de  son  livre. 

Quant  à  moi,  je  ne  prétends  pas  établir  un  système 
chronologique  pour  les  éditions  du  Spéculum,  parce  que 
je  crois  la  chose  trop  hypothétique  ;  toutefois  je  dois 
justifier  l'ordre  alphabétique  que  je  leur  ai  donné.  Il  me 
semble  naturel  d'admettre  que  l'édition  en  partie  xylo- 
graphique et  en  partie  typographique  a  suivi  une  édition 
toute  xylographique ,  qui  était  la  première ,  ou  du  moins 
qu'elle  est  venue  aussitôt  après  la  réalisation,  dans  l'atelier 
où  s'imprimait  ce  livre ,  des  caractères  mobiles ,  auxquels 
on  devait  tendre  depuis  longtemps.  Je  ne  puis  croire 
qu'on  aurait  imprimé  immédiatement  deux  éditions  en 
caractères  mobiles ,  puis  qu'on  serait  revenu  aux  pages 
xylographiques.  Toutes  les  raisons  qu'on  donne  pour  ex- 
pliquer cet  ordre  de  faits  me  paraissent  pécher  par  la 
base.  De  même,  pour  les  éditions  hollandaises,  il  est  évi- 
dent que  les  pages  k  9-60  de  l'édition  C  sont  imprimées 
en  caractères  différents  ;  car  non-seulement  ils  paraissent 
plus  petits,  ce  qui  pourrait  jusqu'à  un  certain  point  être 
attribué  aux  circonstances  de  l'impression,  mais  encore 


PREMIÈRE  PARTIE— CHAPITRE  I.  29 

ils  sont  d'une  autre  forme,  comme  l'a  parfaitement  dé- 
montré Ottley 1.  Or  l'existence  de  deux  pages  d'une  autre 
édition  dans  l'édition  C  est  tout  à  fait  analogue  à  la  cir- 
constance que  présente  l'édition  A.  Elle  signale  la  non- 
interruption  du  tirage  du  Spéculum,  qui  s'améliorait  ainsi 
successivement.  Ce  qui  se  passait  dans  cette  occasion  res- 
semble beaucoup  à  ce  qui  a  lieu  aujourd'hui  dans  les 
ateliers  où  l'on  imprime  des  ouvrages  d'un  grand  débit  : 
on  fait  une  édition  perpétuelle,  qui  se  détériore  et  s'amé- 
liore sans  cesse.  Le  moyen  que  je  crois  avoir  été  employé 
pour  compléter  l'édition  C  est  encore  d'usage  de  nos 
jours  :  lorsque  par  hasard  on  a  tiré  une  feuille  à  un  nombre 
d'exemplaires  inférieur  à  celui  fixé ,  ou  qu'on  juge  néces- 
saire de  la  retirer  pour  en  faire  disparaître  des  fautes 
graves,  on  la  recompose.  Seulement  aujourd'hui  on  a 
soin  de  ne  pas  se  servir  de  caractères  différents  dans  la 
même  édition  ;  mais  autrefois  on  n'y  regardait  pas  de  si 
près,  et  la  chose,  du  reste,  avait  peu  d'importance  à  cette 
époque;  car  les  manuscrits  devaient  présenter  souvent 
de  ces  dissemblances  de  forme,  par  suite  du  temps 
qu'ils  réclamaient,  et  de  la  nécessité  où  l'on  devait  être 
parfois  de  faire  achever  par  un  scribe  ce  qui  avait  été 
commencé  par  un  autre. 

Reste  l'édition  D.  Je  la  place  au  quatrième  rang  à 
cause  de  la  différence  totale  du  caractère,  qui  suppose 
une  nouvelle  fonte,  après  l'épuisement  de  la  première. 

Malheureusement  je  ne  puis  traiter  à  fond  cette  ques- 

1   An  inquiry,  etc.  p.  2/19. 


30  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

lion ,  n'ayant  à  ma  disposition  aucun  exemplaire  hol- 
landais, et  n'ayant  pu  étudier  assez  longtemps  ceux  que 
j'ai  vus  à  Lille,  à  la  Haye  et  à  Haaiiem. 

Mais  laissons  ce_s  hypothèses ,  et  abordons  les  questions 
capitales  que  le  livre  que  je  viens  de  décrire  soulève, 
relativement  à  l'origine  de  l'imprimerie.  Je  les  traiterai 
successivement ,  dans  des  paragraphes  distincts ,  et  j'es- 
père que  le  lecteur  sera  de  mon  avis  lorsqu'il  aura  par- 
couru la  série  de  mes  observations. 

§  1 .  Les  textes  du  Spéculum  sont-ils  en  planches  fixes 
ou  en  caractères  mobiles  ? 

On  a  longtemps  discuté  la  question  de  savoir  si  les 
éditions  anonymes  du  Spéculum  étaient  imprimées  en  ca- 
ractères mobiles  ou  sur  des  planches  fixes;  mais  il  est 
aujourd'hui  constaté  d'une  manière  irréfutable  que,  sauf 
vingt  pages  de  l'édition  A,  qui  sont,  comme  nous  l'a- 
vons vu,  xylographiques,  les  textes  des  quatre  éditions, 
sans  en  excepter  l'édition  D,  qui  a  plus  tardivement  que 
les  autres  fait  naître  des  scrupules ,  sont  imprimés  en 
caractères  mobiles.  Ottley,  dont  le  livre  si  remarquable 
restera  comme  un  monument  de  science  et  de  patience , 
a  relevé  dans  l'édition  C,  et  dans  le  seul  mot  capittel  (cha- 
pitre), qui  reparaît  au  bas  de  presque  toutes  les  colonnes 
du  texte ,  où  se  trouve  l'indication  des  sources ,  deux  fautes l 

1  An  inquiry3  etc.  p.  2  4a.  L'auteur  en  cite  bien  une  troisième,  un  epour 
un  c  (p.  54,  col.  2)  ;  mais  ici  je  crois  qu'il  est  dans  l'erreur,  et  qu'il  a  pris 
un  accident  de  l'impression  pour  une  faute  typographique.  Ottley  ignorait 
sans  doute  qu'au  xve  siècle  l'accent  aigu  n'était  représenté  matériellement 


PREMIERE  PARTIE  —CHAPITRE  I.  31 

qui  ne  laissent  aucun  doute  à  cet  égard.  Ainsi,  page  26 , 
première  colonne,  ce  mot  est  écrit  carittel,  le  composi- 
teur ayant  mis  un  r  pour  un  p;  page  58,  première  co- 
lonne ,  il  y  a  capistel,  le  compositeur  ayant  pris  un  st  (ft) 
pour  un  double  t  (tt).  Au  reste,  l'existence  même  de  plu- 
sieurs éditions  suffirait  seule  pour  prouver  la  mobilité  des 
caractères;  car  pourquoi  le  même  imprimeur  aurait-il 
fait  graver  â  grands  frais  des  planches  différentes  pour 
chaque  édition?  Galles  de  la  première  pouvaient  fournir 
plus  de  cinquante  mille  exemplaires  ;  on  eût  donc  pu  avec 
elles  retirer  le  livre  aussi  souvent  qu'on  eût  voulu. 

Je  signalerai  encore  une  circonstance  intéressante ,  que 
beaucoup  de  personnes  ont  remarquée  avant  moi1,  mais 
dont  je  crois  qu'aucun  écrivain  n'a  encore  tiré  parti  pour 
le  fait  en  question.  Dans  les  éditions  latines  du  Spéculum, 
qui  sont  en  vers,  la  plupart  des  bouts  de  ligne  du  proœ- 
mium ,  dont  la  justification  est  plus  large  que  le  texte ,  ce- 
lui-ci étant  à  deux  colonnes,  sont  terminés  par  des  carac- 
tères qui  ne  marquent  pas  en  noir  sur  le  papier 2,  parce 

dans  aucune  langue  européenne,  pas  plus  dans  le  français  que  dans  l'an- 
glais, l'allemand  ou  le  hollandais-,  évidemment  l'artiste  ne  s'était  pas 
amusé  à  graver  et  fondre  une  lettre  inconnue ,  ou  du  moins  inusitée ,  sur- 
tout dans  la  contrée  où  s'imprimait  le  Spéculum. 

1  Fournier,  De  V  oricj.  de  l'impr.  p.  164. — Meerman,  Oricj.  fjyj.t.I,p.i  10. 

2  II  y  a  pourtant  des  exceptions ,  et  cela  s'explique  facilement.  Meer- 
man (  Oricj.  typocjr.  t.  I,  p.  110  et  111)  signale,  et  je  l'avais  remarqué 
aussi,  plusieurs  endroits  où,  non-seulement  la  frisquette  n'a  pas  complè- 
tement masqué  les  caractères  inutiles,  mais  encore  où  elle  a  mordu  sur 
des  mots  nécessaires,  comme  cela  arrive  encore  accidentellement  dans 
}es  plus  belles  éditions. 


32  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

qu'ils  ont  été  masqués  au  tirage,  mais  dont  le  foulage  est 
très-visible1.  Le  même  fait  se  produit  dans  les  éditions 
hollandaises,  mais  moins  fréquemment,  parce  que,  le 
texte  étant  en  prose ,  les  lignes  sont  par  conséquent  plus 
pleines.  Là  ce  n'est  guère  que  dans  le  bas  des  colonnes , 
et  pour  les  remplir,  qu'on  a  employé  des  caractères  inu- 
tiles. Leur  foulage  est  également  très-sensible.  Meerman 
les  a  figurés  sur  sa  troisième  planche,  dans  l'espace  réservé 
à  la  lettre  initiale  de  la  première  colonne  et  dans  celui 
des  deux  lignes  qui  manquent  au  bas  de  la  seconde.  Soit 
qu'ils  aient  été  mis  là  pour  remplacer  des  cadrais,  dont 
on  n'aurait  pas  eu  une  assez  grande  quantité,  soit,  ce  qui 
est  plus  probable,  qu'ils  fussent  destinés  à  tenir  lieu  de 
support  ou  de  remplissage  dans  l'intérieur  du  cadre  dont 
chaque  page  était  entourée,  et  dont  on  voit  de  nom- 
breuses traces,  leur  présence  seule  prouve  que  ce  sont 
des  caractères  mobiles.  Evidemment  on  ne  se  serait  pas 
amusé  à  graver  des  lettres  et  des  mots  inutiles  au  bout 
des  lignes  sur  des  planches  de  bois  :  il  suffisait  de  laisser 

1  C'est  à  ce  point  qu'on  peut  lire  des  mots  entiers.  J'y  ai  vu,  par  exemple, 
dans  les  exemplaires  de  Paris ,  le  mot  imago.  Cette  circonstance  indique 
que  le  compositeur  prenait  ses  blancs  tout  composés  dans  sa  distribution, 
c'est-à-dire  dans  les  pages  déjà  tirées  et  destinées  à  être  distribuées.  Dans 
un  exemplaire  hollandais  que  j'ai  vu  au  musée  Costérien  de  l'hôtel  de 
ville  de  Haarlem ,  l'ouvrier  s'est  servi  de  grosses  lettres  surabondantes  de 
sa  casse;  mais  dans  l'un  et  l'autre  cas  il  a  eu  soin  de  séparer  ces  mots 
ou  lettres  inutiles  du  texte  même  par  de  véritables  cadrats,  afin  qu'il  fût 
plus  facile  de  les  masquer.  En  toutes  choses,  on  le  voit,  l'ouvrier  qui  a 
fait  ce  travail  montre  une  rare  intelligence,  et  tire  le  meilleur  parti  pos- 
sible de  ses  instruments  imparfaits. 


PREMIERE  PARTIE— CHAPITRE  I.  33 

cette  partie  intacte.  Du  reste,  le  fait  que  je  viens  de  si- 
gnaler se  présente  fort  souvent  dans  des  impressions  pos- 
térieures ,  mais  des  premiers  temps  de  l'imprimerie.  Je  ci- 
terai particulièrement  une  Bible  de  quarante-huit  lignes, 
qui  se  trouve  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal,  et  dont  la 
dernière  colonne,  qui  est  courte,  est  remplie  ainsi  avec 
des  caractères  ou,  pour  mieux  dire,  avec  des  lignes  de 
distribution,  dont  le  foulage  est  très-visible1.  Les  feuillets 
de  registre,  qui  suivent ,  offrent  la  même  particularité.  Or 
on  ne  peut  pas  contester  que  ce  dernier  livre  ne  soit  im- 
primé en  caractères  mobiles. 

L'édition  A  du  Spéculum  nous  offre  donc  un  spécimen 
curieux  de  tous  les  genres  de  gravures  :  des  planches  im- 
primées seules  au  haut  des  pages ,  des  textes  xylographi- 
ques2, et  enfin  des  caractères  mobiles. 

S  2.  Les  caractères  mobiles  des  éditions  anonymes  du  Spéculum 
sont-ils  en  bois  ou  en  métal  ? 

Pour  toute  personne  initiée  à  l'art  typographique,  il  n'y 
a  pas  de  doute,  à  en  juger  par  la  simple  inspection  des 
feuillets  du  Spéculum,  que  les  caractères  mobiles  employés 
dans  ce  livre  ne  soient  en  métal  fondu.  Le  bois  ne  pourrait 
jamais,  quoi  qu'on  fasse,  donner  cette  régularité  de^ou- 
lage,  cet  alignement  des  lettres.  Meerman ,  qui  croyait  les 

1  Cette  circonstance  est  encore  bien  plus  remarquable  dans  un  volume 
du  Spéculum  historiale  de  saint  Vincent  de  Beauvais  (édition  à  52  lignes 
à  la  colonne)  que  j'ai  vu  à  la  Bibliothèque  nationale. 

2  Voyez  les  détails  relatifs  à  ces  planches  dans  la  deuxième  dissertation 
de  Fournier,  De  l'oric/ine  de  l'imprimerie,  p.  i5-j. 

3 


34  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Spéculum  exécutés  avec  des  caractères  mobiles  de  bois ,  a 
prouvé ,  sans  s'en  douter,  le  peu  de  fondement  de  son  opi- 
nion, en  imprimant  trois  mots  seulementde  cette  sorte  dans 
son  livre x.  Malgré  tout  le  soin  qui  a  été  apporté  à  la  confec- 
tion de  ces  quelques  lettres ,  et  quoiqu'elles  fussent  main- 
tenues par  des  interlignes  au-dessus  et  au-dessous ,  elles 
offrent  un  spécimen  des  plus  grotesques ,  et  (qu'on  me  per- 
mette de  me  servir  d'un  terme  d'atelier  fort  expressif)  elles 
dansent  de  la  manière  la  plus  ébouriffante.  Que  serait-ce  s'il 
fallait  faire  tout  un  livre  de  cette  manière  !  On  ne  pourrait 
réussir  à  serrer  et  à  imprimer  trois  lignes  seulement  sans 
interlignes ,  et  cependant  toutes  les  éditions  anciennes  2, 

1  Orig.  tjpogr.  t.  I,  p.  25,  note.  —  M.  Léon  de  Laborde  a  cru  long- 
temps aussi  à  la  possibilité  d'imprimer  avec  des  caractères  mobiles  en  bois  : 
il  en  a  même  donné  un  spécimen  dans  son  livre  intitulé  :  Débuts  de  l'im- 
primerie à  Strasbourg  (Paris,  in -8°,  i84o);  mais  les  difficultés  qu'il  a 
éprouvées  pour  cet  essai  et  pour  d'autres  qu'il  a  tentés  depuis  l'ont  fait,  je 
crois,  changer  d'opinion.  Déjà  même,  dans  le  livre  que  je  viens  de  citer,  il 
disait  (p.  75),  après  avoir  énuméré  les  difficultés  d'exécution  de  l'impres- 
sion en  caractères  mobiles  de  bois  :  «  Ces  raisons  suffisent  pour  montrer 
comment  un  procédé  aussi  facile  et  d'une  aussi  belle  réussite  dans  un 
spécimen  devient  difficile  dans  la  pratique.  » 

2  M.  Wetter,  dans  son  Histoire  de  l'imprimerie,  en  allemand  (Mayence, 
i836,  1  vol.  in-8°),  donne  aussi  un  spécimen  de  caractères  en  bois;  mais 
quoiqu'ils  soient  très-gros  et  interlignés,  ils  n'en  dansent  pas  moins  d'une 
façon  très-grotesque ,  ce  qui  enlève  toute  valeur  à  sa  prétendue  démons- 
tration. On  en  peut  dire  à  peu  près  autant  d'un  autre  essai  de  caractères 
en  bois  fait  à  la  Haye ,  par  M.  Schinkel ,  alors  imprimeur,  dans  une  bro- 
chure hollandaise  intitulée  :  Tweetal  bijdragen,  betrekkelijk  de  Boekdruk- 
kunst  (la  Haye,  1 844 ,  in-8°).  Au  reste,  M.  Schinkel ,  que  je  vis  lors  de  mon 
voyage  en  Hollande,  est  convenu  avec  moi  que  c'était  là  un  tour  de  force 
qui  ne  prouvait  rien  dans  l'espèce. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  I.  35 

et  particulièrement  le  Spéculum1,  ont  été  imprimées  sans 
interlignes.  Joignez  à  cela  qu'après  le  premier  tirage ,  ou 
plutôt  après  le  lavage  des  formes ,  les  caractères  seraient 
devenus  inutiles,  comme  je  l'ai  dit,  par  suite  des  varia- 
tions qu'auraient  éprouvées  ces  petits  morceaux  de  bois , 
rendus  plus  sensibles  encore  par  la  perforation  qu'on 
prétend  y  avoir  été  pratiquée  pour  recevoir  le  fil  de  fer 
régulateur. 

Si  ces  raisons  ne  suffisent  pas  pour  prouver  que  les 
caractères  du  Spéculum  sont,  non  pas  en  métal  fondu  sur 
certaines  proportions  et  gravé  ensuite ,  comme  quelques 
auteurs  l'ont  dit2,  mais  bien  en  métal  fondu  avec  Y  œil  de 
la  lettre,  je  vais  en  donner  d'autres  qui  sontpéremptoires. 

On  sait  que  des  caractères  gravés  isolément  sur  bois  ou 
sur  métal  offriraient  une  variété  constante  dans  les  formes 
de  la  même  lettre ,  et  qu'au  contraire  des  caractères  fon- 
dus d'après  un  même  modèle  doivent  être  identiquement 
semblables.  Donc,  si  l'on  rencontre  dans  les  caractères 
du  Spéculum  des  lettres  qui  se  ressemblent  parfaitement, 
on  en  doit  conclure  que  ces  lettres  sont  fondues  et  non 

1  Le  plus  ancien  livre  que  j'aie  vu  interligné  jusqu'ici  est  le  Cicéron 
imprimé  par  Schoiffer  en  1 465 ,  et  que  je  décrirai  plus  loin. 

2  Meerman  croit  qu'il  y  a  eu  quatre  phases  principales  dans  l'histoire 
des  débuts  de  l'imprimerie  :  i°  caractères  en  planches  fixes;  2° caractères 
mobiles  en  bois  ;  3°  caractères  mobiles  en  plomb  ou  en  cuivre  fondus  sur 
certaines  proportions,  mais  dont  l'œil  était  gravé  après  la  fonte;  4°  ca- 
ractères fondus  avec  l'œil  dans  le  moule.  Comme  résultat  pratique,  je 
n'admets  que  deux  genres  d'impression,  l'un  avec  des  planches  fixes  de 
bois,  l'autre  avec  des  caractères  fondus. 

3. 


36  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

gravées.  C'est  ce  qu'a  recherché  Ottley,  et,  pour  que  ses 
observations  fussent  plus  concluantes ,  il  s'est  attaché  à  une 
difformité.  Avec  son  œil  d'artiste ,  il  a  découvert  une  lettre 
bien  caractéristique  :  c'est  un  n  surmonté  du  trait  hori- 
zontal employé  pour  indiquer  une  abréviation  (n),  trait 
qui  présente  une  imperfection.  Cette  imperfection  bien 
constatée,  il  a  étudié  avec  persévérance  les  exemplaires 
des  éditions  A  et  C,  les  seules  qu'il  eût  à  sa  disposition 
en  Angleterre ,  et  il  a  retrouvé  cette  même  lettre  avec  sa 
défectuosité  dans  une  foule  d'endroits1.  Je  ne  donnerai 
pas  ici  l'indication  des  pages  et  des  lignes ,  car  il  faudrait 
aussi  donner  le  dessin  de  la  lettre  dans  ses  différents  as- 
pects, ce  qui  nous  conduirait  trop  loin;  je  me  contenterai 
de  dire  que  j'ai  vérifié ,  livre  en  main ,  toutes  les  assertions 
d'Ottley  en  ce  qui  concerne  l'édition  A ,  la  seule  que  nous 
possédions  maintenant  à  Paris,  et  que  je  les  ai  trouvées 
parfaitement  exactes. 

Dans  le  moment  même  où  Ottley  faisait  à  Londres  ses 
observations  sur  les  éditions  A  et  C,  Koning  en  faisait 
d'analogues  à  Haarlem  sur  l'édition  D.  Celles  de  ce  der- 
nier portent  principalement  sur  les  capitales  ou  grandes 
lettres  majuscules.  Il  a  constaté  l'existence  de  deux  fontes 
de  la  lettre  E.  «La  première,  dit-il2,  a  tous  les  contours 
exigés  ;  mais  la  seconde  n'a  pas  été  bien  fondue  :  la  partie 
supérieure  y  manque  ;  et  à  chaque  page  on  trouvera  le 
même  défaut  à  cette  lettre  imparfaite.  »  La  lettre  M  pré- 

1  An  inquiry,  etc.  p.  245  et  246. 

a  Koning,  Dissertation  sur  l'origine  de  l'imprimerie,  p.  4- 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  I.  37 

sente  des  preuves  encore  plus  évidentes  qu'elle  est  fon- 
due :  elle  n'est  pas  seulement  empreinte  d'une  manière 
irrégulière,  elle  offre  encore  une  autre  particularité  très- 
remarquable  :  le  jambage  du  milieu  est  coupé  en  deux  par 
un  trait  blanc ,  et  ce  trait  se  reproduit  presque  à  toutes 
les  lignes  d'une  manière  plus  ou  moins  visible. 

Les  détails  relevés  ici  par  Koning  prouvent  en  outre 
que,  si  les  caractères  de  l'édition  D  ne  sont  pas  différents 
quant  à  la  force  et  à  Y  œil,  ils  le  sont  du  moins  quant  à 
la  fonte;  car  les  défauts  signalés  par  cet  auteur  ne  pa- 
raissent pas  dans  les  caractères  des  autres  éditions,  ce 
qui  démontre  qu'ils  ont  été  fabriqués,  avant  ou  après, 
peu  importe,  mais  à  une  époque  distincte. 

A  la  vérité,  toutes  les  lettres  ne  sont  pas  identique- 
ment semblables  entre  elles  dans  cette  édition ,  non  plus 
que  dans  les  autres  :  il  en  est  beaucoup  qui  diffèrent  tota- 
lement ;  mais  cette  dissemblance  ne  doit  pas  infirmer  la 
portée  des  observations  précédentes  :  elle  provient  unique- 
ment de  l'usage  où  l'on  était  alors  de  faire  un  grand  nombre 
de  types  différents  de  la  même  lettre  pour  mieux  imiter 
les  manuscrits.  Cet  usage  s'est  perpétué  longtemps  dans 
l'imprimerie,  et  dure  encore  même  pour  certains  carac- 
tères d'écriture.  C'est  ce  qui  explique  la  différence  que 
Meerman  a  remarquée  dans  l'espace  occupé  par  les 
mêmes  mots.  Quant  à  celle  qu'il  a  cru  voir  dans  la  hau- 
teur ou  l'épaisseur  des  lignes1,  elle  provient  uniquement 
de  circonstances  particulières  à  son  exemplaire ,  et  non 

1    Oriçj.  lypoqr.  t.  I,  p.  ni, 


38  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

d'un  fait  inhérent  aux  caractères,  qui,  eussent -ils  été  en 
bois ,  n'en  auraient  pas  moins  dû  être  tous  de  la  même 
force ,  l'impression  étant  impossible  autrement. 

§  3.  Par  quel  procédé  furent  produits  les  caractères  mobiles 
du  Spéculum. 

De  tous  ceux  qui  se  sont  occupés  jusqu'ici  de  l'origine 
de  l'imprimerie ,  aucun ,  si  j'en  excepte  Ottley ,  ne  paraît 
s'être  douté  qu'on  pouvait  employer  plusieurs  procédés 
pour  fondre  les  caractères.  Tous  semblent  croire  qu'on 
a  passé  immédiatement  des  caractères  en  bois  gravés  aux 
caractères  fondus  dans  des  moules  en  fer  comme  aujour- 
d'hui. Meerman,  qui  avait  longtemps  étudié  ce  sujet,  et 
qui  en  avait  disserté  avec  de  savants  imprimeurs ,  ne  sa- 
chant comment  accorder  la  précision  de  certaines  im- 
pressions avec  la  diversité  de  forme  qu'affectait  souvent 
la  même  lettre,  en  est  venu  à  croire  qu'on  fondait  le 
corps  de  ces  lettres  en  métal ,  et  qu'on  y.  gravait  ensuite 
l'œil.  Il  donne  même  un  spécimen  de  ce  genre  de  ca- 
ractères1, qui,  certes,  offre  plus  d'exactitude  que  son 
spécimen  en  bois.  Mais  on  ne  peut  admettre  cette  hy- 
pothèse. Il  aurait  fallu  un  temps  immense  pour  graver 
ainsi  isolément  sur  de  petits  lingots  les  dix  mille  lettres 
nécessaires  pour  l'impression  d'un  seul  cahier  du  Spé- 
culum2.  Comment  supposer  que  des  hommes  intelli- 

1  Orig.  typogr.  t.  I ,  p.  2 6, note  br. 

2  La  page  donnée  comme  spécimen  par  Meerman  (tabl.  III)  renferme 
à  elle  seule  près  de  1,700  lettres,  dont  35o  e.  Pour  assurer  l'emploi  de 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  I.  39 

gents,  comme  devaient  l'être  les  premiers  imprimeurs, 
n'aient  pas  tout  de  suite  reconnu  qu'ils  pouvaient  faci- 
lement fondre  ensemble  Yœil  et  le  corps  de  la  lettre  ? 
Fournier  n'a  pas  commis  cette  faute  ;  mais ,  de  son  côté, 
cet  auteur  est  tombé  dans  une  autre  erreur.  Ayant 
constaté  l'existence  d'un  grand  nombre  de  types  pour 
la  même  lettre,  et  ne  connaissant  qu'une  manière  de 
fondre  les  caractères,  celle  qu'il  employait  lui-même, 
et  qui  se  pratique  encore  de  notre  temps,  c'est-à-dire 
dans  un  moule  de  fer,  auquel  est  adaptée  une  matrice  en 
cuivre ,  où  l'œil  de  la  lettre  a  été  frappé  à  l'aide  d'un  poin- 
çon gravé  sur  acier,  et  devant,  par  conséquent,  produire 
toujours  le  même  type,  il  en  a  conclu  que  les  caractères 
du  Spéculum  étaient  en  bois.  Pour  prouver  le  peu  de  fon- 
dement de  son  opinion ,  il  suffira  d'indiquer  les  conclu- 
sions auxquelles  elle  l'a  conduit  :  trouvant  la  même  va- 
riété de  types  dans  une  foule  d'autres  ouvrages  du  xve 
siècle1,  il  retarde  indéfiniment  l'usage  des  caractères  en 
fonte ,  et  ne  voit  partout  que  des  caractères  en  bois.  Ainsi, 
suivant  lui,  non-seulement  la  Bible  de  Gutenberg2  est 
en  lettres  mobiles  de  bois ,  mais  aussi  le  fameux  Psautier 

ces  1,700  lettres,  il  faut  qu'il  en  ait  été  fondu  au  moins  2,5oo  de  diverses 
sortes.  A  ce  compte,  le  5°  cahier,  composé  de  16 feuillets,  aurait  demandé 
plus  de  4o,ooo  lettres;  mais,  chaque  sujet  du  Spéculum  formant  une  page, 
il  suffisait,  pour  pouvoir  imprimer  ce  livre,  d'avoir  assez  de  caractères  pour 
composer  deux  ou  trois  formes,  c'est-à-dire  10,000  à  i5,ooo  lettres. 

1  Meerman,  Oricj.  typocjr.  t.  I,  p.  35-37,  note  di. 

2  A  la  vérité ,  il  a  pris  pour  la  Bible  de  Gutenberg,  qui  n'a  que  quarante- 
deux  lignes  à  la  colonne,  une  Bible  de  quarante-cinq  lignes  (De  l'origine 


40  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

de  1 457.  Or,  comme  le  Psautier  a  été  réimprimé  quatre 
autres  fois  avec  les  mêmes  caractères,  en  î  Zt 5 9 ,  1/190, 
1  5o2  et  1  5 1 6,  il  en  résulte  qu'on  aurait  encore  fait  usage 
de  caractères  en  bois  au  xvie  siècle  !  Une  pareille  hypo- 
thèse n'est  pas  sérieuse ,  et  Fournier  ne  l'aurait  sans  doute 
pas  imaginée,  si,  au  lieu  d'être  seulement  graveur  et  fon- 
deur, il  eût  été  aussi  imprimeur  ;  car  il  aurait  alors  connu 
les  difficultés  ou  plutôt  l'impossibilité  d'imprimer  avec 
des  caractères  de  bois. 

Dans  le  chapitre  V,  je  réduirai  à  néant,  je  l'espère, 
tout  ce  qu'on  a  dit  pour  prouver  que  le  Psautier  et  les 
autres  livres  du  même  temps  n'ont  pas  été  imprimés  en 
caractères  de  fonte;  mais  ici  je  dois  me  renfermer  dans 
le  cadre  étroit  que  je  me  suis  tracé. 

Suivant  moi,  les  caractères  du  Spéculum  ont  été  fon- 
dus dans  le  sable,  comme  les  petits  colifichets  destinés 
aujourd'hui  à  servir  d'épingle  de  chemise,  de  breloque 
de  montre,  etc.  Cette  manière  de  fondre  dut  se  présenter, 
il  me  semble,  tout  naturellement  à  l'esprit  des  premiers 
imprimeurs ,  qui  avaient  alors  sous  les  yeux  les  merveilles 
produites  par  la  fonte  des  objets  de  bijouterie  et  d'orfè- 
vrerie de  cette  époque  artistique.  Les  différences  qu'on 

de  l'imprimerie ,  p.  188),  attribuée  aujourd'hui  par  tous  les  bibliographes  à 
Eggestein,  et  imprimée  à  Strasbourg  vers  1/170;  mais  cela  ne  change  pas 
le  fond  de  la  question;  au  contraire,  cela  prouve  que  Fournier  appliquait 
son  système  à  tous  les  livres  de  ce  temps-là.  Ce  qu'il  y  a  de  curieux,  c'est 
le  ton  d'assurance  avec  lequel  cet  auteur,  tout  en  se  trompant,  déclare 
qu'on  ne  peut  pas  se  tromper,  et  que  la  Bible  de  Gutenberg  est  parfaite- 
ment reconnaissable  «  entre  tontes  les  autres  au  monde.  »  (P.  2  1 2-2  1  h  ■) 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  I.  41 

remarque  dans  la  forme  des  lettres  proviennent  de 
deux  causes  distinctes  :  la  première ,  de  ce  qu'on  faisait 
plusieurs  modèles  de  la  même  lettre,  pour  aller  plus  vite, 
suivant  sans  doute  en  cela  les  règles  de  ce  que  nous  ap- 
pelons aujourd'hui  la  police  en  termes  d'imprimerie,  c'est- 
à-dire  en  proportionnant  le  nombre  des  modèles  de 
chaque  lettre  à  son  degré  d'utilité  et  de  fréquence  dans 
la  composition;  la  seconde,  de  ce  qu'on  retouchait  les 
caractères  produits  par  ce  mode  imparfait  de  fonte, 
comme  cela  se  pratique  encore  pour  tous  les  objets  exé- 
cutés de  la  même  manière. 

Si  l'on  joint  à  cela  le  nombre  prodigieux  de  doubles 
lettres  et  de  lettres  surmontées  de  divers  signes  d'abré- 
viation en  usage  alors ,  et  qu'on  multipliait  d'autant  plus 
facilement  que  le  mode  d'opérer  rendait  la  chose  peu 
coûteuse,  puisqu'il  suffisait  de  faire  un  modèle  en  bois 
pour  servir  de  type ,  et  qu'en  même  temps  qu'on  donnait 
plus  de  facilité  pour  opérer  la  fonte  en  grossissant  les 
objets,  on  économisait  le  temps  de  la  composition,  on 
aura  l'explication  de  cette  diversité  de  forme,  qui  frappe 
au  premier  abord,  diversité  qui  a  trompé  si  complète- 
ment Fournier,  qu'il  a  pris  pour  des  «  parcelles  de  bois 
mal  évidées  les  petits  points  noirs  qu'on  aperçoit  au-des- 
sous et  au-dessus  des  lettres1,»  lesquels  sont  tout  sim- 
plement des  aspérités  de  la  fonte2. 

1  De  l'origine  de  l'imprimerie,  p.  166. 

2  C'est  probablement  un  accident  de  ce  genre  qui  a  été  pris  pour  un 
accent  aigu  par  Ottley.  (Voyez  ci-dessus,  p.  3o,  note.) 


42  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Cela  admis,  on  sera  moins  surpris  de  la  dissemblance 
des  caractères  du  Spéculum  que  de  leur  conformité ,  sur- 
tout si  l'on  songe  que  chaque  lettre  a  été  le  produit  d'un 
moulage  particulier. 

Voulant  me  rendre  compte  de  la  possibilité  d'exécu- 
tion du  procédé  que  j'indique  ici,  j'ai  prié  un  fondeur  en 
cuivre  d'en  faire  l'expérience.  Quoique  privé  de  tout  l'ou- 
tillage nécessaire ,  il  a  obtenu  un  résultat  qui  m'a  surpris 
moi-même,  et  dont  je  fais  juge  le  lecteur.  Voici  quel- 
ques lettres  que  M.  Buignier1  a  fondues  à  ma  prière,  en 
prenant  pour  modèle  des  caractères  en  cuivre ,  les  seuls 
qu'il  eût  à  sa  disposition.  On  a  été  obligé  de  mettre  les 
lettres  d'équerre  ;  mais  on  n'a  pas  touché  à  Y  œil. 


La  matière  est  tout  simplement  de  la  soudure  que  l'ar- 
tiste avait  sous  sa  main  :  on  n'a  rien  préparé  pour  cela. 
J'ajouterai  que  le  fondeur  intelligent  qui  a  bien  voulu 
faire  cet  essai  m'a  affirmé  qu'un  ouvrier  pourrait  facile- 
ment faire  un  millier  de  lettres  semblables  en  un  jour. 
C'était  parfaitement  suffisant  pour  l'exécution  d'un  livre 
comme  le  Spéculum ,  pour  lequel  il  suffisait ,  à  la  rigueur, 
de  quatre  à  cinq  mille  lettres,  en  tirant  par  forme. 

J'ai  fait  aussi  fondre  des  caractères  en  cuivre  par  le 
même  procédé ,  mais  par  un  autre  artiste ,  auprès  duquel 
M.  de  Berny  a  bien  voulu  me  servir  d'intermédiaire,  car 

1   Fondeur  en  cuivre ,  rue  des  Vertus. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  I.  43 

celui-là  m'avait  refusé  son  concours ,  dans  la  crainte  de  se 
compromettre  sans  doute ,  ne  comprenant  pas  parfaite- 
ment le  but  de  ma  demande.  Nous  avons,  cette  fois, 
moins  bien  réussi;  ce  qui  s'explique  facilement  par  la 
différence  de  fusibilité  de  la  matière  ;  cependant  il  n'y  a 
pas  encore  trop  à  se  plaindre.  Pour  ce  second  essai,  je 
me  suis  servi,  comme  modèle,  de  quelques  lettres  du 
caractère  qu'a  fait  graver  et  fondre  M.  Duverger  pour 
son  Album  typographique  de  i84o,  et  qu'il  a  bien  voulu 
me  confier.  Je  donne  ici,  sous  le  n°  1,  le  spécimen  de 
ce  modèle ,  qui  est  en  matière  ordinaire  fondue  dans  un 
moule,  et  sous  le  n°  2,  le  spécimen  du  produit  du  mou- 
lage dans  le  sable,  qui  est  en  cuivre. 

N°  1.  N°  2. 

imprimerie   mipriratrit 

Le  défaut  d'alignement  qu'on  remarque  dans  le  spé- 
cimen n°  1  rappelle  parfaitement  celui  des  premiers 
produits  de  la  typographie,  et  particulièrement  du  Spé- 
culum. 

Du  reste ,  en  admettant  même  que  le  moule  en  métal 
eût  été  employé  pour  les  caractères  de  ce  dernier  livre , 
il  ne  faudrait  pas  s'étonner  qu'il  eût  produit  des  résultats 
aussi  imparfaits1.  Les  moules  primitifs  n'eurent  sans  doute 

1  H  en  fut  sans  doute  du  principal  outil  du  fondeur  comme  de  celui 
du  compositeur.  L'instrument  si  utile  qu'on  appelle  composteur  n'a  été  porté 
au  perfectionnement  où  nous  le  voyons  qu'à  la  fin  du  xvie siècle  ou  même 


44  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

pas  d'abord  la  précision  du  nôtre1,  véritable  chef-d'œuvre 
de  mécanique ,  qui  n'a  pu  être  réalisé  qu'à  la  longue ,  et 
qui  pourtant  exige  encore  une  grande  habileté.  Dans 
certaines  circonstances ,  il  demande  des  contorsions ,  des 
mouvements  de  maniaque  pour  produire  un  bon  résul- 
tat2. Il  n'est  pas  rare  de  voir  un  ouvrier  apte  un  jour, 
inapte  le  lendemain ,  forcé  de  recourir  à  l'assistance  de  son 
compagnon,  plus  adroit  ou  plus  heureux  que  lui  pour 
le  moment,  et  avec  lequel  il  échange  son  moule  :  autre- 
ment, il  ne  produirait  que  des  lettres  plus  ou  moins  dé- 
fectueuses, qui  auraient  bien  pu  passer  autrefois  pour 
bonnes,  mais  qui  aujourd'hui  ne  seraient  pas  admises 
comme  telles. 

A  ce  sujet,  je  ferai  remarquer  qu'on  a  souvent  cité 
comme  exemple  de  la  diversité  de  forme  des  caractères 
du  Spéculum  de  simples  accidents.  Par  exemple,  Meer- 

au  xvii0.  Jusque-là  on  s'était  servi  de  composteurs  de  bois  qui  n'avaient 
qu'une  seule  justification.  Il  fallait  donc  au  même  ouvrier  plusieurs  com- 
posteurs pour  les  différents  formats.  Cette  entrave ,  qui  serait  insupportable 
aujourd'hui,  était  à  peine  sentie  alors,  les  formats  étant  très-peu  variés. 
On  peut  voir  un  composteur  de  ce  genre  dans  les  serres  de  l'aigle  écar- 
telé  sur  les  armes  des  imprimeurs.  J'en  ai  encore  vu  une  masse  consi- 
dérable dans  l'imprimerie  de  Plantin ,  à  Anvers,  qui  date,  comme  on  sait, 
de  la  fin  du  xvie  siècle. 

1  M.  de  Berny  m'a  montré  un  de  ces  mécanismes  primitifs  dans  sa 
fonderie.  Ce  moule ,  qui  est  encore  employé ,  se  compose  de  deux  espèces 
d'équerres,  qui  peuvent,  en  se  combinant  de  diverses  manières ,  donner 
toutes  les  forces  de  corps  qu'on  désire. 

2  On  a  de  nos  jours  inventé  des  machines  à  fondre  les  caractères.  J'en 
ai  vu  plusieurs  fonctionnant  chez  M.  Enschedé,  à  Haarlem.  Elles  rempla- 
ceront très-probablement  un  jour  le  travail  mécanique  des  fondeurs. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  I.  45 

man1  mentionne  comme  types  distincts  des  i  sans  point 
et  autres  manques  de  ce  genre.  Or  il  est  bon  de  dire 
qu'aujourd'hui  même,  quoiqu'il  n'existe  qu'une  matrice 
pour  chaque  lettre ,  ces  prétendues  différences  se  présen- 
teraient fort  souvent,  si  l'on  n'avait  soin  de  visiter  les  ca- 
ractères, et  de  réformer  ceux  qui  ont  quelque  imperfec- 
tion. Par  une  loi  physique  bien  connue,  la  plus  forte 
partie  d'un  liquide  tendant  à  absorber  la  plus  petite,  il 
en  résulte  à  la  fonte  une  grande  difficulté  pour  faire  réus- 
sir les  traits  fins  de  certaines  lettres. 

§  k.  Quel  mode  d'impression  a  été  employé  dans  les  diverses 
éditions  anonymes  du  Spéculum. 

Un  fait  qui  frappe  tout  d'abord,  à  l'inspection  du  Spé- 
culum, c'est  qu'il  est  produit  par  deux  modes  d'impres- 
sion différents. 

D'un  côté ,  il  est  évident  que  les  gravures  sont  impri- 
mées à  l'aide  du  frotton  des  cartiers ,  car  on  voit  encore 
sur  le  revers  un  luisant  qui  ne  peut  provenir  que  de  la 
matière  qui  servait  à  faciliter  le  frottement.  Quoique  ce 
mode  d'impression ,  qui  est  toujours  en  usage ,  ait  été  amé- 
lioré depuis  quelques  années,  il  produit  encore  les  mêmes 
résultats.  Ainsi ,  sauf  la  couleur,  qui  varie ,  on  retrouve 
aujourd'hui,  sur  les  adresses  des  enveloppes  de  jeux  de 
cartes ,  une  teinte  parfaitement  semblable  à  celle  des  gra- 
vures du  Spéculum  :  même  genre  d'encre ,  même  grisaille 
dans  les  traits,  même  maculature  sur  le  bord  de  la  planche. 

1    Orig.  tjpogr.  t.  I,  p.  109. 


46  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

D'un  autre  côté,  il  n'est  pas  moins  évident  que  les 
textes  en  caractères  mobiles  ont  été  imprimés  à  la  presse. 
Non-seulement  on  ne  retrouve  plus,  au  revers  de  ces  im- 
pressions ,  le  poli  qui  se  fait  remarquer  à  celui  des  gra- 
vures ;  mais  encore  on  y  voit  un  foulage  très-prononcé , 
tel  qu'il  devait  exister  avec  les  premières  presses ,  opérant 
sur  des  caractères  imparfaits.  L'encre  est  aussi  bien  diffé- 
rente de  celle  des  gravures  :  la  dernière  est  jaune  et  in- 
certaine; l'autre,  au  contraire,  est  d'un  noir  très-foncé. 
Cela  s'explique  :  l'une  est  tout  simplement  de  la  couleur 
à  la  détrempe  ;  l'autre  est  une  véritable  composition  oléa- 
gineuse, comme  notre  encre  d'imprimerie  d'aujourd'hui. 
Ces  deux  genres  d'encre  étaient  parfaitement  appropriés 
aux  deux  modes  d'impression  employés  :  l'un  ne  pouvait 
suppléer  à  l'autre  ;  car  l'encre  oléagineuse  n'aurait  pu  ser- 
vir à  l'impression  au  frotton ,  ni  la  couleur  à  la  détrempe 
être  employée  pour  l'impression  à  la  presse.  La  différence 
d'impression  ressort  encore  du  défaut  d'alignement  qui 
existe  dans  quelques  pages  entre  le  texte  et  les  gravures. 
Mais  ce  qui  est  remarquable  dans  ce  cas,  c'est  que  le 
désaccord  paraît  toujours  être  le  même  aux  deux  pages 
correspondantes  d'une  même  feuille,  ce  qui  démontre, 
suivant  moi,  que  les  gravures  (de  même  que  le  texte) 
ont  été  tirées  deux  à  deux,  c'est-à-dire  par  forme. 

Les  observations  générales  que  je  viens  de  faire  ne 
s'appliquent  pas,  bien  entendu,  aux  textes  xylographiques 
de  l'édition  A ,  qui  ont  été  tirés  en  même  temps  que  les 
gravures  au-dessous  desquelles  ils  se  trouvent  :  c'est  la 


PREMIÈRE  PARTIE. —  CHAPITRE  I.  47 

même  encre ,  le  même  genre  d'impression ,  le  même  ali- 
gnement. Si  l'on  remarque  un  léger  désaccord  entre  la 
gravure  et  le  texte  xylographique  dans  quelques  pages , 
il  provient  sans  doute  de  l'irrégularité  du  bois ,  car  il  pa- 
raît le  même  aux  deux  exemplaires  du  Spéculum  que  nous 
avons  à  Paris.  Ce  fait  renverse  l'échafaudage  d'hypothèses 
que  quelques  auteurs  ont  élevé  pour  prouver  que  les 
gravures  ont  été  tirées  isolément  en  Allemagne. 

Résumant  ce  que  nous  venons  de  dire,  nous  consta- 
terons que  les  Spéculum  anonymes  présentent  cette  sin- 
gulière circonstance,  qu'ils  sont  à  la  fois  le  produit  de 
l'art  ancien  et  de  l'art  nouveau  sous  tous  leurs  aspects. 
D'un  côté,  ils  nous  offrent  le  spécimen  de  caractères  fixes 
en  bois  et  de  caractères  mobiles  en  fonte;  de  l'autre,  l'im- 
pression au  frotton  et  à  la  presse.  Cette  circonstance  seule 
suffirait  pour  assurer  à  ce  livre  le  premier  rang  parmi  les 
plus  curieux  de  la  typographie. 

§   5.  Est-ce  le  même  artiste  qui  a  imprimé  les  différentes 
éditions  anonymes  du  Spéculum? 

S'il  est  une  opinion  incontestable,  c'est  certainement 
celle  qui  attribue  au  même  imprimeur  l'exécution  des 
éditions  anonymes  du  Spéculum.  La  forme  des  caractères, 
le  système  de  composition,  l'identité  des  gravures,  le 
mode  d'impression ,  tout  se  réunit  pour  démontrer  le  fait. 
Je  ne  discuterai  donc  pas  pour  prouver  ce  que  personne 
ne  conteste;  mais  je  prends  acte  de  cette  circonstance, 
que  j'invoquerai  plus  loin. 


liS  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

§  6.  En  quelle  contrée  ont  été  imprimées  les  différentes  éditions 
anonymes  du  Spéculum. 

Grâce  à  tout  ce  que  j'ai  dit  déjà,  cette  question  n'est 
pas  plus  difficile  à  résoudre  que  la  précédente.  On  ne 
peut  contester  l'origine  des  éditions  hollandaises  de  ce 
livre,  et  personne  ne  l'a  fait,  car  personne  n'était  fondé 
à  penser  qu'on  ait  imprimé  ailleurs  qu'en  Hollande  un 
livre  écrit  dans  la  langue  vulgaire  de  ce  petit  pays.  Or, 
comme  il  est  prouvé  que  les  éditions  latines  sortent  du 
même  atelier  que  les  éditions  hollandaises ,  il  en  résulte 
qu'elles  proviennent  toutes  de  la  Hollande. 

Comme  ce  fait  est  important,  et  comme  il  est  des  es- 
prits qui  ne  se  rendent  pas  toujours  à  l'évidence,  je  crois 
devoir  ajouter  ici  quelques  considérations  à  l'appui  de 
ma  conclusion.  Voici  d'autres  indices  de  l'origine  hollan- 
daise du  Spéculum.  Premièrement,  presque  tous  les  exem- 
plaires existants  de  ce  livre  se  trouvent  en  Hollande  ou 
en  ont  été  tirés  :  or  il  serait  hien  surprenant  que  ce 
pays  fût  si  riche  en  livres  de  ce  genre,  s'ils  n'y  avaient 
vu  le  jour.  Secondement,  la  forme  des  caractères  mobiles 
employés  dans  ce  livre  est  identiquement  celle  de  l'écri- 
ture en  usage  dans  la  Hollande  au  xve  siècle1.  Je  signa- 
lerai particulièrement  le  £2,  qui  offre  un  trait  fort  remar- 
quable. Troisièmement,  les  filigranes  qu'on  voit  dans  le 
papier  sont  particuliers  à  la  Hollande  ou  du  moins  aux 

1  Ottley ,  An  inqniry ,  etc.  p.  219. 

2  De  Laborde,  Débuis  de  l'imprimerie  à  Strasbourg ,  p.  18. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  I.  49 

Pays-Bas1.  Quatrièmement,  c'est  en  Hollande  qu'on  a 
retrouvé  le  plus  grand  nombre  de  fragments  de  livres 
imprimés  avec  des  caractères  analogues  à  ceux  du  Spécu- 
lum^. Cinquièmement,  enfin ,  c'est  en  Hollande ,  à  Culem- 
bourg,  qu'on  voit  paraître  pour  la  dernière  fois,  dans 
une  édition  également  hollandaise  du  Spéculum,  datée 
de  iA83,  les  planches  qui  ont  servi  aux  éditions  précé- 
dentes. Je  dis  éditions  précédentes,  car  ces  planches  ne 
purent  plus  servir  aux  éditions  in-folio ,  parce  que  Vel- 
dener,  pour  les  accommoder  à  son  nouveau  format,  l'in- 
quarto  ,  les  scia  en  deux  à  l'endroit  où  un  pilier  gothique 
sépare  les  deux  compartiments  de  la  gravure3. 

Il  est  donc  incontestable  que  les  Spéculum  ont  été  im- 
primés en  Hollande  et  avant  i/i83,  puisqua  partir  de 

1  Koning,  Dissertation  sur  l'origine,  l'invention  et  le  perfectionnement  de 
l'imprimerie  (Amsterdam,  1819,  in-8°) ,  p.  32  et  suiv. —  Ottley,  qui  donne 
aussi  le  dessin  de  ces  filigranes  [An  inquiry,  etc.  p.  221-226),  en  a  omis 
un  cité  par  Koning,  et  qui  se  trouve  dans  un  des  exemplaires  de  l'édi- 
tion A  de  la  Bibliothèque  nationale  ;  c'est  un  écusson  dans  lequel  se  voient 
des  figures  indéchiffrables.  Cet  écusson  se  trouve  aux  feuillets  2 1,  3i,  5i 
de  l'exemplaire  coté  A  1866. 

2  Ottley,  An  inquiry,  etc.  p.  219. 

3  Voyez  la  description  de  cette  édition  dans  Ottley,  An  inquiry,  etc. 
p.  220,  et  dans  la  Notice  de  M.  Guichard,  p.  5i.  —  Dibdin,  décrivant 
l'exemplaire  du  Spéculum  de  Veldener  qui  se  trouve  dans  la  bibliothèque 
Spencer,  nie ,  avec  son  sans  façon  habituel ,  et  sans  donner  aucune  raison 
de  son  opinion,  que  les  gravures  de  cette  édition  soient  celles  qui  ont  servi 
dans  les  éditions  anonymes;  mais  j'ai  vu  plusieurs  exemplaires  du  livre 
de  Veldener,  à  la  Haye,  à  Haarlem,  etc.  et  j'affirme  le  fait  de  l'identité, 
qui  a  été  soutenue  par  Meerman ,  Heinecke ,  Panzer,  etc.  L'irrégularité 
de  l'encadrement  des  gravures  rend  la  chose  évidente. 

4 


50  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

cette  époque  ils  ne  purent  plus  être  exécutés  de  la  même 

manière. 

§  7.  A  quelle  époque  les  éditions  anonymes  du  Spéculum 
furent-elles  imprimées  ? 

Quelque  savante  que  soit  la  dissertation  que  M.  Gui- 
chard  a  publiée  sur  le  Spéculum,  je  ne  puis  admettre 
avec  lui  que  l'impression  de  ce  livre  soit  postérieure  à 
i  46 1 .  La  raison  sur  laquelle  je  me  fonde  pour  rejeter 
cette  opinion,  c'est  que,  si  le  livre  eût  été  imprimé  si 
tardivement,  il  ne  serait  pas  confectionné  en  dehors  de 
toutes  les  règles  typographiques  déjà  en  usage  depuis 
dix  ou  douze  ans  dans  les  ateliers  allemands.  J'insiste  sur 
ce  point,  car  M.  Guichard  ne  paraît  pas  avoir  remarqué 
toutes  les  singularités  que  présentent  ces  volumes.  Il  dé- 
crit le  livre  comme  on  décrirait  aujourd'hui  un  ouvrage 
ordinaire.  «  Le  premier  cahier,  dit-il,  est  de  cinq  feuillets, 
les  trois  suivants  de  quatorze,  et  le  dernier  de  seize  feuil- 
lets. »  M.  Guichard  n'explique  pas  comment  on  a  pu  faire 
un  cahier  de  cinq  feuillets ,  ni  pourquoi  les  autres  cahiers 
ne  sont  pas  disposés  de  la  même  manière.  Il  ne  s'est  pas 
même  préoccupé  de  cette  disposition  singulière,  qui  doit 
frapper  immédiatement  un  typographe.  Ainsi ,  dans  le  cin- 
quième cahier,  qui  a  seize  feuillets ,  la  feuille  du  milieu  est 
repliée  sur  elle-même ,  et  collée  de  manière  à  ne  former 
que  deux  pages ,  recto  et  verso ,  devenant  ainsi  une  espèce 
de  carton1.  La  disposition  de  cette  feuille,  ainsi  que  celle 

1  En  terme  de  bibliographie,  on  donne  ce  nom  à  un  feuillet  isolé  que 
le  relieur  place  dans  le  volume  au  moyen  d'un  onglet. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  I.  51 

des  cahiers,  qui  tous  commencent  et  finissent  par  une 
page  blanche ,  indique  que  la  reliure  du  livre  devait  se 
faire  avant  le  collage  des  feuillets.  Une  fois  collé ,  tout  le 
livre  ne  devait  plus  former  qu'une  masse  indivisible.  Je 
ne  sais  si  je  me  fais  bien  comprendre;  mais  il  m'est  diffi- 
cile d'être  plus  clair,  à  moins  de  mettre  l'objet  en  ques- 
tion sous  les  yeux  du  lecteur1. 

Je  pourrais  citer  vingt  étrangetés  de  ce  genre,  qui 
constatent  bien  positivement  dans  la  confection  de  ce 
livre  l'enfance  de  l'art:  telle  est,  par  exemple,  la  division 
des  mots  au  bout  des  lignes  sans  règle  aucune ,  sans  traits 
d'union,  et  très-souvent  en  ne  laissant  à  la  fin  de  la  pre- 
mière ligne  ou  en  ne  reportant  au  commencement  de  la 
seconde  qu'une  seule  lettre  ;  quelquefois  même  on  re- 
jette à  la  seconde  ligne  le  mot  qui  ne  peut  tenir  à  la 
première,  et  on  achève  celle-ci  avec  des  cadrats;  telle 
est  encore  la  garniture  grossière  des  pages  :  on  a  remar- 
qué, en  effet2,  qu'elle  se  composait  d'une  espèce  de  châs- 
sis de  bois,  dont  le  cadre  était  aussi  élevé  que  la  lettre , 
et  qui,  faisant  support,  servait  à  garantir  les  bords  du 
foulage  extraordinaire  de  la  presse,  qui  les  aurait  fait  mat- 
exiler .  C'est  cette  garniture  singulière  qui  forçait  à  terminer 
les  colonnes  dont  le  texte  ne  pouvait  fournir  le  nombre  de 
lignes  voulues  avec  des  lignes  de  distribution  ou  des  lettres 
inutiles.  Ces  dernières  étaient  masquées  ensuite  par  la  fris- 

1  Voyez  page  1 5 ,  note  2  ,  et  page  2  1 ,  note  2  ,  les  divers  modes  d'impo- 
sition du  Spéculum. 

2  Koning,  Dissertation,  p.  2  1 . 


52  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

quette  ou  tout  autre  objet  analogue ,  car  j'ignore  complè- 
tement comment  était  disposée  la  presse  qui  a  servi  à  tirer 
le  Spéculum. 

En  présence  de  tous  ces  faits,  je  me  suis  posé  le  di- 
lemme suivant  :  ou  l'imprimeur  du  Spéculum  était  un 
élève  des  typographes  mayençais ,  ou  il  fut  à  lui-même 
son  propre  maître. 

S'il  était  élève  des  premiers  imprimeurs  de  Mayence , 
comment  se  fait-il  que ,  ni  par  la  forme  des  caractères , 
ni  par  le  procédé  de  la  fonte,  ni  par  celui  de  l'impres- 
sion ,  ni  par  aucun  point  de  l'art  enfin,  il  ne  révèle  l'ori- 
gine de  sa  science ,  et  soit  réduit  à  exécuter  à  plus  de 
frais  et  plus  péniblement  que  ses  confrères?  Comment 
se  fait-il  qu'il  imprime  séparément,  et  par  des  procédés 
différents ,  les  gravures  et  le  texte  du  livre ,  qu'il  eût  pu 
imprimer  d'un  seul  coup ,  économisant  ainsi  à  la  fois  son 
temps  et  son  argent?  En  effet,  s'il  avait  imprimé  les  gra- 
vures à  la  presse ,  comme  le  reste  du  livre ,  ainsi  que  le 
faisait,  dès  i46o,  Pfister  à  Bamberg,  rien  ne  se  serait 
opposé  à  ce  qu'il  imprimât  des  deux  côtés  du  papier,  et 
réduisît  par  conséquent  ses  fournitures  et  sa  main-d'œuvre, 
sans  parler  de  celle  du  relieur. 

Si ,  au  contraire ,  l'imprimeur  du  Spéculum  a  été  son 
propre  maître,  comme  tout  semble  le  démontrer  (car 
ce  livre  ne  peut  passer  pour  l'essai  maladroit  d'un  ap- 
prenti, puisque  nous  en  avons  quatre  éditions  au  moins, 
imprimées  à  plusieurs  années  d'intervalle  l'une  de  l'autre , 
et  toujours  de  la  même  façon) ,  pourquoi  vouloir  retarder 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  I.  53 

ses  travaux  jusqu'à  l'année  i/t6i,  époque  où  l'art  typo- 
graphique était  devenu  si  vulgaire ,  qu'on  s'en  servait  pour 
toute  sorte  de  publications  :  témoins  les  Lettres  d'indul- 
gences de  ili5k  et  i  ko 5,  dont  on  connaît  cinq  éditions; 
l'Appel  contre  les  Turcs  de  iA55,  les  Calendriers  de  iZt5y 
et  1 46o ,  les  Manifestes  de  1 46 1  pour  et  contre  l'arche- 
vêque de  May ence ,  au  nombre  de  six  ou  huit ,  et  autres 
impressions  du  même  genre,  dont  je  parlerai  plus  loin? 
L'hésitation  n'est  pas  permise.  Pour  moi,  j'ai  conclu  de 
tout  cela  que  l'imprimeur  du  Spéculum  avait  trouvé  un 
procédé  imparfait  avant  Gutenberg,  qui,  lui,  avait  déjà 
conçu  son  plan  dès  l'an  i/i36,  comme  je  le  démontre- 
rai. C'est  la  conclusion  à  laquelle  est  arrivé  également 
Ottley,  en  partant  d'un  autre  point  de  vue1.  En  effet,  cet 
auteur  ne  s'est  pas  contenté  d'étudier  la  partie  typogra- 
phique du  Spéculum;  il  en  a  scruté  avec  soin  les  gravures, 
et  ses  investigations  scrupuleuses  l'ont  conduit  à  penser 
qu'elles  avaient  été  exécutées,  en  grande  partie  du  moins, 
par  l'artiste  auquel  on  doit  celles  de  la  Bible  des  pauvres 
et  du  Livre  des  cantiques,  qui  sont  généralement  considé- 
rés comme  les  plus  anciens  livres  xylographiques.  Mais 
je  suis  ici  hors  de  mon  domaine;  je  renvoie  le  lecteur  au 
livre  d'Ottley2,  pour  ne  pas  m'attirer  le  même  reproche 
que  le  cordonnier  d'Apelles. 

1  Voyez  aussi  un  curieux  travail  de  M.Tom.Tonelli,  inséré,  sous  le  titre 
de  Cenni  istorici  sull'  origine  délia  stampa,  etc.  dans  la  revue  italienne  in- 
titulée :  Antologia,  numéros  de  janvier,  février  et  mars  i83i,  t.  XLI  de  la 
collection  (in-8°,  Florence,  i83i). 

2  An  inquiry,  etc.  p.  1 55  et  suiv. 


54  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Heinecke  reconnaît  bien  aussi  l'ancienneté  des  gravures 
du  Spéculum 1  ;  mais ,  en  sa  qualité  d'Allemand ,  il  prétend 
qu'elles  ont  été  faites  en  Allemagne ,  d'où  elles  auraient 
été  apportées  en  Hollande  par  Théodore  Martin  ou  Mer- 
tens.  C'est,  en  effet,  à  cet  artiste  célèbre,  qui  avait  à 
peine  vingt  ans  en  1/178,  qu'il  attribue  la  première  édi- 
tion du  Spéculum2,  ne  prenant  pas  garde  qu'il  est  en  con- 
tradiction avec  lui-même,  puisqu'il  dit  ailleurs  que  ce  livre 
«a  été  publié  justement  du  temps  de  l'invention  de  la 
typographie3.  »  Heinecke,  il  est  vrai,  n'est  pas  tellement 
sûr  de  sa  seconde  opinion ,  qu'il  n'en  présente  immédia- 
tement une  troisième  :  «  On  pourrait  encore  soupçon- 
ner, dit-il4,  que  Jean  de  Westphalie  ait  été  l'imprimeur 
de  la  première  édition  flamande,  et  que  Veldener  ait 
reçu  de  lui  les  planches.  »  Mais  Heinecke  a  beau  sauter 
ainsi  d'une  hypothèse  à  l'autre ,  il  ne  rend  pas  son  opi- 
nion plus  acceptable.  Personne  ne  croira  qu'on  impri- 
mait ainsi  en  Hollande ,  lorsque  depuis  vingt  ans  la  typo- 
graphie était  d'un  usage  commun  dans  toutes  les  villes 
d'Europe,  et  y  produisait  partout  des  chefs-d'œuvre.  En 
tout  cas,  si  l'on  compare  les  prétendus  premiers  produits 
anonymes  de  Jean  de  Westphalie  avec  ceux  auxquels  il 
a  mis  son  nom ,  on  conviendra  qu'il  a  fait  en  quelques 
mois  beaucoup  de  progrès  clans  son  art,  car  on  voit  qu'il 

1  Idée  générale ,  etc.  p.  453. 

2  Ibid.p.  458. 

3  Ibid.  p.  hk']- 

4  Ibid.  p.  li bS. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  I.  55 

imprimait  en  1  l\lk  comme  tout  le  monde.  Inutile  d'ajou- 
ter qu'il  ne  se  servait  pas  des  caractères  du  Spéculum. 

En  définitive,  malgré  les  recherches  les  plus  actives, 
faites  dans  un  intérêt  de  nationalité  ou  un  esprit  de  parti 
poussé  jusqu'à  ses  dernières  limites,  on  n'a  encore  trouvé 
aucun  artiste  auquel  on  pût  sérieusement  attribuer  l'im- 
pression du  Spéculum  dans  la  période  qui  s'est  écoulée 
entre  l'année  1 1\  7  3 ,  qui  vit  venir  en  Hollande  les  pre- 
miers imprimeurs  de  l'école  typographique  de  Mayence, 
et  l'année  1 483 ,  où  Veldener  imprima  à  Culembourg  la 
dernière  édition  hollandaise  de  ce  livre.  De  plus,  on  a 
constaté  qu'il  n'avait  point  existé  d'imprimerie  en  Hol- 
lande de  i46o  à  1/173.  Qu'en  conclure,  après  tout  ce 
qu'on  vient  de  lire ,  sinon  que  l'imprimeur  du  Spéculum 
exerçait  grossièrement  l'art  typographique  avant  cette 
époque? 

§  8.  Par  qui  et  en  quelle  ville  furent  imprimées  les  éditions 
anonymes  du  Spéculum. 

Je  crois  avoir  démontré  que  ce  livre  avait  été  impri- 
mé en  Hollande  avant  1 1\6 1 .  D'après  ce  que  j'ai  dit,  on 
peut  deviner  la  conclusion  où  je  tends  :  d'accord  avec  la 
tradition  hollandaise,  je  n'hésite  pas  à  attribuer  l'impres- 
sion du  Spéculum  à  Laurent  Coster,  de  Haaiiem.  Comme 
cette  question,  la  dernière  que  nous  ayons  à  résoudre, 
est  très -complexe  et  demande  quelque  développement, 
je  lui  réserve  le  chapitre  suivant. 


56  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE 


CHAPITRE    II. 

LAURENT  COSTER  ET  SON  ECOLE. 
1423-1450, 

Beaucoup  de  personnes  vont  sans  cesse  répétant  que 
la  tradition  hollandaise  ne  repose  sur  rien  de  sérieux  ; 
qu'elle  est  tout  entière  dans  un  récit  apocryphe  de  Ju- 
nius,  publié  sur  la  fin  du  xvie  siècle.  C'est  là  une  opinion 
erronée,  qu'on  peut  facilement  réfuter.  Junius  n'est  ni 
le  seul  ni  le  premier  qui  ait  attribué  l'origine  de  l'impri- 
merie à  la  Hollande.  Le  plus  ancien  récit  que  nous  ayons 
sur  l'histoire  de  l'imprimerie  elle-même  est  celui  qui  est 
consigné  dans  une  chronique  allemande ,  dite  de  Cologne , 
parce  qu'elle  a  été  imprimée  dans  cette  ville,  en  1/199. 
L'auteur  anonyme  de  cette  chronique  dit  positivement 
que  les  premiers  essais  de  l'imprimerie  furent  faits  en 
Hollande  :  «  Quoique  l'art ,  tel  qu'on  le  pratique  actuelle- 
ment ,  ait  été  trouvé  à  Mayence ,  cependant  la  première 
idée  vient  de  la  Hollande,'  et  des  Donats  qu'on  impri- 
mait dans  ce  pays  auparavant.  Ces  livres  ont  donc  été 

l'origine  de  l'art 1  »  Et  ce  témoignage  a  d'autant  plus 

de  poids,  qu'il  est  emprunté  à  Ulric  Zell,  contemporain 
de  Gutenberg,  l'un  de  ses  élèves,  dit-on,  et  l'un  des  pre- 

1  Wolf,  Monum.  typogr.  t.  I,  p.  /J07.  — Meerman,  Orig.  typogr.  t.  II, 
p.  io5.  —  Wetter,  Kritische  Geschichte }  etc.  p.  278.  —  Falkenstein,  Ge- 
schichte  der  Buchdruckerhunst ,  p.  72. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  II.  57 

miers  ouvriers  qui  ont  émigré  de  Mayence  pour  répandre 
l'art  typographique  dans  le  monde.  Ulric  Zell  avait  im- 
porté l'imprimerie  à  Cologne ,  et  y  exerçait  encore  cet 
art  à  l'époque  où  fut  publiée  la  chronique  en  question , 
comme  nous  l'apprend  son  auteur. 

L'opinion  du  chroniqueur  est  encore  corroborée  par 
celle  de  Mariangelus  Accursius ,  qui  avait  écrit  ce  qui  suit 
sur  un  ancien  Donat  en  caractères  mobiles  que  posséda 
plus  tard  Aide  le  Jeune  :  «Impressus  autem  est  hic  Do- 
«natus  et  Confessionalia  primum  omnium  anno  i/t5o. 
«Admonitus  certe  fuit  ex  Donato  Hollandiae  prius  im- 
«presso  in  tabula  incisa1.  »  Accursius  dit  ici,  il  est  vrai , 
que  le  Donat  initiateur  hollandais  était  en  caractères  fixes  ; 
mais  c'est  une  simple  hypothèse,  car  il  ne  l'avait  pas  vu, 
et  j'espère  prouver  plus  loin  que  les  premiers  Donats  im- 
primés étaient  en  caractères  mobiles.  Mais  en  supposant 
même  qu'il  en  fût  autrement,  ces  Donats  n'auraient  pas 
été  les  premiers  ouvrages  xylographiques.  Longtemps  au- 
paravant on  avait  publié  des  livres  de  gravures  avec  du 
texte  sur  planches  fixes ,  et  ces  livres  auraient  pu ,  tout 
aussi  bien  que  les  Donats,  révéler  l'idée  des  caractères 
mobiles  à  Gutenberg,  si,  en  effet,  c'était  à  la  vue  d'im- 
pressions xylographiques  qu'il  eût  conçu  son  plan. 

Quoi  qu'il  en  soit,  plusieurs  années  avant  Junius,  et 
au  plus  tard  en  1  56 1 ,  Jean  Van  Zuyren,  bourguemestre 
de  Haarlem,  avait  écrit,  sous  le  titre  àeDialogus  déprima 
artis  typographicœ  inventione,  un  travail  dont  il  ne  reste 

1  A.  Roccha,  Bibliolh.  Varie,  éd.  Rom.  1 5gi  ,  p.  4 1 1  • 


58  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

plus  malheureusement  que  quelques  fragments ,  et  dans 
lequel  il  revendique  positivement  pour  son  pays  l'hon- 
neur de  l'invention,  «  radia  fortasse,  sed  tamen  prima  \  » 
sans  toutefois  prétendre  ravir  à  Mayence  ses  titres  parti- 
culiers à  la  reconnaissance  du  genre  humain  pour  avoir 
perfectionné  et  vulgarisé  cet  art  :  «  nihil  tamen  Mogunti- 
«  nensi  quicquam  reipublicce  unquam  detractum  volo.  » 

Theod.  Volchart  Coornhert  en  dit  à  peu  près  autant 
dans  la  préface  de  sa  traduction  hollandaise  des  Offices 
de  Cicéron,  imprimée  par  lui-même  ou  du  moins  chez 
lui,  à  Haarlem,  en  i  56 1  :  a  On  m'a  souvent  assuré  de 
bonne  foi  que  l'art  de  l'imprimerie  avait  d'abord  été  in- 
venté dans  la  ville  de  Haarlem,  quoique  d'une  manière 
très -informe. . .  Cet  art  ayant  dans  la  suite  été  transporté 
à  Mayence  par  un  ouvrier  infidèle,  il  y  fut  extrêmement 
perfectionné,  et,  pour  l'avoir  rendu  public,  cette  der- 
nière ville  a  tellement  acquis  la  gloire  de  la  première  in- 
vention, que  nos  concitoyens  obtiennent  peu  de  croyance 
quand  ils  s'attribuent  l'honneur  d'en  être  les  véritables 
inventeurs2.  »  Cette  dernière  phrase  est  très-intéressante, 
car  elle  démontre  que  la  controverse  au  sujet  des  préten- 
tions de  Haarlem  existait  déjà  avant  le  récit  de  Junius. 

Sans  doute  on  rejettera  ces  témoignages  comme  sus- 
pects, à  cause  de  leur  nationalité  ;  mais  la  Hollande  peut 

1  Scriverius,  Laure-Crans,ip.  29. — Wolf,  Monum.  typogr.  t.  I,  p.  2/16. 
—  Meerman,  Oricj.  typogr.  t.  II,  p.  1 90.  —  Ottley,  An  incjmry,  etc.  p.  176. 

2  Scriverius,  Laure-Crans,  p.  26. —  Wolf,  Monum.  typogr.  i.  I,  p.  238. 
— Meerman,  Orig.  typogr.  t.  II,  p.  190.  —  Ottley,  An  inquiry,  etc.  p.  178. 


PREMIÈRE  PARTIE. —CHAPITRE  II.  59 

invoquer  des  témoignages  étrangers  tout  aussi  positifs. 
Ainsi  j'ai  déjà  mentionné  la  Chronique  de  Cologne;  je 
pourrais  rappeler  encore  les  récits  de  Georges  Braunius , 
doyen  de  l'église  Notre-Dame  de  Cologne  1  ;  de  Michel 
Eytzinger,  Autrichien2,  etc.  Je  me  contenterai  d'en  citer 
un  dont  l'opinion  ne  peut  être  accusée  de  partialité  : 
Ludovic  Guicciardini ,  de  Florence,  dit  ce  qui  suit  à  l'ar- 
ticle Haarlem,  dans  sa  Description  des  Pays-Bas3,  publiée 
pour  la  première  fois  en  italien  à  Anvers  en  1  56 y  :  «  Sui- 
vant la  commune  tradition  du  pays ,  le  témoignage  de 
quelques  écrivains  et  d'autres  anciens  monuments,  l'im- 
primerie aurait  été  premièrement  inventée  dans  cette  ville, 
ainsi  que  l'art  de  fondre  les  lettres ,  et  l'inventeur  étant 
mort  avant  d'avoir  pu  perfectionner  son  œuvre ,  un  de 
ses  ouvriers,  qui  était  allé  s'établir  à  Mayence,  en  divul- 
gua la  connaissance  par  la  pratique.  Là  on  s'y  appliqua 
tellement,  que  cette  invention  fut  amenée  à  sa  perfection, 

d'où  vient  l'opinion  qu'elle  y  avait  vu  le  jour Je  ne 

puis  ni  ne  veux  décider  cette  question  :  il  me  suffit  d'en 
avoir  dit  un  mot  pour  ne  porter  préjudice  ni  à  cette  ville 
ni  à  ce  pays.  » 

Mais  si  Junius  n'est  pas  le  seul  qui  ait  revendiqué  pour 

1  Voyez  le  second  volume  de  son  livre  intitulé  :  Civitaies  orbis  terra- 
rum(li  vol.  in-fol.  Cologne,  1070-1588),  où  se  trouve  la  carte  de  Haarlem. 

2  Léo  Belgicus,  sive  de  topographia  atque  historica  Belgii  descriptione  liber, 
Cologne,  1 583,  in-fol. 

3  Dcscrizione  di  tutti  i  Paesi  Bassi,  p.  180.  Ce  passage  a  été  reproduit 
en  italien  par  Meerman,  Orig.  tjpoqr.  t.  II,  p.  197,  et  par  Ottley,  An 
inquiry,  etc.  p.   179. 


60  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Haarlem  l'honneur  de  l'invention  des  caractères  mobiles . 
il  est  du  moins  celui  qui  nous  a  donné  le  plus  de  détails  : 
il  résume  et  complète  tout  ce  qui  avait  été  dit  avant  lui 
sur  ce  sujet.  Je  vais  transcrire  en  entier,  dans  sa  langue 
originale,  toute  la  partie  de  son  récit  qui  nous  intéresse , 
et  je  la  ferai  suivre  d'une  traduction  rigoureuse,  accom- 
pagnée d'une  paraphrase  ;  mais  avant  il  convient  de  dire 
un  mot  de  Junius  lui-même ,  afin  qu'on  sache  quel  degré 
de  confiance  il  mérite. 

Hadrien  Junius ,  fils  de  Pierre ,  naquit  à  Hoorn , 
en  1  5 1  î  ;  il  lit  ses  premières  études  à  l'école  latine  de 
Haarlem,  et  alla  ensuite  se  perfectionner  dans  diffé- 
rentes universités  de  l'Europe.  Son  savoir  l'ayant  fait 
distinguer  de  bonne  heure ,  il  fut  nommé  médecin  ordi- 
naire du  duc  de  Norfolk,  puis  du  roi  de  Danemark. 
De  retour  à  Haarlem  en  i56/j,  il  fut  nommé  médecin 
de  cette  ville,  et  directeur  de  l'école  latine.  Le  5  fé- 
vrier 1 565 ,  il  fut  chargé  par  les  Etats  de  Hollande 
d'écrire  l'histoire  de  ce  pays.  Son  travail  fut  terminé 
vers  1569,  comme  le  constate  une  préface  manuscrite 
datée  du  6  janvier  i5yo.  Les  circonstances  n'ayant  pas 
permis  de  publier  alors  ce  livre ,  Junius  y  fit  quelques 
additions  jusqu'à  l'époque  de  sa  mort,  arrivée  le  10  juin 
1  5y5  T.  Enfin  l'ouvrage,  dont  les  manuscrits  originaux 

1  Ces  faits  sont  parfaitement  éclaircis  aujourd'hui  à  l'aide  des  pièces 
authentiques  publiées  par  MM.  de  Vries  et  Noordziek,  à  la  suite  du  livre 
intitulé  :  Eclaircissements  sur  l'histoire  de  l'invention  de  l'imprimerie,  la  Haye , 
i843,  in-8°. 


PREMIERE  PARTIE.  —CHAPITRE  II.  61 

existent  encore,  fut  imprimé  en  1  588 ,  treize  ans  après 
la  mort  de  l'auteur,  par  les  soins  de  son  fils  Pierre, 
sous  le  titre  de  Batavia1.  Le  passage  relatif  à  Coster  doit 
avoir  été  écrit  vers  1  568 ,  si  l'on  en  juge  par  la  place 
qu'il  occupe  dans  le  manuscrit2;  en  voici  la  partie  essen- 
tielle pour  nous  : 

. .  .Habitavit  ante  annos  centum  duodetrigintaHarlemiinaedibus 
satis  splendidis  (ut  documento  esse  potest  fabrica  quae  in  bunc 
usque  diem  perstat  intégra)  foro  imminentibus  e  regione  Palatii 
Regalis,  Laurentius  Joannes 3  cognomento  /Edituus  Custosve,  (quod 
tune  opimum  et  honorificum  munus  familia  eo  nomine  clara  hae- 
reditario  jure  possidebat)  is  ipse  qui  nunc  laudem  inventae  artis 
typographicae  recidivam  justis  vindiciis  ac  sacramentis  repetit,  ab 
aliis  nefarie  possessam  et  occupatam,  summo  jure  omnium  trium- 
pborum  laurea  majore  donandus.  Is  forte  in  suburbano  nemore 
spatiatus  (ut  soient  sumpto  cibo  aut  feslis  diebus  cives  qui  otio 
abunclant)  cœpit  faginos  cortices  principio  in  literarum  typos  con- 
formare,  quibus  inversa  ratione  sigillatim  ebartae  impressis  versi- 
culum  unum  atque  alterum  animi  gratia  ducebat ,  nepotibus  ge- 

1  Hadriani  Junii  Hornani  medici  Batavia,  in  qua,  etc.  Ex  officina  Pian- 
tiniana,  apud  Franciscum  Raphelengium,  1 588 ,  petit  in-4°  (et  non  pas 
in-foi.  comme  on  le  dit  ordinairement).  Raphelingue,  l'imprimeur  de  ce 
livre,  avait  été  correcteur  chez  Plantin.  Il  devint  un  des  gendres  de  ce 
célèbre  imprimeur,  et  lui  succéda  dans  l'imprimerie  que  celui-ci  avait 
fondée  à  Leyde  ;  c'est  ce  qui  explique  le  titre  de  plantinienne  que  Raphe- 
lingue donne  à  son  officine. 

a  Ce  passage,  qui  se  trouve  pages  2  55-2  58  de  l'édition  originale,  a  été 
reproduit  dans  beaucoup  d'autres  livres ,  mais  avec  moins  de  fidélité  qu'ici. 
—  Voyez  particulièrement  Wolf,  Monum.  typogr.  t.  I,  p.  232  et  suiv.  — 
Meerman,  Orig.  typogr.  t.  II,  p.  89.  —  Ottley,  An  inquiry,  etc.  p.  172. 
— Guichard,  No tice  sur  le  Spéculum,  p.  83. 

3  Et  non  Joannis ,  comme  l'écrivent  quelques  personnes. 


62  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

neri  sui  liberis  exemplum  futurùm.  Quod  ubi  féliciter  successerat, 
cœpit  animo  altiora  (ut  erat  ingenio  magno  et  subacto)  agitare, 
primumque  omnium  atramenti  scriptorii  genus  glutinosius  tena- 
ciusque ,  quod  vulgare  lituras  trahere  experiretur,  cum  genero  suo 
Thoma  Petro,  qui  quaternos  liberos  reliquil  omnes  ferme  consu- 
lari  dignitate  funclos  (quod  eo  dico  ut  artem  in  familia  honesta  et 
ingenua,  haud  servili,  natam  intelligant  omnes)  excogitavit,  inde 
etiam  pinaces  totas  figuratas  additis  cbaracteribus  expressit1.  quo 
in  génère  vidi  ab  ipso  excusa  Adversaria ,  operarum  rudimentum, 
paginis  solum  adversis,  haud  opistographis  :  is  liber  erat  vernaculo 
sermone  ab  auctore  conscriptus  anonymo ,  titulum  praeferens ,  Spé- 
culum nostrae  salutis.  in  quibus  id  observatum  fuerat  inter  prima 
artis  incunabula  (ut  nunquam  ulla  simul  et  reperta  et  absoluta 
est)  uti  paginae  aversse  glutine  commissae  cobaerescerent ,  ne  illas 
ipsae  vacuae  deformitatem  adferrent.  Postea  faginas  formas  plumbeis 
mutavit,  lias  deinceps  stanneas  fecit,  quo  solidior  minusque  flexi- 
lis  esset  materia ,  durabiliorque  :  e  quorum  typorum  reliquiis  quœ 
superfuerant  conflata  œnophora  vetustiora  adbuc  hodie  visuntur 
in  Laurentianis  illis ,  quas  dixi ,  aedibus  in  forum  prospectantibus, 
habitatis  postea  a  suo  pronepote  Gerardo  Thoma ,  quem  honoris 
caussa  nomino,  cive  claro,  ante  paucos  hos  annos  vita  defuncto 
sene.  Faventibus ,  ut  fit ,  invento  novo  studiis  hominum ,  quum 
nova  merx,  nunquam  antea  visa,  emptores  undique  excire  t  cum 
huberrimo  quaestu ,  crevit  simul  artis  amor,  crevit  ministerium , 
additi  familiae  operarum  ministri,  prima  mali  labes,  quos  inter 
Joannes  quidam,  sive  is  (ut  fert  suspicio)  Faustus  fuerit  ominoso 
cognomine ,  hero  suo  infidus  et  infaustus ,  sive  alius  eo  nomine , 
non  magnopere  laboro,  quod  silentum  umbras  inquietare  nolim, 

1  Cette  ponctuation,  non  suivie  d'une  majuscule,  est  très-remarquable, 
et,  comme  le  fait  observer  M.  de  Vries  [Eclaircissements ,  p.  21,  note  2), 
elle  forme,  avec  la  ponctuation  analogue  qui  suit  le  mot  salutis,  une  espèce 
de  parenthèse,  qui  permet,  de  rattacher  immédiatement  in  quibus  à  ex- 
pressit. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  II.  63 

contagioneconscientiae  quondam  clum  viverent  tactas.  Is  ad  opéras 
excusorias  sacraniento  dictus ,  postquam  artem  jungendorum  cha- 
racterum ,  fusilium  typorum  peritiam ,  quasque  alia  eam  ad  rem 
spectant,  percalluisse  sibi  visus  est,  captato  opportuno  tempore , 
quo  non  potuit  magis  idoneum  inveniri ,  ipsa  nocte  quae  Cbristi  na- 
talitiis  solennis  est,  qua  cuncti  promiscue  lustralibus  sacris  ope- 
rari  soient,  choragium  omne  typorum  involat,  instrumentorum 
herilium  ei  artificio  comparatorum  supellectilem  convasat,  deinde 
cum  fure  domo  se  proripit,  Amstelodamum  principio  adit,  inde 
Coloniam  Agrippinam ,  donec  Magonliacum  perventum  est ,  ceu  ad 
asyli  aram,  ubi  quasi  extra  telorum  jactum  (quod  dicilur)  posilus 
tuto  degeret,  suorumque  furtorum  aperta  officina  fructum  bube- 
rem  meteret.  Nimirum  ex  ea,  intra  verlenlis  anni  spacium,  ad 
annum  a  nato  Cbristo  1M2,  îis  ipsis  typis,  quibus  Harlemi  Lau- 
rentius  fuerat  usus ,  prodisse  in  lucem  certum  est  Alexandri  Galli 
Doctrinale,  quae  grammatica  celeberrimo  lune  in  usu  eral,  cum 
Pétri  Hispani  tractatibus ,  prima  fœlura.  Isla  sunt  fenne  qua?  a  se- 
nibus  annosis  fide  dignis ,  et  qui  tradita  de  manu  in  manum  quasi  ar- 
dentem  taedam  in  decursu  acceperant ,  olim  inlellexi ,  el  alios  eadem 
referentes  attestantesque  comperi.  Memini  narrasse  mibi  Nicolaum 
Gabum,  pueriliae  meae  formalorem,  bomincm  ferrea  memoria  et 
longa  canitie  venerabilem,  quod  puer  non  semel  audierit  Corne- 
lium  quendam  bibliopegum  ac  senio  gravem,  nec  octogenario  mi- 
norera (qui  in  eadem  officina  subminislrum  egeral)  tanta  animi 
contentione  ac  fervore  commemorantem  rei  gestae  seriem,  invenli 
(ut  ab  bero  acceperat)  rationem,  rudis  artis  polituram  et  incre- 
mentum  abaque  id  genus ,  ut  invito  quoque  prae  rei  indignilate 
lachrymae  erumperent,  quoties  de  plagio  inciderat  menlio  :  tum 
vero  ob  ereptam  furto  gloriam  sic  ira  exardescere  solere  senem , 
ut  etiam  lictoris  exemplum  eum  fuisse  edilurum  in  plagiarium  ap- 
pareret,  si  vita  illi  superfuisset  :  tum  devovere  consuevisse  diris  ul- 
tricibus  sacrilegum  caput,  noctesque  illas  damnare  atque  execrari , 
quas  una  cum  scelere  illo,  communi  in  cubili  per  aliquot  menses 


64  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

exegissel.  Quae  non  dissonant  a  verbis  Quirini  Talesii  Cos.  eadem 
fere  ex  ore  librarii  ejusdem  se  olim  accepisse  mihi  confessi 

Nous  devons  déplorer  la  malheureuse  idée  qu'a  eue 
Junius  d'adopter  la  langue  latine  pour  écrire  son  livre  ; 
car  cette  circonstance  jette  une  grande  obscurité  sur  son 
récit.  Mais  le  latin  était  d'un  usage  général  alors  parmi 
les  savants  de  tous  les  pays  :  ils  ne  se  préoccupaient  nul- 
lement de  l'impropriété  des  termes  d'une  langue  morte 
depuis  un  grand  nombre  de  siècles  pour  désigner  des 
choses  contemporaines ,  sans  analogie  avec  celles  du  passé. 
Ainsi  nous  voyons  ici  le  mot  classique  cos.  (consul)  rem- 
placer celui  de  bourguemestre  ;  ailleurs  l'ex-apprenti  ty- 
pographe Cornélius  est  qualifié  tantôt  bibliopegus ,  tantôt 
librarius.  Il  faut  un  peu  deviner  pour  traduire  le  bon 
latin  fabriqué  de  nos  jours,  et  c'est  là  son  moindre  in- 
convénient. 

J'ai  tâché  de  faire  ma  traduction  aussi  fidèle  que  pos- 
sible ,  et  j'ai  l'espoir  d'avoir  mieux  réussi  que  mes  devan- 
ciers ;  mais  pour  cela  j'ai  dû  souvent  m'aider  de  la  con- 
naissance des  faits,  car  je  ne  crains  pas  d'affirmer  qu'une 
personne  étrangère  au  sujet,  qui  voudrait  traduire  litté- 
ralement le  latin  classique  de  Junius ,  ne  nous  donnerait 
qu'un  récit  inintelligible. 

§  ier.  «  Il  y  a  cent  vingt-huit  ans  demeurait  à  Haarlem, 
«dans  une  maison  considérable  (comme  en  peut  témoi- 
«  gner  la  bâtisse,  restée  entière  jusqu'à  ce  jour)  donnant 
«sur  la  place,  en  face  du  palais  du  roi ,  un  nommé  Lau- 
«rent  [fils  de]  Jean,  surnommé  Sacristain  ou  Marguillier 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  II.         65 

«[Koster],  de  la  charge  lucrative  et  honorable  que  sa 
«  famille ,  très-connue  sous  ce  nom ,  possédait  alors  par 
«  droit  d'héritage  ;  c'est  celui-là  même  qui ,  ayant  mérité 
«  une  gloire  supérieure  à  celle  de  tous  les  conquérants , 
«  peut  revendiquer  à  juste  titre  l'honneur  de  l'invention 
«  de  l'art  typographique ,  honneur  usurpé  aujourd'hui  par 
«  d'autres.  » 

Voyons  d'abord  à  quelle  année  se  rapporte  le  début 
de  ce  récit.  Nous  avons  dit  que  Junius  avait  écrit  ce  pas- 
sage de  son  livre  vers  l'année  1  568  ;  si  nous  retirons  1  28 L 
de  1  568 ,  nous  trouvons  1  h  ko.  C'est  en  effet  la  date  qu'a 
en  vue  Junius ,  comme  on  le  voit  à  la  fin  de  son  récit , 
où  il  dit  qu'environ  un  an  après,  en  1  l\L\<i ,  le  voleur  de 
Coster  imprimait  à  Mayence. 

En  second  lieu ,  la  maison  dont  parle  Junius  était  par- 
faitement connue  :  elle  portait  naguère  encore  une  inscrip- 
tion commémorative  de  l'invention  de  Coster2;  mais  elle 

1  Lambinet,  un  des  critiques  les  plus  impitoyables  de  Junius,  traduit 
centum  duodetriginta  par  cent  trente-deux  ans  (Origine  de  l'imprimerie,  t.  I, 
p.  2Ô3)  :  c'est  une  assez  lourde  faute  de  la  part  d'un  maître  d'école,  titre 
dont  il  se  targue  dans  son  livre  (ibid.  t.  II,  p.  1  de  l'avertissement).  Le  reste 
de  sa  traduction  n'est  pas  plus  exact. 

2  C'était  un  simple  tableau  peint  sur  bois ,  où  on  lisait  d'abord  l'ins- 
cription suivante  : 

MEMORISE  SACRVM. 

TYPOGRAPHIA 

ARS  ARTIVAI  OMNIVM 

CONSERVATRIX 

HIC  PRIMVM   INVENTA 

CIRCA  ANNV.M  CIOCCCCXL. 

La  date  qui  termine  cette  inscription  fut  ensuite  remplacée  par  celle 

5 


66  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

s'écroula  en  1818,  et  à  sa  place  on  en  a  construit  une 
autre  qui ,  iors  de  mon  passage  à  Haarlem ,  en  septem- 
bre 1 85o,  était  elle-même  en  réparation.  Cette  maison,  en 
face  de  laquelle  on  a  placé  la  statue  de  Coster,  est  au  coin 
de  la  rue  appelée  Smedestraat  et  de  la  place  de  la  grande 
église,  autrefois  Saint -Ba von.  A  l'autre  coin  de  rue,  où 
était  jadis  l'hôtel  de  ville,  se  trouve  un  corps  de  garde,  et 
plus  loin,  de  l'autre  côté  de  la  place  (dite  du  Grand-Mar- 
ché, Groot  Markt),  le  palais  royal,  occupé  aujourd'hui 
par  l'hôtel  de  ville.  C'est  dans  ce  dernier  édilice  qu'on 
a  placé  le  Musée  Costérien ,  composé  de  tout  ce  qui  se 
rapporte  de  près  ou  de  loin  à  la  personne  de  Coster  ou 
à  son  invention. 

En  troisième  lieu,  faut-il  traduire  Laurent  Jean  ou. 
Laurent  fils  de  Jean  ?  C'est  un  point  qui  est  sans  impor- 
tance pour  nous;  toutefois  il  paraît  que,  d'après  la  lati- 
nité de  Junius ,  c'est  la  seconde  version  qui  est  la  seule 
bonne1.  Ceci,  au  reste,  n'a  jamais  fait  l'objet  d'un  doute. 
Il  n'en  est  pas  de  même  du  nom  de  famille  de  Coster. 
Les  savants  qui,  jusqu'à  nos  jours,  ont  cru  devoir  se 
servir  dans  leurs  écrits  de  la  langue  latine  préférable- 
ment  à  leur  idiome  national ,  et  n'ont  pas  reculé  devant 
la  traduction  des  noms  propres ,  ont  donné  matière  pour 

de  1U28 ,  sur  les  observations  de  Scriverius.  On  a  plus  tard  érigé  une 
statue  à  Coster  en  face  de  cette  maison.  (Voyez  Meerman,  Orig.  typogr. 
t.  I,p.  69.) 

1   Voyez  ies  explications  données  à  ce  sujet  par  M.  de  Vries,  dans  ses 
Eclaircissements ,  p.  60. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  II.  67 

l'avenir  à  d'intarissables  disputes  de  mots.  Ainsi ,  dans  le 
récit  que  nous  analysons,  le  nom  de  Coster  ne  paraît 
pas  une  seule  fois  ;  il  est  rendu  par  les  mots  de  ÂLdituns 
ou  Custos ,  qui  eux-mêmes  ne  sont  que  des  équivalents 
d'un  autre  mot  inconnu  aux  latins.  Or ,  comme  aucun 
écrivain  ancien  n'a  nommé  Coster,  on  pourrait  atta- 
quer cette  partie  du  récit  de  Junius.  Mais  il  y  a  là  une 
question  de  bonne  foi1.  Il  est  certain  que,  par  les  mots 
Mditmis  Custosve ,  notre  auteur  a  cherché  à  rendre  aussi  , 
exactement  que  possible  le  nom  de  Coster  (ou  Koster, 
comme  on  écrirait  aujourd'hui),  qui,  dans  le  hollan- 
dais, équivaut  au  mot  français  de  sacristain.  Des  transfor- 
mations de  ce  genre ,  et  de  plus  étranges  encore ,  n'étaient 
pas  rares  aux  xvie  et  xvne  siècles.  H  y  a  même  des  noms 
de  personnages  célèbres  dont  on  ne  peut  plus  aujour- 
d'hui indiquer  la  forme  originelle.  Celui  de  Junius  est 
presque  dans  ce  cas  :  il  paraît  que  ce  nom  n'est  que  la 
traduction  latine  du  mot  hollandais  jonghe 2,  qui  signi- 
fie le  jeune.  Aujourd'hui  le  mot  de  Junius  est  le  seul 
connu,  même  parmi  les  Hollandais  :  c'est  pourquoi  nous 
l'avons  adopté.  Les  autres  noms  des  personnes  qui  figu- 
rent dans  le  récit  n'ont  pas  été  mieux  traités  que  celui 
de  Coster  :  est-ce  Galius,  Gale,  ou  Gaele,  que  s'appelait  le 

1  Je  ne  connais  qu'un  auteur  qui  ait  contesté  l'identité  de  Laurent  Jans- 
zoon  et  de  Coster  :  c'est  M.  Sotzmann,  de  Berlin.  Voyez  ce  qu'il  a  écrit 
dans  deux  articles  des  Annales  historiques  {Historisches  Taschenbuck)  de 
Raumer,  1887  et  i84o. 

2  II  s'appelait  Hadrian  de  Jontjhe. 

5. 


68  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

précepteur  de  Junius?  est-ce  Corneille  ou  Cornelis,  que 
s'appelait  l'apprenti  imprimeur  désigné  sous  le  nom  de 
Cornélius  ? 

Quatrièmement,  Junius  dit  que  Laurent  tenait  de  sa 
famille  le  nom  de  Coster,  qui  avait  été  donné  à  celle-ci  à 
cause  du  titre  héréditaire J  de  sacristain  qu'elle  possédait. 
Je  ne  vois  rien  là  que  de  fort  ordinaire  pour  le  temps.  Au 
moyen  âge,  la  plupart  des  fonctions  étaient  héréditaires. 
Dans  les  monastères,  tous  les  emplois  laïques  se  trans- 
mettaient de  père  en  fils  :  le  boulanger,  le  tailleur,  le  cui- 
sinier du  couvent  pouvaient  léguer  et  vendre  leur  office. 
La  plupart  des  noms  actuels  de  famille  ne  sont  pas  autre 
chose  que  des  surnoms  tirés  de  ces  charges  diverses ,  à 
une  époque  qui  n'est  pas  encore  fort  éloignée.  Quelques 
auteurs  ont  conclu  de  ce  nom  de  Coster  que  Laurent 
était  lui-même  sacristain  ;  d'autres  l'ont  nié  :  il  est  cer- 
tain du  moins  qu'il  n'était  pas,  comme  l'a  cru  Meerman, 
sacristain  de  Saint-Bavon,  l'église  principale  deHaarlem, 
mais  il  pourrait  bien  l'avoir  été  d'une  autre  église  de  cette 
ville  ou  du  voisinage.  Junius  ne  dit  pas  où  était  située 
l'église  dont  la  famille  Coster  avait  la  sacristanie.  Cette 
partie  de  son  récit  a,  du  reste,  été  l'objet  de  nombreuses 
discussions  :  les  uns ,  partisans  exclusifs  de  Mayence ,  ont 

1  Voir,  sur  les  mots  hœreditario  jure,  les  observations  de  M.  de  Vries 
[Eclaircissements ,  p.  63),  et  une  brochure  en  hollandais  publiée  par 
\'l.  Schinkel  sous  un  titre  dont  voici  la  traduction  :  Description  du  manus- 
crit (de  Batavia)  conservé  à  la  Bibliothèque  royale  de  la  Haye,  tirée  des  pa- 
piers de  M.  Gérard  van  Lennap  (in- 8°,  la  Haye ,  1 8/i . . .  ). 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  II.  69 

cru  y  voir  la  preuve  que  Laurent  était  de  basse  extrac- 
tion, comme  ils  disent;  d'autres,  au  contraire,  les  parti- 
sans de  Haarlem ,  se  sont  amusés  à  lui  bâtir  des  généalo- 
gies nobiliaires  :  parmi  ceux-ci,  les  uns  le  font  descendre 
d'une  illustre  famille  de  Coster  ,  dont  personne  encore 
n'a  fait  l'histoire ,  et  qui  d'ailleurs  ne  peut  avoir  aucun  rap- 
port avec  la  famille  surnommée  Coster  tout  court  ;  d'autres 
encore ,  à  la  tête  desquels  est  Meerman ,  le  rattachent  à 
la  famille  de  Brederolde ,  issue  des  comtes  de  Hollande  ! 
En  vérité,  je  ne  vois  pas  en  quoi  cela  intéresse  l'histoire 
de  l'imprimerie.  Qu'importe  que  l'inventeur  des  carac- 
tères mobiles  ait  été  vilain  ou  grand  seigneur!  S'il  fallait 
absolument  choisir  entre  les  deux  opinions ,  j'avoue  même 
que  je  préférerais  adopter  celle  des  partisans  de  Mayence , 
car  elle  est  plus  glorieuse  pour  Coster,  en  le  faisant  par- 
tir de  plus  bas;  et  j'ajoute  qu'elle  me  semble  de  beaucoup 
la  plus  probable.  Tout  ce  qu'on  sait  de  Coster  nous  le 
montre  comme  un  bon  bourgeois  de  Haarlem,  et  non 
comme  un  gentilhomme;  son  nom  lui-même,  quoi  qu'on 
dise,  vient  encore  à  l'appui  de  cette  opinion.  On  sait  que 
les  noms  patronymiques,  ou  noms  de  famille,  comme 
nous  les  appelons  aujourd'hui,  ne  sont  pas  fort  anciens 
dans  la  bourgeoisie;  au  xve  siècle  beaucoup  de  familles 
plébéiennes  n'en  avaient  point  encore,  ou  du  moins  n'en 
avaient  pas  de  fixes.  Aussi  Laurent  Coster  n'est-il  habi- 
tuellement nommé  que  Laurent  fils  de  Jean  [Lourens 
Janszoon);  sa  femme,  Catherine,  fille  d'André  [Andries 
dochter)  ;  son  gendre ,  Thomas ,  fils  de  Pierre  (Pieterzoon) , 


70  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

et  l'on  ne  connaît  pas  d'autre  nom  à  ce  dernier:  tout  cela 
ne  dénote  pas  de  la  part  des  uns  ni  des  autres  des  pré- 
tentions nobiliaires  bien  vives. 

Les  Mayençais ,  fiers  de  la  qualité  de  chevalier  qu'avait 
leur  compatriote  Gutenberg,  plaisantent  sur  les  dénomi- 
nations vulgaires  que  je  viens  de  rappeler,  et  qui  prou- 
vent, suivant  eux,  que  Coster  était  un  homme  sans  impor- 
tance ,  auquel  on  ne  peut  sérieusement  attribuer  l'honneur 
d'avoir  inventé  le  premier  les  caractères  mobiles.  Or 
des  découvertes  récentes  m'ont  révélé  qu'on  se  servait 
d'une  dénomination  analogue  et  même  plus  triviale  un 
demi-siècle  plus  tard  dans  la  famille  même  du  célèbre 
Jean  Fust.  On  verra,  en  effet,  plus  loin,  que  le  fils  de 
ce  dernier  est  ordinairement  désigné,  même  dans  les 
actes  officiels  du  temps ,  par  le  surnom  allemand  de  Han- 
nequis,  qui  équivaut  en  français  à  celui  de  Jeannot1  ou 
petit  Jean.  Il  en  est  de  même  de  l'argument  que  les 
Mayençais  tirent  contre  l'honorabilité  de  Coster  de  sa 
prétendue  charge  de  sacristain.  Si  cet  argument,  qui  a 
le  tort  de  supposer  au  xvc  siècle  les  idées  du  xrxe,  était 
fondé ,  il  prouverait  contre  eux-mêmes ,  car  nous  verrons 
plus  loin  que  Fust,  l'associé  de  Gutenberg,  et  l'un  des 
plus  honorables  bourgeois  de  Mayence ,  fut  élu  membre 

1  Le  nom  de  Jeannequin,  identique  à  celui  de  Hannequis,  dont  il  était 
peut-être  la  traduction,  paraît  fréquemment  en  France  au  XVe  siècle, 
comme  j'ai  pu  m'en  convaincre  en  parcourant  les  tables  du  Trésor  des 
chartes,  aux  Archives  générales  de  la  république,  lorsque  je  cherchais 
des  renseignements  pour  ce  travail.  (On  dit  aujourd'hui  Hennequin). 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  II.  71 

du  conseil  de  fabrique  de  sa  paroisse  à  l'époque  de  sa 
plus  grande  célébrité  typographique. 

§  2.  «Se  promenant  un  jour  dans  le  bois  voisin  de  la 
«ville  (comme  ont  coutume  de  faire  les  citoyens  désœu- 
«  vrés  après  le  dîner  et  les  jours  de  fête) ,  Laurent  se  prit 
«  à  façonner  des  écorces  de  hêtre  en  forme  de  lettres , 
«  desquelles ,  en  les  renversant  et  imprimant  successive- 
«  ment  une  à  une  sur  une  feuille  de  papier,  il  obtint,  en 
«s'amusant,  des  versets  [ou  petites  sentences]  destinés 
«à  servir  d'exemple  à  ses  petits -fds,  les  enfants  de  son 
«  gendre.  » 

Il  a  été  constaté l  que  le  bois  dont  parle  ici  Junius ,  et 
qui  a  été  rétabli  depuis ,  avait  été  détruit  en  1/126,  lors- 
que Jacqueline  de  Bavière  assiégea  Haarlem ,  à  l'occasion 
des  troubles  suscités  par  l'ambition  de  son  oncle  :  c'est 
donc  avant  cette  époque  qu'il  faut  placer  la  promenade 
de  Goster.  Or,  comme  ce  dernier,  né  vers  i3yo,  ne 
pouvait  guère  être  grand-père  avant  1/120,  c'est  entre 
ces  deux  dates  (  1 1\  2  o  et  1  k  2 6  )  qu'il  faudrait  placer  la 
première  idée  des  caractères  mobiles,  en  admettant 
comme  positives  les  données  de  l'écrivain  hollandais. 
C'est  ce  qui  a  porté  les  partisans  de  Coster  a  adopter  dé- 
finitivement la  date  de  1 4  2  3  ,  qu'ils  ont  fait  inscrire  quatre 
siècles  après  sur  une  pierre  élevée  dans  le  bois  même  de 
Haarlem  en  l'honneur  de  cet  événement.  Mais  il  est  bon 
de  faire  remarquer  que  la  découverte  de  Coster  n'était 
rien  encore  à  ce  moment,  en  présence  des  difficultés  qu'il 

1  De  Vries,  Éclaircissements,  p.  168. 


72  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

y  avait  à  vaincre  avant  de  pouvoir  obtenir  un  résultat  sé- 
rieux. La  pensée  cle  Coster  était  déjà  venue  à  l'esprit  de 
beaucoup  de  personnes;  car  c'est  une  idée  fort  simple 
que  celle  d'imprimer  isolément  des  lettres  :  les  cachets 
offraient  des  exemples  très-anciens  de  ce  genre  d'impres- 
sion. Cicéron  l'avait  positivement  exprimée  il  y  avait  plus 
de  quinze  cents  ans1.  C'était  l'exécution  qui  était  difficile, 
et  non  pas  la  conception.  Je  ne  crains  pas  de  dire  que ,  si  les 
choses  se  sont  passées  comme  le  rapporte  Junius,  il  n'y 
avait  encore  rien  de  fait;  car  il  est  impossible ,  ainsi  que  je 
crois  l'avoir  démontré,  d'imprimer  avec  de  petits  carac- 
tères de  bois.  Au  reste ,  la  suite  du  récit  de  Junius  prouve 
bien  que  Coster  n'était  pas  arrivé  alors  au  résultat. 

Dans  sa  Notice  sur  Laurent  Coster2,  M.  An  t.  Aug.  Re~ 
nouard  s'exprime  ainsi,  à  propos  des  mots  latins  faginos 
cortices,  qui  figurent  dans  ce  paragraphe  du  récit  de  Ju- 
nius :  «  Si  celui  qui  a  imaginé  cet  invraisemblable  conte 
ou  ceux  qui  le  défendent  avaient  pris  la  peine  d'aller, 
non  pas  même  dans  la  forêt3  de  Haarlem,  mais  seule- 
ment dans  leur  bûcher,  et  d'y  examiner  un  morceau  de 
hêtre,  ils  auraient  vu  qu'il  fallait  construire  autrement 

1  De  nat.  Deor.  lib.  IL 

2  Brochure  in-8°  de  seize  pages;  mai,  i838. 

3  Je  ferai  remarquer  que  cette  forêt  est  une  magnifique  promenade  qui 
touche  aux  murs  de  ia  ville ,  et  qui  peut  être  comparée  avec  avantage  aux 
Champs  Elysées  de  Paris  ou  au  hois  de  Boulogne,  dont  il  réunit  les  deux 
genres  d'agréments.  Plusieurs  villes  de  la  Hollande  possèdent  des  prome- 
nades semblables,  particulièrement  la  Haye,  dont  le  bois  est  très -fré- 
quenté dans  la  belle  saison. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  II.  73 

leur  fable,  et  qu'avec  nul  morceau  d'écorce  de  hêtre, 
même  de  l'arbre  le  plus  gros  et  le  plus  vieux ,  il  ne  se 
pourrait  faire  rien  de  semblable  à  des  caractères  destinés 
à  subir  la  forte  pression ,  le  foulage ,  sans  lesquels  aucune 
empreinte  d'imprimerie,  même  la  plus  imparfaite,  ne 
saurait  être  obtenue.»  Cette  critique  porte  à  faux;  car 
Junius  ne  dit  nulle  part  que  les  caractères  en  écorce  de 
hêtre  aient  servi  à  l'impression;  il  dit,  au  contraire,  que 
Goster,  en  les  appliquant  l'un  après  l'autre  sur  le  papier 
avec  la  main ,  produisit  de  petites  sentences  destinées 
à  l'instruction  des  enfants  de  son  gendre.  Au  reste,  peu 
importe  ce  détail.  Quand  bien  même  il  serait  prouvé  que 
Junius  s'est  trompé  sur  l'essence  du  bois  dont  se  serait 
servi  en  premier  lieu  Coster,  cela  ne  pourrait  infirmer 
les  données  générales  de  la  tradition.  Ce  qui  est  remar- 
quable ,  au  contraire ,  comme  preuve  d'impartialité ,  c'est 
que  Junius,  au  lieu  d'attribuer  aux  recherches  de  Coster 
l'invention  des  caractères  mobiles,  l'attribue  au  hasard. 
Cette  circonstance  enlèverait  à  l'inventeur  une  bonne 
partie  de  son  mérite;  mais  je  n'hésite  pas  à  dire  que  Ju- 
nius est  ici  dans  l'erreur,  et  que  ce  n'est  pas  au  hasard 
qu'on  doit  les  caractères  mobiles.  Je  donnerai  plus  loin 
les  raisons  qui  me  portent  à  penser  ainsi. 

§  3.  «Cela  ayant  heureusement  réussi,  il  se  mit,  en 
«  homme  ingénieux  et  habile  qu'il  était ,  à  méditer  dans 
«  son  esprit  quelque  chose  de  plus  sérieux.  Et  d'abord , 
<(  aidé  de  son  gendre  Thomas  [fds  de]  Pierre ,  lequel  laissa 
u  quatre  enfants  qui  occupèrent  presque  tous  des  charges 


74  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

«  consulaires  (ce  que  je  rapporte  pour  que  tout  le  monde 
«  sache  que  cet  art  a  pris  naissance  dans  une  famille  dis- 
«  tinguée  et  non  de  condition  vile),  il  imagina  une  sorte 
«  d'encre  plus  visqueuse  et  plus  tenace  que  l'encre  or- 
«dinaire,  parce  qu'il  avait  éprouvé  que  celle-ci  s'éten- 
«  dait  trop  ;  et  c'est  par  son  moyen  qu'il  reproduisit  des 
«planches  gravées  avec  figures,  auxquelles  il  ajouta  des 
«caractères.  J'ai  vu  en  ce  genre  un  livret,  premier  et 
«grossier  essai  de  ses  travaux1,  imprimé  par  lui  d'un  côté 
«  seulement,  et  non  sur  le  verso  :  c'était  un  livre  composé 
«  dans  la  langue  du  pays  par  un  auteur  anonyme ,  et  ayant 
«pour  titre  Miroir  de  notre  salut2.  On  remarquait  dans 
«  ce  premier  produit  d'un  art  encore  au  herceau  (car  ja- 
«  mais  un  art  n'arrive  à  la  perfection  au  moment  de  sa 
«découverte)  que  les  pages  opposées  étaient  réunies  dos 
«  à  dos  avec  de  la  colle ,  pour  que  les  côtés  vides  n'appa- 
«  russent  pas  comme  une  difformité.  » 

1  M.  de  Vries  [Éclaircissements,  p.  1 1  )  traduit  adversaria  par  annota- 
tions, qui  n'est  pas  le  mot  propre,  et  operarum  par  ouvriers  [$  opérée,  ma- 
nœuvres). Je  crois  qu'on  doit  voir  plutôt  dans  ce  dernier  mot  le  génitif 
pluriel  d'opéra,  travail  :  c'est  dans  ce  sens  qu'il  est  employé  plusieurs  fois 
dans  le  cours  du  récit.  M.  de  Vries  va  contre  son  propre  système  en  sup- 
posant que  Coster  avait  des  ouvriers  dès  le  début  de  ses  travaux;  il  est 
d'ailleurs  en  contradiction  avec  Junius ,  qui  dit  que  les  ouvriers ,  source  du 
malheur,  ne  vinrent  que  plus  tard. 

2  Voir,  pour  la  ponctuation  de  tout  ce  passage  dans  le  texte  latin ,  ce 
que  dit  M.  de  Vries  [Éclaircissements ,  p.  21,  note  2).  Il  résulte  de  ses 
observations  que  la  phrase  commençant  à  J'ai  vu  et  finissant  à  salut  est  une 
incidence  qui  permet  de  rattacher  le  membre  de  phrase  commençant  par 
On  remarquait  à  celle  qui  se  termine  par  des  caractères. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  II.  75 

Evidemment  Junius  raconte  ici  les  faits  comme  il  croit 
qu'ils  ont  dû  se  passer,  et  non  comme  ils  ont  eu  lieu  en 
effet.  Ainsi ,  il  est  bien  certain  qu'on  faisait  usage  depuis 
longtemps  d'une  encre  qui,  sans  être  très -visqueuse, 
était  moins  coulante  que  l'encre  à  écrire,  avec  laquelle 
Coster  n'aurait  réellement  rien  pu  imprimer  :  cette  encre 
était  la  couleur  à  la  détrempe  qu'employaient  les  cartiers 
et  les  imagiers,  et  qui  devait  parfaitement  suffire  pour 
des  essais  d'impression  de  caractères  de  bois,  comme 
ceux  qu'indique  Junius.  Et  je  ne  doute  pas  que  cette 
encre  ne  fût  connue  de  Coster,  qui  certainement  n'était 
pas  étranger  aux  travaux  de  l'imprimerie  :  c'est  ce  que 
vient  confirmer  pleinement,  au  reste,  le  livre  dont  parle 
ici  Junius,  et  que  j'ai  décrit  au  chapitre  précédent.  En 
effet,  nous  y  trouvons  précisément  des  exemples  d'im- 
pression avec  l'encre  à  la  détrempe  concurremment 
avec  l'encre  d'imprimerie  proprement  dite.  De  plus,  les 
planches  qui  paraissent  dans  ce  livre  prouvent  que  Cos- 
ter était  déjà  imprimeur  avant  d'avoir  réalisé  les  carac- 
tères mobiles,  car  on  ne  peut  admettre  qu'il  ait  gravé 
lui-même  les  images  sans  avoir  été  préparé  à  ce  travail. 
Ce  n'est  pas  à  soixante  ans  qu'il  aurait  débuté  par  un 
coup  de  maître.  D'ailleurs,  si  l'on  veut  attribuer  à  Coster 
les  caractères  mobiles  de  ce  livre ,  il  faut  bien  aussi  lui 
en  attribuer  les  caractères  fixes  :  or  ces  derniers  font 
corps  avec  les  gravures ,  qui  sont  dans  toutes  les  éditions. 
En  supposant  qu'on  pût  contester  cette  conclusion,  je 
ferai  remarquer  crue  l'action  même  d'avoir  gravé  des  lettres 


76  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE 

à  rebours  prouve  que  Coster  était  déjà  initié  aux  détails 
de  la  profession.  Aussi  je  crois  sans  difficulté,  quant  à 
moi,  avec  Daunou1  et  autres,  que  Coster  était  déjà  im- 
primeur en  xylographie. 

Junius  revient  encore  dans  ce  paragraphe  sur  le  rang 
honorable  que  tenait  la  famille  de  Coster  ;  toutefois  il 
ne  dit  rien  qu'on  ne  puisse  accepter.  Il  ne  va  pas ,  comme 
Meerman ,  jusqu'à  en  faire  une  famille  princière  !  Chez 
lui  il  n'est  pas  question  de  noblesse  :  il  ne  parle  que  des 
charges  municipales  remplies  par  les  fils  de  Thomas. 
Pour  peu  qu'on  connaisse  l'histoire  des  villes  de  Flandre, 
ou  même  celles  de  Paris ,  de  Lyon ,  etc. ,  on  ne  sera  pas 
surpris  qu'un  cartier,  qu'un  imprimeur  ait  été  bourg- 
mestre de  Haarlem. 

§  k-  «Plus  tard,  il  employa  pour  ses  caractères  du 
«plomb  au  lieu  de  hêtre;  puis  il  les  fit  en  étain,  pour 
«  que  la  matière  fut  moins  flexible ,  plus  solide  et  plus 
((  durable.  » 

Aucune  des  phrases  de  Junius  n'a  été  aussi  vivement 
critiquée  que  celle-ci.  Comme  cet  auteur  cite  le  Specu- 

1  Daunou,  dont  on  ne  contestera  pas  sans  doute  l'esprit  de  mtique,  dit 
même,  après  avoir  analysé,  dans  son  traité  si  remarquable  sur  l'origine 
de  l'imprimerie ,  les  nombreux  témoignages  écrits  qui  plaident  en  faveur 
de  Coster  :  «  Beaucoup  de  faits  peu  contestés  ne  reposent  pas  sur  des  fon- 
dements plus  solides.  »  [Analyse  des  opinions  diverses  sur  l'origine  de  l'im- 
primerie, p.  1 1 8; et  réimpression  de  Lambinet,  t.  I,  p.  /jo8.)Cet  aveu  d'un 
partisan  de  Gutenberg  est  précieux  à  enregistrer.  Il  est  le  témoignage  d'un 
esprit  équitable,  qui,  en  présence  des  monuments,  n'hésiterait  pas  à  chan- 
ger d'opinion. 


PREMIERE  PARTIE.  —  CHAPITRE  II.  77 

lum  dans  le  paragraphe  précédent,  avant  d'avoir  parlé 
des  caractères  de  métal,  on  a  cru  y  trouver  la  preuve 
qu'il  jugeait  ce  livre  imprimé  en  caractères  mobiles  de 
bois.  Mais  la  ponctuation  du  texte  latin  est  contraire  à 
cette  opinion  ;  elle  montre  que  c'est  par  incidence  seule- 
ment que  Junius  a  parlé  du  Spéculum,  et  pour  citer  un 
des  volumes  à  gravures  de  Coster,  volume  qu'il  avait  pu 
voir.  Cet  auteur  ne  suit  pas  toujours  l'ordre  rigoureux  des 
faits  :  c'est  ainsi  qu'au  milieu  de  son  récit  de  l'invention 
de  l'encre  d'imprimerie  il  nous  parle  des  charges  consu- 
laires qu'ont  remplies,  beaucoup  plus  tard,  les  petits-fils 
de  Coster,  ceux-là  mêmes  pour  l'amusement  et  l'instruc- 
tion desquels  ce  dernier  avait  sculpté  des  lettres  en  bois. 
On  doit  regarder  comme  une  incidence  du  même  genre 
ce  qu'il  dit  du  Spéculum  dans  le  paragraphe  précédent, 
et  le  placer  après  celui-ci.  Au  surplus ,  une  erreur  de  dé- 
tail n'infirmerait  pas  le  fond  du  récit,  s'il  était  démontré 
qu'il  fût  exact.  Or  jusqu'ici  rien  ne  me  paraît  le  rendre 
inadmissible.  En  supposant  que  Junius,  homme  du  monde 
et  non  typographe ,  eût  cru  le  Spéculum  imprimé  en  ca- 
ractères mobiles  de  bois ,  il  n'eût  fait  que  suivre  l'opinion 
la  plus  générale,  de  son  siècle,  opinion  qui  n'est  pas  en- 
core entièrement  déracinée  aujourd'hui.  En  tout  cas,  il 
constate  positivement  ici  que  Coster  a  fait  usage  de  ca- 
ractères de  métal  :  qu'il  les  place  avant  ou  après  le  Spécu- 
lum, peu  nous  importe,  à  nous  qui  avons  la  preuve  que, 
sauf  une  seule ,  dont  une  partie  est  en  planches  fixes , 
toutes  les  éditions  aujourd'hui  connues  de  ce  livre  sont 


78  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

imprimées  en  caractères  mobiles  de  métal  fondu.  Qui 
sait  même  si  Junius  n'a  pas  voulu  parler  d'une  édition 
entièrement  xylographique ,  maintenant  perdue,  et  dont 
il  aurait  cru  les  caractères  mobiles,  par  suite  de  son 
inaptitude  à  juger  les  choses  typographiques? 

§  5 .  a  L'on  voit  encore  des  vases  à  vin  fabriqués  avec 
«  les  débris  de  ces  caractères  dans  la  maison  de  ce  Lau- 
«  rent  dont  j'ai  parlé ,  laquelle  a  vue  sur  la  place ,  et  a  été 
«  habitée  depuis  par  son  arrière-petit-fils,  Gérard  [fils  de] 
«  Thomas,  citoyen  distingué ,  qui  est  mort  il  y  a  peu  d'an- 
nées, déjà  avancé  en  âge,  et  que  je  nomme  pour  lui 
((  rendre  hommage.  » 

Junius  cite  ici  un  fait  contemporain  à  l'appui  de  son 
récit,  c'est  l'existence  dans  la  maison  de  Goster  de  carac- 
tères de  métal  au  milieu  du  xvie  siècle.  Evidemment,  en 
parlant  ainsi  il  n'en  imposait  pas  à  ses  lecteurs  :  un  men- 
songe aurait  été  plus  dangereux  qu'utile,  car  il  n'était 
pas  nécessaire  pour  soutenir  son  récit  et  pouvait  le  com- 
promettre. D'ailleurs,  s'il  eût  tant  fait  que  de  mentir, 
Junius  pouvait  aussi  bien  dire  que  les  caractères  en 
question  existaient  encore  dans  leur  état  primitif.  Mais 
tous  les  habitants  instruits  de  Haarlem  devaient  connaître 
cette  circonstance  curieuse  de  la  confection  de  vases  d'é- 
tain  avec  des  caractères  d'imprimerie.  Le  souvenir  devait 
s'en  être  d'autant  mieux  conservé ,  que ,  sauf  durant  quel- 
ques années  de  la  fin  du  xve  siècle ,  Haarlem  n'a  point  eu 
d'imprimerie  fixe  et  régulière  de  la  nouvelle  école  avant 
1  56 1 ,  époque  où  Coornhert,  conjointement  avec  Jean 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  II.  79 

Van  Zuyren ,  en  établit  une  par  patriotisme ,  comme  il 
nous  l'apprend  dans  la  préface  de  son  édition  des  Offices 
de  Cicéron,  déjà  citée1.  Cette  édition,  en  hollandais,  la 
première  qui  sortit  des  presses  de  Coornhert,  est  dédiée 
aux  magistrats  municipaux  de  Haarlem. 

§  6.  «  Le  goût  du  public  étant  naturellement  favo- 
«  rable  à  l'invention ,  et  la  marchandise ,  jusqu'alors  incon- 
((  nue ,  attirant  de  toutes  parts  les  acheteurs  et  procu- 
«  rant  des  bénéfices  importants ,  l'amour  de  Laurent  pour 
«  son  art  s'en  accrut,  et  aussi  le  besoin  d'étendre  ses  tra- 
«  vaux  :  il  joignit,  à  cet  effet,  aux  membres  de  sa  famille 
«  des  ouvriers  étrangers,  ce  qui  fut  l'origine  du  mal.  » 

Je  n'ai  rien  à  dire  de  ces  considérations ,  sinon  qu'elles 
semblent  prouver  que  Laurent  Coster  travailla  longtemps 
seul ,  ce  qui  confirme  encore  mon  opinion  sur  la  profes- 
sion industrielle  antérieure  de  ce  dernier.  Il  n'est  pas  pré- 
sumable,  en  effet,  qu'un  citoyen  riche  et  dans  une  posi- 
tion élevée,  qui  aurait  vécu  sans  rien  faire  auparavant, 
se  fût  mis  tout  à  coup ,  sur  la  fin  de  ses  jours ,  à  exploiter 
seul  une  industrie  nouvelle.  Tout  démontre ,  au  contraire , 
dans  ses  ijnpressions  une  exploitation  ancienne ,  qui  avait 
besoin  d'un  artiste  de  profession  pour  graver  les  images 
et  les  textes  des  planches  xylographiques.  Comment  d'ail- 
leurs expliquer  le  grand  débit  des  livres  de  Coster  avec 
l'espèce  d'incognito  qu'il  aurait  gardé?  H  fallait  bien  qu'on 
sût  qui  vendait  les  livres  auxquels  le  goût  du  public  était 
si  favorable ,  pour  qu'on  pût  venir  les  acheter.  Les  Hollan- 

1   Voyez  ci-dessus,  p.  58. 


80  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

dais  ont  tort,  à  mon  avis,  de  vouloir  faire  de  Laurent  un 
gentilhomme  qui  s'amuse  à  tromper  sans  profit  le  public  en 
lui  donnant  pour  des  manuscrits  des  livres  imprimés.  Les 
produits  de  la  presse  de  Coster  ne  sont  pas  si  merveil- 
leux, qu'on  ne  doive  leur  préférer  le  travail  du  scribe  à 
prix  égal  :  c'est  différent,  si  nous  faisons  de  Coster  un 
marchand1;  et  comment  ne  pas  en  faire  un  marchand, 
et  un  marchand  connu,  lorsque  nous  voyons  qu'il  im- 
prima plus  de  quatre  éditions  d'un  même  livre? 

§  7.  «Parmi  ces  aides  [qu'employa  Coster]  se  trouvait 
«  un  nommé  Jean ,  soit  qu'il  fût,  comme  je  le  soupçonne , 
«  [Jean]  Faust,  au  surnom  de  mauvais  augure ,  infidèle  et 
«  funeste  à  son  maître ,  soit  que  ce  fût  un  autre  du  même 
«nom,  ce  qui  me  préoccupe  peu,  ne  voulant  point  in- 
«  quiéter  les  mânes  des  morts ,  qui  ont  dû  assez  souffrir, 
«  pendant  leur  vie ,  des  reproches  de  leur  conscience.  » 

Guicciardini2  raconte  que  l'art  a  été  importé  à  Mayence 
par  un  des  ouvriers  du  premier  inventeur,  après  la  mort 
de  ce  dernier  ;  Junius  fait  un  voleur  de  cet  ouvrier,  et 
comme ,  suivant  lui ,  cet  ouvrier  s'appelait  Jean ,  il  donne 
à  entendre  que  ce  pourrait  bien  être  Jean  Fust,  associé 
de  Gutenberg;  puis  il  fait  un  jeu  de  mots  qu'on  ne  peut 
rendre  en  français  sur  le  nom  de  Fust,  qu'il  écrit  à  tort 
Faust3,  en  latin  faustus,  heureux,  de  bon  augure,  et  le 

1   Voyez  de  Vries ,  Arguments,  etc.  p.  xxix  et  i4o-i44. 
3  Voyez  ci-dessus,  p.  5g. 

3  Fust  n'a  jamais  écrit  son  nom  ainsi  :  c'est  bien  gratuitement  qu'on 
met  un  a  dans  ce  mot,  afin  sans  doute  de  justifier  la  monstrueuse  confu- 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IL         81 

mot  înfaustus ,  malheureux,  de  mauvais  augure Il 

n'est  pas  besoin  de  dire  que  je  n'accepte  pas  l'hypothèse 
de  Junius  à  l'égard  de  Fust1. 

§  8.  «Dès  que  ce  Jean,  initié,  sous  la  foi  du  serment, 
«  aux  travaux  typographiques,  se  vit  assez  habile  dans  [la 
«composition  ou]  l'assemblage  des  lettres,  dans  les  pro- 
«  cédés  de  la  fonte  des  caractères  et  dans  toutes  les  autres 
«parties  de  l'art,  [il  résolut  d'en  tirer  parti  pour  lui- 
«même2].  Saisissant  l'occasjon  on  ne  peut  plus  propice 
«  de  la  nuit  de  Noël ,  pendant  laquelle  il  est  d'usage  que 
«  tous  les  fidèles  assistent  au  service  divin ,  il  s'introduit 
«  dans  le  magasin  des  types ,  qu'il  fouille  tout  entier,  fait 
«un  paquet  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  précieux  parmi  les 
«  instruments  inventés  avec  tant  d'art  par  son  maître,  et, 
«chargé  de  son  larcin3,  il  s'enfuit  de  la  maison.  » 

Pour  rendre  ridicule  le  récit  de  Junius,  et  se  dispen- 
ser ensuite  de  le  réfuter,  les  partisans  exclusifs  de  Mayence 

sion  qu'ont  faite  certains  écrivains  superficiels  entre  Fust ,  l'associé  de 
Gutenberg,  et  le  Faust  des  légendaires  et  des  poètes- 

1  Des  écrivains  modernes ,  mieux  instruits  du  rôle  secondaire  qu'a 
joué  Fust  dans  l'invention  de  l'imprimerie ,  et  forcés  de  renoncer  à  l'hypo- 
thèse de  Junius,  vont  jusqu'à  faire  de  l'ouvrier  de  Coster  Gutenberg  lui- 
même  ,  ou  du  moins  un  de  ses  parents ,  appelé  Jean  comme  lui  ! 

2  Ne  pouvant  rendre  en  français  la  concision  du  latin,  je  suis  obligé 
d'ajouter  ici  quelques  mots,  que  je  place  entre  crochets. 

3  Cum  Jure,  dit  Junius.  Cette  expression  a  donné  lieu  à  beaucoup  de 
disputes.  Dans  le  style  de  Junius,  elle  équivaut,  selon  moi,  à  cumfurto. 
C'est  par  une  métonymie  semblable,  empruntée  àTérence,  qu'il  donne  un 
peu  plus  bas  au  mot  scelus  le  sens  de  scélérat.  C'est  donc  à  tort  que  M.  de 
Vries  [Eclaircissements ,  p.  199)  veut  qu'on  traduise:  comme  un  voleur. 

6 


82  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

font  semblant  de  croire  que  cet  auteur  attribue  à  l'ou- 
vrier Jean  l'enlèvement  de  tout  le  matériel  de  l'imprimerie 
de  Coster,  caractères,  presses,  casses,  etc.,  en  une  seule 
nuit.  Junius  ne  dit  rien  de  semblable  :  il  lui  attribue  si 
peu  l'enlèvement  de  tous  les  caractères ,  qu'il  dit  qu'on  en 
a  fait  plus  tard  des  vases  à  vin  ;  il  a  soin  de  spécifier,  au 
contraire,  que  Jean  pénétra,  non  pas  dans  l'atelier  typo- 
graphique, mais  dans  le  magasin  des  types  (choragium), 
et  qu'il  n'y  prit  qu'un  assortiment  d'outils  (instrumentorum 
siipellectilem).  Le  verbe  convasat  vient  confirmer  cette  in- 
terprétation, car  il  démontre  que  le  produit  du  vol  de  Jean 
pouvait  tenir  dans  un  récipient  portatif,  sac ,  panier  ou 
caisse.  Il  n'était  pas  nécessaire,  en  effet,  d'enlever  les  gros 
meubles ,  qu'on  pouvait  faire  exécuter  partout.  Il  suffisait 
à  Jean  d'avoir  pris  les  modèles,  les  types  et  tous  les  menus 
instruments  que  son  maître  avait  successivement  inventés. 

§  9.  «Il  [Jean]  gagna  d'abord  Amsterdam,  ensuite 
«  Cologne ,  et  de  là  se  rendit  à  May  ence ,  comme  en  un  lieu 
«  d'asile  où  il  pût,  hors  de  la  portée  du  trait,  comme  on 
«dit,  demeurer  sûrement,  et  recueillir,  en  ouvrant  un 
«atelier,  le  fruit  de  ses  rapines.  Ce  qu'il  y  a,  de  certain, 
«  c'est  que  ce  fut  un  an  environ  après  le  vol ,  vers  l'année 
«  1 442,  que  parurent,  avec  les  types  mêmes  qu'avait  em- 
<(  ployés  Laurent  de  Haarlem ,  le  Doctrinale  d'Alexandre 
«  Gallus,  grammaire  très-usitée  alors,  et  les  traités  de  Pierre 
«  d'Espagne ,  ouvrages  qui  furent  assurément  les  premiers 
«  produits  de  cet  atelier.  » 

On  a  longtemps  rejeté  comme  une  fable  sans  fonde- 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  II.         83 

ment  cette  partie  du  récit  de  Junius ,  parce  que  les  Hol- 
landais ne  pouvaient  produire  les  ouvrages  dont  il  est 
fait  mention  ici  ;  mais  les  découvertes  modernes  des  bi- 
bliographes sont  venues  donner,  sinon  gain  de  cause ,  au 
moins  droit  de  discussion  aux  partisans  de  Coster.  On  ne 
connaît  pas  encore,  il  est  vrai,  les  traités  de  Pierre  d'Es- 
pagne, dont  parle  Junius;  mais  on  a  retrouvé  de  nom- 
breux fragments  du  Doctrinale  d'Alexandre  Gallus,  ou 
mieux  d'Alexandre  de  Ville-Dieu ,  surnommé  Gallus  sans 
doute  à  cause  de  son  origine  française  (il  était  né  à  Dol 
en  Bretagne),  et  les  caractères  employés  pour  l'impres- 
sion de  ce  livre  ont  une  ressemblance  frappante  avec  ceux 
du  Spéculum,  ainsi  qu'on  peut  s'en  convaincre  en  consi- 
dérant les  rares  feuillets  que  possèdent  différentes  biblio- 
thèques publiques,  et  particulièrement  la  Bibliothèque 
nationale  de  Paris1. 

En  historien  consciencieux,  Junius  croit  devoir  nous 
faire  connaître  ses  autorités  en  terminant  son  récit.  Voyons 
si  elles  offrent  des  garanties  suffisantes  d'exactitude. 

§  10.  «Voilà  ce  qrie  j'ai  appris  autrefois  de  la  bouche 
«  de  vieillards  fort  âgés  et  dignes  de  foi ,  qui  avaient  re- 
«  cueilli  ce  récit  comme  un  flambeau  passé  de  main  en 
«main,  et  il  m'a  été  confirmé  par  d'autres  attestations. 
«  Je  me  souviens  d'avoir  ouï  conter  à  Nicolas  Galius ,  mon 
«précepteur  dans  ma  jeunesse,  homme  d'une  mémoire 
«sûre,  et  respectable  par  son  grand  âge,  que,  dans  son 

1  Catalogue  des  vélins  de  la  Bibliothèque  du  roi  [par  Van  Praet],  t.  IV, 
p.  9,  n"  16  et  17. 

6. 


84  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

«  enfance ,  il  avait  plus  d'une  fois  entendu  un  certain  Cor- 
if  nelius ,  relieur  (  bibliopegum  ) ,  âgé  d'au  moins  quatre- 
«  vingts  ans ,  qui  avait  été  employé  dans  cet  atelier,  rap- 
«  peler  avec  tant  de  chaleur  la  suite  de  ces  événements , 
«  la  naissance ,  la  marche  de  l'invention  telle  que  son 
«  maître  la  lui  avait  racontée ,  et  tout  ce  qui  s'y  rattachait , 
«  que ,  malgré  lui ,  il  fondait  en  larmes  au  souvenir  de 
h  l'action  infâme  [de  Jean],  lorsqu'on  venait  à  parler  de 
«  son  larcin;  quelquefois  ce  vieillard  s'irritait  si  fort  du  vol 
«fait  à  la  gloire  [de  son  maître],  qu'il  disait  qu'il  ferait 
«volontiers  l'office  de  bourreau  (lictoris)  à  l'égard  du  vo- 
«  leur,  s'il  existait  encore ,  et  qu'il  dévouait  à  l'enfer  ven- 
«  geur  sa  tête  sacrilège  ;  il  maudissait  les  nuits  qu'il  avait 
«  passées ,  pendant  quelques  mois ,  dans  le  même  lit  que 
«  ce  scélérat.  Ce  récit  ne  diffère  pas  de  celui  que  le  con- 
«sul  [bourgmestre]  Quirinus  Talesius  m'a  dit  tenir  du 
«  même  relieur  (librarii).  » 

Lambinet  se  moque  avec  une  certaine  verve  de  tout 
le  récit  de  Junius  ;  il  appelle  les  témoignages  invoqués  ici 
par  ce  dernier  des  siècles  parlans  et  ambulans1.  ïl  n'y  a  pour- 
tant rien  là  d'extraordinaire.  Ottley2  a  prouvé,  par  une 
circonstance  à  lui  personnelle,  qu'on  pouvait  avoir  par 
tradition  la  certitude  d'un  fait  datant  de  plus  d'un  siècle. 
Et  en  vérité  l'histoire  ne  pourrait  être  écrite ,  s'il  lui  fallait 
toujours  s'appuyer  sur  des  preuves  matérielles.  Tout  ce 
qu'on  peut  demander  à  la  tradition ,  c'est  qu'elle  ne  soit 

1    Origine  de  l'imprimerie,  t.  I,  p.  267. 
-   An  inquiry ,  etc.  p.  1  84  ,  note. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  IL         85 

pas  contraire  aux  faits  positifs.  Or,  quant  à  moi,  je  ne 
vois  rien  là  de  contradictoire.  Je  ne  me  crois  pas  obligé 
d'accepter  tous  les  petits  détails  dans  lesquels  Junius  est 
entré  ;  mais  lorsqu'il  invoque  à  l'appui  de  son  récit  le 
témoignage  d'un  contemporain  recommandable  comme 
Quirinus  Talesius,  qui  avait  lui-même  entendu  les  do- 
léances de  Cornélius,  je  ne  me  crois  pas  le  droit  de  rejeter 
l'ensemble  du  récit  parce  qu'il  s'y  trouverait  quelques  in- 
exactitudes de  détail.  C'est  cependant  ce  que  font,  avec  un 
dédain  peu  justifié ,  les  partisans  exclusifs  de  Mayence. 

«Lorsque,  dit  Lambinet1,  la  distance  des  lieux  et  des 
siècles  dérobe  à  notre  esprit  et  à  nos  sens  un  fait ,  un 
événement  quelconque ,  quelles  sont  les  voies  que  nous 
devons  quêter  pour  l'atteindre ,  et  obtenir  une  certitude 
morale  de  son  existence?. ..  Il  y  en  a  quatre  :  i°  la  dépo- 
sition de  témoins  oculaires  ou  contemporains;  2°  la  tra- 
dition orale;  3° l'histoire  écrite;  4° les  monuments.  «Après 
ce  début  si  simple ,  Lambinet  entre  dans  de  grands  dé- 
veloppements pour  prouver  que  les  partisans  de  Coster 
ne  peuvent  s'appuyer  sur  aucun  de  ces  éléments  histo- 
riques. Qu'est-ce  donc  que  le  témoignage  de  Cornélius . 
transmis  à  Galius  et  à  Talesius ,  et  par  ceux-ci  à  Junius , 
sinon  la  déposition  d'un  témoin  oculaire?  Qu'est-ce  donc 
que  cette  opinion  commune  à  Haarlem  et  dans  toute 
la  Hollande,  que  nous  ont  fait  connaître  Van  Zuyren , 
Coornhert,  Guicciardini ,  etc.  avant  que  le  livre  de  Ju- 
nius eût  été  publié,  sinon  une  tradition  orale?  Qu'est-ce 
1  Origine  de  l'imprimerie,  t.  I,  p.  267-268. 


86  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

donc  que  le  récit  de  la  Chronique  de  Cologne ,  sinon  de 
l'histoire  écrite  ?  Qu'est-ce  donc  enfin  que  les  diverses 
éditions  du  Spéculum,  sinon  des  monuments? 

Mais  laissons  de  côté  ces  incrédules  systématiques.  Il 
y  a  longtemps  qu'on  l'a  dit  :  «  Il  n'est  pire  sourd  que  celui 
qui  ne  veut  pas  entendre.  »  Et  pourquoi  donc  la  Hol- 
lande n'aurait-elle  pas  trouvé  aussi  bien  que  l'Allemagne 
le  procédé  de  la  mobilité  des  caractères?  Ce  pays,  qui 
ressortissait  alors  féodalement  à  la  France,  n'est- il  pas, 
de  l'aveu  de  tout  le  monde ,  le  premier  qui  ait  fait 
usage  de  la  xylographie?  N'est-il  pas  le  premier  qui  ait 
employé  le  procédé  de  stéréotypage ,  et  cela  cinquante 
ans  avant  qu'aucun  peuple  s'en  fût  occupé1?  Na-t-il  pas 
inventé  un  papier  d'impression  dont  la  beauté  est  deve- 
nue proverbiale?  Et  dans  une  autre  sphère  d'action,  qui 
se  rattache  par  plus  d'un  point  à  celle  qui  nous  occupe , 
n'a-t-il  pas  eu  l'honneur  de  donner  son  nom  à  une  école 
de  peinture ,  grâce  au  nombre  considérable  d'artistes  ori- 
ginaux qu'il  a  produits2?  Et  qu'on  n'objecte  pas  cette  fin 
de  non-recevoir  que  Coster  n'a  mis  son  nom  à  aucun 

1  Voyez  un  curieux  livre  publié  à  la  Haye  (in-8°,  i833) ,  en  hollandais 
et  en  français,  sous  ce  titre  :  «  Rapport  sur  les  recherches  relatives  à  l'inven- 
tion première  et  à  l'usage  le  plus  ancien  de  l'imprimerie  stéréotype,  fait, 
à  la  demande  du  gouvernement  (des  Pays-Bas) ,  par  le  baron  de  Westree- 
nen  de  Tiellandt.  »  L'auteur  y  démontre  que  c'est  Jean  Miller  et  son  fils 
Guillaume  qui  ont  les  premiers  stéréotypé  vers  la  fin  du  xvne  siècle. 

2  Fournier,  qui  certes  est  loin  d'être  favorable  à  Haarlem,  ne  peut 
s'empêcher  de  lui  attribuer  un  grand  rôle  dans  l'histoire  de  la  peinture  : 
«  Les  premiers  peintres  que  l'histoire  nous  fasse  connoître,  dit-il,  soit  Al- 

emands,  soit  Flamands  ou  Hollandais,  sont  de  Haarlem.  Albert  Van  Ou- 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  II.  87 

livre,  car  on  pourrait  la  rétorquer  contre  Gutenberg  lui- 
même  ,  dont  le  nom  ne  se  trouve  sur  aucun  volume , 
quoiqu'on  ne  puisse  contester  qu'il  n'en  ait  imprimé  :  ce 
n'était  pas  alors  l'usage  des  scribes  de  se  nommer  sur  leurs 
œuvres,  et  d'ailleurs  les  produits  de  la  presse  de  Goster 
étaient  trop  imparfaits  pour  qu'il  en  pût  tirer  vanité.  Si 
l'on  avait  su  que  ces  livres  grossiers  étaient  le  résultat 
d'un  moyen  mécanique ,  le  public ,  qui  les  recherchait  avec 
empressement  à  cause  de  leur  bas  prix ,  les  aurait  peut- 
être  rejetés  comme  une  œuvre  vile,  inspiré  par  le  sen- 
timent de  dédain  qu'on  éprouve  instinctivement  pour  les 
travaux  purement  matériels. 

Voici  ce  qui  ressort,  suivant  moi,  du  récit  de  Junius 
combiné  avec  l'étude  des  monuments  : 

Laurent  Coster,  né  vers  1  3 70,  d'une  famille  bourgeoise 

watter,  né  en  cette  ville,  est  un  des  premiers  qui  aient  peint  à  l'huile  après 
Van  Eych,  vers  i4oo.  Guérard  de  Haarlem,  ainsi  nommé  parce  qu'il  étoit 
de  cette  ville ,  fut  son  élève.  Le  célèbre  Albert  Durer,  peintre  et  graveur 
sur  bois ,  charmé  des  ouvrages  de  ce  Guérard ,  fit  le  voyage  de  Haarlem 
exprès  pour  les  voir.  Dirk,  autre  peintre  de  cette  ville,  étoit  connu  vers 
i44o.  Jean  Mandyn  et  Volkaert,  encore  de  la  même  ville,  travailloient 
vers  i45o.  On  ne  doit  donc  pas  être  surpris  de  trouver  à  Haarlem  d'an- 
ciens monuments  de  la  gravure  en  bois ,  qui  étoient  certainement  les  ou- 
vrages de  quelques-uns  de  ces  artistes  antérieurs  à  Coster  et  à  l'invention 
de  l'imprimerie.  Ce  qui  peut  servir  encore  à  fixer  cette  opération  dans 
cette  ville,  c'est  que,  dans  Y  Histoire  de  saint  Jean  en  figures  [un  des  plus 
anciens  ouvrages  xylographiques  à  gravures],  on  aperçoit  ce  saint  dans 
un  vaisseau  qui  est  supposé  le  transporter  dans  l'île  de  Patmos,  et  dont  la 
figure  est  semblable  à  celui  que  l'on  voyoit  aux  anciennes  armes  de  Haar- 
lem, avant  qu'on  y  eût  substitué  la  couronne  impériale,  dont  cette  ville 
fut  honorée  par  Maximilien  Ier.  »  [De  l'origine  de  l'imprimerie,  p.  i4i.) 


88  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

de  Haarlem ,  qui  devait  son  nom  à  une  charge  de  sacris- 
tain, qu'elle  possédait  héréditairement,  se  consacra,  au 
commencement  du  xve  siècle,  à  la  profession  d'impri- 
meur en  xylographie.  Après  quelques  années  de  pratique , 
il  fut  frappé  de  l'imperfection  du  procédé  en  usage ,  sur- 
tout en  ce  qui  concernait  l'impression  des  textes  des  livres , 
et  songea  au  moyen  d'économiser  les  frais  de  gravure  de 
ses  caractères.  Il  grava  un  jour  sur  hois  des  lettres  isolées , 
à  l'aide  desquelles  il  put  imprimer  avec  la  main  quelques 
sentences  morales.  Ce  premier  résultat  lui  donna  l'idée 
de  remplacer  ses  planches  fixes  par  des  caractères  mobiles 
en  bois  ;  mais  il  fut  bientôt  forcé  de  renoncer  à  ce 
moyen ,  n'ayant  pu  réussir  à  imprimer  des  pages  entières 
de  la  sorte.  Après  de  longs  tâtonnements,  il  eut  la  pen- 
sée de  fondre  des  caractères  en  métal  dans  le  sable.  Ce 
mode  d'opérer  ayant  réussi  à  son  gré ,  il  songea  à  tirer 
le  parti  le  plus  avantageux  de  son  invention.  Il  n'avait 
jusque-là  imprimé  qu'au  frotton  :  il  imagina  de  lui  subs- 
tituer la  presse,  déjà  en  usage  dans  plusieurs  autres  pro- 
fessions ;  mais  pour  cela  il  avait  besoin  d'une  autre  encre 
que  la  couleur  à  la  détrempe  employée  par  les  ima- 
giers ses  confrères.  Il  parvint  avec  beaucoup  de  peine  à 
fabriquer  une  encre  oléagineuse  qui  était  mieux  appro- 
priée à  son  nouveau  procédé  d'impression.  Coster  fit  usage 
de  ses  inventions  dans  le  Spéculum ,  qu'il  imprimait  alors 
à  l'aide  de  planches  xylographiques.  Il  arrêta  la  gravure 
des  textes  au  point  où  elle  en  était,  et  exécuta  ces  derniers 
en  caractères  mobiles  :  c'est  ce  qui  explique  la  répartition 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  11.^       89 

singulière  des  pages  en  caractères  fixes  et  en  caractères 
mobiles  dans  l'édition  A,  que  je  regarde  comme  la  pre- 
mière de  ce  livre. 

Quand  eut  lieu  cette  opération  ?  C'est  ce  qu'il  est  dif- 
ficile de  dire  d'une  manière  précise  ;  mais  si  l'on  songe , 
d'une  part,  que  la  promenade  de  Coster  doit  être  anté- 
rieure à  1 A26,  et  que,  d'autre  part,  il  a  donné  avant  sa 
mort,  arrivée  vers  i/i4o,  au  moins  quatre  éditions  du 
Spéculum,  on  peut  facilement  faire  remonter  la  première 
à  iA3o  ,  chacune  d'elles  réclamant  un  certain  intervalle 
pour  son  écoulement. 

Dans  les  éditions  suivantes ,  Coster  remplaça  complè- 
tement les  textes  xylographiques  par  des  caractères  typo- 
graphiques; mais  il  continua  toujours  à  imprimer  les 
gravures  à  l'aide  du  frotton,  n'osant  pas,  sans  doute,  les 
soumettre  à  l'effort  de  la  presse  ni  au  lavage  que  l'emploi 
de  l'encre  oléagineuse  aurait  réclamé.  De  là  la  nécessité 
d'imprimer  le  livre  en  blanc ,  c'est-à-dire  sur  un  seul  côté 
du  papier. 

Ce  résultat  obtenu,  Coster  se  mit  à  imprimer  de  pe- 
tits livrets  d'un  usage  commun,  et  particulièrement  le 
Donat,  espèce  de  grammaire  latine  dont  les  enfants  fai- 
saient dans  les  écoles  une  grande  consommation ,  et  qui 
avait  jusqu'alors  été  exécutée  à  la  main.  Ces  livres  n'ayant 
pas  de  gravures ,  il  était  facile  de  les  imprimer  en  retira- 
tion,  c'est-à-dire  sur  les  deux  côtés  de  la  feuille,  et  de 
faire  ainsi  une  concurrence  avantageuse  aux  scribes.  On 
connaît  plusieurs  éditions  du  Donat  qui  paraissent  sortir 


90  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

de  l'atelier  de  Coster,  s'il  est  permis  d'en  juger  par  la 
forme  des  caractères  et  le  mode  d'impression1.  Il  en  est 
un  surtout  qui  vient  confirmer  la  tradition  hollandaise , 
c'est  celui  dont  Meerman  a  trouvé  un  feuillet  dans  la  cou- 
verture d'an  livre  de  compte  de  l'église  de  Haarlem  daté 
de  îhyk;  feuillet  sur  lequel  on  lit  une  inscription  ma- 
nuscrite en  hollandais  dont  voici  la  traduction  :  «  Item , 
j'ai  donné  à  Cornélius  le  relieur  six  florins  à  la  rose,  à 
compte  de  la  reliure  des  livres2.  »  Il  est  assez  curieux 
qu'on  retrouve  là  le  nom  du  relieur  dont  parle  Junius, 
et  que  les  détracteurs  du  système  hollandais  regardent 
comme  un  mythe. 

Parmi  les  autres  ouvrages  du  même  genre  qu'on  attri- 
bue à  Coster,  nous  citerons  un  opuscule  de  quatre  feuillets 
in-quarto,  connu  sous  le  titre  de  Catonis  disticha,  dont  la 
bibliothèque  de  lord  Spencer  possède  un  exemplaire, 
et  où  l'on  retrouve  la  lettre  n  avec  l'accident  signalé  pré- 
cédemment dans  la  description  du  Spéculum.  Mais  le  plus 
célèbre  de  tous  les  livres  attribués  à  Coster,  après  ce  der- 
nier toutefois,  c'est  le  fameux  Horarium,  dont  MM.  En- 
scheclé ,  imprimeurs  à  Haarlem ,  possèdent  encore  les  huit 

1  Meerman  en  mentionne  particulièrement  trois,  dont  il  donne  des 
fac-similé.  [Oruj.  tjpogr.  t.  II,  pi.  III,  IV,  VI*.)  La  Bibliothèque  nationale 

possède  de  nombreux  fragments  de  ces  livres.  (Voyez  Van  Praet,  Catalogue 
des  vélins  de  la  Bibliothèque  du  roi,  Belles-lettres,  n°s  4  à  17,  et  les  sup- 
pléments.) 

2  Voyez-en  le  fac-similé  dans  Meerman,  Oriy.  typour.  t.  II,  tabl.  VI*. 
La  Bibliothèque,  nationale  a  cinq  feuillets  de  cette  édition.  (Voyez  Van 
Praet,  Catal.  etc.  Belles-lettres,  u°  10.) 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  II.         91 

seules  pages  existantes.  Elles  ont  été  trouvées  par  leur 
aïeul ,  au  milieu  du  xvme  siècle ,  dans  la  couverture  d'un 
livre  de  prières  en  hollandais  provenant  d'une  ancienne 
famille  du  pays.  C'est  une  espèce  d'in-seize ,  tiré  sur  vé- 
lin. Meerman  considère  ce  livre,  dont  il  a  donné  un  fac- 
similé  assez  exact ,  comme  le  premier  essai  typographique 
de  Laurent.  Je  ne  partage  nullement  son  opinion.  Ce 
n'est  pas  dès  le  début  de  l'art  qu'on  a  résolu  la  difficulté 
des  impositions.  Nous  pouvons  être  certains  que  le  premier 
format  usité  par  l'imprimerie  a  été  l'in-folio.  Ce  n'est 
que  successivement  qu'on  a  pu  descendre  à  l'in-quarto ,  à 
l'in-octavo,  puis  enfin  à  l'in-seize1,  qui  semble  être  le  for- 
mat du  livre  en  question ,  imprimé  d'ailleurs  sur  vélin  et 
des  deux  côtés.  L'imperfection  qu'on  a  cru  remarquer 
dans  les  caractères  provient  uniquement,  je  pense,  des 
vicissitudes  qu'a  éprouvées  ce  fragment  de  parchemin. 

Suivant  les  recherches  nouvelles  de  M.  de  Vries2,  Coster 
serait  mort  en  1 4  3  9.  Cela  s'accorde  parfaitement  avec  ce 
qu'écrivait  Junius  vers  1  568  :  «Il  y  a  cent  vingt-huit  ans 
demeurait  à  Haarlem,  »  etc.  Demeurait  équivaut  ici  à 
vivait,  et  nous  apprend  par  conséquent  l'époque  vers 
laquelle  Coster  cessa  de  vivre.  Peut-être  pourrait-on  lui 
appliquer  les  détails  suivants,  consignés  dans  un  travail 
de  l'abbé  des  Roches  sur  l'origine  de  l'imprimerie3,  et  dans 

L'in-douze,  plus  compliqué  encore,  n'a  dû  venir  que  fort  fard,  aussi 
bien  que  l'in-dix-huit,  etc. 

2  Eclaircissements,]).  i  17  et  suiv. 

3  Mémoires  de  l'académie  de  Bruxelles,  I.  1 .  p.  536  et  54o. 


92  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

lequel  ce  savant  s'est  vainement  efforcé,  au  siècle  dernier, 
de  revendiquer  pour  Anvers  l'honneur  de  l'invention  de 
l'art  typographique  : 

«  Je  suis  possesseur  d'un  manuscrit  du  xive  siècle , 
contenant  des  vies  des  saints  et  une  chronique  assez  cu- 
rieuse. A  la  fin  du  volume  se  trouve  un  petit  catalogue  de  la 
bibliothèque  du  monastère  de  Wiblingen  (Souabe),  dont 
l'écriture,  singulièrement  abrégée,  me  paraît  du  siècle 
suivant.  Parmi  les  titres  de  livres  on  lit  : 

«Item,  Dominicalia  in  parvo  libro  stampato  in  papyro, 
non  scripto.  » 

«  Et  à  la  fin  du  manuscrit  : 

a  Anno  Domini  Î3â0  vicjuit  qui  fecit  stampare  Do- 
natos.  » 

Il  faut  évidemment  lire  ici  i  kko  au  lieu  de  1  3/io  qu'a 
écrit  des  Roches,  puisqu'il  nous  apprend  lui-même  que 
son  catalogue  était  du  xve  siècle ,  ce  que  prouve  au  reste 
suffisamment  l'emploi  des  chiffres  arabes.  Si  le  livre  por- 
tait réellement  1  3  k  o ,  c'était  une  erreur  comme  celles  qu'on 
rencontre  fréquemment  dans  les  anciens  aussi  bien  que 
dans  les  nouveaux  manuscrits ,  voire  même  dans  les  impri- 
més :  les  ouvrages  exécutés  au  frotton  ne  remontent  pas  si 
haut,  et  encore  moins  ceux  exécutés  à  la  presse,  comme  de- 
vait l'être  le  Dominicalia  dont  il  est  ici  question ,  puisqu'on 
le  qualifie  de  stampato.  En  effet,  ce  mot,  que  nous  avons 
vu  déjà,  quoique  sous  une  forme  un  peu  différente,  dans 
le  décret  du  sénat  de  Venise  de  1  t\k  1 ,  implique  néces- 
sairement l'idée  d'une  pression  :  or  l'emploi  de  la  presse 


PREMIÈRE  PARTIE. —  CHAPITRE  II.         93 

dans  la  confection  des  livres  n'est  pas  antérieurauxv6  siècle, 
et  n'est  pas  même  des  premières  années  de  ce  siècle,  comme 
nous  l'avons  vu.  Ce  n'est  guère  que  vers  1  /|.3o  qu'elle  a  pu 
être  employée  pour  la  première  fois  par  Coster1. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Coster  mourut,  comme  nous  l'a- 
vons vu,  vers  îd/io.  Un  de  ses  ouvriers  profita,  dit-on, 
du  désordre  inséparable  d'un  pareil  événement  pour  vo- 
ler ses  maîtres ,  et  aller  s'établir  ailleurs.  Ce  vol  ne  me 
semble  pas  parfaitement  démontré  ;  mais  il  est  sans  im- 
portance dans  la  question.  Du  moment  qu'on  admet  que 

1  M.  de  Laborde  paraît  croire  qu'on  imprimait  déjà  des  gravures  à  la 
presse  en  1  k  2  3.  Voici  en  effet  ce  qu'il  dit  dans  son  travail  sur  le  saint  Chris- 
tophe publié  dans  l'Artiste,  2e  série,  t.  IV,  huitième  livraison  (20  octobre 
1 83g) ,  p.  120,  note  2  :  «  Tous  les  auteurs  ont  remarqué  avec  étonnement 
qu'une  impression  de  1 42  3  fut  exécutée  à  la  presse ,  et  avec  un  noir  qui  ne 
le  cède  en  rien  à  celui  qu'on  employa  trente  années  plus  tard  à  Mayence.  » 
L'impression  à  la  presse  de  l'exemplaire  du  saint  Christophe  daté  de  1 A  23 
ne  prouve  pas  qu'on  l'imprima  par  ce  procédé  en  1^23.  Il  est  très-pro- 
bable, au  contraire,  que  l'impression  de  cette  gravure  se  Gt  lontemps  au 
frotton,  comme  l'a  été  celle  de  i4i8,  que  possède  la  Bibliothèque  royale 
de  Bruxelles,  et  que  ce  ne  fut  que  plus  tard  qu'on  la  soumit  à  la  presse. 
C'est  ainsi  que  nous  voyons  les  gravures  du  Spéculum,  imprimées  au  frot- 
ton dans  les  premières  éditions  de  ce  livre,  tiréesensuile  à  la  presse  dans  l'é- 
dition de  i483.  Evidemment  si  l'on  eût  opéré  l'impression  des  gravures  à 
la  presse  dès  1^23,  l'éditeur  du  Spéculum  ne  se  serait  pas  donné  la  peine 
d'imprimer  les  siennes  au  frotton ,  au  prix  de  mille  difficultés.  H  est  cer- 
tain que  longtemps  encore  après  que  la  presse  eut  été  inventée  on  hésita 
à  s'en  servir  pour  l'impression  des  gravures,  dans  la  crainte  que  le  lavage 
forcé  auquel  il  aurait  fallu  les  soumettre  après  les  avoir  enduites  d'encre 
d'imprimerie,  ne  les  altérât.  Cette  crainte  n'était  pas  sans  fondement,  at- 
tendu que  presque  toutes  les  gravures  étaient  alors  sur  bois  de  poirier, 
bien  plus  sensible  que  le  bois  qu'on  emploie  aujourd'hui ,  et  qui  cepen- 
dant se  cambre  souvent  après  un  certain  nombre  de  tirages. 


94  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

l'ouvrier  Jean  avait  été  initié  à  tous  les  travaux  de  l'inven- 
tion nouvelle,  il  n'était  pas  nécessaire  qu'il  se  fît  voleur 
pour  monter  un  établissement  à  son  compte  :  il  lui  suffi- 
sait de  mettre  en  pratique  l'art  qu'il  avait  appris  de  Cos- 
ter,  et  dont  ce  dernier  ne  pouvait  sans  doute  pas  espérer 
de  garder  toujours  le  secret,  puisqu'il  employait  des  mer- 
cenaires. Quelques  auteurs  attribuent ,  il  est  vrai ,  à  ce  vol 
de  Jean  la  cessation  des  travaux  de  l'atelier  de  Haarlem; 
mais  le  chômage  de  cet  atelier  pourrait  s'expliquer  natu- 
rellement par  l'absence  de  Coster  et  de  Jean ,  qui  en  étaient 
l'âme,  et  par  le  peu  d'aptitude  des  héritiers  du  premier. 
Il  se  pourrait  d'ailleurs  que  ces  derniers  n'aient  pas  voulu 
continuer  l'industrie  paternelle  comme  étant  au-dessous 
du  rang  et  de  la  fortune  qu'elle  leur  avait  procurés.  Le  seul 
vol  dont  Coster  me  semble  avoir  éprouvé  le  préjudice,  c'est 
le  vol  de  sa  gloire,  suivant  l'expression  que  Junius  prête  à 
Cornélius  ;  mais  ici  il  était  puni  par  où  il  avait  péché.  Pour 
Coster,  l'imprimerie  ne  fut  qu'un  moyen  de  gagner  de 
l'argent  :  il  ne  paraît  pas  même  avoir  entrevu  sa  portée 
sociale.  Il  garda  si  soigneusement  son  secret,  que  nul 
autre  que  ses  ouvriers  ne  le  connut  de  son  vivant  :  il  ne 
pourrait  pas  se  plaindre  que  ces  derniers  l'eussent  divul- 
gué ,  et  en  le  divulguant  en  eussent  eu  le  mérite  ;  mais  ce 
fait  même  n'eut  pas  lieu.  Comme  Coster,  ses  élèves  gar- 
dèrent un  si  impénétrable  secret  sur  leur  travail,  qu'on 
ne  sait  encore  rien  de  positif  sur  leur  existence.  C'est  à 
l'école  de  Mayence  et  non  à  celle  Haarlem  que  l'huma- 
nité doit  la  révélation  de  l'art  typographique. 


PREMIÈRE  PARTIE. —CHAPITRE  II.  95 

En  réalité ,  on  ignore  si  les  héritiers  de  Coster  ont  conti- 
nué ou  non  l'imprimerie.  Junius  n'en  dit  rien.  Meerman 
leur  attribue  cependant  quelques  ouvrages,  et  entre  autres 
l'édition  en  partie  xylographique  du  Spéculum.  Suivant 
lui,  ne  sachant  comment  remplacer  les  caractères  que  l'ou- 
vrier Jean  avait  emportés ,  ils  firent  graver  des  planches 
de  bois  pour  achever  une  édition  en  cours  d'exécution. 
Cette  explication  n'est  pas  admissible.  Il  aurait  été  beau- 
coup plus  prompt  et  moins  coûteux  de  faire  fondre  de 
nouveaux  caractères.  On  ne  s'expliquerait  pas  d'ailleurs 
pourquoi  les  pages  xylographiques  ne  sont  pas  toutes  à 
la  fin  du  livre,  car  il  est  bien  évident  que  l'imprimeur, 
quel  qu'il  soit,  qui  a  exécuté  les  Spéculum,  n'avait  pas 
fondu  des  caractères  en  assez  grande  quantité  pour  pou- 
voir composer  et  imprimer  à  la  fois  toutes  les  feuilles  de 
ce  livre  :  c'aurait  été  rendre  nul  l'avantage  de  la  typo- 
graphie. II  aurait  indubitablement  commencé  par  tirer 
les  premières  feuilles,  et  les  héritiers  n'auraient  eu  qu'à 
imprimer  les  dernières.  On  comprend ,  au  contraire ,  par- 
faitement qu'une  édition  xylographique  ait  pu  être  com- 
mencée indifféremment  sur  toutes  les  parties,  puisque 
toutes  les  pages  devaient  être  établies  à  la  fois.  C'est  là,  sui- 
vant moi ,  ce  qui  explique  l'étrange  répartition  des  pages 
typographiques  clans  l'édition  A  :  on  a  achevé  en  caractères 
mobiles  toutes  les  feuilles  qui  restaient  à  tirer  de  l'édition 
xylographique.  Il  y  a  au  reste  une  autre  circonstance  qui 
condamne  formellement  l'opinion  de  Meerman,  c'est  que 
les  textes  xylographiques  font  pour  ainsi  dire  corps  avec 


96  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

les  gravures ,  et  ont  été  imprimés  par  le  même  procédé , 
le  frotton.  Les  héritiers  de  Coster  auraient  donc  renoncé 
tout  à  coup  à  se  servir  de  tous  les  instruments  que  ce 
dernier  avait  inventés,  et  particulièrement  de  la  presse, 
que  le  prétendu  voleur  n'avait  pu  emporter? 

Ottley,  au  contraire ,  attribue  aux  héritiers  de  Coster 
l'édition  C ,  parce  qu'il  suppose  que  les  deux  pages  en  ca- 
ractère différent  que  renferme  cette  édition  ont  été  exé- 
cutées avec  des  caractères  fondus  pour  remplacer  ceux 
soustraits  par  l'ouvrier  Jean.  Rien  n'empêche  de  croire 
que  Coster  lui-même  ait  commencé  l'essai  d'un  nouveau 
type.  Par  le  procédé  de  fonte  que  j'ai  indiqué,  il  n'en 
coûtait  presque  rien  de  changer  la  forme  des  lettres, 
lorsqu'on  renouvelait  le  caractère. 

Quant  à  moi,  je  pense  que,  si  les  héritiers  de  Coster 
ont  réellement  imprimé  une  édition  du  Spéculum,  c'est 
l'édition  D  qui  leur  appartient,  attendu  que  c'est  la  plus 
défectueuse  de  toutes ,  et  qu'on  ne  peut  pas  cependant  en 
attribuer  l'imperfection  au  manque  d'instruments  (comme 
cela  devrait  être  si  c'était  la  première),  puisqu'elle  est 
imprimée  tout  entière  (sauf  les  gravures)  à  la  presse  et 
en  caractères  mobiles  d'une  nouvelle  forme.  Cette  édi- 
tion me  paraît  être  évidemment  le  premier  essai  d'un 
nouvel  imprimeur  encore  inexpérimenté. 

Mais  est-ce  bien  un  des  héritiers  de  Coster  qui  l'a  exé- 
cutée? Je  n'ose  me  prononcer  à  cet  égard.  Je  suis  même 
tenté  de  croire  que  l'imprimeur  de  ce  livre  est  un  des 
ouvriers  de  Coster,  auquel  les  héritiers  de  ce  dernier  au- 


PREMIÈRE  PARTIE —CHAPITRE  II.  97 

raient  cédé ,  n'importe  à  quel  titre ,  la  plupart  de  ses  ins- 
truments, devenus  inutiles  en  leurs  mains.  Je  ne  puis  ad- 
mettre que  les  divers  aides  dont  parle  le  récit  de  Junius, 
et  qui  devaient  exister,  en  effet,  dans  l'imprimerie  de 
Coster,  si  l'on  en  juge  par  le  nombre  des  éditions  qu'il  a 
mises  au  jour,  aient  tous  renoncé,  après  la  mort  de  leur 
maître,  à  l'art  qu'ils  avaient  appris.  Je  crois  même  avoir 
la  preuve  qu'un  d'entre  eux,  au  moins,  continua  à  pra- 
tiquer pendant  quelque  temps  l'imprimerie  dans  le  pays 
ou  dans  les  environs,  sans  parler  de  celui  qui  était  allé 
s'établir  à  Mayence,  non  plus  que  de  Cornélius,  qui 
s'était  fait  relieur  de  livres  à  Haarlem,  ne  se  jugeant  pas 
sans  doute  assez  savant  dans  l'art  typographique  pour 
l'exercer  lui-même. 

Le  témoignage  dont  je  veux  parler  se  trouve  dans  les 
Mémoriaux  de  Jean  Le  Robert,  abbé  de  Saint-Aubert  de 
Cambrai,  précieux  manuscrit  original,  conservé  aujour- 
d'hui dans  les  archives  du  département  du  Nord .  à  Lille , 
où  je  l'ai  vu  et  étudié  de  mes  propres  yeux. 

Voici  ce  qu'on  lit,  entre  autres  choses,  dans  deux  en- 
droits différents  de  cette  espèce  de  journal  quotidien  des 
faits  relatifs  au  monastère  et  à  son  abbé  : 

Item  pour  .1.  doctrinal  gette  en  molle  anvoiet  querre  a  Brug. 
par  Marq.  .1.  escripvain  de  Vallen,  ou  mois  de  jenvier  xlv  pour 
Jaq.  xx  s.  t.  Sen  heull  Sandrins  .1.  pareil  q.  leglise  paiia \ 

Item  envoiet  Arras.i. doctrinal  pour  apprendre  ledit  d.  Girard 
qui  fu  accatez  a  Vallen.  et  estoit  jettez  en  molle  et  cousta  xxim.  gr. 

1  Fol.  1 58  recto. 


98  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Se  me  renvoia  led.  doctrinal  le  jour  deTouss.  lan  .li.  disans  quil 
ne  falloit  rien  et  estoit  tout  faulx.  Sen  avoit  accate  .1.  xx  patt.  en 
papier l. 

On  trouvera  le  texte  original  de  ces  deux  passages  dans 
les  fac-similé  de  pièces,  n03  1  et  2.  Voici  maintenant  la 
restitution  qu'a  bien  voulu  m'en  donner  M.  Leglay,  archi- 
viste en  chef  du  département  du  Nord.  Cette  restitution 
est  d'autant  plus  nécessaire,  qu'il  y  a  dans  ce  document 
des  idiotismes  dont  tout  le  monde  ne  comprendrait  pas 
le  vrai  sens. 

«  Item ,  pour  un  Doctrinal  imprimé ,  que  j'ai  envoyé 
chercher  à  Bruges  par  Marquet  (ou  Marquart),  qui  est 
un  écrivain  de  Valenciennes,  au  mois  de  janvier  i/t/i5  , 
pour  Jacquet,  vingt  sous  tournois.  Le  petit  Alexandre 
en  eut  un  pareil  que  l'église  paya. 

«  Item ,  envoyé  à  Arras  un  Doctrinal  pour  l'instruction 
de  dom  Gérard ,  lequel  fut  acheté  à  Valenciennes ,  et  était 
imprimé,  et  coûta  vingt-quatre  gros.  Il  me  renvoya  ledit 
Doctrinal  le  jour  de  la  Toussaint  iA5i,  disant  qu'il  ne 
valait  rien,  et  était  tout  fautif,  il  en  avait  acheté  un  autre 
dix  patards 2  en  papier.  » 

Ainsi  voilà  qui  est  positif:  on  vendait  dans  les  Flandres , 
en  i/iZi5,  c'est-à-dire  avant  que  l'école  mayençaise  eût 
encore  rien  produit ,  des  livrets  imprimés  sur  vélin  et 

1  Fol.  161  recto. 

2  Ancienne  monnaie  de  Flandre  et  de  Brabant  qui  équivalait  au  sou 
de  France.  L'emploi  de  ce  mot  était  encore  fréquent,  il  y  a  quelques  an- 
nées ,  dans  ces  deux  provinces  belges. 


PREMIERE  PARTIE— CHAPITRE  II.  99 

sur  papier,  avec  des  caractères  moulés,  c'est-à-dire  coulés 
dans  un  moule  :  or  qui  pouvait  donc  avoir  imprimé  ces  , 
livres,  sinon  un  des  ouvriers  de  Coster? 

Van  Praet ,  qui  cite  les  Mémoriaux  de  Jean  Le  Robert 
dans  son  Catalogue  des  vélins1,  prétend  que  le  Doctrinal 
de  iA45  une  pouvait  être  imprimé  qu'en  planches  de 
bois  et  non  en  lettres  mobiles.  »  Mais  c'est  une  opinion 
erronée,  basée  sur  la  tradition  mayençaise,  qui  retarde 
l'invention  des  caractères  mobiles  jusqu'en  1  /i5o.  On  ne 
pourrait  pas  citer  un  seul  exemple  de  cette  expression 
de  lettres  moulées  appliquée  aux  ouvrages  xylographiques, 
qui  sont  bien  antérieurs  cependant  à  la  typographie ,  tan- 
dis qu'on  la  voit  employée  constamment  pour  désigner 
les  caractères  mobiles  de  fonte.  Ainsi  nous  trouvons  Xes- 
criture  en  molle  dans  les  lettres  de  naturalisation  accor- 
dées par  le  roi  Louis  XI  aux  premiers  imprimeurs  de 
Paris,  en  février  \lx7k  (ancien  style),  et  dont  l'original 
est  conservé  aux  Archives  de  la  république2;  en  1/196, 
le  duc  d'Orléans  fait  acheter  deux  livres  d'heures  en  par- 
chemin ,  et  le  comptable  les  dit  l'un  et  l'autre  escrits  en 
moule3;  Philippe  deCommines,  dans  ses  Mémoires,  écrits 
en  1/198,  mentionne  les  sermons  de  Savonarole,  cpi'il  a 
fait  mettre  en  molle;  l'Inventaire  des  meubles,  bijoux  et 

1  Vélins  des  bibliothèques  particulières ,  t.  II,  p.  7. 

2  Carton  K  71  ,  pièce  ko  de  l'inventaire.  On  trouvera  cette  pièce  plus 
loin ,  à  l'article  de  Paris. 

3  M.  de  Laborde ,  Inventaire  des  tableaux de  Marguerite  d'Autriche, 

in-8°,  i85o,  p.  1  2,  note.  (Extrait  de  la  Bévue  archéologique ,  vol.  VII.) 


100  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

livres  d'Anne  de  Bretagne ,  rédigé  vers  le  même  temps , 
mentionne  plusieurs  livres,  tant  en  parchemin  que  en  pa- 
pier, à  la  main  et  en  molle;  Guy  Marchand  nous  apprend, 
dans  le  Livret  des  consolations,  imprimé  en  1/199  e*  en 
1  5o2  ,  qu'il  l'a  fait  mettre  en  mole  pour  le  salut  des  âmes; 
le  Catalogue  de  la  bibliothèque  des  ducs  de  Bourbon, 
fait  à  Moulins  en  1  5  2  3 ,  distingue  les  ouvrages  imprimés 
des  manuscrits  par  les  mots  en  molle  et  à  la  main.  Je  n'en 
finirais  pas  si  je  voulais  citer  tous  les  exemples  semblables  ; 
je  n'en  mentionnerai  plus  qu'un,  d'une  époque  beaucoup 
plus  tardive,  consigné  dans  un  livre  publié  par  moi- 
même  il  y  a  quelques  années.  Parmi  les  documents  re- 
latifs aux  états  généraux  de  1  593,  j'ai  inséré  la  relation 
d'un  député  du  pays  de  Caux,  appelé  Odet  Soret,  qui  se 
qualifie  de  laboureur  :  ce  député  nous  apprend  que  cer- 
taines pièces  officielles  furent  moulées  par  ordre  de  l'as- 
semblée dont  il  faisait  partie ,  afin  «  qu'aucun  n'en  pré- 
tende cause  d'ignorance1.  «Il  n'y  a  donc  pas  de  doute  que 
les  mots  jeté  en  moule,  lettres  moulées,  etc.  qui  sont  encore 
employés  par  les  gens  de  la  campagne,  ne  désignent 
l'impression  typographique.  Je  les  ai  souvent  entendu 
employer  dans  ce  sens  par  les  paysans  de  mon  pays, 
lorsqu'ils  venaient  faire  imprimer  quelque  affiche  chez 
mon  père,  imprimeur  à  Montbrison.  Ainsi  la  filiation  de 
ces  mots  est  parfaitement  établie  depuis  1 44 5  jusqu'à  nos 

1  Procès-verbaux  des  étais  généraux  de  1593;  Paris,  Impr.  royale ,  in-4°, 
1842.  Voyez  page  652  du  volume,  qui  fait  partie  de  la  Collection  de  docu- 
ments inédits  sur  l'histoire  de  France. 


PREMIERE  PARTIE— CHAPITRE  II.         101 

jours,  dans  le  nord  comme  dans  le  midi  de  la  France. 
J'ajoute  qu'ils  ne  peuvent  pas  avoir  un  autre  sens  que 
celui  que  je  leur  donne ,  car  les  caractères  mobiles  de 
fonte  nécessitent  seuls  l'emploi  des  moules  ;  et  il  est 
évident  que  le  vulgaire,  qui  ignorait  comment  étaient 
confectionnés  les  livres  imprimés,  a  emprunté  ces  ex- 
pressions à  la  langue  des  érudits ,  ou  tout  au  moins  à 
celle  des  marchands  de  cette  époque,  qui  ont  dû  em- 
ployer des  termes  particuliers  pour  désigner  les  produits 
nouveaux  de  l'art  typographique.  D'ailleurs  je  ferai  re- 
marquer, que,  sauf  le  dernier,  les  livrets  dont  parle  Jean 
Le  Robert  étaient  en  vélin ,  et  qu'on  n'aurait  pu  impri- 
mer au  frotton  sur  des  peaux  de  vélin. 

Je  viens  de  donner  les  motifs  qui  me  portent  à  croire 
que  les  Donats  moulés  de  1  kk  5  étaient  en  caractères  mo- 
biles. J'irai  plus  loin  :  je  soutiens  qu'ils  ne  pouvaient  pas 
être  autrement,  et  qu'il  n'a  pas  été  imprimé  de  Donat 
xylographique  avant  l'invention  de  la  typographie.  En 
effet,  des  livrets  purement  littéraires,  c'est-à-dire  sans 
images,  pouvaient  être  confectionnés  à  la  plume  à  très- 
bas  prix ,  ou  du  moins  à  meilleur  marché  qu'avec  les  pro- 
cédés anciens  des  xylographes.  On  ne  put  songer  à  faire 
concurrence  aux  scribes  pour  ce  genre  de  livres  que  lors- 
qu'on eut  trouvé  un  mode  d'opérer  plus  prompt  et  plus 
économique  que  le  frotton,  qui,  du  reste,  n'a  jamais  pu 
servir  à  imprimer  le  vélin ,  généralement  employé  à  cette 
époque  pour  les  livres  destinés  aux  écoliers.  Jusqu'à  ce 
qu'on  eût  le  moyen  d'imprimer  sur  vélin  et  des  deux 


102  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

côtés  de  la  feuille ,  il  était  à  peu  près  impossible  que  les 
imprimeurs  songeassent  à  exécuter  des  Donats  :  or  la  presse 
à  imprimer  est  postérieure  ou  tout  au  plus  contempo- 
raine des  caractères  mobiles ,  dont  elle  était  le  complé- 
ment indispensable  :  ce  n'est  donc  qu'après  la  réalisation 
des  caractères  mobiles  qu'on  put  s'occuper  des  Donats. 
Encore  cette  impression  demanda-t-elle  un  certain  temps 
d'apprentissage  ;  car  ce  ne  fut  pas  sans  doute  une  petite 
affaire  que  l'opération  de  la  retiration.  Il  fallut  d'abord 
inventer  les  pointures ,  pour  faire  tomber  les  pages  exac- 
tement l'une  sur  l'autre,  c'est-à-dire  en  registre,  puis 
trouver  un  moyen  d'empêcher  l'encre  de  chaque  feuille 
retirée ,  et  qui  se  déchargeait  sur  le  tympan ,  de  maculer 
la  feuille  suivante  l  :  c'est  à  quoi  pourvurent  les  feuilles 
de  décharge. 

En  réalité,  la  xylographie  n'offrait  un  avantage  réel 
que  pour  l'impression  des  gravures,  parce  que  là  elle 
utilisait  le  talent ,  qu'on  n'aurait  pu  trouver  chez  tous  les 
scribes.  Gela  est  si  vrai,  qu'il  existe  des  livres  d'images 
imprimés  au  frotton  dont  les  textes  sont  écrits  à  la  main, 
dans  un  espace  réservé  ad  hoc.  M.  Guichard  le  dit,  après 
Fournier  et  Papillon ,  mais  sans  en  administrer  la  preuve2. 
Je  ferai  mieux  :  je  la  donnerai.  On  peut  voir  à  la  biblio- 

1  La  feuille  opisthographe  de  l'exemplaire  du  Spéculum  de  la  bibliothèque 
de  Lille  pourrait  bien  n'êlre  qu'une  feuille  ainsi  maculée.  (  Voy.  p.  20.) 

2  Fournier,  De  l'origine  et  des  j>roductions  de  l'imprimerie,  p.  176.  — 
Papillon ,  Traité  historique  et  pratique  de  la  (jravure  sur  bois ,  t.  I,-p.  10 i . — 
Guichard,  Notice  sur  le  Spéculum ,  p.  i  18- 


PREMIERE  PARTIE.— CHAPITRE  II.         103 

thèque  Sainte-Geneviève,  sinon  un  livre  tout  entier,  du 
moins  un  feuillet  de  livre  exécuté  de  la  sorte.  Ce  feuil- 
let ,  qui  fait  partie  d'un  recueil  in-folio  de  fragments  xy- 
lographiques acquis  par  ordre  de  Daunou ,  alors  adminis- 
trateur en  chef  de  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève,  à 
la  vente  des  livres  du  célèbre  bibliographe  Panzer,  qui 
eut  lieu  en  180 4  ,  je  crois,  nous  offre  deux  sujets  à  per- 
sonnages. Au-dessus  de  chaque  gravure  on  a  réservé  un 
compartiment,  et  ce  compartiment  est  rempli  de  cinq  à 
six  lignes  d'explication  manuscrites  en  allemand.  Pour- 
quoi s'imposer  un-  pareil  travail  si  la  gravure  des  textes 
eût  été  chose  habituelle? 

A  cela  on  m'objectera  sans  doute  les  nombreux  Donats 
xylographiques  qui  existent  aujourd'hui.  On  me  deman- 
dera pourquoi,  si  ces  livres  n'ont  été  publiés  que  lorsque 
les  caractères  mobiles  étaient  connus,  on  a  cru  devoir  les 
imprimer  en  planches  fixes.  Ma  réponse  est  facile.  Pour 
des  livres  peu  considérables  et  souvent  réimprimés,  il 
était  plus  économique ,  une  fois  l'imprimerie  organisée , 
de  les  faire  graver,  afin  de  les  conserver  en  magasin,  et 
de  pouvoir  les  réimprimer  à  volonté,  que  de  les  com- 
poser chaque  fois  en  caractères  mobiles.  Dans  ce  cas,  les 
planches  de  bois  faisaient  l'office  de  nos  clichés  ou  stéréo- 
typagcs  d'aujourd'hui. 

Deux  faits  viennent  à  l'appui  de  cette  opinion  :  le  pre- 
mier c'est  qu'on  ne  connaît  pas  un  seul  fragment  de  Do- 
uât imprimé  à  la  détrempe,  et  par  conséquent  au  frotton, 
quoiqu'on  en  possède  beaucoup  exécutés  avec  des  plan- 


104  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

ches  de  bois;  le  second,  c'est  que  tous  les  Donats  xylo- 
graphiques qu'on  a  sont  imprimés  des  deux  côtés1,  en 
belle  encre  noire,  et  portent  des  signatures.  Cette  dernière 
circonstance  surtout  est  très-importante  dans  la  question , 
car  on  sait  que  les  sic/natures  ne  furent  introduites  que 
fort  tard  dans  la  pratique  typographique ,  quoiqu'elles 
fussent  en  usage  de  toute  ancienneté  dans  les  manuscrits. 
En  effet,  j'ai  en  ce  moment  sous  les  yeux  un  volume  sur 
vélin,  du  xne  siècle,  dont  chaque  cahier  est  marqué  d'une 
des  lettres  de  l'alphabet;  seulement,  au  lieu  d'être  à  la 
première  page ,  suivant  l'usage  actuel ,  c'est  à  la  dernière 
que.  cette  signature  se  trouve2. 

Il  existe  encore  un  grand  nombre  de  planches  de 
bois  provenant  de  Donats  xylographiques.  La  Biblio- 
thèque nationale  en  possède  deux  qui  lui  viennent  de  la 
bibliothèque  la  Vallière 3.  L'une  d'elles  porte  une  signa- 

1  On  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale  (  Vélins,  belles-lettres,  n°i  1)  un 
fragment  de  Donat,  in-4°,  en  vélin,  qui  n'est  imprimé  que  d'un  côté; mais 
c'est  sans  doute  parce  que  la  feuille  a  été  gâtée  au  tirage  du  côté de  première 
qu'on  ne  l'a  pas  retirée ,  car  la  beauté  des  caractères  de  ce  Donat ,  qui 
sont  d'ailleurs  mobiles,  ne  permet  pas  de  supposer  qu'il  ait  été  imprimé 
avant  i46o.  J'ajouterai  que  la  fraîcheur  du  vélin,  qui  paraît  avoir  été  de 
bonne  heure  employé  à  la  reliure  d'un  livre ,  démontre  qu'il  n'a  jamais 
passé  par  les  mains  d'un  écolier. 

2  Cartulaire  à' Ainay,  à  la  Biblioth.  nat.  série  des  cartulaires,  n°  75. 

3  Le  secrétaire  d'état  Foucaud  les  avait  achetées  en  Allemagne  ;  elles 
devinrent  la  propriété  du  président  Desmaisons  ,  de  Dufay  et  du  chirur- 
gien Morand,  mort  en  1778,  et  passèrent  alors  dans  la  bibliothèque  du 
duc  de  la  Vallière,  d'où  elles  parvinrent  directement  à  la  Bibliothèque 
nationale.  On  n'a  pu  m'en  montrer  qu'une  dans  cet  établissement;  mais 
j'ai  étudié  ces  deux  monuments  sur  les  épreuves  qui  se  trouvent  dans  le 


PREMIERE  PARTIE.— CHAPITRE  II.        105 

ture  (C),  l'autre  n'en  a  pas;  mais  cela  ne  prouve  rien 
contre  mon  assertion,  puisque  deux  pages  seulement  sur 
huit  avaient  des  signatures. 

Au  sujet  de  cette  dernière  planche,  Van  Praet1  a 
commis  une  erreur2  qu'il  est  bon  de  relever,  car  elle  se 
rattache  par  un  point  à  notre  sujet.  Trouvant  parmi  les 
Donats  de  la  Bibliothèque  une  édition  en  papier3  dont 
les  caractères  ont  une  grande  conformité  avec  ceux  de 
la  planche  en  question,  et  dont  la  page  correspondante 
est  composée  presque  de  la  même  manière  (du  moins 
quant  à  la  portion  de  la  planche  qui  reste,  car  elle  n'est 
pas  complète),  Van  Praet  en  a  conclu  que  cette  édi- 
tion provenait  de  son  Donat  xylographique  ;  mais  il  s'est 
trompé  :  le  Donat  auquel  il  a  fait  allusion  est  en  carac- 
tères mobiles.  Pour  un  œil  exercé,  cela  ne  fait  pas  de 
doute.  J'en  citerai,  au  reste,  une  preuve  irrécusable  :  il 
y  a  une  coquille  à  la  troisième  page  de  la  troisième  feuille. 
Au  lieu  de  C  II,  la  signature  porte  B  II.  Van  Praet 
avait  bien  remarqué  quelque  différence  entre  la  planche 
xylographique  et  la  page  correspondante  de  l'édition  du 
Donat;  mais  il  attribuait  cela  à  une  retouche  postérieure 
de  la  planche ,  ne  prenant  pas  garde  que  ces  différences 
sont  radicales,  et  n'admettent  pas  son  hypothèse.  Ainsi  les  i 

catalogue  de  la  Bibliothèque  la  Vallière  (Belles-lettres,  t.  II,  p.  8).  Van 
Praet  les  cite  dans  ses  Vélins  du  roi,  t.  IV,  p.  9. 

1  Vélins  du  roi,  t.  V,  p.  3^3. 

2  H  a  été  suivi  en  cela  par  M.  Brunet  [Manuel,  4e  édit.  t.  II ,  p.  122, 
article  Donalus ,  §  5). 

3  P.  365a,in-/i0. 


106  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

dans  la  planche  de  bois  ont  un  point  ressemblant  à  un 
accent  aigu ,  tandis  que,  dans  l'édition  prise  pour  terme 
de  comparaison ,  les  points  des  i  sont  en  forme  de  crois- 
sant. Où  le  graveur  aurait-il  pu  trouver  pour  sa  retouche 
le  bois  nécessaire  à  la  première  forme  d'accent?  Au  sur- 
plus ,  l'erreur  commise  par  Van  Praet  est  très-fréquente 
chez  les  bibliographes.  Il  leur  arrive  souvent  d'affirmer 
que  deux  caractères  sont  identiques  parce  qu'ils  ont 
beaucoup  de  traits  de  ressemblance;  mais  en  typographie 
ce  n'est  pas  la  peu  près  qui  peut  déterminer  l'identité , 
c'est  la  ressemblance  absolue  :  deux  caractères  qui  diffé- 
rent un  peu  sont  aussi  étrangers  l'un  à  l'autre  que  deux  ca- 
ractères qui  diffèrent  totalement  de  grosseur  et  de  forme. 
Et  à  ce  sujet  je  dois  consigner  ici  une  observation  qui 
me  confirme  de  plus  en  plus  dans  l'opinion  où  je  suis 
que  les  Donats  xylographiques  sont  postérieurs  aux  Do- 
nats  typographiques  :  c'est  qu'ils  leur  ressemblent  d'une 
manière  singulière,  surtout  dans  le  format  in-quarto,  qui 
est  le  plus  habituel.  Ils  paraissent  évidemment  copiés  les 
uns  sur  les  autres,  offrant  non-seulement  le  même  nom- 
bre de  lignes  (une  vingtaine),  mais  la  même  composition 
de  ligne.  Or,  comme  on  ne  peut  pas  supposer  qu'on  a 
voulu  imiter  avec  des  caractères  mobiles  des  caractères 
fixes ,  ce  qui  était  impossible ,  c'est  donc  le  contraire  qui 
a  eu  lieu.  En  effet,  il  n'y  a  qu'une  manière  d'expliquer 
cette  ressemblance ,  c'est  de  supposer  que  les  Donats  ty- 
pographiques ont  servi  de  modèles  aux  Donats  xylogra- 
phiques. C'était  un  dessin  tout  fait  et  bien  plus  exact  que 


PREMIERE  PARTIE.— CHAPITRE  II.        107 

celui  qu'aurait  pu  se  procurer  le  graveur.  Suivant  moi , 
ce  n'est  que  lorsqu'on  aura  reconnu  combien  était  consi- 
dérable la  vente  de  ces  livres,  confectionnés  jusque-là 
par  les  scribes,  que  les  imprimeurs  se  seront  déterminés  à 
en  faire  l'objet  d'une  gravure  spéciale.  S'il  en  existe  de  si 
divers  et  de  si  grossiers,  c'est  que  chaque  typographe 
débutait  par  là  pour  faire  l'essai  de  ses  instruments, 
bien  sûr  du  débit  du  livre ,  quelque  imparfait  qu'il  fût. 
On  verra  plusieurs  exemples  de  ce  fait  dans  le  cours  de 
mon  travail.  En  tout  cas,  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est 
qu'on  connaît  une  foule  de  Donats  xylographiques  pos- 
térieurs à  l'invention  des  caractères  mobiles ,  et  pas  un 
seul  dont  on  puisse  prouver  l'antériorité  ;  de  même  nous 
avons  le  nom  de  plusieurs  typographes  qui  imprimaient 
des  Donats  xylographiques  à  la  fin  du  xve  siècle ,  comme 
Conrad  Dinckmut,  par  exemple1,  et  l'on  ne  connaît  pas 
un  seul  artiste  qui  se  soit  livré  à  ce  genre  d'industrie 
avant  1/170. 

Ce  que  je  viens  de  dire  me  ramène  naturellement  à 
Coster  et  à  son  école.  S'il  est  démontré  que  les  Donats 
xylographiques  sont  postérieurs  à  l'invention  de  la  ty- 

1  Voyez  le  fac-similé  d'un  Donat  xylographique  de  cet  artiste  dans  l'ou- 
vrage de  M.  de  Laborde  intitulé  :  Débuts  de  ïimprimerie  à  Maycnce  et  à 
Bamberçj  (pi.  de  la  p.  1  2  ) ,  et  dans  la  curieuse  collection  de  fac-similé  du 
docteur  Kloss,  de  Francfort,  feuilles  i  2  et  1 3.  Dinckmut,  qui  se  dit  citoyen 
d'Ulm  dans  la  souscription  de  ce  livre,  imprimé  vers  1490,  avait  déjà  pu- 
blié à  Munich,  en  1/182, unelettre d'indulgences  également  xylograpbiquc. 
(Voyez  l'ouvrage  cité  de  M.  de  Laborde,  p.  28,  et  l'ouvrage  de  M.  Falkens- 
tein,  Gcschichte  (1er  Buchdruclîerkunst,  p.  18.) 


108  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

pograpliie,  il  l'est  également,  par  conséquent,  que  les 
Donats  hollandais  dont  parle  la  Chronique  de  Cologne 
étaient  en  caractères  mobiles  et  non  en  planches  fixes. 
L'imprimerie  existait  donc  en  Hollande,  d'une  manière 

imparfaite,  il  est  vrai,  avant  sa  réalisation  à  Mayence 

Ainsi  est  justifié  le  récit  de  Junius. 

Avant  de  terminer  ce  chapitre,  je  répondrai  encore  un 
mot  aux  critiques  du  système  hollandais  faites  par  M.  Ant. 
Aug.  Renouard,  dont  les  déductions  parurent,  dit-on,  si 
concluantes ,  lors  de  leur  publication ,  aux  yeux  d'Ottley, 
que  cet  auteur  crut  devoir  renoncer  à  tout  ce  qu'il  avait 
écrit  en  faveur  de  Haarlem. 

Dans  son  Catalogue  de  la  bibliothèque  d'un  amateur1, 
M.  Renouard  décrit  un  livre  in-folio ,  sans  date ,  sans  in- 
dication du  nom  de  l'imprimeur  ni  du  lieu  d'impression  , 
renfermant  quelques  petits  ouvrages  de  Guillaume  de  Sa- 
liceto,  de  Jean  de  Turrecremata  et  du  pape  Pie  II  (/Eneas 
Silvius).  Ce  livre,  dit-il,  a  été  indubitablement  imprimé 
dans  les  Pays-Bas,  avec  des  caractères  mobiles  de  fonte, 
d'une  mauvaise  fabrication,  et  si  ressemblants  à  ceux 
qui  ont  servi  à  l'impression  du  Spéculum ,  des  Donatus  et 
d'autres  pièces  qu'on  attribue  à  Coster,  qu'il  n'est  pas  pos- 
sible de  douter  que  l'imprimeur  de  ces  derniers  ne  soit 
aussi    celui  du  premier.  Le  type  est  cependant  autre  et 

1  Quatre  volumes  in-8°,  Paris,  1819,  t.  II,  p.  1 52 -1 58.  Ce  passage  a 
été  plusieurs  fois  depuis  réimprimé  séparément  en  une  petite  brochure  de 
1 6  pages  in-8°.  Elle  se  trouve  jointe  à  la  première  et  à  la  seconde  édition 
des  Annales  desEstienne,  du  même  auteur,  sous  le  titre  de  Note  sur  Laurent 
Coster  ;  j1 en  ai  déjà  parlé  précédemment. 


PREMIERE  PARTIE.— CHAPITRE  II.        109 

un  peu  plus  gros  que  celui  des  pièces  en  question ,  mais  en- 
tièrement le  même  que  celui  de  quatre  feuillets  que  je 
possède  de  ce  Doctrinale  que  l'ancien  serviteur  de  Coster, 
Jean ,  aurait  imprimé  à  Mayence  avec  des  lettres  sous- 
traites à  son  maître. 

La  conclusion  que  M.  Renouard  tire  de  l'existence  de 
son  volume  c'est  que ,  quelques-unes  des  pièces  qui  le  com- 
posent, celles  de  Jean  de  Turrecremata ,  par  exemple, 
n'ayant  pu  être  imprimées  qu'après  la  mort  de  ce  der- 
nier, arrivée  vers  1/167,  l'ouvrage  entier  est  postérieur 
à  cette  date  :  or,  comme  les  caractères  de  cette  pièce  ont 
une  grande  ressemblance  avec  les  livres  attribués  à  Cos- 
ter, il  en  résulte,  suivant  M.  Renouard,  que  ces  livres 
ne  peuvent  appartenir  à  ce  dernier,  mort  vers  i/i4o. 

Cette  conclusion  ne  me  semble  pas  parfaitement  ri- 
goureuse. D'abord  M.  Renouard  reconnaît  que  les  ca- 
ractères de  son  volume  sont  un  peu  plus  gros  que  ceux  du 
Spéculum,  ce  qui,  en  typographie,  revient  à  dire  qu'ils 
sont  entièrement  différents  :  son  argument  n'a  donc  aucun 
fond  relativement  à  ce  dernier  ouvrage ,  qui  diffère  en- 
core plus  d'ailleurs  du  livre  de  M.  Renouard  par  le  pro- 
cédé de  l'impression  que  par  la  forme  des  caractères. 

A  la  vérité,  les  caractères  de  ce  livre  ressemblent 
à  ceux  qu'on  voit  sur  quatre  feuillets  du  Doctrinale,  que 
possède  également  M.  Renouard ,  et  qu'on  dit  imprimé 
par  l'ouvrier  de  Coster  établi  à  Mayence.  Mais  qui  donc  a 
constaté  que  ce  Doctrinale  était  précisément  celui  qu'on 
a  attribué  à  Jean?  N'a-t-on  pas  pu  imprimer  quelques 


110  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

années  après  la  mort  de  cet  ouvrier  dune  manière  à  peu 
près  semblable ,  ou  du  moins  avec  des  caractères  pa- 
reils ?  N'est-il  pas,  au  contraire,  fort  naturel  qu'on  ait  con- 
servé aux  caractères  typographiques,  en  Hollande,  une 
forme  qui  se  rapprochait  de  l'écriture  en  usage  alors  dans 
ce  pays  ?  Les  caractères  seraient  les  mêmes  dans  les  deux 
ouvrages,  que  cela  ne  prouverait  rien  encore  contre  le 
système  hollandais;  car  il  se  pourrait  fort  bien  qu'on  eût 
vendu  des  caractères  de  Goster  à  un  autre  imprimeur, 
qui  s'en  serait  servi  longtemps  après  la  mort  de  ce  der- 
nier, comme  on  s'est  servi  longtemps  après  lui  de  ses 
gravures  du  Spéculum. 

M.  Renouard ,  il  est  vrai ,  suppose ,  à  l'exemple  des 
partisans  exclusifs  de  Mayence,  que  le  voleur  de  Goster 
avait  tout  emporté.  Nous  avons  vu  plus  haut  que  Junius 
ne  disait  rien  de  semblable.  Mais,  dit  M.  Renouard,  si 
le  voleur  n'a  pas  tout  emporté,  comment  se  fait-il  que 
l'imprimerie  de  Goster  n'a  pas  continué  à  produire? 
Rien  ne  prouve,  en  réalité,  qu'elle  n'ait  plus  produit; 
mais  deux  circonstances  durent  successivement  la  frap- 
per d'impuissance  :  d'abord  la  mort  de  Goster,  arrivée 
peu  de  temps  avant  le  départ  de  son  principal  ouvrier, 
et  qui  avait  probablement  ralenti,  sinon  suspendu  les 
travaux  ;  en  second  lieu ,  la  réalisation  de  nouveaux 
procédés  beaucoup  moins  imparfaits,  qui  devaient  la 
mettre  hors  de  combat  ou  la  forcer  à  se  transformer. 
Il  en  fut  peut-être  de  cet  atelier  comme  de  celui  de 
Plantin,  à  Anvers,  qui  s'est  perpétué  jusqu'à  nos  jours, 


PREMIERE  PARTIE.— CHAPITRE  IL        1 1 L 

et  qui ,  fort  actif  encore  il  y  a  vingt  ans ,  grâce  à  certains 
privilèges,  est  aujourd'hui  si  complètement  stérile,  qu'il 
n'est  pas  même  mentionné  sur  les  annuaires  parmi  les 
imprimeries  d'Anvers,  quoique  beaucoup  plus  considé- 
rable sans  doute  que  toutes  ces  dernières  ensemble  par 
l'importance  de  son  matériel.  La  raison  de  ce  fait,  c'est  que 
le  propriétaire  de  l'imprimerie  plantinienne ,  M.  Albert 
Moretus,  descendant  de  Plantin  par  les  femmes,  s'est 
obstiné  à  conserver  les  instruments  qu'il  tient  de  ses  aïeux , 
et  au  moyen  desquels  il  ne  peut  lutter  avec  la  typogra- 
phie moderne.  L'obstination  de  M.  Moretus,  au  reste, 
est  pieuse  et  logique,  car,  s'il  change  ses  types  et  ses 
presses,  ce  ne  sera  plus  l'atelier  de  Plantin  qui  fonction- 
nera chez  lui ,  et  il  ne  lui  sera  plus  permis  de  souscrire 
ses  livres  de  Yofficina  plantiniana ,  si  célèbre  jadis. 

Il  s'est  probablement  produit  quelque  chose  d'analogue 
au  xve  siècle.  L'atelier  de  Coster,  devenu  inutile  entre  les 
mains  de  ses  héritiers  ou  de  son  successeur,  se  sera  éteint 
un  jour,  et  les  ouvriers  qui  s'y  étaient  formés  seront  al- 
lés chercher  fortune  ailleurs,  chacun  de  son  côté,  ou  se 
seront  fondus  dans  l'école  mayençaise. 

Il  y  a  tout  lieu  de  croire ,  en  effet ,  qu'on  a  continué  à 
imprimer  en  Hollande  avec  le  procédé  costérien  :  c'est  la 
seule  manière  d'expliquer  l'existence  d'un  certain  nombre 
de  petits  livrets  anonymes  qui  portent  visiblement  le  ca- 
chet d'une  grande  ancienneté,  et  qu'il  est  impossible  pour- 
tant d'attribuer  à  aucun  imprimeur  de  la  nouvelle  école. 
On  ne  peut  pas  non  plus  expliquer  autrement  les  termes 


112  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

des  Mémoriaux  de  Jean  Le  Robert,  que  nous  avons  cités 
précédemment,  et  qui  sont  si  péremptoires  :  c'est  vai- 
nement qu'on  a  cherché  à  les  réfuter  de  nos  jours,  en 
supposant  qu'ils  admettraient  l'existence  d'imprimeries  à 
Bruges ] ,  à  Valenciennes  et  ailleurs,  dès  l'année  ilik5. 
L'abbé  de  Saint-Aubert  de  Cambrai  ne  dit  rien  de  sem- 
blable. Il  faisait  acheter  en  îlikb  des  livres  moulés  chez 
des  libraires  de  Bruges  et  de  Valenciennes,  qui,  eux,  se 
les  procuraient  par  la  voie  ordinaire  du  commerce,  c'est- 
à-dire  en  les  demandant  au  fabricant,  quel  qu'il  fût,  ou  du 
moins  à  ses  facteurs.  Or,  ce  fabricant,  quel  était-il?  Ce 
n'était  pas  Gutenberg,  qui,  de  l'aveu  de  ses  plus  zélés 
partisans,  n'avait  encore  rien  produit  en  i/i5o,  et  dont 
l'officine ,  en  tout  cas ,  était  trop  éloignée  de  Valenciennes 
et  de  Bruges?  C'était  donc  le  successeur  de  Coster! 

Mais,  dira-t-on,  comment  cet  atelier  costérien  a-t-il  pu 
disparaître  sans  laisser  de  traces?  A  cela,  je  répondrai 
d'abord  que,  fût-il  exact,  le  fait  ne  prouverait  rien;  car 
il  est  bien  évident  que  nous  ne  connaissons  pas  toutes  les 
imprimeries  qui  ont  existé  jadis.  ïl  n'y  a  pas  plus  d'un 
demi-siècle  qu'on  a  constaté  l'existence  à  Bamberg,  vers 
1  4  60 ,  d'un  atelier  typographique  bien  plus  important 
que  celui  de  Haarlem  :  je  veux  parler  de  l'imprimerie  de 
Pfîster2,  qui  avait  échappé  jusque-là  aux  recherches  de 
tous  les  bibliographes,  quoiqu'il  eût  mis  au  jour  plu- 

1  Voyez  dans  la  deuxième  partie  le  rôle  important  que  jouait  alors  la 
ville  de  Bruges,  résidence  habituelle  des  ducs  de  Bourgogne. 

-  On  trouvera  un  long  article  sur  cet  artiste  dans  la  deuxième  partie. 


PREMIÈRE  PARTIE.— CHAPITRE  II.         113 

sieurs  livres  datés  et  souscrits  de  son  nom,  sans  parler 
d'une  bible  anonyme  en  trois  volumes  in-folio  ! 

Ensuite ,  est-il  exact  de  dire  qu'il  ne  reste  pas  trace  de 
l'atelier  de  Coster?  Sans  doute,  ni  Coster  ni  aucun  de 
ses  élèves  n'a  mis  son  nom  sur  un  livre  ;  mais  le  fait  n'a 
rien  d'extraordinaire  :  c'est  le  contraire  qui  le  serait  ;  car 
ce  n'était  pas  l'usage  des  librarii  ni  celui  des  imprimeurs 
xylographes  de  cette  époque,  et  les  produits  nouveaux 
de  l'imprimerie  n'étaient  pas  assez  beaux  pour  justifier 
une  pareille  exception.  Mais  n'est-ce  rien  que  cette  masse 
de  livres  et  de  fragments  d'incunables  de  même  appa- 
rence trouvés  à  Haarlem  ou  dans  les  environs  ?  N'est-ce 
rien  que  l'existence  à  Culembourg  en  i  483  des  planches 
du  Spéculum?  Il  me  semble  naturel  de  penser  que  Vel- 
dener  avait  acquis  ces  bois  lorsque  les  héritiers  de  Coster 
crurent  devoir  se  défaire  du  mobilier  typographique  que 
ce  dernier  leur  avait  laissé,  et  dont  ils  ne  savaient  pas 
faire  un  usage  avantageux,  en  présence  des  procédés  de 
la  nouvelle  école  de  Mayence.  Il  n'est  pas  impossible 
même  que  Veldener,  qui  changea  plusieurs  fois  de  rési- 
dence, les  ait  achetés  à  Haarlem,  où  il  aurait  exercé  pen- 
dant quelque  temps  sa  profession ,  avant  de  se  rendre  à 
Culembourg,  qui  est  fort  voisin  de  cette  dernière  ville. 

Je  terminerai  ce  chapitre  par  la  nomenclature  des 
ouvrages  qu'on  peut  attribuer  à  ce  que  j'appelle  l'école 
eostérienne. 

Les  Spéculum.  (Les  différentes  éditions  anonymes  décrites  dans 
les  chapitres  précédents.  Pour  les  /rtc-sî/m'/e,  voyez  entre  autres 


]U  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Meerman,  Roning,  Ottley,  Wetter,  Falkenstein,  etc.  et,  dans 
ce  livre  même,  le  n°  1  des  fac-similé  de  caractères.) 

Les  Donats.  (Parmi  le  grand  nombre  de  Donats  qu'on  connaît, 
il  en  est  plusieurs  qui  nous  offrent  des  caractères  semblables 
à  ceux  des  Spéculum  :  voyez  particulièrement  les  n05  7,  8,  9, 
10,  12,  17  delà  Bibliothèque  nationale.  Pour  les  fac-similé, 
voyez  Fischer,  Roning,  Wetter,  etc.) 

Catonis  Disticha.  (Voyez-en  un  fac-similé  dans  Falkenstein,  Ge- 
schichte,  etc.  p.  85.) 

Laurentii  Valensis  Facéties  morales.  (Voyez-en  un  fac-similé  dans 
Falkenstein  ,  p.  86 ,  et  clans  Roning,  p.  84.) 

Ludovici  de  Rom  a  Sinaularia  in  causis  criminalibus .  [Fac-similé 
ibid1.) 

Guillelmus  de  Saîiceto,  de  Soluté  corporis*.  (A  la  Bibliothèque 
nationale.) 

Horarium.  (Voyez  le  fac-similé  dans  Meerman,  Orig.  typogr. 
t.  II,  pi.  I.) 

Alexandri  Galli  Doctrinale.  (Voyez- en  un  fac-similé  dans  Fal- 
kenstein, p.  86.) 

Pétri  Hispani  Iractatus. 

Francisci  Petrarchœ  de  Salibus  virorum  illustrium  etfaceciis  trac- 
tatus.  (Fac-similé  dans  Falkenstein,  p.  86  ;  dans  Roning,  p.  84.) 

1  H  est  ici  question  d'une  édition  complètement  isolée.  Ce  livret  a  de- 
puis été  réimprimé  en  caractères  analogues  avec  d'autres  opuscules.  Ainsi 
l'on  en  connaît  une  édition  postérieure  à  la  suite  de  laquelle  se  trouve  un 
livre  de  Pie  II  (./Eneas  Sylvius),  intitulé  :  De  mulieribus  pravis,  etc.  que 
j'ai  vu  à  Haarlem,  dans  la  bibliothèque  de  MM.  Enschedé. 

2  Ce  livre  a  également  été  réimprimé  avec  un  caractère  analogue  à  ce- 
lui du  Spéculum, à  une  époque  assez  tardive,  car  il  est  joint  d'une  manière 
inséparable  à  des  opuscules  qui  n'ont  pu  être  imprimés  qu'après  1/167. 
(Voyez  ci-dessus,  p.  109.) 


PREMIERE  PARTIE— CHAPITRE  III.        115 
CHAPITRE  III. 

JEAN  GUTENBERG  À   STRASBOURG. 

1420-1444. 

Je  crois  avoir  démontré ,  dans  le  chapitre  précédent , 
que  la  typographie  avait  été  réalisée  imparfaitement  à 
Haarlem  avant  iA4o;  mais,  rejeta t-on  sur  ce  point  mes 
conclusions  comme  fausses,  il  n'en  serait  pas  moins  cer- 
tain que  l'idée  de  la  mobilité  des  caractères,  qui  germait 
depuis  longtemps  dans  le  cerveau  humain,  fut  conçue 
entre  les  années  i/i3o  et  iliko,  et  réalisée,  sinon  avant, 
du  moins  peu  après  cette  dernière  date.  C'est  ce  que  je 
vais  démontrer. 

Jusqu'ici  nous  avons  marché  pour  ainsi  dire  à  tâtons  ; 
nous  allons  maintenant  pouvoir  nous  appuyer  sur  des 
actes  et  sur  des  monuments  incontestables  :  l'imprimerie 
va  sortir  des  temps  fabuleux. 

Jean  Gensjleisch1 ,  plus  connu  sous  le  nom  de  Gaten- 
berg2,  qu'il  tirait  dune  maison  apportée  en  dot  à  son  père 
par  Else  de  Gutenberg,  et  qui  était  sise  à  Mayence,  na- 

1  Prononcez  Guensjleische  ou  Gàensjleisch,  comme  on  l'écrit  quelquefois. 
Ce  nom,  qui  signifie  chair  d'oie  en  allemand,  est  écrit  de  plusieurs  ma- 
nières dans  les  documents  du  temps;  nous  adoptons  la  forme  la  plus 
simple  et  la  plus  naturelle. 

2  Prononcez  Goutenebenjue.  Ce  nom  signifie  bonne  montiujne  en  alle- 
mand; il  est  également  écrit  de  diverses  manières  dans  les  documents  du 
temps. 


116  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

quit  dans  cette  ville ,  et  non  à  Strasbourg  comme  on  l'a 
cru  longtemps.  Le  doute  à  cet  égard  n'est  plus  permis, 
en  présence  des  pièces  publiées  par  Schœpflin ,  et  qui , 
rédigées  à  Strasbourg  même ,  désignent  ainsi  Gutenberg  : 
Jokannes  dictas  Gensefleische,  alias  Gutenberg,  de  Mogun- 
tia1.  Vingt  autres  monuments  d'ailleurs  constatent  le  fait 2. 
L'époque  de  la  naissance  de  Gutenberg  est  moins  cer- 
taine. Toutefois,  en  voyant  quel  rôle  il  joue  à  Strasbourg, 
où  il  figure  sur  les  registres  particuliers  des  contribuables 
nobles  de  iZi36  à  ikkk,  je  ne  fais  nulle  difficulté  de  la 
placer,  ainsi  que  la  plupart  des  historiens  de  l'imprime- 
rie, un  peu  avant  l'année  i/ioo3.  Pour  ce  qui  concerne 

1  Schœpflin,  Vindiciœ  tjpographicee ,  docum.  p.  3i  et  36. 

2  Je  ne  crois  pas  devoir  relever  ici  les  étrangetés  produites  récemment 
sur  ce  sujet  dans  un  opuscule  publié  à  Bruxelles,  par  M.  Jean  de  Carro, 
sous  le  nom  de  M.  Charles  de  Winaricky ,  et  sous  le  titre  :  Jean  Gutenberg 
né  en  lâl2  à  Kuttenberg  en  Boliême  (1847,  m"12)  >  parce  que  ce  livre,  en 
dépit  de  l'érudition  qu'on  y  trouve,  me  paraît  l'œuvre  d'un  mystificateur. 
M.  de  Carro  a  continué  cette  mystification  dans  YAlmanach  de  Karlsbade 
pour  i848,  où  il  a  publié  deux  articles  sous  le  nom  de  M.  Winaricky  fai- 
sant suite  à  l'opuscule  relatif  à  Gutenberg. 

3  Les  raisons  que  donne  l'auteur  de  la  brochure  citée  dans  la  note  pré- 
cédente pour  fixer  la  naissance  de  Gutenberg  à  l'année  1 4 1 2  sont  vraiment 
étranges  :  l'une  d'elles,  la  principale ,  c'est  que  si  Gutenberg  était  né  en 
1 4oo ,  l'on  n'aurait  pu  l'appeler  en  1 43g ,  comme  on  le  faisait,  d'un  nom 
de  jeunesse,  tel  que  celui  de  Jeannet  (Hans,  Henchen,  Henkin,  etc.). 
Qui  ne  sait  que  ces  noms  donnés  dans  le  bas  âge  restaient  fort  souvent  au- 
trefois comme  surnoms?  Nous  en  verrons  un  exemple  dans  la  famille  de 
Fust,  et  nous  en  pourrions  citer  plus  d'un  aujourd'hui.  Nous  avons  d'ail- 
leurs la  preuve  que  Gutenberg  garda  toute  sa  vie  son  nom  de  jeunesse, 
puisqu'il  lui  est  donné  dans  un  acte  de  i455,  dont  nous  parlerons  plus 
loin,  voire  même  dans  la  Chronique  de  Cologne,  rédigée  en  1499. 


PREMIERE  PARTIE.— CHAPITRE  III.        117 

sa  famille,  je  renvoie  au  livre  de  M.  Schaab,  qui  a  dressé 
des  généalogies  plus  ou  moins  exactes  des  diverses  bran- 
ches de  la  maison  des  Gensfieisch1.  Il  me  suffira  de  dire 
ici  que  cette  famille  se  divisait  en  deux  branches  princi- 
pales, dont  l'une  gardait  le  nom  de  Gensfieisch ,  et  l'autre 
prenait  celui  de  Sorgenloch2;  que  le  père  de  Jean  s'appe- 
lait Frielo  (diminutif  de  Frédéric),  et  sa  mère,  Else  (di- 
minutif d'Elisabeth  ou  Elise);  que  Jean  Gutenberg  avait 
un  frère  aîné  appelé  Frielo ,  comme  son  père ,  et  un  oncle 
appelé  Jean ,  comme  lui-même  ;  mais  portant  le  surnom 
de  vieux,  qui  servait  à  le  distinguer. 

On  ne  sait  rien  des  premières  années  de  Jean  Guten- 
berg. En  1 A 20,  il  fut  forcé  d'émigrer  de  Mayence  avec 
sa  famille ,  ainsi  que  la  plupart  îles  patriciens  de  cette 
ville,  à  la  suite  de  quelques  troubles  dans  lesquels  le  parti 
populaire  fut  vainqueur.  On  ignore  où  il  se  retira  ;  mais 
il  est  probable  que  ce  fut  à  Strasbourg ,  où  nous  le  re- 
trouverons plus  tard 3. 

1  Die  Geschichle  der  Erjindung  der  Buchdrucherkunst  durch  Johann  Gens- 
fieisch yenannt  Gutenberg  zu  Mainz  ;  3  vol.  in-8°,  i83o,  Francfort. 

2  Prononcez  Sorguenloch ,  à  la  manière  allemande. 

3  Oberlin  [Essai  d'annales  de  la  vie  de  Jean  Gutenberg,  in-8°,  Strasbourg, 
an  ix,  p.  3)  et  M.  Fischer  [Essai  sur  les  monuments  typographiques  de  Jean 
Gutenberg,  in-4°,  Mayence,  an  x,  p.  22)  ont  publié,  sur  la  loi  de  Bod- 
mann,  archiviste  du  département  du  Mont-Tonnerre,  dont  Mayence  était  le 
chef-lieu,  et  qui  dépendait  alors  de  la  France,  le  texte  d'un  document  qui 
constaterait  le  séjour  de  Gutenberg  à  Strasbourg  en  1 A  2  4  ;  mais  ce  docu- 
ment, dont  personne  n'a  vu  l'original,  renferme  des  erreurs  matérielles 
qui  en  infirment  complètement  l'authenticité.  M.  Fischer,  qui  a  publié , 
d'après  les  dessins  de  Bodmann,  les  prétendus  sceaux  de  ce  document  dans 


118  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

L'électeur  Conrad  III  accorda,  le  26  mars  i/i3o,  un 
décret  d'amnistie  en  faveur  de  quelques-unes  des  per- 
sonnes qui  avaient  émigré  précédemment,  et  nommé- 
ment en  faveur  de  Jean  Gutenberg1;  mais  ce  dernier  ne 
paraît  pas  en  avoir  profité;  il  est  du  moins  certain  qu'il 
continua  à  résider  hors  de  son  pays2.  Un  document  daté 
de  la  deuxième  férié  avant  la  fête  de  saint  Antoine  1  43o , 
rapporté  par  M.  Wetter3,  constate  que  la  veuve  Else  de 
Gutenberg  négocia  au  nom  de  son  fils ,  appelé  dans  l'acte 
Hengen  (diminutif  de  Jean),  pour  sa  pension  de  quatorze 
florins. 

Il  paraît ,  toutefois ,  que  Gutenberg  fit  un  voyage  à 
Mayence  en  1  [\  3  2  ,  sans  doute  pour  quelques  arrange- 
ments d'intérêts4; mais  31  n'y  resta  pas,  car  nous  le  voyons 
agir  personnellement  et  consécutivement  à  Strasbourg  de 
1  /i34  à  i/i/i3. 

Le  premier  acte  qui  révèle  positivement  sa  présence 

son  Essai,  imprimé  à  Mayence  en  1802  ,  m'a  avoué  en  i85i,  c'est- à-dire 
un  demi-siècle  après,  dans  une  lettre  écrite  de  Moscou,  où  il  réside  main- 
tenant, qui!  n'avait  jamais  pu  obtenir  communication  de  la  pièce  elle- 
même. 

1  Voyez  Johannis,  Kôhler,  Fischer,  Schaab,  Wetter,  etc. 

2  Je  crois  pouvoir  conclure  des  termes  de  cet  acte  que  Gutenberg  ne 
résidait  pas  à  Eltvil,  autrement  dit  Ellfeld,  comme  le  croit  par  induction 
M.  Wetter-,  car  ce  lieu  faisait  partie  du  territoire  ressortissant  à  Mayence. 

3  Kritische  Geschichte  cler  Eijindung  der  Buchdruckerkimst ,  p.  28.  L'au- 
teur date  à  tort  cet  acte  du  1 1  juin ,  car  s'il  s'agit  du  saint  dont  la  fête  se 
célèbre  le  i3  juin;  comme  ce  jour  était  un  mardi  en  i43o,  la  férié  se- 
conde avant  cette  date  doit  tomber  le  lundi  précédent,  12  juin. 

4  Kôhler,  Ehrenreltuncj  Guitenberçj's,^).  82. 


PREMIERE  PARTIE.— CHAPITRE  III.        119 

en  cette  ville  est  un  document  publié  par  Schœpflin ,  et 
dans  lequel  Jean  Gutenberg  prend  le  surnom  de  jeune, 
pour  se  distinguer  de  son  oncle,  portant  les  mêmes 
noms  que  lui.  Voici  à  quelle  occasion  cet  acte  fut  rédigé. 
Les  magistrats  municipaux  de  Mayence ,  refusant  ou  élu- 
dant depuis  plusieurs  années ,  peut-être  même  depuis 
l'amnistie  de  1 43o,  de  payer  à  Gutenberg  les  rentes  qui 
lui  étaient  dues  sur  cette  ville,  celui-ci  fit  arrêter  leur 
greffier  communal  (Stadschreiber) ,  qui  était  venu  à  Stras- 
bourg pour  régler  quelques  affaires.  Toutefois,  il  con- 
sentit à  le  relâcher,  sur  la  demande  des  magistrats  mu- 
nicipaux de  cette  dernière  ville ,  qui  craignaient  sans  doute 
que  la  mesure  ne  nuisît  aux  bonnes  relations  existantes 
entre  les  deux  cités  rhénanes1.  L'acte  de  cette  concession 
de  Gutenberg,  daté  de  i434,  le  dimanche  après  la  fête 
de  saint  Grégoire  pape  2,  commence  ainsi  :  «  lch  Johann 
Gensejleisch  der  junge,  gênant  Gatemberg3,  etc.  (Je  Jean 
Gensfleisch  le  jeune ,  dit  Gutenberg.)  »  Puis  vient  l'ex- 
posé de  la  cause ,  dans  lequel  on  apprend  que  Nicolas , 
greffier  de  la  ville  de  Mayence ,  s'était  engagé  par-devant 
la  cour  d'Oppenhem,  petite  ville  voisine  de  Mayence,  à 
payer  à  Gutenberg  3io  florins  du  Rhin  à  la  Pentecôte. 

1  Strasbourg  dépendait  même  de  Mayence  sous  le  rapport  religieux  : 
l'évêque  de  la  première  ville  étant  suffragant  du  siège  archiépiscopal  de 
la  seconde ,  qui  était  le  chef-lieu  réel  de  toutes  les  provinces  rhénanes. 

2  La  date  de  cet  acte  est  très-difficile  à  déterminer,  parce  qu'il  y  a  deux 
saints  papes  du  nom  de  Grégoire,  et  de  plus  deux  fêles  pour  le  premier, 
Grégoire  le  Grand,  le  12  mars  et  le  3  septembre. 

3  Schœpflin,  Vinci,  tvpogr.  doc.  i. 


120  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

La  même  année,  le  dimanche  après  la  Saint-Urbain 
(c'est-à-dire  le  3o  mai,  la  Saint-Urbain  tombant  le  mardi 
2  5),  par  un  accord  inscrit  non-seulement  dans  un  vieux 
livre  de  rentes  de  la  ville  de  Mayence',  mais  aussi  dans 
un  livre  de  comptes  de  la  famille  zum  Jungen  2,  de  Franc- 
fort ,  Gutenberg  charge  sa  mère  de  régler  une  affaire  d'in- 
térêt entre  lui  et  son  frère  Frielo. 

Deux  ans  après,  c'est-à-dire  en  iZi36,  Gutenberg  est 
appelé  devant  l'officialité  de  Strasbourg,  par  Anne  dite 
zur  Isernen  Tliiir  (à  la  Porte  de  Fer) ,  à  laquelle  il  avait 
fait  une  promesse  de  mariage3.  On  croit  communément 
qu'il  épousa  cette  dame  à  la  suite  de  la  décision  judiciaire 
qui  eut  lieu  (mais  dont  on  ne  connaît  pas  les  termes), 
parce  qu'on  trouve  plus  tard ,  sur  le  rôle  des  contribu- 
tions de  la  ville,  une  dame  Ennel  Gutenberg4,  qui,  sui- 
vant Schœpfiin ,  ne  peut  être  autre  qu'Anne  devenue 
femme  de  Gutenberg.  Quoi  qu'il  en  soit,  cette  dame  ne 
paraît  pas  avoir  exercé  une  grande  influence  sur  la  des- 
tinée de  celui-ci.,  car  on  ne  la  voit  figurer  dans  aucun 
acte  subséquent;  elle  ne  l'a  pas  suivi  à  Mayence,  et  l'on 
ignore  même  si  elle  a  vécu  au  delà  de  \l\kk. 

En  i43g,  Gutenberg  eut  à  soutenir  un  procès  plus 
important,  c'est  celui  qui  nous  a  révélé  ses  premiers  tra- 
vaux typographiques.  Les  pièces  de  ce  procès ,  qui  exis- 

1  Weller,  Kridsche  Geschichte,  etc.  p.  54. 

2  Id.  ibid.  p.  38.  Jungen,  prononcez  loungen. 
5  Schœpfiin,  Vind.  typogr.  p.  17. 

4  Id.  ibid.  doc.  n"  vu ,  à  la  fin. 


PREMIÈRE  PARTIE.— CHAPITRE  III.        121 

tent  encore  en  original  dans  la  bibliothèque  de  Stras- 
bourg, où  j'ai  eu  le  plaisir  de  les  parcourir  et  d'en  cons- 
tater l'authenticité1,  ont  été  publiées  pour  la  première 
fois  dans  leur  langue  originelle  (l'allemand)  par  Schœpflin2, 
qui  les  découvrit  dans  une  vieille  tour,  parmi  les  proto- 
coles du  tribunal  de  Strasbourg.  Elles  ont  été  réimprimées 
plusieurs  fois  depuis,  et  traduites  dans  différentes  langues. 
Je  vais  en  donner  des  extraits  en  français,  et  suivrai  de 
préférence  la  traduction  de  M.  de  Laborde ,  parce  qu'elle 
me  semble  à  la  fois  la  plus  littérale  et  la  plus  exacte.  J'y 
ai  fait  toutefois  quelques  changements  aux  endroits  qui 
me  paraissaient  le  réclamer. 

Voici  d'abord ,  pour  mettre  le  lecteur  au  courant  du 
procès,  l'exposition  de  la  cause,  telle  qu'elle  se  trouve 
dans  le  texte  du  jugement3,  lequel  fut  rendu  la  vigile  de 
la  fête  des  saintes  Lucie  et  Otilie  (1  2  décembre)  i43o,  : 

«Nous  Cune  Nope,  maître  et  conseiller  à  Strasbourg, 
faisons  savoir  à  tous  ceux  qui  verront  cet  écrit ,  ou  en  en- 
tendront la  lecture ,  que  Georges  Dritzehen ,  notre  conci- 
toyen, est  venu  devant  nous  en  son  nom ,  et  avec  le  plein 
pouvoir  de  son  frère  Claus  Dritzehen,  et  a  cité  Hans4 
Genszfleisch ,  de  Mayence  ,   nommé  Gutenberg ,  notre 

1  Les  Mayençais  sont  allés  jusqu'à  la  nier-,  et  pourtant  ils  datent  l'in- 
vention de  Gutenberg  de  1437.  D'après  quels  monuments? 

2  Vind.  typogr.  doc.  n°  n. 

3  Pour  le  texte  allemand ,  voir  Schœpflin ,  ubi  supra;  Meerman,  Orig. 
fypogr.  t.  II,  n°  7  -,  Wetter,  Kritischc  Gcschichte,  etc.  p.  56;  M.  Léon  de  La- 
borde, Débuts  de  l'imprimerie  à  Strasbourg,  p.  24. 

1  Diminutif  de  Jean  (Johanncs,  dont  on  retire  la  première  syllabe). 


122  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

hindersosz1 ,  et  a  déposé  que  feu  André  Dritzehen,  son  frère, 
avait  hérité  [  à  la  mort]  de  son  père  d'un  bien  considérable  ; 
qu'il  l'avait  engagé ,  et  en  avait  réalisé  une  bonne  somme 
d'argent  ;  qu'il  était  entré  avec  Hans  Gutenberg  et  d'autres 
dans  une  société ,  et  avait  formé  une  association ,  et  qu'il 
avait  remis  son  argent  à  Gutenberg,  [le  chef]  de  cette 
association ,  et  que  pendant  un  certain  temps  ils  avaient 
fait  et  exercé  ensemble  leur  industrie ,  dont  ils  tiraient 
un  bon  profit  ;  mais  que,  par  suite  des  entreprises  de  l'asso- 
ciation, André  Dritzehen  se  serait  fait  garant,  de  côté  et 
d'autre,  pour  du  plomb  et  d'autres  choses  qu'il  aurait  ache- 
tés, qui  étaient  nécessaires  à  ce  métier,  et  qu'il  aurait  aussi 
garanti  et  payé  ;  que  comme ,  sur  ces  entrefaites ,  André 
était  mort,  lui  (Georges)  et  son  frère  Claus  auraient 
exigé,  avec  instance,  de  Hans  Gutenberg  qu'il  les  prît  à  la 
place  de  feu  leur  frère  dans  la  société ,  ou  qu'il  s'arran- 
geât avec  eux  pour  l'argent  qu'il  (André)  avait  mis  dans 
l'association;  mais  qu'il  (Gutenberg)  ne  voulut  rien  faire 
de  tout  cela ,  et  s'était  excusé  par  cette  raison  qu'André 
Dritzehen  ne  lui  avait  jamais  remis  pareille  somme. 
Comme  lui  (Georges)  espérait  et  se  faisait  fort  de  prou- 
ver que  la  chose  s'était  passée  ainsi ,  il  avait  exigé  que 
Gutenberg  les  prît,  lui  et  son  frère  Claus,  dans  la  société, 
à  la  place  de  feu  leur  frère,  comme  jouissant  de  son  hé- 
ritage ,  ou  qu'il  restituât  l'argent  que  feu  leur  frère  avait 
apporté,  puisque,  comme  héritiers,  ils  y  avaient  droit, 

1   Les  traductions  latines  rendent  ce  mot  par  incola,  habitant.  H  érmi- 
vaut  à  locataire,  par  opposition  à  propriétaire. 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  III.        123 

ou  bien  qu'il  dise  au  moins  pourquoi  il  ne  voulait  point 
accéder  à  leur  demande. 

«  En  réponse  à  cet  exposé  de  la  plainte ,  Hans  Guten- 
berg  a  répondu  que  cette  réclamation  de  Georges  Drit- 
zehen  lui  paraissait  injuste ,  puisqu'il  était  suffisamment 
prouvé  par  plusieurs  écrits  et  billets,  que  lui  (Georges) 
et  son  frère  (Claus)  ont  pu  trouver  après  la  mort  d'An- 
dré Dritzehen,  de  quelle  manière  avait  été  formée  l'as- 
sociation. En  fait,  André  Dritzehen  était  venu  à  lui  (Gu- 
tenberg),  il  y  a  plasiews  années,  et  l'avait  engagé  à  lui 
communiquer  et  à  lui  faire  comprendre  plusieurs  secrets  ; 
c'est  pourquoi ,  pour  satisfaire  à  sa  prière ,  il  (Gutenberg) 
lui  avait  appris  à  polir  les  pierres,  dont  il  (Dritzehen)  avait 
dans  le  temps  tiré  un  bon  profit.  Ensuite,  après  un  bon  laps 
de  temps,  il  (Gutenberg)  était  convenu  avec  Hans  Rilfe, 
maire  à  Litchetenow,  d'exploiter  un  secret  pour  les  foires 
d'Aix-la-Chapelle,  et  ils  s'étaient  associés  de  la  sorte: 
que  Gutenberg  avait  deux  parts  dans  l'entreprise,  et  Hans 
Riffe  une.  Cette  convention  vint  à  la  connaissance  d'An- 
dré Dritzehen ,  qui  pria  Gutenberg  de  lui  communiquer 
et  de  lui  apprendre  aussi  ce  secret,  pour  lequel  il  serait 
son  débiteur  à  sa  volonté.  Sur  ces  entrefaites,  le  sieur 
Antoine  Heilmann  lui  aurait  fait  la  même  prière  en  fa- 
veur de  son  frère  André  Heilmann  ;  alors  il  (Gutenberg) 
aurait  examiné  les  deux  demandes,  et  il  leur  aurait  pro- 
mis (aux  solliciteurs)  de  leur  faire  connaître  le  secret,  et 
aussi  de  leur  donner  et  accorder  la  moitié  des  produits;  de 
telle  sorte  qu'eux  deux  auraient  une  part,  Hans  Riffe  une 


124  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

autre  part,  et  lui  (Gutenberg)  la  moitié;  mais  pour  cela 
il  fallait  qu'eux  deux  lui  donnassent,  à  lui  Gutenberg, 
160  florins  pour  la  peine  de  leur  apprendre  et  de  leur 
faire  connaître  le  secret,  et  plus  tard  ils  devaient  encore 
lui  remettre  chacun  80  florins.  Lorsqu'ils  arrêtaient  leurs 
conventions,  la  foire  devait  avoir  lieu  dans  l'année;  mais 
lorsqu'ils  se  furent  arrangés  et  préparés  à  exploiter  leur 
secret,  la  foire  fut  remise  à  l'année  suivante;  alors  ils 
avaient  exigé  que  Gutenberg  ne  leur  cachât  plus  rien  de 
ce  qu'il  pouvait  savoir  ou  découvrir  d'inventions  et  de 
secrets,  et  ils  lui  proposèrent  de  s'entendre  là-dessus;  et 
il  fut  arrêté  qu'ils  ajouteraient  à  la  première  somme  en- 
core 2  5  o  florins ,  ce  qui  formerait  ensemble  lx  1  o  florins  ; 
et  ils  devaient  en  payer  100  comptant,  dont,  à  cette 
époque,  André  Heilmann  paya  5o  ,  et  André  Dritzehen 
/io;  de  manière  qu'André  Dritzehen  était,  encore  débi- 
biteur  de  1  o  florins.  Ajoutez  à  cela  que  les  deux  associés 
devaient  payer  les  y  5  florins  restants  à  trois  différents 
termes,  qui  furent  convenus  entre  eux;  mais  avant  l'é- 
chéance de  ces  termes  André  Dritzehen  mourut,  restant 
encore  devoir  cet  argent  à  Gutenberg.  A  l'époque  de 
l'engagement ,  il  avait  été  établi  que  l'exploitation  de  leur 
secret  devait  durer  cinq  ans  entiers  ;  et  dans  le  cas  où  l'un 
des  quatre  mourrait  dans  les  cinq  années,  tous  les  usten- 
siles du  secret  et  tous  les  ouvrages  déjà  faits  resteraient 
aux  autres ,  et  les  héritiers  de  celui  qui  était  mort  rece- 
vraient, après  l'expiration  des  cinq  années.  100  florins... 
En  conséquence,  et  parce  que  l'acte  qui  est  conçu  dans 


PREMIERE  PARTIE.— CHAPITRE  III.        125 

ces  formes,  et  qui  fut  trouvé  chez  André  Dritzehen,  dé- 
clare entièrement  ce  qui  précède  et  le  contient,  et  que 
lui  Hans  Gutenberg  espère  le  prouver  par  de  bons  témoi- 
gnages ,  il  demande  que  Georges  Dritzehen  et  son  frère 
Claus  déduisent  les  85  florins  qui  lui  étaient  encore  dus 
par  feu  leur  frère  sur  les  100  florins,  et  alors  il  consen- 
tirait à  leur  rendre  les  1  5  florins ,  bien  qu'il  eût  encore , 
selon  les  termes  du  contrat ,  plusieurs  années  pour  se  li- 
bérer. Et  quant  à  ce  que  Georges  Dritzehen  a  déclaré , 
que  feu  André  Dritzehen ,  son  frère ,  avait  beaucoup  pris 
sur  l'héritage  de  son  père  et  sur  son  bien ,  l'avait  engagé 
ou  vendu  au  profit  de  l'entreprise ,  cela  ne  le  regardait 
pas ,  car  il  n'en  avait  pas  plus  reçu  qu'il  ne  l'a  exposé ,  ex- 
cepté un  demi-omen  de  vin,  une  corbeille  de  poires  et 
un  demi-f licier  de  vin,  que  lui  et  André  Heilmann  lui 
avaient  donnés;  qu'eux  deux,  au  reste,  avaient  consommé 
chez  lui  l'équivalent  et  au  delà ,  pour  lequel  ils  n'avaient 
rien  eu  à  payer.  Aussi,  lorsqu'il  (Georges  Dritzehen)  de- 
mande à  être  admis  dans  la  société  comme  héritier,  il 
sait  fort  bien  que  cette  réclamation  n'est  pas  plus  fondée 
que  toute  autre,  et  qu'André  Dritzehen  n'a  jamais  été  ga- 
rant pour  lui  (Gutenberg)  ni  pour  du  plomb,  ni  pour  autre 
chose,  excepté  une  fois  devant  Fridel  de  Seckingen;  mais 
il  l'avait,  après  sa  mort,  affranchi  et  libéré  de  cet  enga- 
gement ;  et  c'est  pour  donner  la  preuve  de  ses  assertions 
qu'il  demande  qu'on  entende  les  dépositions.  » 

Les  dépositions  des  témoins  parurent,  en  effet,  si  bien 
se  rapporter  aux  déclarations  de  Gutenberg,  que  le  juge 


126  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

lui  donna  gain  de  cause ,  en  exigeant  seulement  la  forma- 
lité du  serment. 

Nous  allons  maintenant  extraire,  des  nombreuses  dépo- 
sitions qui  nous  ont  été  conservées ,  celles  qui  ont  le  plus 
grand  intérêt  pour  nous.  On  a  dû  remarquer  que  les  dé- 
clarations précédentes  ne  font  pas  même  allusion  à  l'im- 
primerie. On  s'explique  facilement  cela  de  la  part  de 
Gutenberg  et  de  Dritzehen ,  qui  espéraient  tirer  un  grand 
parti  du  secret,  et  qui  devaient  éviter  de  le  divulguer.  Il 
n'en  est  pas  de  même  des  gens  étrangers  à  l'entreprise  ; 
aussi  sont-ils  beaucoup  plus  explicites  :  toutefois ,  ne  con- 
naissant pas  le  secret  de  Gutenberg ,  ils  ne  peuvent  nous 
renseigner  complètement. 

«  Barbel  de  Zabern  la  mercière  a  déposé  qu'elle  avait 
pendant  une  nuit  causé  avec  André  Dritzehen  de  diverses 
choses ,  et  qu'entre  autres  paroles  elle  lui  avait  dit  :  «  Ne 
«voulez-vous  pas  à  la  lin  aller  dormir?»  Mais  il  lui  avait 
répondu  :  «  Il  faut  avant  que  je  termine  ceci.  »  Alors  le 
témoin  parla  ainsi  :  «  Mais ,  Dieu  me  soit  en  aide  !  quelle 
«  grosse  somme  d'argent  dépensez-vous  donc?  Cela  a  tout 
«  au  moins  coûté  1  o  florins?  »I1  lui  répondit  :  «  Tu  es  une 
«  folle  ;  tu  crois  que  cela  ne  m'a  coûté  que  1  o  florins.  En- 
«  tends-tu,  si  tu  avais  ce  que  cela  m'a  coûté  en  sus  de  3oo 
«florins  comptant,  tu  en  aurais  assez  pour  toute  ta  vie  : 
«  cela  m'a  coûté  au  moins  5oo  florins.  Et  ce  ne  serait  rien 
«  si  cela  ne  devait  pas  me  coûter  encore  ;  c'est  pourquoi 
«j'ai  engagé  mon  avoir  et  mon  héritage.  » —  «  Mais,  dit  le 
«  témoin,  si  cela  vous  réussit  mal,  que  ferez-vous  alors?  » 


PREMIERE  PARTIE  —CHAPITRE  III.        127 

Il  lui  répondit  :  «  Cela  ne  peut  pas  nous  mal  réussir  :  avant 
«  un  an  révolu  nous  aurons  recouvré  notre  capital,  et  se- 
«  rons  tous  bien  heureux,  à  moins  que  Dieu  ne  veuille 
«  nous  accabler.  » 

Cette  déposition  semble  en  opposition  avec  la  décla- 
ration de  Gutenberg,  sous  le  rapport  de  l'argent  reçu 
par  ce  dernier;  mais  elle  ne  l'est  pas  en  effet  :  André  Drit- 
zehen  n'entend  pas  dire  que  la  chose  lui  a  coûté  5oo  flo- 
rins à  lui-même,  mais  à  l'association,  comme  le  prouve 
la  fin  de  la  phrase ,  où  il  parle  en  nom  collectif.  Sous  un 
autre  rapport ,  cette  déposition  vient,  au  contraire ,  confir- 
mer ce  qu'a  dit  Gutenberg  du  profit  qu'on  devait  retirer 
du  secret  aux  foires  d'Aix-la-Chapelle.  On  voit  qu'André 
Dritzehen  travaillait  jour  et  nuit  pour  avoir  fini  à  cette 
époque  :  c'est  sans  doute  ce  qui  causa  sa  mort. 

Cette  ardeur  au  travail  d'André  Dritzehen  est  encore 
confirmée  par  la  déposition  d'une  de  ses  cousines,  qui 
l'aidait  souvent. 

«  La  dame  Ennel,  femme  de  Hans  Schultheiss  le  mar- 
chand de  bois,  a  déposé  que  Lorentz  Beildeck  [domes- 
tique de  Gutenberg]  vint  une  fois  clans  sa  maison,  chez 
Claus  Dritzehen,  son  cousin,  et  dit  à  celui-ci  :  «  Cher  Claus 
«  Dritzehen ] ,  feu  André  Dritzehen  avait  quatre  pièces  cou- 

1  Dans  l'original  il  y  a  ici  quelques  mots  qui  ont  été  effacés ,  parce  que 
le  greffier  a  cru  devoir  donner  une  autre  tournure  à  sa  phrase.  Ces  mots 
peuvent  se  rendre  de  la  manière  suivante  :  «Mon  jeune  maître  ou  jeune 

seigneur  Jean  (meut  Junher  Hanns)  Gutenberg  nous  a  prié  de » 

M.  de  Carro  (ouvrage  cité,  p.  12)  croit  avoir  là  la  preuve  de  la  jeunesse 


128  DE  LORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

«  chées  dans  une  presse ,  et  Gutenberg  a  prié  que  vous  les 
«  retiriez  de  la  presse,  et  que  vous  les  sépariez  les  unes  des 
«  autres,  afin  que  l'on  ne  puisse  comprendre  ce  que  c'est; 
«  car  il  n'aimerait  pas  que  quelqu'un  vît  cela.  »  Ce  témoin  a 
aussi  déposé  que ,  lorsqu'elle  était  chez  André  Dritzehen , 
son  cousin,  elle  a  aidé  à  faire  cet  ouvrage  nuit  et  jour. 
Elle  a  aussi  dit  qu'elle  savait  bien  qu'André  Dritzehen , 
son  cousin ,  avait  engagé  dans  ce  temps  son  capital  ;  mais 
qu'il  l'ait  employé  à  cet  ouvrage,  elle  n'en  savait  rien.  » 

Cette  déposition,  si  favorable  à  la  déclaration  de  Gu- 
tenberg, avec  laquelle  elle  se  rapporte  complètement,  a 
de  plus  l'avantage  de  nous  initier  au  genre  de  travail 
d'André  Dritzehen.  Nous  voyons  qu'il  avait  une  presse, 
sur  laquelle  se  trouvaient  quatre  pièces  ;  l'explication  de 
ce  dernier  mot  viendra  plus  loin.  L'exactitude  de  cette 
partie  de  la  déclaration  de  la  dame  Ennel  est  confirmée 

de  Gutenberg,  qu'il  fait  naître  en  i4i2  ;  mais  je  ferai  remarquer  que  cette 
dénomination  est  encore  donnée  à  Gutenberg  dans  une  pièce  de  i455, 
comme  je  l'ai  dit  déjà,  et  qu'alors,  dans  le  système  de  M.  de  Carro  lui- 
même  ,  Gutenberg  aurait  eu  quarante-trois  ans ,  c'est-à-dire  qu'il  aurait  été 
plus  âgé  qu'en  i43o,  d'après  l'opinion  commune  qui  place  sa  naissance 
vers  1 4oo.  Si  donc  on  conclut  de  la  qualification  de  jeune,  qui  est  donnée  à 
Gutenberg  en  i43g,  qu'il  était  jeune,  en  effet,  alors,  que  conclura-t-on  en 
présence  de  l'acte  de  1 455  ?  Que  conclura-t-on  surtout  des  termes  de  la 
Cbronique  de  Cologne  de  1/199,  T1*  lui  donne  la  même  qualification?  N'est- 
il  pas  évident  que  Gutenberg  avait  pris  ce  titre ,  d'abord  pour  se  distinguer 
de  son  oncle,  et  qu'on  le  lui  conserva  ensuite  par  babitude,  même  après 
la  mort  de  ce  dernier?  Je  ferai  remarquer  en  outre  que,  dans  le  procès 
de  Strasbourg,  c'est  le  domestique  de  Gutenberg  qui  donne  à  ce  dernier 
la  qualification  déjeune,  et  que,  dans  la  boucbe  d'un  serviteur,  vieux  sans 
doute ,  ce  mot  n'a  pas  le  sens  absolu  qu'on  veut  lui  attribuer. 


PREMIERE  PARTIE— CHAPITRE  III.        129 

d'ailleurs  par  celle  de  son  mari,  faite  dans  les  mêmes 
termes,  et  par  celle  de  l'ouvrier  qui  avait  fabriqué  la 
presse  : 

«  Hans  Schultheiss  a  dit  que  Lorentz  Beildeck  était  venu 
un  jour  dans  sa  maison,  chez  Claus  Dritzehen,  où  ce  té- 
moin l'avait  conduit.  C'était  à  l'époque  de  la  mort  d'André 
Dritzehen.  Alors  Lorentz  Beildeck  parla  ainsi  à  Claus 
Dritzehen  :  «  Feu  votre  frère  André  Dritzehen  a  quatre 
«  pièces  couchées  en  bas  dans  une  presse ,  et  Hans  Gu- 
et tenberg  vous  prie  de  les  en  retirer  et  de  les  séparer  les 
«  unes  des  autres,  afin  qu'on  ne  puisse  voir  ce  que  c'est.  » 
Claus  Dritzehen  y  alla ,  et  il  chercha  les  pièces  ;  mais  il 
n'en  trouva  aucune » 

«  Conrad  Sahspach  a  déposé  qu'André  Heilmann  était 
une  fois  venu  chez  lui ,  sur  la  place  du  marché ,  et  lui  avait 
dit  :  «  Cher  Conrad,  puisque  André  Dritzehen  est  mort, 
«  comme  c'est  toi  qui  as  fait  les  presses ,  et  que  tu  connais 
«la  chose,  vas -y  donc,  et  retire  les  pièces  de  la  presse, 
«  et  sépare-les  les  unes  des  autres;  décompose-les,  et  ainsi 
«  personne  ne  pourra  savoir  ce  que  c'est.  »  Mais  comme 
ce  témoin  voulait  exécuter  cela ,  et  cherchait  les  presses 
(c'était  le  jour  de  saint  Etienne  passé) ,  tout  avait  disparu.  » 

Gutenberg,  qui  redoutait  si  fort  les  investigations  in- 
discrètes des  curieux,  avait  sans  doute  envoyé  démonter 
les  formes  par  quelque  autre  personne. 

«  Lorentz  Beildeck  a  déposé  que  Jean  Gutenberg 
l'envoya  une  fois  chez  Claus  Dritzehen,  après  la  mort 
d'André,  son  frère,  pour  dire  au  premier  qu'il  ne  devait 

9 


130  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

montrer  à  personne  la  presse  qu'il  avait  sous  sa  garde  ;  ce 
que  le  témoin  fit  aussi.  Il  me  parla  en  outre,  et  dit  qu'il 
(Claus)  devait  se  donner  la  peine  d'aller  à  la  presse  et  de 
l'ouvrir  au  moyen  de  deux  vis  ;  qu'alors  les  pièces  se  déta- 
cheraient les  unes  des  autres  :  ces  pièces ,  il  devait  ensuite 
les  placer  dans  la  presse  ou  sur  la  presse,  et  personne 
après  cela  n'y  pourrait  rien  voir  ni  comprendre;  et  quand 
il  sortirait,  il  devait  venir  chez  Jean  Gutenberg,  car  ce 
dernier  avait  quelque  chose  à  lui  dire.  Ce  témoin  se  rap- 
pelle fort  bien  que  Jean  Gutenberg  ne  devait  rien  à  feu 
André,  et  qu'au  contraire  André  devait  à  Jean  Gutenberg, 
ce  qu'il  comptait  lui  payer  à  certains  termes ,  avant  les- 
quels il  mourut.  Il  a  aussi  déposé  qu'il  n'avait  jamais  été 
présent  à  leurs  réunions  depuis  Noël.  Ce  témoin  a  vu 
André  Dritzelien  souvent  dîner  chez  Jean  Gutenberg, 
mais  il  ne  lui  a  jamais  vu  donner  un  pfenning1.  » 

«Le  sieur  Antoine  Heilmann  a  déposé  que,  lorsqu'il 
apprit  que  Gutenberg  voulait  prendre  André  Dritzehen 
pour  un  tiers  dans  la  société  pour  vendre  des  miroirs 
(Spiegeln)  lors  du  pèlerinage  d'Aix-la-Chapelle,  il  le  pria 
instamment  de  prendre  aussi  son  frère  André,  s'il  vou- 
lait lui  rendre  un  grand  service  à  lui  Antoine.  Mais  Gu- 
tenberg lui  dit  qu'il  craignait  que  les  amis  d'André  ne 

1  Petite  monnaie  de  cuivre.  La  déposition  si  précise  deLorentz  Beildeck 
lui  attira  des  injures  de  la  part  de  Georges  Dritzelien ,  et  même  une  me- 
nace de  procès  pour  faux  témoignage.  Ce  dernier  l'apostropha  ainsi  hors 
du  prétoire  :  «Témoin,  il  faut  que  tu  dises  la  vérité,  quand  j'en  devrais 
arriver  avec  toi  à  la  potence.  »  Lorentz  vint  se  plaindre  au  juge,  mais  il  ne 
paraît  pas  que  cette  affaire  ait  eu  aucune  suite. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  III.        131 

prétendissent  que  ce  fût  de  la  sorcellerie,  ce  qu'il  ne  vou- 
drait pas.  Là-dessus  il  (Ant.  Heilmann)  le  pria  de  nouveau , 
et  en  obtint  un  écrit  qu'il  devait  montrer  aux  deux  futurs 
associés,  et  sur  lequel  ils  devaient  se  consulter.  En  effet, 
Gutenberg  leur  porta  l'écrit ,  et  ils  décidèrent  qu'ils  agi- 
raient comme  il  était  contenu  dans  l'écrit,  et  l'affaire 
s'arrangea  ainsi.  Au  milieu  de  ces  arrangements,  André 
Dritzehen  pria  ce  témoin  (Ant.  Heilmann)  de  l'aider  de 
quelque  argent,  et  celui-ci  lui  dit  que,  s'il  avait  un  bon 
gage,  il  l'aiderait  volontiers.  Et  en  effet  il  l'aida  de  90 

livres,  qu'il  lui  porta  à  Saint -Arbogaste Le  témoin 

lui  dit  :  «  Que  veux-tu  faire  avec  tant  d'argent  ?  Tu  n'as 
«pas  besoin  de  plus  de  80  florins.  »  Alors  il  lui  répondit 
qu'il  avait  encore  besoin  d'argent,  et  que  c'était  deux  ou 
trois  jours  avant  l'Annonciation  qu'il  devait  donner  80  flo- 
rins à  Gutenberg;  et  le  témoin  était  obligé  de  donner 
aussi  80  florins  [pour  son  frère  André] ,  car  on  était  con- 
venu de  80  florins  pour  chaque  associé.  Quant  au  tiers 
restant,  que  Gutenberg  avait  encore,  cet  argent  devait 
revenir  à  ce  dernier  pour  sa  part  et  pour  son  art,  et  ne 
devait  pas  être  confondu  dans  l'association.  Après  cela, 
Gutenberg  dit  à  ce  témoin  qu'il  fallait  faire  attention  à 
un  point  essentiel ,  qui  était  que  dans  toute  chose  il  y  eût 
égalité,  et  qu'ils  s'entendissent  afin  que  l'un  ne  cachât 
rien  à  l'autre,  et  que  chaque  chose  fût  au  profit  de  tous. 
Ce  témoin  fut  content  de  ce  propos,  et  le  rapporta  aux 
deux  autres  avec  éloge.  A  quelque  temps  de  là  Guten- 
berg répéta  ces  paroles ,  et  le  témoin  lui  répondit  avec  les 

9- 


132  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

mêmes  protestations ,  comme  auparavant ,  et  dit  qu'il  vou- 
lait s'en  rendre  digne.  Après  cela,  Gutenberg  lui  fit  un 
écrit  en  conséquence  de  ce  propos ,  et  dit  à  ce  témoin  : 
«  Consultez-vous  bien  si  cela  vous  convient.  »  Ce  qu'il  fit; 
et  ils  discutèrent  longtemps  sur  ce  point ,  et  prirent  même 
l'avis  de  Gutenberg,  qui  une  fois  se  mit  à  dire  :  «Il  y  a 
«  maintenant  tant  d'ustensiles  prêts ,  et  il  y  en  a  tant  en 
«  exécution ,  que  votre  part  est  bien  près  d'égaler  votre 
«mise  de  fonds,  et  partant  le  secret  vous  sera  confié.» 
Ils  tombèrent  ainsi  d'accord  au  sujet  de  deux  articles  dont 
l'un  devait  être  supprimé ,  l'autre  mieux  éclairci  plus  tard. 
L'article  à  supprimer  était  qu'ils  ne  voulaient  point  être 
redevables  à  Hans  RifFe  pour  beaucoup  ou  pour  peu ,  puis- 
qu'ils n'avaient  contracté  aucune  obligation  avec  lui  ;  le 
droit  qu'ils  auraient,  ils  l'auraient  de  par  Gutenberg.  L'autre 
point  à  établir  était,  dans  le  cas  où  l'un  d'eux  mourrait, 
qu'il  fût  bien  convenu  de  quelle  manière  on  agirait,  et  il 
fut  ainsi  arrêté  :  «  Que  l'on  donnerait  aux  héritiers,  pour 
«  tous  les  frais  encourus ,  pour  les  formes ,  et  pour  tous  les 
«  objets,  1  oo  florins,  et  seulement  après  les  cinq  ans.  »  Et 
Gutenberg  dit  que  ce  serait  un  grand  avantage  pour  eux, 
s'il  venait  à  mourir,  car  il  leur  abandonnerait  tout  ce  qu'il 
aurait  pu  prendre  comme  part  pour  les  frais,  et  cepen- 
dant ils  ne  seraient  obligés  de  donner  à  ses  héritiers  que 
î  oo  florins ,  comme  pour  l'un  d'eux  :  et  ceci  fut  ainsi  con- 
clu afin  que ,  dans  le  cas  de  mort  de  l'un  des  associés ,  on 
ne  fût  point  obligé  d'apprendre ,  de  montrer  et  de  décou- 
vrir le  secret  à  tous  les  héritiers ,  et  c'était  aussi  favorable 


PREMIERE  PARTIE— CHAPITRE  III.        133 

à  l'un  des  associés  qu'à  l'autre.  A  quelque  temps  de  là , 
à  la  réunion  des  Kiirsenern  (pelletiers?),  les  deux  André 
dirent  à  ce  témoin  qu'ils  étaient  tombés  d'accord  avec 
Gutenberg  quant  à  l'écrit  ;  qu'il  avait  supprimé  le  passage 
concernant  Hans  Riffe,  et  voulait  leur  établir  l'autre 
comme  il  était  convenu.  Et  il  fut  présent  lorsqu'André 
Dritzehen  donna  à  Gutenberg  ko  florins,  et  André  Heil- 
mann ,  son  frère ,  5  o .  On  était  aussi  tombé  d'accord  pour  les 
termes  de  payements  :  c'était  5o  florins  comptant,  comme 
porte  l'écrit,  et  après ,  à  la  Noël  suivante,  20  florins ...  Ce 
témoin  a  aussi  déposé  qu'il  savait  bien  que  Gutenberg , 
peu  de  temps  avant  Noël,  avait  envoyé  son  valet  aux 
deux  André  pour  chercher  les  formes  (formen) ,  afin 
qu'il  pût  s'assurer  qu'elles  avaient  été  séparées,  et  que 
même  plusieurs  formes  lui  avaient  donné  du  regret.  » 

Comme  ce  dernier  passage  est  très-confus ,  et  a  été  tra- 
duit de  différentes  manières1,  je  crois  devoir  donner  ici 
le  texte  même  :  «  î>irre  geutge  f)at  oudj  gefeit  baê  er  root 
roiffe  bcrê  ©utenberg  unlange  oor  2Biï)nat)tett  finen  fnet)t  fante 
ju  ben  beben  Stnbrefen,  allé  formen  511  fyoleti  unb  roûrbent  jur 
loffen  baê  er  eéê  feï)e ,  unb  jn  jocr?  ettlid)e  formen  ruroete.  » 

Le  mot  de  forme  vient  ici  expliquer  ce  qu'a  d'obscur 
celui  de  pièces  que  nous  avons  vu  paraître  précédem- 
ment pour  désigner  les  objets  placés  sur  la  presse. 

Achevons  cette  curieuse  déposition. 

«  A  l'époque  où  André  (Dritzehen)  mourut,  comme  le 

1   Voyez  Y  Essai  de  M.  Fischer,  p.  29  ;  voyez  aussi  Fournier,  Observations 
typographiques ,  p.  37. 


134  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

témoin  savait  bien  que  des  gens  auraient  volontiers  exa- 
miné la  presse,  il  fit  dire  à  Gutenberg  d'envoyer  pour 
défendre  qu'on  la  laissât  voir.  En  effet,  Gutenberg  en- 
voya son  valet  pour  la  mettre  en  désordre,  et  dire  au 
témoin  que ,  lorsqu'il  aurait  le  temps ,  il  voulait  lui  par- 
ler  Il  a  déposé  aussi  qu'il  avait  demandé  plus  tard 

à  son  frère  (André  Heilmann)  quand  il  commencerait  à 
avoir  communication  du  secret;  alors  celui-ci  lui  répon- 
dit que  Gutenberg  attendait  1  o  florins  arriérés  qu'André 
Dritzehen  devait  encore  sur  les  5o  florins.  » 

Nous  clorons  ces  extraits  par  la  déposition  de  Jean 
Dùnne ,  qui  est  peut-être  la  plus  curieuse  de  toutes , 
quoique  la  plus  courte  : 

«Hans  Dûnne,  l'orfèvre,  a  déposé  qu'il  avait,  il  y  a 
trois  ans  environ,  gagné  (reçu)  de  Gutenberg  près  de 
100  florins  seulement  pour  les  choses  qui  concernent 
ï imprimerie  (trucken).  » 

La  cause  entendue,  le  juge  rendit  l'arrêt  suivant  : 

«  Nous  maître  et  conseiller,  après  avoir  entendu  les 
réclamations  de  part  et  d'autre ,  les  dépositions  et  les  té- 
moignages. . .  et  après  avoir  vu  l'acte  et  la  convention 

Considérant  qu'il  y  a  un  acte  qui  démontre  dans  quelles 
formes  les  arrangements  ont  été  pris  et  ont  eu  lieu ,  or- 
donnons que  Hans  Riffe ,  André  Heilmann  et  Hans  Gu- 
tenberg fassent  un  serment  devant  Dieu  que  les  choses 
se  sont  passées  ainsi  que  l'acte  sus-cité  le  démontre,  et 
que  cet  acte  avait  pour  condition  qu'un  autre  acte  scellé 
aurait  été  fait  si  André  Dritzehen  était  resté  en  vie;  que 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  III.       135 

Hans  Gutenberg  jure  en  outre  que  les  85  florins  ne  lui 
ont  point  été  payés  par  André  Dritzehen,  et  de  ce  mo- 
ment les  85  florins  lui  seront  déduits  de  la  somme  de 
i  oo  florins  dont  il  a  été  question,  et  il  payera  à  Georges 
et  Claus  Dritzehen  i5  florins,  et  les  îoo  florins  auront 
ainsi  été  payés  conformément  à  l'acte  sus-cité. . .  Ce  ser- 
ment ainsi  formulé  a  été  prêté  devant  nous  par  Hans  Rifle , 
André  Heilmann  et  Hans  Gutenberg,  avec  cette  observa- 
tion toutefois  que  Hans  Rifle  a  dit  qu'il  n'avait  pas  assisté 
à  la  première  réunion  ;  mais  qu'aussitôt  qu'il  se  trouva 
avec  les  autres  (associés)  il  approuva  la  convention.» 

Les  extraits  que  je  viens  de  donner  sont  bien  longs, 
et  pourtant  ils  ne  contiennent  pas  tous  les  passages  inté- 
ressants que  renferment  les  pièces  du  procès  de  Stras- 
bourg ;  ils  suffisent  néanmoins  pour  en  donner  une  idée 
complète,  et  surtout  pour  bien  faire  connaître  Guten- 
berg. On  voit  que  c'était  un  homme  actif,  intelligent, 
l'esprit  sans  cesse  occupé  de  projets  industriels;  moins 
praticien  que  théoricien  peut-être  ;  mais  réalisant  cepen- 
dant par  les  mains  de  ses  associés  tous  les  plans  que 
son  esprit  tenace  avait  conçus. 

R  paraît ,  d'après  la  déposition  de  l'orfèvre  Hans  Dûnne , 
que  depuis  trois  ans  au  moins,  à  l'époque  du  procès, 
c'est-à-dire  depuis  î  436  ou  1 43 7,  Gutenberg ,  laissant  de 
côté  ses  autres  secrets,  s'occupait  activement  de  réaliser 
celui  qu'il  avait  inventé  pour  l'impression  des  livres.  Afin 
de  ne  pas  éveiller  les  soupçons ,  il  vivait  retiré  hors  de  la 
ville ,  à  Saint-Arbogaste ,  et  c'est  là  que  ses  anciens  asso- 


136  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

ciés  pour  le  polissage  des  pierres  le  surprirent  au  milieu 
de  ses  nouveaux  travaux,  auxquels  ils  parvinrent  à  se 
faire  initier.  On  sait  le  reste.  On  a  vu  avec  quelle  ardeur 
André  Dritzehen  se  mit  à  la  besogne.  Il  mourut  aux  en- 
virons de  la  Noël  1 438,  léguant  un  procès  à  la  nouvelle 
association ,  dont  il  était  devenu  lame ,  et  qui  fut  désor- 
ganisée ,  sinon  détruite ,  par  sa  mort.  Elle  ne  put  pas  pro- 
fiter de  l'occasion  de  la  foire  d'Aix-la-Chapelle ,  en  vue 
de  laquelle  on  travaillait,  et  qui  eut  lieu  en  îlxko;  car 
on  voit  par  la  sentence  du  juge  de  Strasbourg,  datée  du 
1 1  décembre  î  43  g,  que  cette  société  était  encore  alors 
menacée  dans  son  existence. 

Je  parle  toujours  de  l'association  de  Gutenberg  comme 
ayant  pour  but  l'exploitation  de  l'imprimerie  ;  mais  il  est 
bon  de  dire ,  ne  fût-ce  que  pour  le  réfuter,  que  les  par- 
tisans de  Haarlem  et  de  Mayence  y  ont  vu  tout  autre 
chose.  Suivant  eux,  il  se  serait  agi  seulement  d'une  fabri- 
cation de  glaces.  Cette  opinion  est  fondée  sur  deux  pas- 
sages où  il  est  en  effet  question  de  miroirs.  Dans  le  pre- 
mier, André  Dritzehen  répond  à  Hans  Niger,  qui,  au 
moment  de  lui  prêter  de  l'argent,  lui  demande  ce  qu'il 
fait ,  qu'il  est  miroitier.  Dans  le  second ,  Antoine  Heilmann , 
étranger  à  l'association,  mais  frère  d'un  des  intéressés, 
et  par  conséquent  intéressé  indirectement  lui-même, 
paraît  croire  que  la  société  avait  pour  but  une  vente  de 
miroirs  à  la  foire  d'Aix-la-Chapelle  (voy.  p.  î  3o). 

Mais  qu'est-ce  que  cela  prouve?  Que  les  associés,  qui 
fondaient  de  grandes  espérances  sur  leurs  travaux,  ne 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  III.       137 

voulaient  pas  en  déprécier  les  produits  par  avance,  en 
faisant  connaître  l'objet  de  leur  fabrication1.  On  a  vu  avec 
quelle  insistance  Gutenberg  recommandait  de  démonter 
la  presse  et  les  formes  qui  étaient  chez  André  Dritzehen, 
après  la  mort  de  ce  dernier,  afin  qu'on  ne  pût  pas  devi- 
ner l'art  secret  (c'est  le  mot  constamment  employé  dans 
tout  le  procès)  auquel  il  se  livrait.  On  ne  peut  admettre 
qu'André  Dritzehen  aurait  naïvement  attiré  l'attention 
d'un  étranger,  d'un  bailleur  de  fonds ,  sur  les  produits 
de  cet  art  qui  devait  faire  sa  fortune  et  celle  de  ses  asso- 
ciés. Il  est  évident  qu'on  était  convenu  d'une  espèce  de 
mot  d'ordre  pour  dérouter  les  curieux.  Qu'avait  à  faire , 
en  effet,  une  presse  dans  la  fabrication  des  miroirs?  Elle 
servait  peut-être ,  dit-on ,  à  imprimer  sur  le  cadre  certains 

ornements De  semblables  hypothèses  peuvent  tout 

expliquer,  mais  ne  prouvent  rien.  Aucune  circonstance 
de  la  vie  de  Gutenberg  ne  justifie  cette  interprétation  ; 
tous  ses  travaux  ultérieurs,  au  contraire,  démontrent 
qu'il  s'occupait  d'imprimerie.  La  tradition  est  là  vivante 

1  On  argumente  le  plus  souvent  sur  le  peu  de  précision  des  déposi- 
tions; mais  il  me  semble  qu'il  faut  s'étonner,  au  contraire,  du  hasard  qui 
nous  a  donné  tant  de  détails,  car  le  procès  n'avait  pas  pour  but  de  faire 
connaître  l'invention  de  l'imprimerie ,  et  ce  qu'on  en  dit  est  tout  à  fait  en 
dehors  de  la  cause.  De  ce  que  les  Mayençais  et  les  Strasbourgeois  ne  sont 
pas  d'accord  sur  ce  détail  de  la  vie  de  Gutenberg,  les  Haarlémois  con- 
cluent qu'il  ne  faut  croire  ni  les  uns  ni  les  autres  dans  ce  qu'ils  rapportent 
de  cet  inventeur  de  secret:  c'est  un  singulier  raisonnement!  Il  dispense,  il 
est  vrai,  du  soin  de  chercher  la  vérité ,  mais  il  ne  prouve  rien  en  faveur  du 
système  costérien ,  contre  lequel  à  leur  tour  les  Mayençais  et  les  Stras- 
bourgeois  pourraient  le  rétorquer. 


138  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

qui  le  confirme.  L'Alsacien  Wimpheling,  presque  con- 
temporain de  Gutenberg,  et  l'un  des  hommes  les  plus 
savants  de  l'époque ,  faisant  sans  doute  allusion  aux  tra- 
vaux que  ce  procès  avait  révélés,  dit  positivement  que 
Gutenberg,  qu'il  croyait  natif  de  Strasbourg,  à  cause  de 
son  long  séjour  dans  cette  ville,  y  inventa  l'imprimerie 
en  \lxko,  et  qu'il  perfectionna  ensuite  cette  invention  à 
Mayence.  Voici  ses  propres  expressions  tirées  de  Y  Epi- 
tome  rerum  Germanie  arum1  :  «Anno  Christi  m.  cccc.  xl. 
«Frederico  tertio  Romanorum  imperatore,  magnum 
«  quoddam  ac  pêne  divinum  beneficium  collatum  est  uni- 
«  verso  terrarum  orbi  a  Joanne  Gutenberg,  Argentinensi, 
«  novo  scribendi  génère  reperto.  Is  enini  primus  artem 
«  impressoriam  (quam  latiniores  excusoriam  vocant)  in 
«urbe  Argentinensi  invenit.  Inde  Mogunciam  veniens, 
«  eandem  fœliciter  complevit.  »  Il  revient  encore  sur  ce 
sujet  dans  plusieurs  de  ses  ouvrages,  et  particulièrement 
dans  sa  Germania  cis  Rhenum2,  où  il  dit,  s'adressant  aux 
habitants  de  Strasbourg  :  «  Urbs  vestra  plurimum  excel- 
«  1ère  videtur  impressorise  artis  origine ,  licet  in  Moguntia 
«  consummatae.  » 

La  Chronique  de  Cologne  elle-même  doit  s'interpré- 
ter ainsi,  quoique  les  termes  y  soient  contraires  en  appa- 
rence. Voici,  en  effet,  ce  que  porte  cette  chronique3, 

1  Chap.  lxv.  Voyez  Schardius,  Scriplores  rerum  Germ.  t.  I,  p.  396. 

2  Strasbourg,  i5oi,  in-4°,  p.  43. 

3  On  en  trouve  le  texte  allemand  dans  Wolf ,  Monum.  tjpograph.  t.  I , 
p.  I170  et  suiv.;  dans  Meerman,  Orig.  tjpogr.  t.  II ,  p.  io5;  dans  Wetter, 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  III.       139 

que  quelques  personnes  ont  le  tort  de  prendre  trop  à 
la  lettre  :  «  L'art  admirable  (de l'imprimerie)  a  été  inventé 
d'abord  en  Allemagne ,  à  Mayence  sur  le  Rhin ,  et  c'est 
un  grand  honneur  pour  la  nation  allemande  qu'on  y 
trouve  des  hommes  aussi  ingénieux.  Cela  arriva  environ 
l'an  1  liào,  et  depuis  ce  temps  jusqu'à  l'an  1  A5o  l'art  ettout 
ce  qui  s'y  rapportait  fut  perfectionné.  Enfin  l'an  i/i5o, 
qui  était  l'année  du  jubilé,  on  commença  à  imprimer,  et 
le  premier  livre  qui  ait  été  imprimé  fut  la  Bible  en  latin , 
exécutée  avec  de  gros  caractères  comme  ceux  qui  servent 
aujourd'hui  à  imprimer  les  missels.  Quoique  l'art ,  tel 
qu'on  le  pratique  actuellement,  ait  été  trouvé  à  Mayence, 
comme  nous  l'avons  dit,  cependant  la  première  idée  vint 
de  la  Hollande  et  des  Donats  qu'on  imprimait  dans  ce 
pays  auparavant.  Ces  livres  ont  donc  été  l'origine  de  l'art; 
mais  l'invention  postérieure  fut  beaucoup  plus  subtile  et 
plus  parfaite  que  la  première,  et  se  perfectionna  de  plus  en 
plus.  Un  certain  auteur  appelé  Omnibonus  a  écrit ,  dans 
la  préface  de  Quintilien1  et  dans  d'autres  livres,  que  c'était 
un  Français  nommé  Nicolas  Jenson  qui  le  premier  avait 
trouvé  cet  art.  Cela  est  faux;  il  reste  encore  beaucoup 
de  personnes  qui  peuvent  attester  qu'on  avait  imprimé 
des  livres  à  Venise  avant  que  Nicolas  Jenson  y  vînt  et  eût 
commencé  à  y  graver  ses  caractères.  Le  premier  inven- 

Kritische  Geschichte,  etc.  p.  28o.Wolf  et  Meerman  en  ont  également  donne 
des  traductions  latines. 

1  Publié  par  Jenson,  à  Venise,  en  1/171.  Nous  parlerons,  dans  la  seconde 
partie,  de.  ce  Quintilien  et  de  la  préface  d'Omnibonus. 


140  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

leur  de  la  typographie  fut  un  bourgeois  de  Mayence  né 
à  Strasbourg,  nommé  Jean  Gudenburch  (Gutenberg), 
chevalier.  L'art  fut  ensuite  porté  de  Mayence  à  Cologne, 
puis  à  Strasbourg  et  enfin  à  Venise.  Je  tiens  ces  détails 
sur  l'origine  et  les  progrès  de  l'imprimerie  d'honorable 
(personne)  Ulric  Zell,  de  Hanau,  qui  importa  cet  art  à 
Cologne,  et  qui  y  exerce  encore  la  profession  d'impri- 
meur en  cette  année  1/499.)) 

Si  l'on  s'en  tient  rigoureusement  au  texte  du  chroni- 
queur, son  récit  est  inintelligible,  car  il  renferme  plu- 
sieurs passages  contradictoires,  comme  nous  aurons  occa- 
sion de  le  prouver  dans  le  cours  de  ce  livre.  En  donnant 
à  Gutenberg  le  titre  de  premier  inventeur  de  l'imprime- 
rie ,  le  chroniqueur  a  voulu  seulement  dire  qu'il  était  le 
premier  de  l'école  mayençaise,  et  le  distinguer  ainsi 
de  Schoiffer  et  autres  qui  ont  continué  de  perfectionner 
l'art,  et  que  certains  auteurs  commençaient  même  déjà  à 
cette  époque  (1/199)  à  placer  au-dessus  de  lui.  Nous  ve- 
nons de  voir  que  le  chroniqueur  reconnaissait  une  école 
antérieure  à  celle  de  Mayence ,  celle  de  Hollande  ;  Guten- 
berg n'a  donc  droit  qu'à  l'invention  postérieure,  «  qui  fut, 
il  est  vrai ,  beaucoup  plus  ingénieuse  que  la  première.  » 
Quant  à  la  date  de  l'invention ,  le  chroniqueur  ne  la  fixe 
pas  d'une  manière  positive  ;  mais  il  dit  qu'elle  eut  lieu 
vers  l'an  iliko.  Cette  indication  est  précieuse  pour  nous. 
En  1  Mio,  Gutenberg  était  àStrasbourg  et  non  à  Mayence, 
où  il  n'alla  que  plusieurs  années  après  :  ce  n'est  donc  pas 
dans  cette  dernière  ville  qu'il  conçut  la  première  idée  de 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  III.       141 

son  invention1.  Le  chroniqueur,  au  reste,  semble  avoir 
eu  conscience  du  fait,  lorsqu'il  dit  que  Gutenberg,  ci- 
toyen de  Mayence ,  était  né  à  Strasbourg  :  c'est  le  con- 
traire qu'il  fallait  dire,  car  Gutenberg,  né  à  Mayence, 
habitait  Strasbourg  en  \lxko.  C'est  une  simple  confu- 
sion qui  a  eu  lieu  dans  la  mémoire  d'Ulric  Zell,  qui  avait 
sans  doute  entendu  dans  sa  jeunesse  Gutenberg  parler 
de  son  long  séjour  à  Strasbourg.  Peut-être  aussi  la  con- 
fusion provient- elle  uniquement  du  chroniqueur,  qui  a 
mal  rendu  le  récit  d'Ulric  Zell.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous 
pouvons  conclure  des  termes  de  la  chronique ,  à  la- 
quelle on  attache  avec  raison  le  plus  d'importance,  que 
l'invention  de  Gutenberg  eut  lieu  à  Strasbourg.  On  ne 
peut  sérieusement  récuser  de  pareils  témoignages. 

Mais ,  ceci  acquis ,  il  reste  un  point  à  déterminer.  Où 
en  était  arrivé  Gutenberg?  Les  uns  pensent  qu'il  s'occu- 
pait seulement  d'impression  tabeilaire  ou  xylographique  ; 
d'autres,  et  c'est  le  plus  grand  nombre ,  et  ce  sont  les  plus 
chauds  partisans  de  Gutenberg,  croient  qu'il  imprimait 
avec  des  caractères  mobiles  de  bois  ;  un  petit  nombre 
seulement  prétendent  qu'il  travaillait  à  l'impression  avec 
des  caractères  mobiles  de  fonte.  C'est  cette  opinion  que 
j'ai  adoptée,  du  moins  en  partie. 

1  En  inscrivant  la  date  de  îliS"]  sur  le  piédestal  de  la  statue  qu'ils  ont 
érigée  à  Gutenberg  sur  l'une  des  places  de  Mayence,  les  partisans  du  sys- 
tème mayençais  se  sont  donné  tort  à  eux-mêmes.  Ce  n'est  pas  en  i8/io 
qu'ils  auraient  dû  faire  leur  cérémonie  séculaire,  c'est  en  i85o,  ou  même 
en  1 855 ,  en  se  plaçant  à  leur  point  de  vue  exclusif.  La  date  de  îliS^  est 
empruntée  uniquement  aux  documents  de  Strasbourg,  qu'ils  rejettent. 


142  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

A  ceux  qui  pensent  que  Gutenberg  n'en  était  encore 
arrivé  en  1 438  qua  l'impression  tabellaire,  je  réponds 
que  ce  mode  d'impression,  déjà  ancien  et  fort  répandu 
alors,  n'aurait  pu  passer  pour  un  secret  aux  yeux  d'André 
Dritzehen,  et  ne  pouvait  dans  tous  les  cas  lui  inspirer 
l'espoir  de  faire  fortune  en  un  an. 

A  ceux  qui  croient  aux  caractères  mobiles  de  bois  de 
Gutenberg,  je  réponds  qu'il  n'aurait  pas  consacré  quatre 
ans  à  l'essai  d'un  procédé  impossible,  comme  je  l'ai  dé- 
montré dans  le  premier  chapitre  ;  que  son  esprit  inventif 
devait  bientôt  et  forcément  le  conduire  à  la  réalisation  des 
caractères  mobiles  de  fonte,  déjà  en  usage  en  Hollande. 

Dans  l'un  et  l'autre  cas,  d'ailleurs ,  on  ne  pourrait  s'ex- 
pliquer la  coopération  de  l'orfèvre  Dùnne  et  l'emploi  du 
plomb  qui  a  été  signalé.  C'est  tout  le  contraire  dans  la 
troisième  hypothèse. 

Mais  nous  avons  d'autres  témoignages  tout  aussi  expli- 
cites que  celui  de  l'orfèvre  Dùnne.  Nous  voyons  que 
Gutenberg  avait  fait  confectionner  une  presse  par  le  me- 
nuisier Sahspach,  et  qu'il  y  avait  sur  cette  presse,  à  l'é- 
poque de  la  mort  d'André  Dritzehen,  quatre  pièces  que 
Gutenberg  ordonne  de  retirer  ou  de  séparer,  afin  qu'on 
ne  puisse  voir  ce  que  c'est.  Or  qu'était-ce  que  ces  quatre 
pièces,  sinon  des  pages  en  cours  d'impression?  Cela  est 
si  vrai ,  qu'on  leur  donne  ailleurs  le  nom  de  forme  (for- 
men),  qui  est  encore  en  usage  aujourd'hui  dans  l'impri- 
merie ,  et  que  nous  verrons  reparaître  plus  loin  dans  un 
document  du  même  genre  avec  la  même  signification. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  III.       143 

Quelques  auteurs ,  parmi  lesquels  se  trouve  M.  Wetter, 
consentent  bien  à  faire  de  la  presse  de  Gutenberg  une 
presse  à  imprimer;  seulement  ils  ne  veulent  voir  dans 
les  quatre  pièces  que  quatre  tables  de  bois  gravées  et  ser- 
rées ensemble  au  moyen  d'une  vis  pour  être  imprimées 
d'un  seul  coup.  Mais,  dit  M.  de  Laborde1,  «les  mots  van 
einander  legen  sont  commentés  dans  les  actes  mêmes  par 
celui  de  zerlegen,  dans  la  déposition  de  Conrad  Sahspach. 
L'un  et  l'autre  signifient,  d'après  l'esprit  même  des  dépo- 
sitions, non  pas  seulement  séparer,  mais  encore  décomposer. 
Il  s'agissait  de  retirer  de  la  presse  les  quatre  formes,  soit 
d'une  page,  soit,  et  c'est  mon  opinion,  de  deux  pages  in- 
folio à  deux  colonnes.  »  Ces  pages  retirées  de  la  presse  et 
distribuées  ou  mises  en  pâte ,  comme  on  dit  dans  la  langue 
technique ,  les  petits  cubes  éparpillés  qui  les  composaient 
ne  pouvaient  trahir  le  secret  des  associés.  Le  seul  fait 
d'avoir  lâché  les  vis  du  châssis  qui  aurait  contenu  des 
planches  fixes  ne  pouvait  détourner  l'attention  des  cu- 
rieux. L'intelligence  la  plus  vulgaire  devait  d'autant  plus 
facilement  saisir  le  rapport  qu'il  y  avait  entre  les  planches 
et  la  presse,  que  la  xylographie  était  alors  parfaitement 
connue;  c'est  différent  si  nous  admettons  qu'il  s'agissait 
de  pages  typographiques  :  dans  le  premier  cas,  les  pré- 
cautions de  Gutenberg  étaient  inutiles  ;  dans  le  second , 
au  contraire ,  elles  étaient  parfaitement  suffisantes. 

D'après  M.  Wetter,  le  seul  progrès  que  Gutenberg 
aurait  fait  faire  à  la  xylographie,  pratiquée  avant  lui, 

1  Ouvrage  cité,  p.  64. 


144  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

c'est  qu'il  aurait  substitué  la  presse  au  frotton ,  et  aurait 
pu  ainsi  imprimer  d'un  seul  coup  quatre  tables  de  bois, 
et  des  deux  côtés  du  papier,  ce  qui  était  impossible  avec 
le  frotton.  Voilà  donc  ce  qui  aurait  si  fort  enthousiasmé 
ses  associés ,  que  l'un  d'eux  mourut  à  la  peine ,  avec  la 
perspective  de  faire  fortune  en  un  an  !  En  vérité ,  c'est 
abuser  de  la  crédulité  de  ses  lecteurs  que  de  soutenir 
sérieusement  une  pareille  hypothèse.  La  xylographie 
était  connue  depuis  longtemps  en  1  Zi  3  8 ,  la  presse  elle- 
même  était  déjà  employée,  non-seulement  par  Coster 
et  son  école,  mais  encore,  il  paraît,  par  les  imagiers  de 
Venise.  Evidemment  le  secret  de  Gutenberg  devait  être 
quelque  chose  de  nouveau. 

Eh  bien,  ce  quelque  chose  de  nouveau,  c'est,  suivant 
moi ,  la  fonte  des  caractères  dans  un  moule  de  fer  muni 
d'une  matrice  en  plomb ,  où  l'empreinte  de  l'œil  de  la 
lettre  avait  été  fixée  à  l'aide  d'un  type  en  bois,  appliqué 
dans  le  métal  en  fusion.  Ce  procédé,  que  décrit  l'abbé  Tri- 
thème,  ainsi  qu'on  le  verra  plus  loin,  était  un  achemi- 
nement naturel  au  mode  définitif  et  actuel  de  fonte  des 
caractères  ;  mais  il  était  encore  trop  imparfait  pour  don- 
ner un  résultat  satisfaisant,  et  voilà  pourquoi  sans  doute 
les  essais  de  Gutenberg  à  Strasbourg  n'ont  pas  abouti ,  que 
l'on  sache.  Aujourd'hui  on  serait  plus  heureux,  grâce  aux 
perfectionnements  qui  ont  été  apportés  à  la  fonte  des 
caractères1. 

1  On  fond  tous  les  jours  à  l'Imprimerie  nationale  des  caractères  chinois 
par  un  procédé  analogue.  Voici  comment  on  opère  :  pour  ne  pas  altérer 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  III.       145 

Voici ,  suivant  moi ,  ce  qui  ressort  des  pièces  du  procès 
de  Strasbourg: 

Vers  iA36,  Gutenberg,  qui  s'occupait  depuis  long- 
temps de  procédés  industriels,  conçoit  l'idée  de  la  mo- 
bilité des  caractères,  soit  de  la  propre  initiative  de  son 
génie  ,  comme  je  le  crois  ,  soit  à  la  vue  d'un  Donat 
hollandais.  Son  esprit  lui  révèle  aussitôt  l'importance 
d'une  pareille  invention.  Il  reconnaît  qu'il  y  aurait  à 
la  fois  gloire  et  profit  pour  celui  qui  parviendrait  à  exé- 
cuter des  livres  entiers  avec  des  caractères  mobiles.  En 
conséquence,  il  chargea  Dùnne,  qui,  en  sa  qualité  d'or- 
fèvre, devait  être  aussi  fondeur  et  mécanicien,  de  lui 
exécuter  un  travail  dont  les  documents  ne  font  point 
connaître  la  nature;  toutefois,  on  peut  induire  avec  sa- 
surance ,  des  circonstance  du  procès ,  que  ce  travail  consis- 
tait dans  la  confection  et  l'ajustage  de  moules  propres  à  la 
fonte  des  caractères.  L'œuvre  de  l'orfèvre  coûta  1  oo  flo- 
rins :  c'était  une  somme  considérable  pour  l'époque.  Gu- 
tenberg, dont  les  ressources  étaient  bornées,  et  que 
les  autres  préparatifs  de  son  nouveau  secret  épuisaient, 

les  poinçons  ou  pour  mieux  dire  les  originaux  des  /i3,ooo  caractères  d'un 
des  corps  du  chinois  (caractères  qui  sont  en  bois),  on  les  moule  dans  du 
plâtre-,  on  fond  dans  ce  moulage  une  ou  plusieurs  empreintes,  et  avec  ces 
empreintes  en  matière  un  peu  dure,  on  frappe  des  matrices,  dont  chacune 
peut  servir  à  fondre  un  certain  nombre  de  caractères  avant  de  s'altérer. 
On  pourrait  encore,  si  l'on  voulait  s'éviter  la  peine  de  frapper  des  matrices, 
souder  un  pied,  à  l'aide  d'un  moule,  aux  empreintes  produites  par  le  mou- 
lage. Ce  mode  de  st  j  éotypage  est  employé  dans  les  fonderies  actuelles 
pour  certains  caractères  ;  mais  il  n'est  pas  probable  que  les  premiers  ar- 
tistes y  aient  songé. 


146  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

s'associa  avecHans  Rifle,  maire  de  Liechtenau,  petite 
ville  voisine  de  Strasbourg ,  mais  située  sur  la  rive  oppo- 
sée du  Rhin.  Il  lit  comprendre  à  ce  magistrat  municipal, 
qui  habitait  sans  doute  ordinairement  Strasbourg,  et 
dont  le  nom  doit  être  conservé  dans  les  annales  de  la 
typographie,  l'importance  du  procédé  nouveau.  Ils  con- 
clurent ensemble  un  traité  qui  assurait  à  ce  dernier,  pour 
sa  mise  de  fonds,  un  tiers  des  profits  :  Gutenberg  se 
réservait  à  lui-même,  comme  inventeur  et  exploiteur, 
les  deux  autres  tiers. 

André  Dritzehen,  qui  avait  été  précédemment  associé 
avec  Gutenberg  pour  le  polissage  des  pierres,  et  y  avait 
gagné  quelque  argent,  ayant  eu  connaissance  de  la  nou- 
velle convention  conclue  par  celui-ci,  dans  lequel  il  avait 
grande  confiance ,  lui  demanda  à  être  admis  dans  l'asso- 
ciation, quoiqu'il  n'en  connût  pas  précisément  tous  les 
détails.  De  son  côté ,  Antoine  Heilmann ,  ami  de  Guten- 
berg, pria  ce  dernier  de  vouloir  bien  y  admettre  aussi  son 
frère  André.  Après  quelques  difficultés,  Gutenberg  con- 
sentit à  ces  deux  propositions.  Le  nouveau  contrat  qui  fut 
rédigé  à  cette  occasion,  au  commencement  de  1  Zi 38 , 
portait  que  les  deux  nouveaux  associés  auraient  un  quart, 
Riffe  un  autre  quart  et  Gutenberg  la  moitié.  Les  deux  An- 
dré devaient  fournir  chacun  80  florins  de  prime  abord, 
puis  plus  tard  80  autres  florins.  Le  premier  terme  fut  en 
effet  payé  le  2  2  mars  1 438;  mais ,  avant  que  le  second  pût 
l'être,  les  conventions  furent  modifiées.  A  l'époque  du 
premier  contrat  qui  liait  les  quatre  associés,  la  foire  d'Aix- 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  III.       147 

la-Chapelle  devait  avoir  lieu  en  i43o,,  c'est-à-dire  avant 
une  année  révolue  ;  mais  lorsqu'ils  eurent  fini  tous  leurs 
arrangements,  et  se  furent  mis  en  train  d'exploiter  leur 
secret,  la  foire  fut  remise  à  l'année  suivante1.  Sur  ces 
entrefaites,  les  deux  André,  étant  venus  voir  Gutenberg 
au  couvent  de  Saint-Arbogaste2,  où  il  travaillait  à  son 
nouvel  art,  le  trouvèrent  au  milieu  de  ses  nouveaux  ins- 
truments, a  Ils  virent  qu'il  leur  avait  caché  plusieurs  se- 
crets qu'il  ne  s'était  pas  engagé  à  leur  communiquer,  ce 
qui  ne  leur  plut  pas3.  Ils  exigèrent  que  Gutenberg  ne 
leur  cachât  plus  rien  de  ce  qu'il  pouvait  savoir  ou  décou- 
vrir d'inventions  et  de  secrets4.  »  Là-dessus  ils  rompirent 
l'ancienne  société ,  et  en  formèrent  une  nouvelle  qui 
devait  durer  cinq  ans.  Par  ce  nouveau  contrat,  les  deux 
André  furent  tenus  d'apporter,  outre  les  80  florins 
déjà  donnés,  1  28  florins  chacun,  dont  5o  tout  de  suite 
et  y  5  plus  tard  :  ce  qui  faisait  en  tout  pour  chacun 
d'eux  2o5  florins,  et  pour  eux  deux  Zuo.  Hans  Rifle 
devait  en  fournir  autant ,  ce  qui  donnait  xin  total   de 

1  Le  pèlerinage  d'Aix-la-Chapelle,  où  l'on  montrait  aux  fidèles  des  re- 
liques célèbres,  n'avait  lieu  que  tous  les  sept  ans;  on  l'appelait  Heilthums- 

fahrt.  H  s'est  continué  comme  foire  commerciale  jusqu'à  nos  jours.  Ce  pè- 
lerinage arriva  en  effet  en  \kko.  (De  Laborde,  Débuts  de  l'imprimerie  à 
Strasbourg,  p.  58.) 

2  Saint-Arbogaste  était  un  monastère  situé  à  l'ouest  de  la  ville,  près 
de  la  rivière  d'il!  avant  son  entrée  dans  Strasbourg,  dans  le  lieu  qu'on 
appelle  maintenant  la  Alontagne-Verte  :  il  n'y  a  plus  là  que  quelques  mai- 
sons particulières-,  toute  trace  du  monastère  a  disparu. 

3  Déposition  de  Mydebart  Stocker,  p.  3i  du  livre  de  M.  de  Laborde. 

4  Sentence,  p.  4g. 


148  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

820  florins ,  sans  compter  les  instruments  que  Guten- 
berg  apportait  à  la  société ,  et  qui  lui  assuraient  double 
part,  équivalente  par  conséquent  à  820  autres  florins. 
Il  fut  de  plus  arrêté  que ,  si  l'un  des  quatre  associés 
venait  à  mourir  pendant  l'association,  les  autres  don- 
neraient aux  héritiers  100  florins  seulement,  une  fois 
payés,  pris  sur  le  fonds  social,  et  à  la  fin  seulement  de 
l'association,  dont  la  durée,  comme  on  vient  de  le  voir, 
avait  été  fixée  à  cinq  ans.  Le  i5  juillet1,  André  Heil- 
mann  paya  les  5o  florins  convenus;  mais  André  Dritze- 
hen  n'en  put  donner  que  ào.  Il  restait  ainsi  débiteur 
envers  la  société  de  1  o  florins ,  outre  les  y  5  à  solder  plus 
tard.  Mais  Gutenberg  ne  se  montre  pas  trop  rigoureux 
pour  le  nouvel  associé  ;  il  n'hésite  pas  à  l'initier  dans  son 
art  en  même  temps  qu'André  Heilmann.  Les  deux  André 
restent  souvent  à  Saint-Arbogaste  pour  apprendre  le  se- 
cret de  Gutenberg;  ils  y  mangent,  et  Dritzehen  ne  paye 
jamais  sa  dépense ,  faute  d'argent.  Néanmoins,  lorsque  les 
caractères  furent  fondus  tant  bien  que  mal ,  Gutenberg , 
qui  a  remarqué  l'aptitude  et  le  zèle  de  Dritzehen ,  fait  cons- 
truire chez  lui ,  dans  la  ville  même  de  Strasbourg ,  une 
ou  plusieurs2  presses  de  nouvelle  invention  par  le  menui- 
sier Sahspach.  Pourvu  de  cet  instrument,  André  Dritze- 
hen se  met  à  travailler  jour  et  nuit,  afin  d'avoir  achevé 
à  l'époque  des  foires;  mais  cette  activité  lui  fut  fatale,  car 
il  mourut  à  la  peine ,  peu  de  temps  après ,  aux  environs 

1  A  la  réunion  des  Kùrsenern. 

1  Voyez  la  déposition  de  Sahspach,  ci-devant,  p.  129. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  III.        149 

de  la  Noël ,  et  la  société ,  privée  de  son  meilleur  ouvrier, 
perdit  toute  une  année  à  plaider  avec  les  frères  du  dé- 
funt. 

Le  procès  fut  vidé,  comme  nous  avons  vu,  à  la  fin  de 
i  ko  g  ;  mais  alors  il  était  trop  tard  pour  pouvoir  profiter 
de  la  foire  d'Aix-la-Chapelle.  On  ignore  ce  que  fit  Gu- 
tenberg à  partir  de  ce  moment  jusqu'à  son  retour  à 
Mayence.  On  sait  seulement  qu'en  i/t4i  il  fut  garant, 
ainsi  que  quelques  autres  personnes,  d'un  emprunt1  fait 
au  chapitre  de  Saint-Thomas  de  Strasbourg  par  Jean 
Carie,  écuyer,  et  qu'en  1  kki  il  fut  forcé  lui-même  d'em- 
prunter quelque  argent  à  ce  chapitre.  Il  vendit  pour 
cela  à  ce  dernier  l\  livres  de  rentes,  sur  une  plus  forte 
somme,  que  lui  avait  laissée  en  mourant  un  de  ses  oncles 
à  Mayence2.  Il  est  probable  qu'ayant  manqué  l'occasion 
favorable  et  épuisé  vainement  le  fonds  social,  les  asso- 

1  Schœpflin ,  Vind.  typocjr.  doc.  n°  v. 

2  Schœpflin  n'a  publié  qu'une  copie  de  cet  acte  (doc.  n°  vi),  emprun- 
tée aux  registres  de  l'église  de  Saint-Thomas.  La  bibliothèque  de  Stras- 
bourg en  possède  aujourd'hui  l'original ,  portant  le  sceau  de  Gutenberg. 
Cette  pièce  précieuse  nous  apprend  que  Gutenberg  vendit  au  chapitre , 
moyennant  80  livres  comptant,  une  rente  de  4  livres,  à  prendre  sur  une 
de  10  florins  que  lui  avait  léguée,  en  mourant,  son  oncle  Jean  Rihter,  dit 
Leheymer,  juge  séculier  dans  sa  ville  natale.  M.  Schmidt,  professeur  au 
séminaire  protestant  de  Strasbourg,  nous  a  révélé  un  fait  curieux  dans  la 
petite  brochure  qu'il  a  publiée  sous  le  titre  de  Nouveaux  détails  sur  la  vie 
de  Gutenberg  (in-8°,  18/11,  Strasbourg),  c'est  que  ce  dernier  a  exactement 
acquitté  la  rente  qu'il  devait  à  Saint-Thomas  jusqu'en  1/I57,  après  quoi  le 
chapitre  se  vit  contraint  de  poursuivre,  faute  de  payement,  Gutenberg  et 
sa  caution,  Martin  Brechter.  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  cette  affaire. 


150  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

eiés  se  découragèrent ,  et  que  l'entreprise  végéta  jusqu'à 
la  fin  du  contrat  en  ikko.  Alors  Gutenberg,  ne  pou- 
vant plus  trouver  à  Strasbourg,  où  son  insuccès  avait  fait 
du  bruit,  les  fonds  nécessaires,  résolut  de  retourner  à 
Mayence,  sa  patrie,  pour  y  tenter  fortune.  Tout  porte 
à  croire  qu'il  resta  nanti  des  instruments  déjà  fabriqués, 
avec  lesquels  il  se  remit  à  l'œuvre  à  Mayence,  comme 
nous  le  verrons  bientôt. 

Ici  se  présente  la  question  de  savoir  si  Gutenberg  a 
produit  quelque  chose  à  Strasbourg.  Schœpflin  l'affirme, 
mais  il  n'en  fournit  pas  la  preuve.  Il  attribue  à  cet  ar- 
tiste, ou  du  moins  à  ses  ouvriers,  plusieurs  ouvrages, 
dont  il  donne  même  des  fac-similé ,  et  qui  auraient  été, 
suivant  lui,  imprimés  à  Strasbourg,  en  caractères  mo- 
biles de  bois.  Je  ne  reviendrai  pas  sur  ce  que  j'ai  dit  au 
sujet  de  ces  prétendus  caractères  de  bois,  que  certains 
bibliographes  voient  partout.  Il  me  suffira  de  dire  que 
les  livres  cités  par  Schœpflin  sont  en  caractères  de  métal, 
et  ont  été  reconnus  depuis  appartenir  à  d'autres  impri- 
meurs. 

De  son  côté,  Palmer1  dit  avoir  vu  dans  la  bibliothèque 
de  lord  Pembrocke  une  édition  des  Dialogues  du  pape 
Grégoire  à  la  fin  de  laquelle  le  rubricateur  avait  écrit  en 
rouge  :  «  Presens  hoc  opusculum  factura  est  per  Johan- 
((  nem  Gutenbergium ,  apud  Argentinam ,  anno  millesimo 
«  cccc  lviii.  »  Mais  Schœpflin2  déclare  qu'il  n'a  jamais  vu 

1  General  history  ofprinting ,  etc.  London  ,  1739,  in-4°,  p.  299. 

2  Vind.  typogr.  p.  4o-/u- 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  III.        151 

ce  livre,  quoiqu'il  ait,  en  compagnie  de  Maittaire,  ex- 
ploré avec  soin  la  bibliothèque  pembrockienne.  Il  fait 
remarquer,  du  reste ,  que  cette  souscription  est  absurde , 
puisque  Gutenberg  était  depuis  plus  de  dix  ans  à  Mayence 
lorsqu'on  lui  fait  imprimer  un  livre  à  Strasbourg. 

M.  Paul  Lacroix  (bibliophile  Jacob)  a  émis  dans  ces 
derniers  temps1  une  opinion  qui  concilierait  tout,  si  elle 
pouvait  être  admise.  Suivant  lui ,  le  mot  de  miroir  (Spiegel) 
employé  dans  le  procès  désignerait,  non  pas  le  meuble 
connu  sous  ce  nom,  mais  le  livre  auquel  on  l'a  donné 
dans  un  sens  figuré,  c'est-à-dire  le  Spéculum,  dont  nous 
avons  si  longuement  parlé  dans  notre  premier  chapitre. 
Ce  livre  porte,  en  effet,  dans  toutes  les  langues,  comme 
dans  le  latin,  le  titre  de  Miroir  (Spiegel  en  hollandais  et 
en  allemand).  On  pourrait  donc  supposer  que  ce  nom 
lui  était  donné  d'une  manière  absolue  à  l'époque  qui 
nous  occupe,  et  où  les  éditions  de  Coster  l'avaient  mis 
en  vogue.  Mais,  quelque  ingénieuse  que  soit  cette  ex- 
plication ,  elle  est  inacceptable ,  car  on  ne  connaît  pas 
un  seul  fragment  de  ce  livre  qui  puisse  être  attribué  à  un 
autre  imprimeur  que  celui  qui  a  exécuté  les  premières 
éditions  ,  et  cet  imprimeur  ne  peut  être  que  Coster. 
Cette  considération  n'a  pas  cependant  arrêté  M.  Lacroix, 
à  qui  je  l'avais  soumise.  Dans  un  travail  tout  récent2,  il 
va  même  jusqu'à  attribuer  à  Gutenberg  le  fameux  Spe- 

1  Bulletin  des  arts,  t.  VI,  p.  66  et  suiv.  broch.  in-8°,  1 847- 

2  Article  Imprimerie ,  dans  le  Moyen  âcje,  publication  du  libraire  Serré , 
in- 4°. 


152  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

culum  humanœ  salvationis  latino-qermanicum ,  cum  spécula 
sanctœ  Mariœ,  in-folio  de  269  feuillets  avec  gravures1; 
mais  personne  ne  sera  de  son  avis  après  avoir  vu  ce  livre, 
qui  est  parfaitement  imprimé  et  porte  toutes  les  marques 
d'une  exécution  postérieure,  soit  dans  la  forme  des  lettres , 
soit  dans  les  procédés  d'impression.  La  principale  raison 
que  M.  Paul  Lacroix  donne  à  l'appui  de  son  opinion, 
c'est  que  le  livre  est  dédié  à  Jean  [de  Hohenstein],  qui 
fut  élu  abbé  du  couvent  de  Saint-Ulric  d'Augsbourg  en 
1  439,  c'est-à-dire  à  l'époque  des  travaux  de  Gutenberg. 
Gela  ne  prouve  rien  pour  l'époque  de  l'impression  du 
livre,  car  cet  abbé  nest  mort  qu'en  1/178.  Le  choix  de  la 
personne  à  qui  est  dédié  cet  ouvrage  aurait  dû,  au  con- 
traire ,  confirmer  M.  Paul  Lacroix  dans  l'opinion  de  tous 
les  bibliographes,  qui  en  attribuent  l'impression  à  Gun- 
ther  Zeiner,  premier  imprimeur  d'Augsbourg.  Au  reste, 
l'opinion  commune,  qui  était  déjà  fort  probable,  est  de- 
venue une  certitude,  depuis  qu'on  a  trouvé  un  catalogue 
de  vente  des  livres  de  ce  célèbre  typographe  imprimé 
par  lui-même,  avec  le  propre  caractère  du  Spéculum 
en  question.  Voici  dans  quels  termes ,  dignes  de  notre 
époque,  le  livre  est  annoncé  dans  ce  curieux  monument 
typographique,  dont  le  docteur  Kloss,  de  Francfort,  a 
donné  un  fac-similé  :  «Volentes  sibi  comparare  infra- 
«  scriptos  libros,  suraraa  cum  diligentia  correctos  àc  bene 
«  continu atos,  ad  hospitium  sese  recipiant  infra  scrip- 

'   Voyez  de  curieux  détails  sur  ce  Spéculum  dans  la  Notice  de  M.  Gui- 
chard,  p.  4o-45. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  III.       153 

«  tum. . .  Spéculum  humanae  salvationis ,  alias  beatse  Vir- 
«ginis,  cum  imaginum  picturis  ad  id  spectantibus ,  latina 
«  et  teutonica  lingua  impressum,  etc.  »  J'ajouterai  que  le 
Spéculum  de  Zeiner  est  un  in-folio  à  longues  lignes,  et 
que  les  quatre  pièces  (pages  ou  colonnes)  dont  parlent 
les  témoins  entendus  dans  le  procès  n'auraient  par  con- 
séquent jamais  pu  se  trouver  sur  la  presse. 

Quant  à  moi,  je  crois  que  l'imperfection  des  premiers 
caractères  de  Gutenberg ,  qui  étaient  sans  doute  entière- 
ment en  plomb,  et  durent  s'user  dès  les  premières  feuilles 
tirées,  ne  lui  permirent  pas  de  réaliser  son  plan.  Toute- 
fois, s'il  fallait  absolument  lui  attribuer  un  livre ,  j'en  con- 
nais un  qui  conviendrait  parfaitement  à  ce  système ,  tant 
à  cause  de  la  forme  et  de  la  force  du  caractère ,  qui  se 
rapproche  beaucoup  de  celui  de  la  Bible  de  l\i  lignes, 
que  Gutenberg  a  imprimée  quelques  années  après  à 
Mayence ,  que  par  l'imperfection  de  l'exécution ,  qui  dé- 
note certainement  un  apprentissage  :  c'est  un  Donat  dé- 
crit par  Van  Praet  sous  le  n°  1  2  de  ses  Vélins  du  roi,  et 
que  ce  bibliophile ,  suivant  l'usage ,  dit  être  en  caractères 
mobiles  de  bois.  Van  Praet  ne  se  serait  pas  ainsi  trompé 
s'il  eût  été  un  peu  plus  familier  avec  les  travaux  typogra- 
phiques. Tout  grossier  qu'il  est,  ce  Donat  conserve  une 
précision  qui  ne  permet  pas  de  douter  qu'il  n'ait  été  exé- 
cuté en  caractères  mobiles  de  fonte.  Il  suffit  pour  s'en  con- 
vaincre de  comparer  entre  elles  certaines  lettres.  Il  y  a 
un  type  surtout  qui  est  très-remarquable ,  c'est  un  groupe 
composé  d'un  i  et  de  deux  s  longues  (ilf).  La  forme  dis- 


154  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

gracieuse  des  lettres  de  ce  groupe ,  qui  revient  fort  sou- 
vent dans  la  même  page,  est  constamment  la  même. 

Le  Donat  dont  je  parle  est  un  petit  in-quarto  de  vingt- 
sept  lignes  à  la  page  ;  le  caractère  est  gothique  et  a  en- 
viron seize  ou  dix-sept  points  typographiques,  c'est-à-dire 
qu'il  se  rapproche  beaucoup,  pour  la  force  du  corps,  de  la 
Bible  de  4  2  lignes.  La  Bibliothèque  nationale  possède 
quatre  feuillets  seulement  en  vélin  de  ce  curieux  Donat, 
qui  est  bien  certainement  un  des  premiers  produits  de 
la  typographie. 

Je  ferai  remarquer  que  le  format  in-quarto  s'accorde- 
rait parfaitement  avec  ce  qu'on  lit  dans  le  procès ,  où  il 
est  souvent  question  des  quatre  pièces  qui  se  trouvaient 
sur  la  presse  lors  de  la  mort  d'André  Dritzehen.  M.  de 
Laborde  pense  que  ces  quatre  pièces  désignent  plutôt  les 
quatre  colonnes  de  deux  pages  in-folio  ;  mais  dans  ce  cas 
l'expression  serait  fort  inexacte.  Au  surplus,  je  le  répète, 
si  j'attribue  ce  Donat  à  Gutenberg,  c'est  par  pure  hypo- 
thèse, car  aucun  indice  positif  ne  m'y  autorise.  Pour  que 
le  lecteur  puisse  apprécier  la  valeur  de  cette  hypothèse , 
je  donne  un  spécimen  du  Donat  en  question  dans  les 
fac-similé  de  caractères  (n°  a). 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  IV.       155 
CHAPITRE  IV. 

GUTENBERG    À    MAYENCE. 
1445-1467. 

Gutenberg  est  encore  inscrit  sur  le  rôle  des  contribu- 
tions de  Strasbourg  jen  i444;  mais  on  croit  qu'il  quitta 
cette  ville  vers  ce  temps-là,  parce  qu'on  ne  voit  plus  figurer 
son  nom  après  cette  date  dans  les  registres  municipaux  : 
on  y  trouve  seulement  celui  d'une  dame  Ennel  Gutenberg, 
qu'on  croit  être  cette  Ennel  (Anne)  qui  l'avait  fait  citer 
en  1 436  devant  l'officialité  de  Strasbourg,  et  qui  serait  de- 
venue sa  femme.  Comme  l'année  î  443  était  précisément 
celle  fixée  pour  le  terme  de  la  société  que  Gutenberg  avait 
formée  en  1 438  avec  Jean  Riffe,  André  Heilmann  et  An- 
dré Dritzehen,  on  en  conclut,  avec  grande  apparence  de 
raison,  que,  peu  satisfait  du  résultat  de  son  association, 
Gutenberg  s'empressa  de  quitter  aussitôt  qu'il  le  put  la 
ville  de  Strasbourg ,  où  il  avait  épuisé  ses  ressources ,  pour 
venir  tenter  la  fortune  dans  son  pays  natal.  Quelques  au- 
teurs citent  en  outre ,  à  l'appui  de  l'opinion  qui  fait  émi- 
grer  Gutenberg  de  Strasbourg  dès  î  443  ,  un  document 
constatant  la  location  faite  cette  année  même  à  Mayence, 
par  un  Jean  Gensfleisch,  de  la  maison  zum  Jungen,  mai- 
son qu'habita  plus  tard  certainement  Gutenberg;  mais 
ce  témoignage  ne  peut  servir  ici ,  car  c'est  Jean  Gens- 
fleisch Yancien,  oncle  de  Gutenberg,  qui  loua  la  maison 


156  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

zum  Jungen  en  octobre  ikkS1.  Le  premier  acte  que 
nous  ayons  constatant  positivement  la  présence  de  Gu- 
tenberg  à  Mayence  est  de  1  k k 8,  et  il  nous  apprend  que 
ce  dernier,  bien  loin  de  pouvoir  louer  une  maison ,  était 
alors  réduit,  pour  emprunter  de  l'argent,  à  fournir  la 
caution  de  ses  parents2.  Les  choses  étant  ainsi,  il  semble 
tout  naturel  que  Gutenberg  soit  venu  loger  dans  la  mai- 
son zum  Jungen  louée  par  son  oncle  ;  et  voilà  sans  doute 
pourquoi  nous  l'y  trouvons  plus  tard. 

1  Kôhler,  Ehrenrettung  Guttcnbenj  's,  p.  67,  82 . — Schaab,  Die  Geschichte, 
etc.  t.  II,  p.  2  5o. — Wetter,  Kritische  Geschichte,  etc.  p.  292,  texte  et  note. 
—  Je  ne  m'amuserai  pas  à  réfuter  en  détail  le  singulier  système  produit 
par  M.  de  Vries  [Arguments  des  Allemands,  etc.  p.  4g  et  suiv.)  au  sujet 
de  Jean  Gensfleiscli  l'ancien.  Forcé  de  renoncer  à  l'idée  de  ses  compa- 
triotes, qui  ont  longtemps  prétendu  que  Gutenberg  était  le  voleur  de 
Coster,  par  la  seule  raison  qu'il  s'appelait  Jean,  M.  de  Vries  se  rejette  sur 
l'oncle ,  qui  s'appelait  également  Jean.  Son  plus  grand  argument  est  puisé 
dans  une  chronique  de  Strasbourg  qui  attribue  à  Jean  Gensfleiscb  le  vol 
du  procédé  typographique  de  Mentelin,  de  Strasbourg,  dont  nous  parle- 
rons plus  loin.  Je  ne  vois  pas  en  quoi  cela  touche  au  vol  attribué  à  l'ouvrier 
de  Coster.  Pùen  n'est  étrange  comme  ce  système.  M.  de  Vries  ne  croit  pas 
aux  essais  typographiques  de  Strasbourg  dont  parle  la  chronique  ;  mais  il 
veut  bien  accepter  le  récit  du  chroniqueur,  en  en  changeant  les  termes  , 
c'est-à-dire  en  attribuant  à  Coster  ce  que  le  chroniqueur  dit  de  Mente- 
lin.  ..  .  Qui  ne  voit  que  ces  accusations  de  vol  sont  des  preuves  frappantes 
de  la  contemporanéité  de  nombreux  essais,  et  du  désappointement  de  quel- 
ques-uns des  chercheurs  devancés  dans  leur  exploration?  Pourquoi  Junius 
n'aurait-il  pas  nommé  le  voleur  de  Coster  s'il  l'avait  connu?  Et  s'il  ne  l'a 
pas  connu  alors,  comment  le  connaîtrons-nous  aujourd'hui?  C'est  une  sin- 
gulière idée  vraiment  que  de  faire  de  Jean  Gensfleisch  l'ancien ,  homme 
très-âgé ,  membre  d'une  famille  patricienne  fort  respectable  de  Mayence , 
le  domestique  de  Coster  à  Haarlem  ! 

2  Schaab,  Die  Geschichte ,  etc.  t.  II,  p.  2  53,  n°  1 13. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  IV.        157 

Quoi  qu'il  en  soit ,  c'est  un  fait  digne  de  remarque  que 
l'arrivée  de  Gutenberg  à  Mayence  vers  le  temps  où  l'ou- 
vrier de  Coster  était  venu,  dit-on,  s'y  fixer  lui-même.  Il 
semble  que  cette  ville  fût  prédestinée  au  rôle  qu'elle  allait 
remplir.  Du  reste  sa  situation  géographique  explique  jus- 
qu'à un  certain  point  l'honneur  dont  elle  fut  l'objet.  Assise 
sur  le  Rhin ,  elle  touchait  par  cette  grande  artère  euro- 
péenne aux  deux  villes  qui  ont  fait  les  premiers  essais 
connus  de  la  typographie  :  c'était  comme  le  point  inter- 
médiaire où  les  deux  écoles  devaient  se  fondre  en  une 
seule ,  pour  réaliser  définitivement  fart  nouveau. 

Persévérant  comme  l'homme  de  génie  qui  a  la  certi- 
tude de  posséder  un  secret  utile  à  l'humanité,  Gutenberg 
ne  se  découragea  pas  de  son  insuccès  à  Strasbourg;  sem- 
blable à  Christophe  Colomb,  avec  lequel  il  a  plus  d'un 
rapport,  et  qu'il  ne  devança  dans  la  vie  que  d'un  demi- 
siècle,  il  persévéra  en  dépit  des  événements  jusqu'à  ce 
qu'il  eût  atteint  le  but  auquel  il  aspirait.  Tout  nous  fait 
croire  qu'il  apporta  avec  lui  à  Mayence  les  ustensiles  fa- 
briqués à  Strasbourg1.  En  effet,  ses  deux  associés,  en 

1  Dans  son  Album  typographique ,  M.  Duverger  donne  un  dessin  qui  re- 
présente Gutenberg  conduisant  à  pied  la  voiture  chargée  de  ses  instru- 
ments. Il  est  peu  probable  que  notre  artiste  se  soit  condamné  à  un  voyage 
si  pénible ,  si  coûteux  et  si  lent ,  ayant  à  sa  disposition  une  voie  de  commu- 
nication économique,  prompte  et  facile,  le  Pihin  à  la  descente  ,  pour  re- 
tourner dans  son  pays.  Wimpheling  semble  dire  que  c'est  par  cette  voie 

que  Gutenberg  retourna  à  Mayence.  « nobilis  ars  impressoria  inventa 

«fuit  a  quodam  Argentinensi,  licet  incomplète;  sed  cum  is  Moguntiam 
«descenderet...  ea  ars  compléta  fuit.  »  (Voyez  ci-après,  p.  1 63. ) 


158  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

supposant  qu'ils  vécussent  encore ,  ne  devaient  pas  tenir 
beaucoup  à  des  objets  industriels  dont  l'un  d'eux  au 
moins  ne  savait  pas  faire  usage  :  je  veux  parler  de  Riffe, 
qui,  dans  toutes  les  pièces  du  procès  de  Strasbourg,  ne 
paraît  que  comme  bailleur  de  fonds. 

Une  fois  à  Mayence ,  Gutenberg  se  mit  en  mesure  de 
réaliser  son  plan.  Mais  ses  instruments,  encore  imparfaits; 
ses  caractères  en  plomb,  si  faciles  à  détériorer  ;  son  manque 
d'argent,  car  il  aépuisé  toutes  ses  ressources  dans  ses  pre- 
miers essais ,  ne  lui  permettent  pas  d'exploiter  de  suite  sa 
nouvelle  industrie.  D'ailleurs,  si  l'on  en  croit  la  tradi- 
tion hollandaise,  en  arrivant  dans  sa  ville  natale,  Guten- 
berg dut  y  trouver  établi  un  concurrent,  Jean,  l'ouvrier 
de  Coster,  qui  exécutait  péniblement,  depuis  quelques 
années,  de  petits  livrets  comme  le  Doctrinale,  le  Do- 
nat,  etc.  Gutenberg  veut  le  surpasser,  il  veut  mettre  entre 
les  deux  artistes  une  distance  qui  prouve  sa  supériorité. 
Il  perfectionne  sa  presse  1 ,  conçoit  l'idée  du  poinçon 

1  Quelle  forme  avait  la  première  presse  de  Gutenberg?  On  l'ignore 
complètement.  Quelques  auteurs,  plus  poètes  que  typographes,  disent 
qu'elle  était  imitée  des  pressoirs  à  vin  ;  et  cette  opinion  a  été  adoptée  par 
notre  célèbre  statuaire  David,  qui  a  exécuté  le  Gutenberg  de  Strasbourg; 
mais  il  suffit  d'avoir  une  notion  de  l'imprimerie  pour  savoir  qu'on  n'aurait 
rien  pu  exécuter  avec  un  pareil  instrument.  H  y  avait  alors  en  usage  dans 
certaines  professions  plusieurs  presses  beaucoup  mieux  appropriées  à  l'im- 
primerie :  telle  était,  par  exemple,  celle  employée  dans  les  ateliers  moné- 
taires. 11  est  probable  que  la  machine  inventée  par  Gutenberg  avait  beau- 
coup de  ressemblance  avec  les  vieilles  presses  à  nerfs  représentées  sur  les 
anciens  livres,  et  qui  se  sont  perpétuées  jusqu'à  nous  presque  sans  modi- 
fications importantes,  sinon  qu'on  a  remplacé  les  nerfs  par  des  cordes,  la 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.        159 

d'acier  pour  frapper  des  matrices  en  cuivre,  et  enfin 
pâment  à  trouver  un  alliage  convenable  pour  donner 
plus  de  consistance  à  ses  caractères,  fondus  jusque-là  en 
plomb ,  dans  des  matrices  de  même  métal.  Sûr  dès  lors 
du  succès  de  son  entreprise,  il  songe  à  imprimer  un  des 
ouvrages  les  plus  considérables  qu'on  connût  alors,  et  en 
tout  cas  le  plus  célèbre ,  celui  dont  le  débit  était  le  plus 
certain,  la  Bible,  en  un  mot,  c'est-à-dire  le  livre  par 
excellence.  Il  essaye  d'abord  de  marcher  seul  dans  cette 
voie,  comme  le  constate  l'acte  de  1  Zi/i8,  dont  je  viens  de 
parler.  Cet  acte,  daté  du  6  octobre,  est  un  contrat  par 
lequel  Arnulphe  Gelthus,  parent  de  Gutenberg,  se  fait 
garant  pour  lui,  vis-à-vis  de  deux  de  ses  compatriotes 
(Reinhart  Brômser  et  Jean  Rodenstein),  du  prêt  d'une 
somme  de  i5o  florins,  fait  à  celui-ci,  moyennant  une 
rente  de  8  florins  et  1/2  1. 

Mais  qu'était  une  aussi  petite  somme  en  présence  des 
dépenses  qu'il  y  avait  à  faire!  Gutenberg  est  bientôt  ar- 
rêté par  des  obstacles  d'argent.  Déterminé  à  tout  pour 
arriver  à  son  but,  il  va  trouver  un  banquier  appelé  Jean 
Fust2,  auquel  il  révèle  ses  plans,  et  lui  demande  sa  coo- 
pération financière.  Ce  dernier,  frappé  du  mérite  évi- 

platine  en  bois  à  deux  coups  par  une  platine  en  cuivre  ou  en  fonte  à  un 
seul  coup ,  et  le  marbre  par  une  plaque  en  métal. 

1   Scbaab,  Die  Geschichte,  etc.  t.  II,  p.  2  53,  n°  1 13. 

a  Plusieurs  auteurs  disent  que  Fust  était  orfèvre  ;  mais  c'est  une  erreur. 
Aucun  document  ne  lui  donne  cette  qualité ,  qui  appartenait  seulement  à 
son  frère  Jacques ,  dont  nous  aurons  occasion  de  parler  plus  loin.  Quant  à 
Jean,  il  était  tout  simplement  spéculateur,  prêteur  d'argent,  banquier. 


160  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

dent  de  l'invention  de  Gutenberg,  qui  devait  assurer 
de  magnifiques  bénéfices  au  bout  de  peu  d'années,  con- 
sentit à  lui  faire  des  avances  à  certaines  conditions.  Ils 
conclurent  ensemble  un  traité  dont  voici  les  bases  prin- 
cipales :  i°  l'association  durerait  cinq  ans,  pendant  les- 
quels l'ouvrage  devait  être  terminé;  i°  Fust  avancerait 
a  Gutenberg  la  somme  de  800  florins,  h  6  pour  cent  d'in- 
térêt, pour  établir  l'imprimerie;  3°  les  instruments  reste- 
raient engagés  à  Fust  comme  garantie  de  la  somme  prê- 
tée jusqu'au  remboursement  intégral.  On  convint  de  plus, 
mais  sans  qu'il  fût  pris  acte  de  cette  clause,  que,  lorsque 
tout  serait  prêt,  Fust  remettrait  annuellement  à  Guten- 
berg 3oo  florins  pour  les  frais  de  la  main-d'œuvre,  les 
gages  des  domestiques ,  le  loyer,  le  chauffage ,  le  parche- 
min ,  le  papier,  l'encre ,  etc.  à  la  condition  d'avoir  une 
part  dans  la  vente  des  produits  de  l'imprimerie ,  sans  avoir 
toutefois  rien  à  faire  dans  l'exécution  ni  dans  l'excédant 
de  la  dépense.  Gutenberg  devait  seul  monter  l'impri- 
merie et  faire  la  besogne. 

C'est  en  i45o  que  fut  passé  ce  contrat,  dont  nous 
avons  le  résumé,  sinon  les  termes  mêmes1.  Le  banquier 
s'était  arrangé  de  manière  à  ne  rien  perdre  quoi  qu'il 
arrivât,  et  à  gagner  beaucoup  si  l'on  réussissait.  Nous  ver- 
rons bientôt  que  Gutenberg  fut  victime  de  ce  contrat 
léonin ,  qui  assurait  à  la  fois  à  Fust  un  gros  intérêt  pour 
son  argent,  un  gage  pour  le  capital  et  un  bénéfice  dans 

1  Voyez  plus  loin,  p.  19/i  et  suivantes,  la  traduction  du  document  où 
cette  analyse  se  trouve. 


PREMIERE  PARTIE.  —CHAPITRE  IV.        161 

l'entreprise.  Mais  Gutenberg,  depuis  si  longtemps  déçu 
dans  ses  projets,  ne  regarda  pas  aux  conditions  :  il  lui 
suffisait  qu'on  lui  donnât  le  moyen  de  réaliser  ses  plans. 
On  demandera  peut-être  ce  qu'il  avait  fait  jusque-là.  Hélas  ! 
qui  donc  n'a  vu  dans  sa  vie  ses  plus  beaux  projets  ajournés, 
et  les  années  s'écouler  en  démarches  vaines  ?  Gutenberg 
avait  sans  doute  sollicité  beaucoup  de  monde  et  essuyé 
plus  d'un  refus  avant  de  trouver  quelqu'un  qui  le  comprît. 
Plein  de  confiance  dans  le  succès,  il  se  mit  à  la  be- 
sogne, et  monta  son  imprimerie  dans  la  maison  zum 
Jungen,  qu'il  habitait  seul  ou  avec  son  oncle,  et  non  pas, 
comme  l'ont  dit  quelques  auteurs,  trompés  par  Tri  thème  \ 
avec  Fust  et  Schoiffer.  Ce  dernier  n'était  probablement 
pas  encore  à  Mayence;  quant  à  Jean  Fust,  il  habitait 
une  maison  particulière  dont  nous  parlerons  plus  tard. 
C'est  ce  qui  explique  pourquoi  on  spécifie  un  loyer  pour 
l'atelier  dans  les  conventions  rappelées  plus  haut.  Si  les 
associés  eussent  tous  deux  habité  la  maison  zum  Jungen , 
il  eût  été  absurde  de  payer  le  loyer  de  l'atelier  à  Guten- 
berg en  particulier.  Au  surplus ,  Tiïthème 2  semble  dire 

1  Annales  Hirsaugienses ,  t.  II,  p.  421  :  «Habitabant  autem  primi  très 
«artis  impressorias  inventores,  Joannes  videbcet  Guttenberger,  Joanncs 
«Fust  et  Petrus  Opilio  (Schoiffer),  gêner  ejus,  Moguntiœ,  in  domo  zum 
«Jungen  dicta,  quse  deinceps  usque  in  prœsens  Impressoria  nuncupatur.  » 
(Voyez  aussi  Wolf,  Meerman,  Schaab,  Wetter,  etc.) 

2  Chronicon  Sponheimense  [Opéra,  t.  II,  p.  366)  :  « Morabatur  autem 
«praefatus  Jobannes  Gutenberg  Moguntiae  in  domo  dicla  zum  Jungen,  quaî 
«domus  usque  in  prœsentem  diem  illius  novae  artis  nomine  dignoscitur 
«  insignita.  »  (Voyez  aussi  Meerman,  Orig.  typogr.  t.  II,  p.  128.) 


162  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

ailleurs  que  Gutenberg  habitait  seul  cette  maison1,  qui 
reçut  plus  tard  le  nom  d'Imprimerie.  Elle  était  située  sur 
la  petite  place  des  Franciscains,  et  est  occupée  aujour- 
d'hui par  une  brasserie  placée  sous  le  patronage  de  Gu- 
tenberg (section  D,  n°  122). 

Gutenberg  consacra  près  de  deux  ans  à  se  procurer 
les  instruments  nécessaires  :  presses,  poinçons,  moules, 
matrices,  etc.  avant  que  l'imprimerie  pût  être  regardée 
comme  prête ,  suivant  l'arrangement  verbal  d'après  lequel 
il  avait  été  convenu  que  Fust  avancerait  annuellement 
3oo  florins  pour  la  main-d'œuvre.  Ce  retard  extraordi- 
naire peut  être  attribué  en  partie  à  la  lésinerie  du  bail- 
leur de  fonds ,  qui  n'avait  point  fourni  en  une  fois  les 
800  florins  promis. 

Au  moment  de  commencer  l'exploitation,  il  fallut  son- 
ger à  se  procurer  une  grande  provision  de  vélin  ,  de  pa- 
pier, etc.  si  l'on  voulait  mener  rondement  l'affaire.  Or, 
les  800  florins  avancés  par  Fust  se  trouvant  absorbés, 
Gutenberg  se  vit  une  seconde  fois  dans  l'embarras ,  caries 
3 00  florins  promis  annuellement  ne  pouvaient  évidem- 
ment pas  suffire  à  tout.  On  fit  un  nouvel  arrangement  : 
Fust  offrit  800  florins  une  fois  payés  pour  les  trois  autres 
années  que  devait  durer  l'association.  Par  là  il  gagnait 
encore  100  florins.  Comme  compensation,  il  consentit 
à  ne  pas  réclamer  les  intérêts  de  la  somme  stipulée  dans 

1  C'est  pour  cela  que  Gutenberg  reçoit  dans  quelques  livres  le  surnom 
de  zum  Jungen.  Peut-être  a-t-on  confondu  la  qualification  de  jeune  (der 
junge)  que  portait  Gutenberg  avec  le  nom  de  la  maison  qu'il  habitait. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.        163 

le  premier  contrat  ;  mais  cette  convention  Rit  entière- 
ment verbale.  Gutenberg  ne  pouvait  pas  hésiter.  Il  était 
sûr  dès  lors  du  succès  :  peu  lui  importaient  les  conditions , 
pourvu  qu'il  arrivât  à  son  but.  C'est  Christophe  Colomb 
offrant  sa  vie  à  ses  soldats  révoltés  comme  garantie  de 
sa  parole  qu'il  allait  leur  montrer  un  nouveau  monde  ! 
Pourvu  de  nouveaux  fonds ,  Gutenberg  se  remet  à  la 
besogne  avec  plus  d'ardeur  que  jamais.  Toutefois  l'œuvre 
qu'il  a  entreprise  demande  plusieurs  années,  encore  ne 
réussit-il  qu'avec  les  conseils  de  son  oncle,  Jean  Gens- 
fleisch  l'ancien,  que  sa  grande  vieillesse  avait  rendu  aveu- 
gle. C'est  ce  que  nous  apprend  Wimpheling  dans  un  cu- 
rieux passage  de  sa  Chronique  des  évêques  de  Strasbourg1, 
qui  vient  confirmer  ce  qu'il  a  dit  déjà  de  l'invention  de 
l'imprimerie,  et  où  il  rapporte  que  plusieurs  personnes 
s'occupaient  alors  d'imprimerie  à  Mayence  :  «  Sub  hoc  Ro- 
«berto  (episcopo)  nobilis.  ars  impressoria  inventa  fuit  a 
«  quodam  Argentinensi ,  licet  incomplète  ;  sed  cum  is  Mo- 
a  guntiam  descenderet ,  ad  alios  quosdam  in  hac  arte  simi- 
«  liter  laborantes2,  ductu  cujusdam  Johannis  Gensfleisch, 
«exsenio  cœci,  indomo  Bonimontis  (Gutenberg)3,  in qua 
«hodie  collegium  est  juristarum,  ea  ars  compléta  et  con- 
«  summata fuit,  in  laudem  Germanorum  sempiternam4.  » 

1  Catalogus  episc.  Argentinensium  (Strasb.  1660,  in-/i0),  p.  109. 

2  Peut-être  Wimpheling  fait-il  ici  allusion  aux  travaux  de  Jean,  l'ou- 
vrier de  Coster. 

3  Notre  auteur  croyait  à  tort  que  Gutenberg  avait  établi  son  imprime- 
rie dans  la  maison  paternelle  :  cette  maison  n'appartenait  plus  à  sa  famille. 

4  J.  D.  Wertbern  (cité  par  M.  de  Vries,  Arguments,  etc.  p.  bit ,  et  app. 


164  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

On  conçoit  parfaitement  les  tâtonnements ,  les  erreurs 
de  calcul  de  Gutenberg,  lorsqu'on  songe  à  l'immensité 
de  l'œuvre  qu'il  avait- entreprise.  En  effet,  sa  Bible,  dont 
je  donnerai  plus  loin  la  description  typographique,  se 
compose  de  64 1  feuillets  ou  1 ,282  pages  in-folio.  Chaque 
page  a  deux  colonnes  de  4  2  lignes  chacune.  L'ouvrage  est 
généralement  divisé  en  cahiers  de  5  feuilles,  renfermant 
20  pages.  Chaque  ligne  contient  environ  32  lettres  :  ce 
nombre ,  multiplié  par  lii  lignes ,  donne  1 ,344  lettres  par 
colonne,  2,688  par  page,  10,782  par  feuille,  53,y6o 
par  cahier,  c'est-à-dire  60,000  caractères  au  moins,  car 
il  faut  bien  compter  les  lettres  superflues,  et  il  y  en  avait 
alors  plus  qu'aujourd'hui,  parce  qu'il  y  avait  beaucoup 
plus  de  types,  à  cause  des  abréviations  et  des  ligatures. 
Cela  suppose  une  fonte  de  120,000  lettres  au  moins, 
attendu  qu'il  fallait  avoir  de  quoi  composer  un  second 
cahier  pendant  qu'on  tirait  le  premier1.  Je  ne  compte  pas 
le  nombre  de  poinçons  ;  mais  il  devait  être  fort  grand , 
à  cause  de  la  variété  des  types  alors  en  usage.  Chaque 
lettre  en  demandait  au  moins  trois  ou  quatre  différents. 

n°  22  )  en  dit  autant  :  «  Et  ces  trois ,  savoir  Jean  Gutenberg,  Jean  Fust  et 
Hans  Gensfieisch ,  ont,  par  leurs  réflexions,  leurs  découvertes ,  et  avec  la 
grâce  du  Très -Haut,  non -seulement  fait  de  l'art  d'imprimer  une  réalité, 
mais  ils  l'ont  gardé  secret  pendant  longtemps.  » 

1  II  y  a  des  personnes  qui  croient  qu'on  imprimait  les  pages  une  à  une 
dans  les  premiers  temps  de  l'imprimerie.  Cette  idée  n'a  pu  venir  qu'à  des 
gens  tout  à  fait  étrangers  aux  travaux  de  la  typographie.  Un  semblable 
procédé  aurait  annulé  tous  les  avantages  que  l'imprimerie  avait  sur  la  xylo- 
graphie. On  a  vu  précédemment  que  le  Spéculum  lui-même,  quoique  tiré 
en  blanc,  l'avait  été  par  deux  pages  à  la  fois,  autrement  dit  par  forme. 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  IV.       165 

On  peut  juger  par  là  des  frais  immenses  de  cette  première 
et  colossale  entreprise  !  Combien  de  déceptions  et  de 
dépenses  vaines ,  d'accidents  imprévus ,  avant  de  pouvoir 
voguer  à  pleines  voiles  vers  le  but  proposé  !  Mais  depuis 
près  de  vingt  ans  Gutenberg  nous  a  prouvé  sa  ténacité , 
son  courage  ;  il  ne  faiblira  pas ,  même  devant  la  concur- 
rence qu'on  va  lui  faire  avec  ses  propres  armes. 

Comme  ballon  d'essai  de  sa  Bible ,  Gutenberg  publia 
sans  doute  quelque  édition  du  Donat;  nous  possédons 
en  effet  des  fragments  de  trois  éditions  différentes  de 
ce  livre  imprimées  avec  les  caractères  de  la  Bible  de 
lx 2  lignes,  et  dont  une  au  moins,  la  première,  paraît  de- 
voir être  attribuée  à  Gutenberg.  Cette  édition ,  citée  par 
M.  Fischer1  et  par  Van  Praet2,  est  un  petit  in-folio  de 
33  lignes,  dont  la  Bibliothèque  nationale  possède  deux 
feuillets  en  vélin.  Les  lettres  initiales  sont  faites  à  la  main  ; 
les  caractères  en  sont  certainement  mobiles ,  puisqu'on  y 
trouve  des  lettres  renversées3. 

La  deuxième  édition,  mentionnée  par  M.  Wetter4,  et 
dont  les  fragments  sont  conservés  dans  la  bibliothèque 
de  Mayence,  est  un  in-quarto  de  2 y  lignes  à  la  page. 
Je  ne  sais  s'il  faut  l'attribuer  à  Gutenberg  ou  à  Schoiffer, 
qui  tous  deux  ont  imprimé  avec  le  caractère  de  la  Bible 
de  h  2  lignes. 

1  Essai  sur  les  monuments  typographiques  de  Gutenberg,  p.  71. 

2  Vélins  de  la  Bibliothèque  du  roi,  Belles-lettres ,  n°  5. 

3  Fischer,  Essai,  etc.  p.  68  ,  planche. 

4  Kritische  Geschichte,  etc.  p.  /i33,  pi.  X,  n°  1. 


166  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Quant  à  la  troisième  édition,  qui  a  35  lignes  à  la 
page,  elle  est  positivement  de  Schoiffer,  comme  nous  le 
verrons  plus  loin1. 

Pour  exécuter  son  entreprise ,  Gutenberg  avait  été 
obligé  d'employer  plusieurs  artistes  et  ouvriers  :  graveurs, 
fondeurs,  mécaniciens,  compositeurs,  imprimeurs,  en- 
lumineurs ,  relieurs ,  etc.  Aussi  son  secret  n'en  fut  bientôt 
plus  un  à  Mayence.  Son  nouveau  procédé  de  fonte  de 
caractères  fut  bientôt  pratiqué  dans  cette  ville  même  par 
quelque  autre  industriel,  soit  Jean,  son  concurrent,  soit 
l'un  de  ses  propres  ouvriers.  Avant  même  que  sa  Bible 
fût  achevée,  il  s'établit  dans  cette  ville  au  moins  une 
et  peut-être  bien  deux  imprimeries  nouvelles,  opérant 
d'après  le  système  de  Gutenberg,  d'abord  imparfaite- 
ment, comme  dans  le  Donat  dit  de  1U51;  puis  moins 
mal,  comme  dans  le  Calendrier  de  1 455  ou  Appel  contre 
les  Turcs,  imprimé  en  i/i5/i;  et  enfin  admirablement , 
comme  dans  les  Lettres  d'indulgences ,  de  ilx^k  et  1 455. 

Je  parlerai  plus  loin  des  deux  premiers  monuments, 
qui,  quoi  qu'on  ait  pu  dire,  n'appartiennent  pas  à  Guten- 
berg, car  ils  ont  été  exécutés  avec  un  caractère  autre 
que  celui  qui  a  servi  pour  la  Bible  de  /i2  lignes  ;  mais  je 
dois  m'arrêter  ici  un  instant  sur  les  Lettres  d'indulgences , 
dont  deux  éditions  (il  y  en  a  cinq  ou  six)  peuvent  être 

1  M.  Fischer,  qui  n'avait  pas  vu  la  suscription  de  ce  Donat,  découverte 
après  la  publication  de  son  Essai  sur  les  monuments  de  Gutenberg,  l'attri- 
buait à  ce  dernier  dans  son  livre  (p.  68,  ~jk  et  suiv.);  mais  il  est  revenu 
sur  cette  opinion  dans  ses  Typotjraplùschc  Seltenheiten,  6e  livraison,  p.  1 1. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.        167 

revendiquées  par  lui.  Pour  ne  pas  morceler  les  détails , 
je  réunirai  ici  tout  ce  que  j'ai  à  dire  sur  ces  premiers 
monuments  datés  de  la  typographie,  quitte  à  revenir 
ensuite  sur  la  part  qui  concerne  chaque  artiste  dans  les 
différentes  éditions. 

On  connaît  aujourd'hui  dix-huit  exemplaires  des  Lettres 
d'indulgences  portant  les  dates  de  1  k 5 lx  et  1 455.  Elles  ont 
été  exhumées  successivement  des  archives  de  famille,  où 
on  les  avait  conservées  comme  les  autres  actes  manuscrits 
du  temps,  avec  lesquels  elles  ont,  du  reste,  une  parfaite' 
ressemblance  :  elles  sont  toutes  imprimées  sur  vélin  et 
d'un  seul  côté.  M.  Léon  de  Lahorde  a  publié  sur  ces 
documents  historiques  un  travail  très-intéressant1,  au- 
quel j'ai  eu  souvent  recours. 

Voici  dans  quelle  circonstance  ces  Lettres  d'indulgences 
furent  publiées  : 

La  puissance  des  Turcs  croissait  sans  cesse  en  présence 
des  divisions  des  peuples  chrétiens.  Vers  1 45 1 ,  Jean  III, 
roi  de  Chypre,  de  la  dynastie  française  des  Luzignans,  me- 
nacé dans  ses  possessions,  envoya  un  de  ses  conseillers, 
Paulin  Zappe  (ou  Chappe),  dans  diverses  parties  de  la 
chrétienté ,  et  particulièrement  à  Rome ,  pour  demander 

1  Débuts  de  l'imprimerie  à  Mayence  et  à  Bamberg,  ou  description  des  Lettres 
d'indulgences  du  pape  Nicolas  V pro  regno  Cypri,  etc.  grand  in-4°  à  deux  co- 
lonnes, orné  de  planches  et  de  gravures;  Paris,  1 84 o.  —  Quelques  auteurs 
ont  prétendu  que  les  Lettres  d'indulgences  n'étaient  pas  en  caractères  mo- 
biles, d'autres  ont  nié  qu'elles  fussent  de  l'époque  dont  elles  portent  la 
date  imprimée.  Il  est  inutile  de  réfuter  ces  assertions ,  qui  n'ont  plus  au- 
jourd'hui de  champions. 


168  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

du  secours.  Le  pape  Nicolas  V  donna ,  le  1 1  avril  1 45 1 ], 
une  bulle  par  laquelle  il  accordait  des  indulgences  plé- 
nières  de  trois  ans  à  tous  ceux  qui,  du  ier  mai  i452 
au  ier  mai  i/i55,  aideraient  de  leur  bourse  la  cause  du 
roi  de  Chypre.  Ce  dernier  chargea  de  ses  pouvoirs  son 
propre  ambassadeur,  dans  un  diplôme  daté  du  6  jan- 
vier i/i52.  Zappe,  à  son  tour,  choisit  pour  commissaire 
général  dans  l'Allemagne  Jean  de  Castro-Coronato ,  et  pour 
procureurs  Abbel  Kilchof,  de  Cologne,  et  Philippe  Urri, 
de  Chypre.  Ceux-ci  se  rendirent  à  Mayence  munis  du 
sceau  de  l'entreprise ,  et  obtinrent  de  Théodoric ,  alors 
archevêque  de  cette  ville,  les  autorisations  nécessaires. 
Ce  prélat  nomma  même  des  personnes  chargées  de  veil- 
ler à  la  conservation  du  produit  de  l'aumône  générale 
confiée  à  la  foi  publique ,  ce  qui  n'en  empêcha  pas  toutefois 
la  dilapidation.  Gudenus  (ou  plutôt  T.  C.  de  Buri,  qui  a 
publié  le  quatrième  volume  du  Codex  diplomaticus ,  com- 
mencé par  Gudenus)  nous  apprend  en  effet2  qu'à  l'arrivée 
en  Europe  de  la  nouvelle  de  la  prise  de  Constantinople, 
qui  eut  lieu  le  k  des  calendes  de  juin  (29  mai)  i453, 
Jean  de  Castro-Coronato,  pensant  que  Chypre  avait  suc- 
combé aussi ,  s'empara  du  produit  des  indulgences ,  et  le 
dissipa,  ce  qui  lui  attira  les  foudres  de  l'Eglise  et  faillit 
lui  coûter  beaucoup  plus  cher.  Il  fut  jeté  en  prison,  et  n'en 
sortit  que  plusieurs  années  après.  Cette  circonstance,  qui 

1  Pour  tous  les  détails  de  cette  affaire,  voyez  Joannis,  Script,  fer.  Mog. 
t.  III  et  IV,  et  Gudenus,  Cod.  clipl.  t.  IV. 

2  Codex  dipl.  t.  IV,  p.  3 10. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  IV.        169 

entrava  sans  doute  un  peu  la  propagande  de  l'œuvre  pieuse, 
força  ensuite  d'y  apporter  plus  d'activité.  C'est  pour  cela 
qu'on  songea  à  utiliser  l'imprimerie1. 

u  On  avait  alors  l'habitude,  dit  M.  de  Laborde  dans 
l'ouvrage  cité2,  de  délivrer,  en  échange  de  chaque  aumône 
un  peu  considérable ,  un  acte  qui  indiquait  le  but  et  la 
raison  de  l'indulgence,  citait  le  nom  du  donateur,  la 
date  et  le  montant  de  son  offrande  ;  le  tout  accompagné 
des  signatures  des  préposés  à  la  vente  et  des  sceaux  né- 
cessaires pour  en  constater  la  validité.  Ces  pièces  furent 
appelées  Lettres  d'indulgences3.  Les  trois  préposés  durent 
donc,  avant  de  partir  pour  les  différentes  directions  qui 
leur  avaient  été  assignées,  se  munir  d'un  nombre  suffisant 
de  ces  Lettres  d'indulgences,  afin  de  n'avoir  plus  en  route 
q^i'à  insérer  le  nom  du  donateur  ou  des  donateurs,  avec 
la  date  du  jour  où  l'indulgence  avait  été  concédée.  » 

Jusque-là  ces  sortes  de  formules  avaient  été  écrites  à 

1  H  y  eut  vers  le  même  temps  (  17  février  i454)  et  pour  le  même  ob- 
jet une  assemblée  célèbre  à  Lille.  Elle  est  connue  sous  le  nom  du  Vœu  du 
faisan.  Le  motif  de  la  réunion  était  d'exciter  toute  la  chrétienté  et  parti- 
culièrement les  pays  du  duc  de  Bourgogne  à  aller  combattre  les  musul- 
mans. «Messire  Lois  de  Grutbuse ,  dit  Olivier  de  la  Marche  [Histoire  de 
Charles  VII,  p.  667),  voa  de  servir  monseigneur  au  dit  voyage,  de  son 
corps  et  de  sa  chevance,  et  ne  l'abandonnera  jusques  à  la  mort  en  tous  les 
voyages  où  il  sera ,  ou  en  son  lieu  monseigneur  de  Charolois  ou  monsei- 
gneur d'Estampes.»  (Van  Praet,  Beclierches  sur  Louis  de  Briujes ,  p.  l\.) 

2  P.  4,  col.  1. 

3  Ce  n'est  pas  le  mot  propre  ;  on  ne  devrait  donner  ce  nom  qu'à  la 
bulle  du  pape,  qui  est  à  peine  rappelée  dans  ce  document,  émané  d'une 
autorité  inférieure. 


170  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

la  main,  en  réservant  le  blanc  nécessaire  pour  les  addi- 
tions dont  il  vient  d'être  question.  Mais  le  temps  consi- 
dérable que  ce  travail  demandait,  les  inexactitudes  aux- 
quelles on  était  exposé  par  suite  de  la  négligence  des 
copistes,  firent  songer  à  employer  l'art  nouveau  de  l'im- 
primerie, qui  commençait  déjà  à  être  connu,  et  même 
jusqu'à  un  certain  point  vulgaire,  si  l'on  en  juge  par  tout 
ce  que  nous  avons  dit  précédemment. 

Il  faut  croire  que  chaque  procureur  fit  faire  pour  son 
usage  une  édition  particulière  des  Lettres  d'indulgences , 
car  on  en  connaît  deux  compositions  bien  distinctes  par 
les  caractères  et  le  nombre  des  lignes,  quoique  ayant 
cependant  la  même  disposition  typographique.  L'une 
de  ces  compositions  a  3o  lignes  l,  l'autre  3i  2.  Chacune 
d'elles  a  fourni  deux  tirages ,  l'un  portant  la  date  impri- 
mée de  1  Zi5/i,  l'autre  de  1  455.  M.  de  Laborde  signale  en- 
core une  troisième  composition,  ayant  32  lignes,  mais 
les  exemplaires  ne  paraissent  pas  avoir  été  employés. 
D'après  ce  que  dit  M.  de  Laborde3,  cette  composition 
aurait  servi  à  faire  l'édition  de  3 1  lignes ,  au  moyen  d'un 

1  Les  deux  seuls  exemplaires  connus  de  cette  composition  se  trouvent 
en  Angleterre,  l'un,  portant  la  date  de  i454,  dans  la  bibliothèque  de 
lord  Spencer,  à  Altborp-,  l'autre,  daté  de  i455,  au  Britisk  muséum,  h 
Londres. 

2  Les  exemplaires  de  cette  édition  sont  les  plus  nombreux  :  on  en  con- 
naît treize;  ils  se  trouvent  dans  les  villes  suivantes  :  Paris ,  la  Haye,  Casse!, 
Gœttingue  (deux  exemplaires),  Wolfenbiïttel ,  Copenhague,  Brunswick, 
Althorp  (Angleterre),  Londres,  Leipsick  (deux  exemplaires),  Riedesel. 

3  Ouvrage  cité,  p.  17,  co!.  1. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  IV.        171 

simple  remaniement  qui  aurait  fait  disparaître  un  blanc 
jugé  trop  considérable.  Peut-être  le  tirage  des  exemplaires 
de  3  2  lignes  a-t-il  été  mis  tout  entier  au  rebut ,  malgré  la 
perte  que  cela  devait  occasionner,  soit  pour  la  main- 
d'œuvre,  soit  pour  la  matière  (l'encre  et  le  vélin),  à 
cause  de  ce  blanc,  qui  pouvait  aider  à  des  fraudes.  Ce 
qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'on  ne  connaît  que  trois 
exemplaires  de  cette  composition ,  qu'ils  portent  la  date 
unique  de  1 45A ,  et  qu'ils  ont  été  trouvés  intacts  sur  la 
couverture  d'un  livre1. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  Lettres  d'indulgences  constatent 
bien  positivement  l'existence  en  i/i54,  à  Mayence,  de 
deux  imprimeries  distinctes  au  moins,  ayant  chacune 
deux  caractères  différents,  l'un  gros  et  gothique,  l'autre 
petit  et  cursif  (sans  parler  de  trois  initiales  ou  lettres  de 
deux  points,  comme  on  disait  autrefois),  très-remarqua- 
blement dissemblables.  En  effet,  dans  l'une  des  compo- 
sitions ,  celle  de  3 1  lignes ,  on  voit  paraître  la  grosse  go- 
thique du  Donat  dit  de  i  Zi 5 1  et  du  Calendrier  de  î  455 , 
qui  a  environ  vingt  points  typographiques ,  et  une  petite 
cursive  de  treize  points;  dans  l'autre,  celle  de  3o  lignes, 

1  Us  sont  conservés  dans  la  Ministerial  bibliotliech  à  Brunswick.  J'ai  vai- 
nement écrit  au  bibliothécaire  et  à  une  autre  personne  de  celte  ville  pour 
avoir  des  renseignements  sur  ces  exemplaires-,  je  regrette  d'autant  plus  vi- 
vement de  n'avoir  pas  reçu  de  réponse,  que  je  n'ai  pas  bien  compris  l'ex- 
plication que  M.  de  Laborde  a  donnée  à  leur  sujet.  Il  les  dit  d'une  édition 
différente,  ayant  32  lignes-,  mais,  d'après  les  termes  dont  il  se  sert  (p.  7) , 
cette  édition  semble  n'en  avoir  que  3i,  et  se  confondre  par  conséquent 
avec  la  précédente. 


172  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

on  trouve  le  caractère  de  la  Bible  de  Gutenberg  ou  un 
autre  fort  ressemblant,  de  dix -huit  points  environ,  et 
une  cursive  de  douze  points. 

Peut-être  serait-il  possible  de  prouver  l'existence  d'une 
troisième  imprimerie ,  si  l'on  avait  un  spécimen  plus  com- 
plet que  celui  que  nous  offrent  les  Lettres  d'indulgences 
de  3o  lignes  de  la  gothique  de  dix-huit  points ,  car  on 
aurait  le  moyen  de  vérifier  si  cette  gothique ,  qui  semble 
différer  un  peu  de  celle  de  la  Bible  de  k  i  lignes ,  est  réel- 
lement différente.  Mais ,  dans  l'état  des  choses ,  on  ne 
peut  porter  un  jugement  certain.  Ce  point  d'archéologie 
typographique  aurait  pu  être  éclairci  par  une  autre  voie , 
si  l'on  avait  rencontré  ailleurs  la  cursive  de  douze  points  ; 
mais  jusqu'ici  on  ne  connaît  aucun  livre  ni  fragment  de 
livre  imprimé  avec  l'un  ou  l'autre  des  petits  caractères 
des  Lettres  d'indulgences ,  et  le  fait  est  d'autant  plus  sur- 
prenant que  ces  caractères  sont  fort  beaux. 

On  ne  possède  que  deux  exemplaires  des  Lettres  d'in- 
dulgences de  3o  lignes,  l'un  de  i/i5Zi,  l'autre  de  i455. 
Le  premier  a  été  découvert  à  Louvain ,  et  se  trouve  au- 
jourd'hui dans  la  bibliothèque  de  lord  Spencer,  à  Althorp, 
en  Angleterre;  il  a  été  décrit  par  M.  de  Reiffenberg,  qui 
en  a  publié  un  fac-similé1.  Le  second  a  appartenu  à  Neige- 

1  Note  sur  un  exemplaire  des  Lettres  d'indulgences  du  pape  Nicolas  V, 
Bruxelles,  in-40,  1829.  M.  de  Laborde  a  reproduit  ce  fac-similé.  On  y  voit 
que  la  date  de  i45/i,  imprimée  en  chiffres  romains  (liiii),  a  été  changée 
par  l'addition  d'un  j  ( liiiij ) .  Ce  précieux  monument,  soustrait  de  la  bi- 
bliothèque de  Louvain,  à  laquelle  il  appartenait,  a  été  vendu  au  libraire 
Techener,  qui  l'a,  à  son  tour,  vendu  à  lord  Spencer. 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  IV.        173 

bauer  ;  il  passa  dans  la  riche  collection  du  docteur  Kloss , 
de  Francfort,  qui  en  a  donné  un  fac-similé1.  A  la  vente  de 
cette  collection,  qui  eut  lieu  à  Londres  il  y  a  quelques 
années,  ce  même  exemplaire  fut  acquis  par  M.  Heywood- 
Bright,  de  Bristol,  pour  le  British  muséum,  où  il  se  trouve 
aujourd'hui. 

Cette  composition  est  la  seule  qu'on  puisse  attribuer 
à  Gutenberg,  à  cause  de  la  conformité  de  la  grosse  go- 
thique qui  y  est  employée  avec  celle  de  la  Bible  de  I12 
lignes. 

Du  reste ,  il  est  évident  qu'on  s'adressa  à  plusieurs  im- 
primeurs pour  réaliser  plus  promptement  le  nombre 
considérable  de  formules  dont  on  avait  besoin.  La  promp- 
titude était  ici  d'autant  plus  nécessaire  que  le  privilège 
des  indulgences  expirait  le  3 1  avril  1  455.  On  n'avait  donc 
pas  un  instant  à  perdre,  si  l'on  voulait  tirer  parti  de  la 
bulle  du  pape,  car  il  ne  restait  pas  un  an  pour  explorer 
toute  la  chrétienté.  Nous  voyons,  en  effet,  ces  lettres 
datées  des  localités  les  plus  diverses.  On  a  voulu,  de  nos 

1  Voyez  sa  précieuse  collection  de  fac-similé,  dont  il  a  bien  voulu  me 
donner  un  des  rares  exemplaires  lors  de  mon  premier  voyage  à  Franc- 
fort en  i85o.  M.  de  Laborde  a  aussi  donné  un  fac-similé  de  cette  lettre 
(ouvrage  cité,  p.  7),  qu'il  a,  à  tort,  indiquée  comme  se  trouvant  à  Bristol. 
Je  l'ai  vue  moi-même  à  Londres,  au  British  muséum,  et  j'y  ai  constaté 
quelques  inexactitudes  qui  ont  échappé  à  ce  savant  dans  la  mention  ma- 
nuscrite des  donataires.  Voici  cette  mention  complète,  avec  les  mots 
interlinéaires  en  italique  :  «Dominus  Henricus  Mais,  pastor  in  Roselden, 
«Greta  Pinentirone  (ou  Pinenlirone  Greta?) ,  ejus  soror,  Stima  Kuse,  cum 
«  filiabus  suis  Helena  et  Cungunde ,  Guda  Krusen  et  Bêla  Kluten  (?) ,  ejus 
«  filia.  » 


1 74  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

jours  ,  tirer  de  leurs  souscriptions  une  conclusion  exa- 
gérée ,  que  j  e  vais  renverser  par  la  base.  M.  Jack  \  conser- 
vateur de  la  bibliothèque  royale  de  Bamberg,  a  prétendu 
que  l'une  des  éditions  des  Lettres  d'indulgences,  celle  de 
3i  lignes  (et  par  conséquent  aussi  celle  de  32),  avait 
été  imprimée  à  Bamberg  même,  par  Albert  Pfister2,  im- 
primeur de  cette  ville,  qu'on  voit  plus  tard,  en  effet, 
en  possession  des  gros  caractères  de  ces  Lettres.  Le  prin- 
cipal argument  de  M.  Jack,  c'est  que,  suivant  lui,  toutes 
ces  Lettres  ont  été  délivrées  dans  la  Franconie ,  la  Thu- 
ringe  et  la  basse  Saxe  ;  mais  cette  assertion  est  erronée , 
car  l'un  des  exemplaires  dont  la  date  remonte  le  plus 
haut,  celui  de  Paris,  est  souscrit  de  Mayence  même,  ce 
qui  semble  indiquer  que  c'est  de  cette  ville  que  l'on  est 
parti;  de  même  qu'un  de  ceux  dont  la  date  est  la  plus 
tardive,  celui  de  Copenhague,  est  daté  de  cette  ville  le 
pénultième  avril,  c'est-à-dire  deux  jours  avant  l'expira- 
tion des  indulgences. 

Pour  rendre  ces  détails  plus  précis,  je  vais  ranger  ici 
dans  un  ordre  chronologique  les  différents  exemplaires 
des  Lettres  d'indulgences  de  1 1\ 5 k- 1  k 5 5  qu'on  connaît, 
non  compris  toutefois  ceux  de  l'édition  de  32  lignes, 
aujourd'hui  à  Brunswick,  et  datés  de  ili5à,  lesquels 
n'ont  pas  servi. 

!   Cité  par  M.  Falkenstein,  Geschichte,  etc.  p.  126,  col.  2. 
-  Je  parlerai  fort  au  long  de  cet  artiste  dans  la  deuxième  partie  de 
mon  livre. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  IV.        175 


LIEDX 

où  sont  actuellement 

les  exemplaires. 


LIECX 
d'où  ils  sont  datés. 


JOURS  ET  MOIS 


ils  ont  été  donnés. 


DATE 
imprimée. 


ÉDITION  DE  3l  LIGNES. 


La  Haye 

Paris 

Casse) 

Gœttingue 

Brunswick 

Althorp  (Bibl.  Spenc.) 

Londres  ' 

Leipsick 

Riedesel 

Wolfenbiittel 

Leipsick 

Copenhague 

Gœttingue 


Althorp  (Bibl.  Spenc 
Londres  (Mus.  brit.' 


Erffurdie  (  Erfurth  ) . . 

3i  [ait.)  décembre. 

Eymbeck  (  Einbeck) . . 

Lunebourg  (Hanovre). 

(?) 

(?) 

Erfordie  (  Erfurth) .  .  . 

29  {pcnult.)  avril.. 

Hildensein  (Hanovre) . 

3o  (ultim.)  avril.  . 

ÉDITION  DE  3o  LIGNES. 


Cologne 

Neuss,  près  Cologne  . . 


■>.j  février 

29  (penult.  )  avril. 


DATE 

rectifiée 

à 

la  plume. 


v(?) 


liiii 


1  qnto. 
1  quinto. 


1  quiiUo. 


liiii/. 


Maintenant,  mettant  à  part  les  deux  tirages  différents 
des  Lettres  d'indulgences  de  3 1  lignes ,  et  les  classant  sui- 

1  J'ai  écrit  à  sir  Thomas  Phiiipps  pour  avoir  les  renseignements  qui  me 
manquaient  sur  cet  exemplaire  des  Lettres  d'indulgences  qui  lui  appar- 
tient :  il  m'a  répondu  qu'il  ne  savait  plus  où  le  trouver. 


176  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

vant  l'ordre  des  dates,  nous  trouvons  le  résultat  suivant 
pour  les  deux  tirages  : 


TIRAGE  DE  1454. 

TIRAGE  DE  1455. 

2 .    (Voy.  la  note  de  la  page  précédente.) 

On  voit  qu'il  n'est  pas  possible  de  tirer  de  ces  données 
incomplètes  des  conclusions  rigoureuses  relativement  à 
l'itinéraire  de  l'agent  de  Paulin  Zappe  qui  distribua  cette 
édition,  car  il  faudrait  admettre  dans  son  itinéraire  des 
zigzags  inexplicables.  D'ailleurs  il  est  certain  que  Kilchof 
et  Urri  ne  distribuaient  pas  eux-mêmes  les  Lettres  d'in- 
dulgences :  ils  les  laissaient  à  des  sous-délégués  résidant 
dans  le  pays ,  et  qui  étaient  chargés  de  les  délivrer  :  c'est 
ce  qu'indiquent  les  souscriptions  placées  au  bas  de  la 
plupart  de  ces  actes.  L'exemplaire  de  Paris ,  par  exemple , 
daté  de  Mayence,  porte  une  souscription  qui  nous  ap- 
prend qu'il  a  été  délivré  par  Jean,  abbé  de  Saint-Bur- 
cliard,  à  ce  député  (Jo.  ab.  monasterii  Sancti  Burchardi  ad 
premissa  deputatus).  D'autres  sont  donnés  par  des  sous- 
députés  :  tel  est  celui  daté  d'Einbeck,  délivré  par  Theoder. 
Nicolai ,  decretorum  licentiatus ,  in  premissis  subdeputatas. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.        177 

Je  le  répète,  en  terminant  ce  que  j'avais  à  dire  sur 
ïes  Lettres  d'indulgences ,  ce  monument  démontre  qu'il 
existait  à  Mayence,  en  1 456  ,  au  moins  un  atelier  distinct 
de  celui  de  Gutenberg  où  s'achevait  alors  la  Bible ,  dont 
nous  allons  maintenant  parler. 

On  a  longtemps  disputé  pour  savoir  quelle  était ,  parmi 
toutes  les  Bibles  anonymes  qu'on  connaît,  et  qui  portent 
un  cachet  d'antiquité  évident,  celle  qui  appartenait  réel- 
lement à  Gutenberg.  La  question  est  aujourd'hui  résolue 
d'une  manière  on  peut  dire  incontestable  : 

î  °  Scwhartz  déclare  avoir  vu  en  î  7  1 8  un  vieux  cata- 
logue manuscrit  de  la  bibliothèque  des  Chartreux  hors 
de  Mayence ,  dans  lequel  il  était  dit  que  la  Bible  de  lx  i 
lignes  avait  été  donnée  à  ces  religieux  par  Gutenberg  et 
quelques  personnes  dont  les  noms  lui  étaient  sortis  de  la 
mémoire.  Voici  au  reste  les  propres  termes  de  Schwartz  *  : 
«  Horum  Bibliorum  exemplar  chartis  impressum  vidi 
«  anno  î  7  1 8  in  monasterio  Carthusianorum  extra  mœnia 
<(  Moguntiae.  Quamvis  vero  isti  exemplari  ultima  quaedam 
«  folia  temere  essent  abscissa,  ut  non  cognosci  posset  an 
«  in  calce  libri  nomina  sua  tempusque  impressionis  no- 
ce taverint  typographi,  in  vetusto  tamen  catalago  manu- 
el scripto  istius  bibliothecœ  annotatum  legi  Biblia  ista  mo- 
«nasterio  a  Johanne  Gutenbergio  aliisque  quibusdam, 
«quorum  nomina  mihi  exciderunt ,  fuisse  donata2.  » 

1  De  origine  typogr.  Exerc.  II,  §  2  ,  s.  i\. 

2  Je  dois  avouer  que  Bodmann,  bibliothécaire  de  la  ville  de  Mayence  à 
l'époque  où  cette  ville  dépendait  de  la  France,  a  infirmé  le  renseignement 

12 


178  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

2°  Le  caractère  de  cette  Bible  reparaît  dans  un  Donat 
imprimé  par  Schoiffer,  et  dont  nous  aurons  occasion  de 
parler  plus  loin.  Or  on  sait,  et  nous  le  démontrerons 
dans  un  instant ,  qu'aux  termes  du  contrat  qu'il  avait 
passé  quelques  années  auparavant  avec  Fust,  Gutenberg 
fut  dépouillé  de  tout  son  matériel  typographique  au  pro- 
fit de  ce  dernier,  qui  s'associa  Schoiffer,  et  lui  laissa  son 
atelier  en  i/t66,  ce  qui  explique  la  possession  du  carac- 
tère de  Gutenberg  par  Schoiffer. 

3°  Enfin  on  a  la  preuve  que  la  Bible  de  [\i  lignes 
était  imprimée  en  ikbG1,  car  on  en  garde,  à  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris,  un  exemplaire  en  papier, 

donné  ici  par  Schwartz ,  dans  ces  termes  catégoriques  :  «  Errât.  —  In  hoc 
«  vetusto  catalogo,  qui  etiam  nunc  exstat,  olim  universitatis ,  nunc  publica 
«  civitatis  Mogunt.  bibl.  cujus  ego  conservator  sum,  nec  annotatur  ha?c  Bi- 
«bliorum  editio,  typo  missali  impressa,  nec  ibi  memoratur  illam  a  Guten- 
«bergo  donatam  fuisse  Carthusiœ.  »  (Voyez  Scbaab,  Die  Geschichte,  etc. 
t.  I,p.  267).  Que  penser  en  présence  de  ces  deux  assertions  contradic- 
toires? Il  faut  croire  que  Schwartz  avait  vu  ailleurs  que  dans  le  catalogue 
en  question  le  renseignement  qu'il  nous  a  transmis,  car  on  ne  peut  sup- 
poser qu'il  l'ait  inventé.  Nous  citerons  en  effet  plus  loin  une  souscription 
manuscrite  qui  prouve  que  Gutenberg  et  un  de  ses  élèves  ont  donné  des 
livres  aux  Chartreux  de  Mayence.  Peut-être  est-ce  d'un  document  de  ce 
genre  que  Schwartz ,  qui  écrivait  de  mémoire ,  a  voulu  parler.  H  se  pour- 
rait aussi  que  le  catalogue  dont  parle  Bodmann  (  et  qui  se  trouve  encore  à 
la  bibliothèque  de  la  ville  de  Mayence)  fût  un  catalogue  relativement  mo- 
derne, et  non  celui  qu'avait  vu  Schwartz,  lequel  était  égaré  du  temps  de 
Meerman,  qui  le  fit  vainement  chercher  par  le  comte  de  Wurtenzleb. 
(Voyez  Jensen,  De  l'invention  de  l'imprimerie,  in-8°,  1809,  p.  A7,  note  1.) 
1  Un  exemplaire  de  cette  Bible,  qui  se  trouve  dans  la  bibliothèque  de 
Munich,  porte  la  date  manuscrite  de  1/I61.  (Bernhart,  Beytr.  zur  litt.  B. 
III,  stiick,VI,  p.  97.) 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.        179 

divisé  en  deux  volumes,  à  la  fin  de  chacun  desquels 
se  trouve  une  souscription  manuscrite  indiquant  qu'ils 
ont  été  enluminés  et  reliés  cette  année  même  par  Henri 
Albech,  autrement  dit  Cremer,  vicaire  de  l'église  collé- 
giale de  Saint-Etienne  de  Mayence. 

Voici  la  transcription  de  ces  deux  souscriptions,  qui 
ne  sont  pas  sans  intérêt  pour  nous.  Comme  elles  ont  été 
déjà  plusieurs  fois  publiées  en  fac-similé1,  je  les  donne 
ici  avec  la  restitution  des  abréviations.  On  lit  à  la  fin  du 
premier  volume  :  «Et  sic  est  finis  prime  partis  Biblie 
«  sancte  Veteris  Testamenti  ;  illuminata  seu  rubricata  et 
«ligata  per  Henricum  Albech,  alius  [sic)  Cremer,  anno 
«  Domini  m0  cccc°  lvi°,  festo  Bartholomei  apostoli.  » 

Et  à  la  fin  du  second  :  «  Iste  liber  illuminatus ,  ligatus 
«  et  completus  est  per  Henricum  Cremer,  vicarium  ec- 
«  clesie  collegiate  Sancti  Stephani  Moguntini ,  sub  anno 
«  Domini  millesimo  quadringentesimo  quinquagesimo 
«  sexto ,  festo  Assumptionis  gloriose  Virginis  Marie » 

On  remarquera  sans  doute  que  le  second  volume  a 
été  achevé  par  Cremer  quelques  jours  avant  le  premier, 

1  Voyez  particulièrement  les  Vélins  du  roi,  de  Van  Praet,  t.  I,  p.  ï\. 
On  a  imprimé  aussi  ce  fac-similé  sur  l'exemplaire  en  vélin  de  la  Bible 
de  k 2  lignes  que  possède  la  Bibliothèque  nationale,  ce  qui  peut  induire 
quelques  personnes  en  erreur.  Les  originaux  de  ces  souscriptions  se  trou- 
vent uniquement  sur  l'exemplaire  en  papier,  qui  du  reste  n'a  que  cela 
d'intéressant,  car  il  a  été  mutilé  de  la  manière  la  plus  déplorable  :  il 
manque  en  tête  de  ebaque  volume  un  nombre  considérable  de  feuillets, 
sans  compter  ceux  qui  ont  été  coupés  dans  l'intérieur,  ainsi  que  les  lettres 
ornées 


180  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

car  l'Assomption  tombe  le  1  5  et  la  Saint- Barthélémy  le 
2 k  août;  mais  cela  tient  probablement  à  une  circons- 
tance particulière,  qui  avait  forcé  l'enlumineur  à  laisser 
de  côté  le  premier  volume.  Il  n'est  pas  probable,  en  effet, 
que  la  besogne  que  demandait  ce  volume  ait  pu  être  ter- 
minée en  neuf  jours,  comme  le  ferait  supposer  la  souscrip- 
tion manuscrite,  si  l'on  s'attachait  rigoureusement  aux 
mots  qui  s'y  trouvent.  Il  est  au  contraire  fort  probable 
que  le  travail  de  Cremer  exigea  plusieurs  mois ,  et  c'est 
peut-être  un  simple  hasard  qui  lui  a  fait  achever  le 
second  volume  avant  le  premier. 

Cet  exemplaire  de  la  Bible  de  Cremer  est  enrichi 
d'une  autre  souscription  dont  une  partie  est  aujourd'hui 
détruite ,  mais  dont  on  pouvait  lire  naguère  le  texte  en- 
tier1, et  portant  que  Berthold  Steyna,  prêtre,  a  dit  une 
messe  solennelle  du  corps  de  Jésus  le  jour  de  saint  George 


1  J'emprunte  une  partie  de  ces  détails  à  un  mémoire  manuscrit  lu  par 
dom  Maugerard,  bibliothécaire  de  l'abbaye  de  Saint-Arnould,  à  la  Société 
royale  des  sciences  et  des  arts  de  Metz,  le  2  4  août  178g  ,  sur  la  découverte 
d'un  exemplaire  de  la  Bible  connue  sous  le  nom  de  Gutenberg,  accompagné  de 
renseignements  qui  prouvent  que  l'impression  de  cette  Bible  est  antérieure  à 
celle  du  Psautier  de  là57.  Je  dois  la  copie  de  ce  document  inédit  à  l'obli- 
geance de  M.  Dufrêne,  conseiller  de  préfecture  à  Metz,  qui  a  bien  voulu 
l'adresser  pour  moi  à  mon  confrère  M.  Beaulieu,  membre  de  la  Société 
des  antiquaires  de  France.  Ce  mémoire  a  été  cité  par  Oberlin,  Annales  de 
Gutenberg,  p.  28,  et  par  M.  Schaab,  Die  Geschiclite,  etc.  t.  I,  p.  243  à 
2  56.  J'ajoute  que  c'est  aux  recherches  de  Maugerard  en  Allemagne  que 
la  France  doit  ce  précieux  exemplaire  de  la  Bible  de  42  lignes  et  beau- 
coup d'autres  monuments  typographiques  de  la  plus  haute  importance. 
(Voyez  le  livre  de  M.  Schaab,  Geschiclite,  etc.  t.  I,  p.  247  et  suiv.) 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  IV.        181 

(la  lecture  de  ce  nom  n'est  pas  certaine)  i/i5y,  dans 
l'église  paroissiale  d'Ostheim. 

A  ces  raisons  positives,  nous  en  pouvons  d'ailleurs 
joindre  encore  de  négatives,  qui  résolvent  complètement 
la  question  :  les  deux  autres  Bibles,  l'une  de  36  lignes, 
l'autre  de  45,  que  différents  auteurs  ont  attribuées  à 
Gutenberg,  sont  maintenant  reconnues  pour  appartenir, 
la  première  à  Pfister,  imprimeur  à  Bamberg;  l'autre  à 
Eggestein,  imprimeur  à  Strasbourg,  deux  artistes  dont 
nous  parlerons  plus  loin. 

Mais  c'est  assez  de  préambule  :  j'arrive  à  la  descrip- 
tion de  la  Bible  de  Gutenberg,  curieux  et  magnifique 
monument  du  début  de  fimprimerie  mayençaise ,  dont 
il  existe  encore  plusieurs  exemplaires,  tant  en  vélin  qu'en 
papier.  Cette  description  technique  m'aidera  à  réfuter 
bien  des  erreurs  soutenues  comme  des  faits  positifs  par 
les  bibliographes.  J'ai  déjà  dit  que  ce  livre  se  composait 
de  6 k\  feuillets  ou  î  ,282  pages  in-folio  à  deux  colonnes. 
Ces  1,282  pages  sont  réparties  en  66  cahiers,  générale- 
ment de  5  feuilles.  Je  dis  généralement,  parce  qu'il  y  en 
a  plusieurs  qui  ont  plus  ou  moins  de  5  feuilles,  et  cela 
probablement  afin  de  permettre  la  division  du  livre  sui- 
vant le  goût  des  acquéreurs.  On  a  réservé  des  espaces 
en  blanc  pour  les  rubriques,  qui  devaient  être  écrites 
en  rouge  et  à  la  main.  Les  lignes  du  texte  ne  sont  pas  tou- 
jours pleines.  Lorsqu'un  mot  ou  une  syllabe  ne  peut  pas 
entrer,  on  renvoie  ce  mot  ou  cette  syllabe  à  la  ligne  sui- 
vante, et  on  justifie  la  première  à  l'endroit  où  elle  finit, 


182  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

sans  prendre  soin  de  combler  l'espace  vacant  ;  de  sorte 
que  la  composition  d'une  colonne  de  prose  ressemble 
un  peu  à  celle  d'une  colonne  de  vers,  chaque  ligne  étant 
d'inégale  longueur,  comme  nous  l'avons  vu  dans  le  Spé- 
culum. L'inégalité  toutefois  est  moins  sensible  que  dans 
la  poésie,  parce  que  les  lignes  sont  toutes  amenées  pres- 
que jusqu'à  la  limite  extrême.  Les  divisions  ou  traits  d'u- 
nion des  mots  coupés  à  la  fin  des  lignes  sont  figurés  par 
deux  petits  traits  parallèles  placés  diagonalement  en  de- 
hors de  la  justification,  dans  la  garniture,  c'est-à-dire  dans  le 
blanc  qui  sépare  les  deux  colonnes ,  pour  les  mots  de  la  pre- 
mière colonne,  et  en  dehors  de  la  page  pour  ceux  de  la 
seconde.  En  cela  on  a  suivi,  autant  qu'on  a  pu, la  forme 
des  manuscrits,  non  pas,  comme  quelques  auteurs  l'ont 
dit,  pour  tromper  le  public,  car  on  savait  déjà  à  quoi  s'en 
tenir  à  cet  égard  par  la  xylographie ,  mais  parce  qu'il  était 
tout  naturel  qu'on  suivît  les  usages  reçus.  C'est  pour  le 
même  motif  qu'aujourd'hui  un  scribe  s'efforce  de  suivre 
les  dispositions  typographiques,  lorsqu'il  copie  un  ma- 
nuscrit, et  cela  parce  que  la  typographie  a  adopté  des 
méthodes  et  des  signes  qui  simplifient  le  travail.  Malgré 
la  perfection  relative  de  l'impression  de  la  Bible  de  Gu- 
tenberg ,  si  on  la  compare  au  Spéculum ,  il  n'est  pas  rare 
d'y  rencontrer  des  moines  et  des  feintes ,  ce  qui  dénote 
l'imperfection  des  ustensiles  employés  à  cette  époque. 
Voici ,  cahier  par  cahier,  la  division  du  livre  : 
Du  ier  au  9e  cahier,  cinq  feuilles  par  cahier. 
Le  cahier  1  o  a  cinq  feuilles  et  demie ,  afin  de  pouvoir 


PREMIERE  PARTIE.— CHAPITRE  IV.        183 

terminer  le  Deutéronome.  L'onglet  correspond  au  second 
feuillet  de  la  feuille  3. 

Cahiers  1  1  et  1  2 ,  cinq  feuilles  chacun. 

Le  cahier  1  3  a  trois  feuilles  et  demie  seulement,  pour 
pouvoir  finir  avec  le  livre  de  Ruth.  L'onglet  correspond 
au  second  feuillet  de  la  première  feuille. 

C'est  là  que  finit  le  premier  volume  des  exemplaires 
divisés  en  quatre  tomes. 

Les  cahiers  1  k  à  ik  ont  régulièrement  cinq  feuilles. 
La  deuxième  colonne  de  la  huitième  page  du  cahier  2 1 
n'est  pas  pleine,  afin  de  faire  commencer  en  belle  pacje 
les  Paralipomènes  au  recto  du  cinquième  feuillet. 

Le  cahier  25  a  cinq  feuilles  et  demie.  Il  commence  par 
le  troisième  livre  d'Esdras.  La  première  ligne  de  ce  livre , 
qui  est  très -courte  à  cause  de  la  lettre  initiale,  n'est  pas 
pleine.  Le  mot  Pasclia  ne  pouvant  y  entrer,  et  n'ayant 
pas  paru  pouvoir  être  divisé ,  a  été  reporté  tout  entier  à 
la  seconde  ligne.  Le  huitième  feuillet  n'est  imprimé  que 
sur  le  recto  et  d'une  manière  défectueuse  ;  le  verso  est 
entièrement  blanc,  et  sur  le  neuvième  feuillet  com- 
mence le  quatrième  livre  d'Esdras.  Pourquoi  a-t-on  donné 
à  ce  quatrième  livre  une  place  plus  avantageuse  qu'au 
second  ou  au  troisième?  Je  pense  que  cela  provient  d'une 
omission ,  qui  a  forcé  d'ajouter  un  feuillet  en  plus  du 
nombre  ordinaire. 

Le  cahier  26  a  également  cinq  feuilles  et  demie.  Le 
verso  du  dernier  feuillet  est  blanc ,  afin  de  permettre  de 
commencer  le  cahier  suivant  par  le  livre  de  Tobie. 


184  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Les  cahiers  27  à  32  ont  chacun  cinq  feuilles. 

Le  cahier  33  n'en  a  que  deux.  La  dernière  page  a  une 
colonne  et  demie  de  blanc. 

Ici  se  termine  le  premier  volume  des  exemplaires  en 
deux  tomes ,  ou  le  deuxième  des  exemplaires  en  quatre 
tomes.  On  lit  ces  mots  à  la  fin  :  Explicit  Psalterium. 

Les  cahiers  34  à  48  ont  chacun  cinq  feuilles.  Le  trente- 
quatrième  commence  par  les  Proverbes.  Le  quarante- 
sixième  finit  par  un  bout  de  colonne  en  blanc ,  pour 
pouvoir  commencer  en  page  le  livre  de  Daniel. 

Le  cahier  4g  a  cinq  feuilles  et  demie,  afin  de  pouvoir 
commencer  le  cahier  suivant  et  le  quatrième  volume  des 
exemplaires  en  quatre  tomes  par  les  Machabées. 

Les  cahiers  5o  à  5  9  ont  chacun  cinq  feuilles  :  le  hui- 
tième feuillet  du  cinquante-deuxième  n'est  imprimé  que 
d'un  côté,  pour  pouvoir  commencer  les  Evangiles  en 
belle  page  au  feuillet  suivant. 

Le  cahier  60  a  six  feuilles,  et  se  termine  par  une  page 
blanche,  afin  de  pouvoir  commencer  au  cahier  suivant 
YEpître  aux  Thessaloniciens. 

Le  cahier  6 1  a  cinq  feuilles  et  demie ,  afin  de  pouvoir 
commencer  les  Actes  des  Apôtres  sur  le  cahier  suivant. 

Les  cahiers  62  et  63  ont  chacun  cinq  feuilles. 

Le  cahier  64  n'a  que  deux  feuilles  et  demie,  afin  de 
pouvoir  commencer  le  suivant  par  Y  Apocalypse. 

Le  cahier  65  a  quatre  feuilles. 

Au  reste ,  l'arrangement  des  derniers  cahiers  n'est  pas 
identique  dans  tous  les  exemplaires  :  il  varie  suivant  le 


PREMIÈRE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.        185 

goût  des  propriétaires,  qui  ont  souvent  fait  transposer 
les  pièces. 

En  somme ,  le  livre  se  divise ,  bibliographiquement 
parlant,  en  neuf  parties  distinctes,  pouvant  faire  autant 
de  volumes  ou  fascicules  : 

lre  partie  (le  Pentateuque) ,  1  o  cahiers,  dont  le  dernier 
a  cinq  feuilles  et  demie. 

2e  partie  (Josué,  les  Juges,  Ruth),  3  cahiers,  dont  le 
dernier  de  trois  feuilles  et  demie  seulement. 

3e  partie  (les  Rois,  les  Paralipomènes ,  Esdras),  i3 
cahiers,  dont  les  deux  derniers  ont  cinq  feuilles  et  demie. 

Uc  partie  (Tobie,  Judith,  Esther,  Job,  les  Psaumes), 
y  cahiers,  dont  le  dernier  de  deux  feuilles  seulement. 

5e  partie  (les  Livres  sapientiaux  et  les  Prophètes),  î  6 
cahiers,  dont  le  dernier  de  cinq  feuilles  et  demie. 

6e  partie  (les  Machabées,  les  Evangiles),  11  cahiers, 
dont  le  dernier  de  six  feuilles. 

7e  partie  (les  Epîtres),  î  cahier  de  cinq  feuilles  et  demie. 

8e  partie  (les  Actes  des  Apôtres),  3  cahiers,  dont  le  der- 
nier de  deux  feuilles  et  demie  seulement. 

9e  partie  (l'Apocalypse),  î  cahier  de  quatre  feuilles. 

Outre  les  soixante-cinq  cahiers  de  texte  que  je  viens  de 
décrire,  l'exemplaire  de  la  Bibliothèque  royale  de  Mu- 
nich et  celui  de  la  Bibliothèque  impériale  de  Vienne  ont 
quatre  feuillets  de  plus  1  :  ces  feuillets  contiennent  la 

1  Ce  qui  porte  le  nombre  total  à  645  feuillets,  et  non  à  64o,  comme 
on  pourrait  le  conclure  du  calcul  erroné  de  Van  Praet  (  Vélins  du  roi,  t.  I, 
p.   !5). 


186  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

table  des  sommaires  des  livres  et  des  chapitres  de  toute 
la  Bible ,  pour  l'usage  de  l'enlumineur.  Ils  faisaient  l'of- 
fice de  l'avis  au  relieur  qu'on  joint  à  certains  livres,  pour 
indiquer  le  lieu  où  doivent  être  les  gravures ,  et  ils  ont 
été  retranchés  des  autres  exemplaires  comme  inutiles 
après  l'opération  du  rubricateur. 

M.  Sotheby *  prétend  que  les  douze  derniers  feuillets 
de  l'exemplaire  en  vélin  de  M.  Perkins,  de  Londres, 
sont  sur  onglets,  ce  qu'il  attribue  au  désir  de  tirer  parti 
des  demi-feuilles  de  vélin  qui  étaient  restées  en  défets  ; 
puis,  généralisant  cette  observation,  et  la  rattachant  à 
une  autre  qu'il  a  faite  au  sujet  des  demi -feuilles  qu'on 
rencontre  de  temps  à  autre  dans  le  livre,  il  en  conclut 
que  la  Bible  a  été  tirée  page  par  page.  S'il  eût  été  typo- 
graphe, c'eût  été  pour  lui,  comme  pour  moi,  au  con- 
traire, la  preuve  de  l'absurdité  du  conte  qu'on  a  fait  ja- 
dis au  sujet  du  prétendu  tirage  des  pages  isolées,  conte 
qui  ne  rencontre  plus  aujourd'hui,  grâce  à  Dieu,  un 
seul  crédule  sérieux.  L'existence  de  cartons  ou  de  demi- 
feuilles  toujours  placés  au  même  endroit  prouve,  en 
effet,  que  la  composition  de  tout  le  cahier  où  ils  se  trou- 
vent a  été  faite  en  même  temps,  et  qu'on  n'en  commen- 

1  The  typography  of  the  fifieenth  century ,  etc.  from  the  bibliographicai 
collection  of  the  iate  Samuel  Sotheby.  London,  i845,  grand  in-4°.  Ce  vo- 
lume, publié  par  M.  Sotheby  fds,  se  compose  de  quarante-trois  planches 
représentant  cenifac-simile  de  livres  du  xvc  siècle ,  et  de  vingt-six  planches 
de  marques  de  papier.  Il  y  a  fort  peu  de  texte  en  caractères  typographiques, 
ou  pour  mieux  dire  il  n'y  a  que  le  titre  des  livres.  La  Bible  de  42  lignes 
seule  fait  exception.  M.  Sotheby  lui  a  consacré  cinq  ou  six  pages. 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  IV.       187 

çait  le  tirage  que  lorsque  cette  composition  était  termi- 
née :  d'où  l'on  doit  inférer  que  la  masse  des  caractères 
fondus  était  encore  plus  considérable  que  je  ne  l'ai 
dit;  car  cela  indique  la  possibilité  d'établir  à  la  fois  trois 
cahiers  de  cinq  à  six  feuilles.  Mais  ceci  nous  importe  peu. 
Comme  je  l'ai  dit,  et  comme  on  a  pu  le  voir,  les  cahiers 
sont  généralement  de  cinq  feuilles,  et  lorsqu'il  y  a  ex- 
ception ,  c'est  pour  satisfaire ,  par  un  arrangement  pure- 
ment typographique ,  au  goût  des  acheteurs  ou  à  la  com- 
modité des  lecteurs. 

M.  Sotheby  a  présenté  une  hypothèse  bien  plus  ex- 
traordinaire encore.  Il  existe  deux  sortes  d'exemplaires 
de  la  Bible  de  Gutenberg  :  les  uns  ont  invariablement 
Zi2  lignes  à  la  colonne,  y  compris  le  blanc  des  rubriques 
ou  sommaires;  d'autres  ont  ko  lignes  seulement  aux  neuf 
premières  pages  et  /n  à  la  dixième  :  ces  derniers  offrent 
de  plus  cette  singularité ,  que  les  trois  premiers  sommaires 
du  premier  cahier  et  les  deux  premiers  du  quatorzième 
sont  imprimés  en  rouge,  au  lieu  d'être  écrits  à  la  main, 
comme  dans  les  exemplaires  de  k  i  lignes.  Les  pages  de 
ko  lignes  occupent  le  même  espace,  à  peu  près,  que 
celles  de  /i2  (environ  sept  cent  trente  points  typogra- 
phiques) ,  quoique  composées  avec  un  caractère  de  même 
œil.  M.  Sotheby  en  a  conclu  que  Gutenberg  avait  fondu 
son  caractère  sur  deux  corps  différents,  et  que  l'ouvrier 
prenait  l'un  ou  l'autre,  suivant  le  cas,  pour  mieux  suivre 
les  dispositions  du  manuscrit  qu'il  avait  devant  lui  comme 
modèle.  Il  est  confirmé  dans  cette  opinion,  dit-il,  par 


188  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

les  différences,  à  la  vérité  presque  imperceptibles ,  qu'on 
remarque  dans  la  hauteur  des  pages  du  reste  du  volume  ! 
De  sorte  que,  suivant  M.  Sotheby,  on  trouve  dans  la 
même  page,  je  devrais  dire  dans  la  même  ligne,  des 
lettres  de  forces  de  corps  différentes.  Pour  faire  juger 
de  suite  de  l'étrangeté  de  ce  système,  je  préviens  le  lec- 
teur que  les  deux  corps  de  caractère  varieraient  de  moins 
d'un  point  dans  les  pages  à  ko  lignes,  puisqu'il  n'y  a  que 
trente-six  points  (deux  lignes  de  dix-huit)  à  répartir  entre 
quarante  lignes.  M.  Sotheby  aurait  dû,  pour  être  logique, 
supposer  un  autre  caractère  pour  la  page  de  k  1  lignes , 
car  cette  page  donne  sept  cent  vingt-quatre  points ,  c'est- 
à-dire  un  chiffre  qui  ne  s'accorde  ni  avec  le  calcul  de  k  2 
lignes  ni  avec  celui  de  ko. 

Je  vais  expliquer  d'un  mot  ce  qui  a  si  fort  intrigué 
les  savants. 

La  Bible  de  Gutenberg  ne  s'écoula  pas  aussi  vite  qu'on 
l'avait  espéré.  Les  courants  intellectuels  ne  s'établissent 
pas  à  volonté.  Et  puis  une  certaine  défaveur  s'attachait 
peut-être  alors  aux  travaux  typographiques,  comme  à 
toute  œuvre  mécanique.  Quoi  qu'il  se  vendit  à  un  prix 
inférieur  aux  manuscrits,  il  resta  longtemps  des  exem- 
plaires de  ce  livre  en  magasin.  Les  ouvrages  n'ayant  alors 
ni  titre  ni  souscription,  on  ne  distinguait  souvent  les 
livres  que  par  le  nombre  des  lignes.  Fust,  à  qui  l'impri- 
merie de  Gutenberg  et  ses  produits  furent  adjugés  en 
1  455 ,  comme  nous  allons  le  voir,  en  garantie  de  l'argent 
par  lui  prêté  à  ce  dernier,  eut  l'idée ,  sans  doute  à  fins- 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.        189 

tigation  de  son  premier  ouvrier,  Pierre  Schoiffer,  de 
s'approprier  aussi  moralement  cette  Bible  en  en  chan- 
geant l'aspect  et  la  désignation.  Pour  cela,  il  en  réim- 
prima les  premières  pages  avec  un  nombre  inférieur  de 
lignes ,  quoique  avec  le  même  caractère.  Cela  était  facile  : 
il  suffisait  de  resserrer  la  composition  ou  de  multiplier  les 
abréviations  pour  faire  entrer  k i  lignes  en  Ao;  puis,  pour 
donner  à  ces  ko  lignes  la  même  longueur  qu'aux  pages 
de  k  i  lignes ,  afin  que  le  livre  ne  fût  pas  disgracieux ,  de  les 
interligner  avec  des  feuilles  de  papier  ou  de  parchemin , 
car  il  n'existait  pas  encore,  que  je  sache,  d'interlignes 
au-dessous  d'un  point1.  Ceci  explique  la  différence  qu'on 
remarque  encore  dans  la  page  à  k  1  lignes.  La  compo- 
sition n'ayant  pu  tomber  juste  à  ko  lignes  partout,  à 
cause  des  nécessités  typographiques,  on  dut  se  résoudre 
à  faire  une  page  de  k  i  lignes ,  et  pour  qu'elle  ne  fût  pas 
trop  longue,  comme  elle  l'aurait  été  si  on  l'avait  interli- 
gnée de  la  même  manière  que  celles  de  ko  lignes ,  on  l'in- 
terligna avec  un  papier  moins  épais,  ou  toutes  les  deux 
lignes  seulement,  de  façon  à  dissimuler  le  plus  adroite- 
ment possible  la  différence.  Cette  page  de  k  1  lignes,  pla- 
cée au  recto  d'un  feuillet  dont  le  verso  a  h  lignes, 
dénonce  à  tout  praticien,  par  l'irrégularité  du  registre, 
l'évidence  de  la  fraude. 

1  Un  fondeur  de  Paris  a  trouvé  de  nos  jours  le  moyen  d'en  fondre  sur 
un  demi -point;  mais  c'est  un  progrès  auquei  on  était  loin  de  songer  en 
i455.  Le  premier  livre  interligné  que  j'aie  vu  est  un  Cicéron  publié  par 
Schoiffer  en  1/J65,  et  il  est  probablement  interligné  avec  des  réglettes  de 
bois,  car  Y  interlignage  est  fort  considérable. 


190  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

A  la  vérité,  M.  Sotheby  prétend  que  les  exemplaires 
de  hi  lignes  sont  postérieurs  à  ceux  de  /io.  La  raison 
qu'il  en  donne,  c'est  qu'on  trouve  dans  le  filigrane  des 
feuilles  de  ki  lignes  le  bœuf,  qui  ne  reparaît  qua  la  fin 
de  l'ouvrage,  et  rarement  encore,  tandis  que  les  feuilles 
à  ko  lignes  portent  la  tête  de  bœuf,  qui  se  trouve  dans 
toute  la  première  partie  du  livre.  Rien  n'est  moins  con- 
cluant que  ce  fait.  Il  n'est  pas  extraordinaire  qu'un  cahier 
tout  entier  ait  été  tiré  sur  des  feuilles  de  même  qualité , 
puisque,  comme  je  l'ai  dit,  un  cahier  était  tiré  tout  à  la 
fois.  Il  suffit,  pour  expliquer  cette  apparente  singularité, 
du  hasard  qui  a  présidé  à  l'enlèvement  de  la  rame  de  papier 
destinée  au  tirage  de  l'un  ou  de  l'autre  cahier  :  en  effet, 
il  y  avait  dans  le  magasin  de  Gutenberg,  de  l'aveu  même 
de  M.  Sotheby,  trois  sortes  de  papiers  au  moins,  de  même 
qualité  et  de  même  format,  l'un  marqué  d'une  tête  de 
bœuf,  l'autre  d'un  bœuf  et  le  troisième  d'un  raisin.  L'impri- 
meur aura  pris  au  hasard  celui  dont  il  avait  besoin ,  et 
c'est  ce  qui  aura  produit  cette  inversion,  dont  on  prétend 
tirer  aujourd'hui  des  conclusions  rigoureuses.  Peut-être 
même  le  hasard  ne  présida-t-il  pas  entièrement  à  cette 
coïncidence,  en  ce  qui  concerne  les  feuilles  à  ho  lignes. 
Il  est  bien  possible  que  Fust  et  Schoiffer  aient  choisi  avec 
intention  dans  leur  magasin  du  papier  au  bœuf  pour  re- 
tirer les  premières  feuilles  du  livre,  imprimées  d'abord 
avec  du  papier  à  la  tête  de  bœuf.  C'était  un  bon  moyen 
de  changer  l'étiquette  de  leur  marchandise.  Pour  que 
ce  changement  fût  plus  complet,  ils  firent  subir  au  livre 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.        191 

une  autre  modification  importante  :  ils  substituèrent  des 
sommaires  imprimés  en  rouge  aux  rubriques  manuscrites 
des  premières  feuilles  du  premier  et  du  second  volume. 
Comment,  en  effet,  expliquer  la  présence  des  cinq  som- 
maires seulement  imprimés  en  couleur  (innovation  entiè- 
rement due  à  Schoiffer,  comme  je  le  prouverai  plus  loin) , 
sinon  par  l'intention  de  tromper  le  public  relativement  à 
l'origine  de  ce  livre ,  en  lui  faisant  croire  à  une  édition  dif- 
férente de  celle  de  Gutenberg,  dont  les  nouveaux  impri- 
meurs avaient  intérêt  à  faire  oublier  les  travaux? 

M.  Sotheby,  dont  le  système  est  complet,  donne,  au  sujet 
de  ces  sommaires  imprimés ,  des  explications  cpri  ne  sont 
pas  moins  étranges  que  celles  que  j'ai  déjà  relevées  dans 
son  livre.  Suivant  lui,  si  toutes  les  rubriques  n'ont  pas 
été  imprimées,  c'est  qu'on  a  reconnu,  pendant  le  tirage 
des  premières  feuilles ,  qu'elles  seraient  plus  belles  étant 
faites  à  la  main ,  et  tromperaient  mieux  l'acheteur,  en  fai- 
sant ressembler  davantage  le  livre  à  un  manuscrit.  Ce 
serait  même  en  partie  pour  faire  disparaître  ces  vilaines 
rubriques  imprimées  qu'on  aurait  retiré  les  premières 
feuilles  de  la  Bible.  C'est  le  cas  de  dire  avec  le  proverbe  : 
«  Il  ne  faut  pas  disputer  des  goûts.  »  M.  Sotheby  serait  sans 
doute  fort  embarrassé  pour  nous  expliquer,  d'après  son 
système  :  1  "pourquoi  les  exemplaires  qui  ont  des  rubriques 
imprimées  dans  le  premier  cahier  en  ont  également  dans 
le  quatorzième,  et  n'en  ont  pas  dans  les  feuillets  inter- 
médiaires; i°  pourquoi  les  exemplaires  à  sommaires  im- 
primés sont  plus  nombreux  que  ceux  à  sommaires  ma- 


192  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

nuscrits  ?  C'aurait  été ,  en  vérité ,  une  singulière  idée  que  de 
dépenser  tant  d'argent  pour  faire  disparaître  de  quelques 
exemplaires  seulement  ces  sommaires  qui  ne  sont  rien 
moins  que  vilains.  Mais  c'est  trop  m'appesantir  sur  ce  sujet. 

Une  partie  des  détails  dans  lesquels  je  viens  d'entrer 
eussent  peut-être  été  plus  convenablement  placés  dans 
le  chapitre  suivant,  où  je  ferai  connaître  les  travaux  de 
Schoiffer;  mais  je  n'ai  pas  cru  pouvoir  me  dispenser  de 
résumer  ici  tout  ce  que  j'avais  à  dire  sur  la  Bible  de  Gu- 
tenberg,  dont  je  n'aurai  plus  qu'à  parler  incidemment 
plus  tard. 

Avant  même  que  sa  Bible  fût  achevée,  Gutenberg 
s'occupa  dune  autre  publication.  Il  fit  graver  deux  nou- 
veaux caractères  de  même  forme  que  celui  qui  servait 
dans  la  Bible,  c'est-à-dire  en  gothique  pure,  mais  de  force 
différente  et  plus  gros,  pour  imprimer  un  Psautier  des- 
tiné aux  chants  religieux  dans  les  églises.  On  s'étonnera 
peut-être  que  j'attribue  à  Gutenberg  les  beaux  caractères 
du  Psautier  de  1 45 7,  imprimé  par  Fust  et  Schoiifer.  Ce 
qui  me  détermine  à  le  faire,  c'est  d'abord  la  ressemblance 
des  nouveaux  caractères  avec  ceux  de  la  Bible ,  et  ensuite 
la  conviction  que  Schoiffer,  à  qui  l'on  en  fait  honneur, 
n'aurait  pu  les  faire  graver  et  fondre,  et  imprimer  son 
livre  dans  les  dix-huit  mois  qui  s'écoulèrent  entre  la  date 
du  jugement  qui  dépouilla  Gutenberg  (6  novembre  1  [\  5  5) 
et  celle  de  l'impression  du  livre  (le  i5  août  i45y). 

Quoi  qu'il  en  soit,  voici,  suivant  moi,  ce  qui  eut  lieu 
après  l'impression  de  la  Bible. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  IV.       193 

Fust  voyant,  d'une  part,  que  ce  livre  ne  se  vendait 
pas  aussi  promptement  qu'il  l'avait  espéré,  et,  d'autre 
part,  qu'il  s'élevait  de  nouvelles  imprimeries;  craignant 
que ,  par  suite  de  la  concurrence ,  les  profits  de  son  asso- 
ciation ne  fussent  pas  assez  avantageux ,  divisés  qu'ils 
étaient  entre  lui  et  Gutenberg,  résolut  de  se  servir  des 
clauses  de  son  contrat  pour  dépouiller  ce  dernier,  dont 
les  bénéfices  lui  paraissaient  sans  doute  trop  considé- 
rables. Après  s'être  assuré  la  collaboration  d'un  ouvrier 
actif  et  intelligent,  depuis  quelque  temps  employé  dans 
la  maison ,  soit  comme  calligrapbe ,  soit  comme  compo- 
siteur, il  vint  réclamer  en  justice,  aux  termes  de  son 
traité  léonin,  le  capital  et  les  intérêts  de  l'argent  qu'il 
avait  prêté  à  Gutenberg,  ou  la  remise  de  tout  son  ma- 
tériel typographique.  Nous  possédons  encore  un  curieux 
document  qui  fut  rédigea  cette  occasion.  Comme  il  jette 
un  grand  jour  sur  les  origines  de  la  typographie,  nous  al- 
lons en  donner  ici,  quoiqu'il  soit  fort  long,  une  traduction 
française1.  Il  est  assez  singulier  que  nous  ne  connais- 

1  Cette  traduction,  imprimée  par  Fournier  clans  son  livre  intitulé  :  De 
l'origine  et  des  productions  de  l'imprimerie  primitive,  in-8°,  1 769 ,  p.  1 1 6,  est 
due  à  M.  Duby,  interprète  de  la  Bibliothèque  du  roi  pour  les  langues  du 
Nord,  qui  l'a  faite  sur  la  confrontation  de  toutes  les  variantes  signalées 
par  les  auteurs.  (Voyez  dans  l'ouvrage  cité,  p.  92-93,  les  renseignements 
donnes  par  Fournier  sur  cet  important  document  de  l'histoire  de  l'impri- 
merie ,  dont  l'authenticité  ne  peut  être  mise  en  doute.)  On  trouve  le  texte 
allemand  dans  une  relation  de  l'origine  de  l'imprimerie  attribuée  â  Jean- 
Frédéric  Faust,  d'Aschaffenburg,  et  publiée  à  Francfort  en  1620,  in-12  , 

sous  le  titre  de  :  Relatio  de  oriainc  tvpograpliiœ e  documentis  ad  Fawsto- 

rum   de  Aschaffenhnrcf    familiam  pertinentibus  hausta ,  etc.  ;  dans  Wolf, 

i3 


194  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

sions  guère  Gutenberg  que  par  des  pièces  de  procédure. 
Voilà  déjà  la  quatrième  que  nous  invoquons,  et  elle  n'est 
pas  la  moins  importante.  Du  reste ,  ces  documents  valent 
mieux  que  de  simples  traditions,  toujours  incertaines. 

«Au  nom  de  Dieu,  ainsi  soit-il.  Soit  notoire  à  tous 
ceux  qui  verront  ou  entendront  lire  cet  acte  public  que 
l'an  de  la  naissance  de Notre-Seigneur  Jésus-Christ  1 455 , 
indiction  troisième,  un  jeudi,  sixième  jour  du  mois  nommé 
en  latin  november,  la  première  année  du  couronnement 
de  notre  très-saint  père  et  seigneur  le  seigneur  Callixte  III , 
par  la  providence  divine  pape ,  entre  onze  et  douze  heures 
du  matin,  à  Mayence,  dans  la  grande  salle  des  moines 
[carmes]  déchaussés,  en  présence  de  moi,  écrivain  pu- 
blic, et  des  témoins  nommés  ci-dessous,  s'est  présenté 
en  personne  l'honnête  et  prudent  Jacques  Fust,  bour- 
geois de  Mayence,  et  de  la  part  de  Jean  Fust,  son  frère , 
qui  était  aussi  présent,  a  produit,  dit  et  déclaré,  qu'entre 
ledit  Jean  Fust,  son  frère,  d'une  part,  et  Jean  Gutenberg, 
de  l'autre,  un  jour  certain  à  cette  heure  d'aujourd'hui 
avait  été  nommé ,  marqué  et  fixé  dans  ladite  salle  dudit 
lieu,  audit  Jean  Gutenberg,  pour  voir  et  entendre  ledit 
Jean  Fust  prêter  le  serment  à  lui  ordonné  et  imposé , 
selon  le  contenu  et  la  teneur  du  jugement  entre  les  deux 
parties;  et  afin  que  les  frères  dudit  couvent,  encore  as- 
semblés dans  la  salle  dudit  lieu ,  ne  hissent  point  molestés 

Monum.  typogr.  t.  I,  p.  472  -,  dans  Schwartz,  Prim.  doc.  1. 1,  p.  5  ;  dans 
Senckenberg,  Select,  jur.  et  hist.  t.  I,  p.  269;  dans  Kôhler,  Ehrenrettung 
Guttenherg's,  p.  54,  etc. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  IV.        195 

ni  interrompus ,  ledit  Jacques  Fust  fit  dire  par  un  mes- 
sager dans  la  susdite  salle  que  si  Jean  Gutenberg,  ou 
quelqu'un  de  sa  part,  était  dans  le  couvent  pour  le  sujet 
susdit,  il  eût  à  se  présenter.  Après  un  tel  message  et 
demande ,  vinrent  dans  ladite  salle  l'honnête  sieur  Henri 
Gunther,  ci-devant  curé  à  Saint-Christophe  de  Mayence  ; 
Henri  Keffer,  et  Bechtold l  de  Hanau ,  serviteur  et  valet 
dudit  Jean  Gutenberg;  et  après  que  ledit  Jean  Fust  leur 
eût  demandé  ce  qu'ils  faisaient  là  et  pourquoi  ils  y  étaient , 
s'ils  avaient  aussi  pouvoir  dans  cette  affaire  de  la  part  de 
Jean  Gutenberg,  ils  répondirent,  en  général  et  en  par- 
ticulier, qu'ils  étaient  envoyés  par  le  noble  sieur2  Jean 
Gutenberg,  pour  entendre  et  voir  ce  qu'on  ferait  dans 
cette  affaire.  Ensuite  Jean  Fust  protesta  et  témoigna  que , 
voulant  se  conformer  à  l'ordonnance,  il  était  venu,  s'était 
assis  et  avait  aussi  attendu  Jean  Gutenberg ,  son  adverse 
partie,  jusqu'à  douze  heures,  et  qu'il  l'attendait  encore, 
lequel  ne  s'était  point  présenté  en  personne  à  cette  af- 
faire. Il  se  montra  prêt  à  satisfaire  au  jugement  rendu 
sur  le  premier  article  de  sa  demande  selon  son  contenu, 

1  Ce  Bechtold  pourrait  bien  être  i'ancien  domestique  de  Gutenberg 
qui  figure  dans  les  pièces  du  procès  de  Strasbourg  sous  le  nom  de  Beil- 
deck.  (Voyez  p.  129  et  suiv. ) 

2  Voir  les  observations  faites  par  M.  de  \  ries  [Eclaircissements ,  p.  84  ) 
au  sujet  du  mot  qui  se  trouve  là  dans  le  texte,  et  qui,  suivant  lui,  signifie 
concitoyen  [inuohner),  et  non  noble  (junkhcr) ,  comme  l'a  écrit  M.  Setter 
(p.  286),  aussi  bien  que  Wolf  [Monum.  typogr.  t.  I,  p.  A70  -.junchliern, 
var.  juncliern).  Ce  point  a  d'autant  moins  d'intérêt  pour  nous  qu'on  ne 
peut  contester  à  Gutenberg  sa  qualité  nobiliaire,  et  que  nous  lui  voyons 
donner  ailleurs  le  titre  de  junker. 

i3. 


196  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

qu'il  fit  lire  de  mot  à  mot  avec  sa  prétention  et  réponse, 
dont  voici  la  teneur  : 

«  Et  comme  Jean  Fust  avait  promis  aussi  audit  Jean 
«  Gutenberg ,  ainsi  qu'il  est  premièrement  compris  dans 
«  le  billet  de  leur  convention ,  qu'il  avancerait  à  Jean 
«  Gutenberg  800  florins  en  argent  pour  certain,  avec  les- 
«  quels  il  achèverait  l'ouvrage ,  et  s'il  en  coûtait  plus  ou 
«  moins ,  cela  ne  le  regarderait  pas ,  et  que  Jean  Guten- 
«berg  lui  donnerait  de  ces  800  florins  6  florins  par  cent 
«d'intérêt.  Or  il  a  emprunté  pour  lui  ces  800  florins  à 
«  intérêt,  et  les  lui  a  donnés;  dont  Gutenberg,  n'étant  pas 
«  satisfait ,  s'est  plaint  qu'il  n'avait  pas  encore  assez  de  ces 
«  800  florins.  Ainsi ,  ayant  voulu  le  satisfaire ,  il  lui  a  donné 
«  800  autres  florins,  outre  les  premiers  800 ,  de  sorte  qu'il 
«lui  a  avancé  800  florins  de  plus  qu'il  n'était  obligé  en 
«  vertu  du  billet  susdit,  et  qu'ainsi  il  lui  avait  fallu  donner 
«  1  k o  florins  d'intérêt  des  800  florins  qu'il  lui  avait  avancés 
«  en  dernier  lieu.  Et  quoique  le  susdit  Jean  Gutenberg  se 
«  fût  obligé  par  le  susdit  billet  à  lui  donner  6  florins  pour 
«  cent  d'intérêt  des  premiers  800  florins,  néanmoins  il  n'a 
«  rien  payé  dans  aucune  année,  mais  il  a  fallu  qu'il  (Fust) 
«payât  lui-même  ledit  intérêt,  ce  qui  monte  de  bon 
«  compte  à  280  florins;  et  comme  Jean  Gutenberg  ne  lui 
«a  jamais  payé  cet  intérêt,  savoir,  les  6  florins  des  800 
«premiers  florins,  non  plus  que  l'intérêt  des  800  der- 
«  niers,  et  qu'il  a  été  obligé  lui-même  d'emprunter  ensuite 
«  cet  intérêt  parmi  les  chrétiens  et  les  juifs ,  et  d'en  don- 
ce  ner  36  florins  de  bon  compte  pour  la  recherche ,  ce  qui 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.       197 

«monte  ensemble,  avec  l'argent  principal,  à  2,020'  flo- 
«  rins  pour  certain ,  il  lui  demande  présentement  qu'il 
«  (Gutenberg)  lui  paye  le  tout  sans  qu'il  en  souffre  de 
«  dommages.  » 

«  A  cela  Jean  Gutenberg  a  répondu  que  Jean  Fust  lui 
avait  donné  800  florins ,  afin  de  préparer  et  faire  ses  usten- 
siles avec  cet  argent,  à  condition  qu'il  se  contenterait  de 
cette  somme,  et  l'emploierait  à  son  utilité  ;  que  les  outils 
seraient  engagés  audit  Jean  Fust,  et  que  celui-ci  lui  don- 
nerait annuellement  3oo  florins  pour  les  frais,  comme 
aussi  pour  les  gages  des  domestiques,  le  loyer,  le  chauf- 
fage ,  le  parchemin ,  le  papier,  l'encre ,  etc.;  que  si  à  l'avenir 
ils  ne  s'accommodaient  point,  il  (Gutenberg)  lui  rendrait 
(à  Fust)  ses  800  florins,  et  les  outils  seraient  dégagés; 
bien  entendu  qu'il  (Gutenberg)  achèverait  l'ouvrage  avec 
l'argent  qu'il  (Fust)  lui  avait  prêté  sur  ses  gages,  et  il 
compte  qu'il  n'a  pas  été  obligé  d'employer  ces  800  florins 

1  Ce  compte  n'est  pas  clair.  En  réalité,  il  faudrait  lire  ici  2,026  florins, 
car  voici ,  d'après  Fust,  le  relevé  des  sommes  dues  par  Gutenberg  : 

Premier  prêt 800  fl. 

Second  prêt 800 

Intérêt  du  second  prêt i/io 

(Ce  qui  nous  reporte  à  près  de  trois  ans  en  arrière,  à 
6  pour  100  par  an,  soit  i/i52.) 

Intérêt  du  premier  prêt 2  5o 

(Ce  qui  nous  reporte  à  plus  de  cinq  ans  en  arrière,  a 
6  pour  100,  soit  au  commencement  de  i/;5o.  ) 
Prime  prétendue  pour  la  recherche  de  l'argent 36 

Total 2,026 


198  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

à  la  fabrique  des  livres  ;  et  quoiqu'il  soit  aussi  fait  men- 
tion dans  le  billet  qu'il  (Gutenberg)  lui  donnerait  6  par 
cent  d'intérêt ,  Jean  Fust  lui  a  néanmoins  promis  de  ne 
lui  point  demander  cet  intérêt.  De  plus,  ces  800  florins 
ne  lui  ont  pas  été  payés,  selon  la  teneur  du  billet,  tous 
et  à  la  fois,  comme  il  (Fust)  le  prétend  dans  le  premier 
article  de  sa  demande;  et  à  l'égard  de  ces  derniers  800 
florins,  il  (Gutenberg)  s'offre  à  lui  en  rendre  compte.  Il 
ne  lui  en  accorde  non  plus  aucun  intérêt  ni  usure ,  et  il 
espère  qu'il  ne  sera  point  obligé  en  justice  de  le  faire; 
comme  il  a  été  présenté  par  la  demande,  la  réponse,  la 
réplique ,  la  redite,  et  plusieurs  autres  paroles ,  etc. 

«  Ainsi  nous  prononçons  en  justice  :  a  Quand  Jean 
«  Gutenberg  aura  rendu  son  compte  de  toutes  les  recettes 
«  et  dépenses  qu'il  a  faites  pour  l'ouvrage  au  profit  com- 
«mun,  ce  qu'il  aura  reçu  de  plus  en  argent  au-dessus 
«sera  compté  dans  les  800  florins;  mais,  s'il  se  trouve 
«  dans  le  compte  que  Fust  lui  a  donné  quelque  chose 
((de  plus  que  800  florins  qui  n'aurait  pas  été  employé 
npour  leur  profit  commun,  il  le  lui  rendra  aussi;  et  si 
«  Jean  Fust  prouve  par  serment ,  ou  autre  preuve  valable, 
«  qu'il  a  pris  le  susdit  argent  à  intérêt ,  et  qu'il  ne  l'a  pas 
«  donné  de  sa  propre  bourse,  Jean  Gutenberg  lui  payera 
«  aussi  ledit  intérêt,  selon  la  teneur  du  billet.  » 

«  Ledit  jugement ,  comme  nous  venons  d'entendre , 
ayant  été  lu  en  présence  des  susdits  sieurs  Henri,  etc.1, 

1   Cet  etc.  qui  se  trouve  également  dans  le  texte  allemand,  remplace  les 
titres  du  premier  témoin  de  Gutenberg,  Henri  Gunther. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  IV.        199 

Henri  [Keiïer]  et  Bechtold,  serviteurs  dudit  Gutenberg , 
le  susdit  Jean  Fust  prêta  serment ,  dit  et  assura ,  les 
doigts  posés  sur  les  saints  [évangiles],  en  la  main  de 
moi ,  écrivain  public ,  que  tout  ce  qui  était  compris  dans 
un  billet  selon  la  teneur  du  jugement,  qu'il  me  remit 
alors,  était  entièrement  vrai  et  juste  ;  ainsi ,  que  Dieu  lui 
soit  en  aide  et  les  saints  ! 

«La  teneur  du  billet  susdit  est  ainsi  mot  à  mot  : 
«Je,  Jean  Fust,  ai  emprunté  i,55o  florins1,  qui  ont  été 
«remis  à  Jean  Gutenberg,  et  qui  ont  été  employés  à 
«  notre  ouvrage  commun  :  il  m'en  a  fallu  donner  annuel- 
«  lement  intérêt  et  usure ,  et  j'en  dois  encore  une  partie  ; 
«ainsi  je  lui  compte,  pour  chaque  cent  florins  que  j'ai 
«empruntés,  comme  il  est  dit  ci -dessus,  six  florins  an- 
«  nuellement  de  l'argent  que  j'ai  emprunté  et  qu'il  a  tou- 
«  ché ,  qui  a  été  employé  à  notre  ouvrage  commun ,  et 
«qui  se  trouve  dans  le  compte;  je  lui  en  demande  l'in- 
«térêt  selon  la  teneur  du  jugement;  et  pour  preuve  que 
«cela  est  ainsi,  je  veux  m'en  tenir,  comme  il  est  juste ,  à 
«  la  teneur  du  jugement  rendu  sur  le  premier  article  de 
«  la  demande  que  j'ai  faite  audit  Jean  Gutenberg.  » 

«De  tout  ce  que  dessus  ledit  Jean  Fust  m'a  demandé 
à  moi ,  écrivain  public ,  un  ou  plusieurs  actes  publics , 
autant  et  tant  de  fois  qu'il  en  aurait  besoin  ;  et  toutes  les 
choses  susdites  se  sont  passées  dans  l'année,  indiction, 

1  Fust  aurait-il,  comme  les  usuriers  de  profession,  prélevé  une  prime 
sur  le  prêt  fait  par  lui  à  Gutenberg,  et  donné  seulement  i,55o  florins 
au  lieu  de  1,600? 


200  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

jour  et  heure,  papauté,  couronnement,  mois  et  lieu 
nommés  ci -dessus,  en  présence  d'honnêtes  personnes 
Pierre  Grantz1,  Jean  Kislen2,  Jean  Knopff3,  Jean  Ise- 
neckh4,  Jacques  Fust,  bourgeois  de  Mayence,  Pierre 
Girnsheim 5  et  Jean  Bonne ,  clercs  de  la  ville  et  évêché 
de  Mayence ,  demandés  et  requis  particulièrement  pour 
témoins.  Et  moi  Uîric  Helmasperger,  clerc  de  l'évêché 
de  Bamberg,  écrivain  public  par  autorité  impériale,  et 
notaire  juré  du  saint-siége  à  Mayence,  vu  que  j'ai  assisté 
avec  tous  les  témoins  susdits,  et  que  je  les  ai  aussi  en- 
tendus ,  pour  cet  effet  j'ai  fait  écrire  par  un  autre  cet  acte 
public ,  que  j'ai  signé  de  ma  propre  main ,  et  y  ai  fait 
apposer  ma  marque  ordinaire ,  en  ayant  été  requis  pour 
témoignage  de  la  vérité  de  toutes  les  choses  susdites.  » 

Cette  fois  Gutenberg  avait  contre  lui  et  les  termes  de 
son  engagement,  et  l'un  des  juges,  Nicolas  Fust,  qui 
était  parent  de  Jean  Fust  :  il  perdit  son  procès,  et  se 
vit  enlever  non-seulement  ses  instruments  de  travail, 
qui  lui  avaient  coûté  tant  de  peine  et  d'argent  depuis 
vingt  ans  qu'il  s'occupait  d'imprimerie,  mais  encore  sa 
part  de  profit  dans  la  vente  des  exemplaires  de  la  Bible 
achevée.  Jean  Fust  fit  enlever  tout  cela,  et  le  fît  por- 
ter dans  sa  propre  maison,   l'ancien  hôtel  zum   Hum- 

1  Suivant  une  autre  version  citée  par  Wolf  :  Kraass. 
-  lbid.  :  Kisten  ou  Kist. 

3  lbid.  :  Knost. 

4  lbid.  :  Yseneck  ou  Eisenech. 

5  lbid.  :  Gernsheim ,  c'est  Pierre  SchoiiFer,  qui  n'était  encore  rien  clans 
l'association, 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.       201 

breicht ,  situé  rue  des  Cordonniers  (Schuster  gasse), 
n°  88. 

II  paraît  que  Gutenberg,  dépouillé  de  ses  instruments, 
abandonna  aussi  la  maison  zwn  Jung  en,  qui  était  sans 
doute  trop  vaste  pour  lui  seul,  et  vint  habiter  l'hôtel 
Gutenberg ,  où  fut  plus  tard  installée  l'école  de  droit.  C'est 
du  moins  ce  qu'on  peut  inférer  d'un  passage  déjà  cité  de 
la  Chronique  des  évêques  de  Strasbourg,  où  Wimphe- 
ling  dit  que  l'art  fut  complété  dans  la  maison  de  la  bonne 
montagne  (ces  deux  mots  sont  la  traduction  de  celui  de 
Gutenberg)  :  «  In  domo  Bonimontis,  in  qua  hodie  est  col- 
«  legium  juristarum,  ea  ars  (impressoria)  compléta  fuit1.  » 
Peut-être ,  au  contraire ,  le  déménagement  de  Gutenberg 
n'eut -il  heu  qu'en  1  46 1 ,  époque  où  la  maison  zum  Jun- 
gen,  saisie  sur  son  propriétaire,  qui  résidait  à  Francfort, 
fut  vendue  au  profit  de  Fust. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  Gutenberg  n'a- 
bandonna pas  l'imprimerie.  Il  se  créa  ensuite  un  nouvel 
atelier  typographique,  c'est  ce  qui  ressort  de  plusieurs 
documents,  et  entre  autres  de  la  Chronique  des  papes 
publiée  à  Rome  en  1/17/1,  et  que  j'aurai  occasion  de  ci- 
ter plus  loin.  Avec  l'expérience  qu'il  avait  acquise  par  ses 
travaux  précédents,  ce  dut  être  pour  lui  une  besogne 
d'autant  moins  considérable  qu'il  paraît  s'être  restreint  à 
un  modeste  matériel.  Au  reste ,  il  lui  aurait  été  difficile 
de  se  procurer  un  grand  établissement ,  car  on  voit  qu'il 
fut  entièrement  ruiné  par  son  dernier  procès,  et  ne  put 

'   Voir  le  texte  complet  de  ce  passage  ci-dessus,  p.  i63. 


202  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

se  relever  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  une  dizaine  d'années 
après.  En  effet,  à  partir  de  î/iôy,  il  cessa  d'acquitter  la 
rente  de  quatre  livres  qu'il  devait  au  chapitre  de  Saint- 
Thomas  de  Strasbourg,  et  qu'il  avait  exactement  payée 
jusque-là.  Ce  chapitre  le  fit  vainement  citer,  en  1^61, 
devant  la  chambre  impériale  aulique  de  Rottweil,  en 
Souabe;  n'ayant  rien  pu  obtenir  de  Gutenberg,  il  pour- 
suivit non  moins  vainement,  en  1A67,  Martin  Brechter, 
sa  caution  ;  à  la  fin ,  voyant  qu'il  en  était  pour  ses  frais 
de  poursuite ,  il  renonça  à  sa  créance ,  comme  le  consta- 
tent les  registres  de  cette  église,  où,  dès  i  468,  le  rece- 
veur accompagne  la  mention  de  cette  dette  du  mot  vacat. 
A  partir  de  iàjh  elle  n'y  figure  même  plus  du  tout1. 

Si,  comme  le  croit  M.  Wetter2,  le  matériel  de  la  pre- 
mière imprimerie  de  Gutenberg  servit  à  peine  à  payer 
seulement  les  800  premiers  florins  à  lui  avancés  par 
Fust,  et  s'il  resta  toujours  débiteur  du  surplus  de  la 
somme  de  2,020  florins  réclamés  par  ce  dernier,  on  s'ex- 
pliquerait facilement  la  nécessité  où  fut  Gutenberg  de 
dissimuler  l'existence  de  son  atelier;  mais  le  fait  me  paraît 
peu  probable.  Nous  possédons  une  lettre  de  Schoiffer3, 

1  Voyez  les  curieux  renseignements  que  renferme  sur  cette  affaire  une 
petite  brochure  déjà  citée,  intitulée  :  Nouveaux  détails  sur  la  vie  de  Guten- 
berç],  par  M.  Schmidt,  professeur  au  séminaire  protestant  de  Strasbourg 
(in-8°,  18/11). 

2  Kritische  Geschichte  ,  etc.  p.  42  3. 

3  Ibid.  p.  4.24-  Cette  lettre,  tirée  de  la  Lesners  Chronik  der  Stadt 
Francfort  a.  M.  (Chroniq.  de  Francf.  par  Lesners),  liv.  I,  p.  438,  a  été  pu- 
bliée aussi  par  M.  Fischer,  Essai,  etc.  p.  45. 


PREMIERE  PARTIE.  —  CHAPITRE  IV.       203 

adressée  de  Francfort,  en  i485,  à  un  Jean  Gensfleisch, 
juge  laïque  de  Mayence,  dans  laquelle  il  réclame  à  ce 
dernier  le  montant  dune  créance  dont  il  a  besoin  pour 
ses  affaires,  sans  dire  toutefois  l'origine  de  cette  dette. 
M.  Wetter  pense  que  Schoiffer  faisait  cette  répétition  à 
titre  de  créancier  de  Gutenberg,  dont  le  procès,  suivant 
Bergellanus1,  durait  encore  en  i54i,  c'est-à-dire  près 
de  cent  ans  après  ! . . .  Cela  ne  me  paraît  pas  sérieux  :  c'est 
une  exagération  de  poëte.  Schoiffer  d'ailleurs,  dans  ce 
cas,  n'aurait  pas  pu  réclamer  en  1 485  le  montant  d'une 
dette  qui  ne  lui  était  pas  acquise  si  l'on  plaidait  encore. 
La  lettre  que  cite  M.  Wetter,  au  surplus,  est  conçue  en 
termes  trop  courtois  pour  qu'on  puisse  croire  qu'elle  fait 
allusion  à  un  procès  qui  aurait  duré  déjà  trente  ans.  Or- 
dinairement les  parties  en  litige  ne  conservent  pas  de 
pareils  rapports. 

Quoiqu'on  ne  connaisse  pas  de  livres  portant  le  nom 
de  Gutenberg,  il  n'en  résulte  pas  qu'on  ne  puisse  lui  en 
attribuer  aucun  ;  de  même  que  pour  la  Bible  de  l\i  lignes 
on  peut ,  par  induction  et  à  l'aide  de  certains  témoignages , 
arriver  à  une  attribution  probable.  M.  Fischer2  nous  a 
donné  le  fac-similé  d'un  ouvrage  qui  se  trouve  dans  cette 
condition,  et  qu'il  a  intitulé  :  Tractatus  de  celebratione 
missarum.  Ce  livre,  qui  provenait  originairement  de  la  bi- 

1  Joannis  Amoldi  Bergellani  Encomion  chalcographiœ ,  vers  261  et  262  : 

Tempore  sed  longo  res  est  tractata  dicaci 
Lite,  hodie  pendet  judicis  inque  sinu. 

2  Essai,  etc.  p.  78. 


204  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

bliothèque  des  chartreux  de  Mayence ,  et  qui  se  trouvait 
avant  la  révolution  dans  celle  de  l'université,  passa  en- 
suite dans  celle  de  la  ville,  où  il  est  peut-être  encore, 
quoique  le  bibliothécaire  actuel  n'ait  pu  le  retrouver1.  Il 
portait  la  souscription  manuscrite  suivante ,  dont  les  der- 
nières lettres  de  chaque  ligne  avaient  été  atteintes  par  le 
couteau  du  relieur,  mais  dont  le  sens  ne  paraît  pas  toute- 
fois altéré: 

Garthusia  prope  Maguntm  possidel  ex  îber 
donacône  Joanis  dicti  a  Bono  monte  opuscu 
mira  sua  arte  se  ë  Johannis  Nummeistër 
cleric.  confectû.  Anno  Dni  M0  cccc0 
lx.  iii.  xiii  Kal.  Jul. 

Voici  la  traduction  des  trois  premières  lignes  :  «  La 
Chartreuse  près  de  Mayence  tient  de  la  libéralité  de  Jean 
Gutenberg  ce  livre ,  produit  de  son  art  et  de  la  science 
[scientia  etiam?2)  de  Jean  Nummeistër,  clerc.  »  Le  sens  de 

1  H  a  fait  à  ma  demande  de  vaines  recherches  ;  mais  son  insuccès  n'a 
rien  qui  doive  surprendre,  si  l'on  songe  à  l'indifférence  des  Mayençais 
pour  tout  ce  qui  touche  à  l'époque  de  la  domination  française.  Ils  ne 
savent  pas  même  ce  que  sont  devenues  les  archives  du  département  du 
Mont-Tonnerre,  dépôt  considérable  de  documents  anciens  que  nous  y 
avions  formé  (de  même  que  la  bibliothèque),  et  dont  il  ne  reste  pas  un 
lambeau.  Pour  ce  qui  est  de  l'existence  du  livre  en  question,  j'ai  la  garan 
tie  de  M.  Fischer,  alors  bibliothécaire  de  Mayence,  qui  m'écrit  de  Moscou, 
le  3-x5  avril  i85i  :  «  Non-seulement  j'ai  vu  de  mes  propres  yeux  l'inscrip- 
tion; mais  l'ouvrage  doit  se  trouver  encore  à  la  bibliothèque;  il  est  réuni, 
dans  un  volume  in-4°,  à  plusieurs  autres  traités.  » 

2  Van  Praet  [Catalogue  des  livres  imprimés  sur  vélin,  in-fol.  p.  33)  lit 
ici  :  «Mira  sua  arte  p.  (per)  Johannem  Nummeistër,»  ce  qui  attribue  à 
Nummeistër  seul  l'impression  du  livre;  mais  où  M.  Van  Praet  a-t-il  pris 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.       205 

la  troisième  ligne  peut  être  contesté  ;  mais  on  voit  qu'il  y 
est  question  de  l'art  admirable  de  l'imprimerie1,  et  d'un 
associé  de  Gutenberg ,  appelé  Nummeister  ;  enfin  les  deux 
dernières  lignes  portent  que  le  livre  a  été  achevé  ou  au 
moins  donné  le  1  3  des  calendes  de  juillet  (1  9  juin)  1  463. 

L'ouvrage  en  question  est  un  petit  in-4°de  trente  feuil- 
lets, ayant  28  lignes  à  la  page.  Le  papier  porte  dans  le 
filigrane  trois  lis  couronnés.  Le  titre  des  chapitres  est 
composé  en  gros  caractère  gothique  peu  différent  de  ce- 
lui de  la  Bible  de  42  lignes  :  il  était  naturel  que  Guten- 
berg voulût  conserver  le  souvenir  de  ce  caractère  au- 
quel il  devait  sa  gloire.  Le  corps  de  l'ouvrage  est  en  carac- 
tère cursif,  autrement  dit  de  somme.  C'est  une  espèce  de 
transition  entre  le  gothique  pur  et  le  romain;  il  imitait 
l'écriture  en  usage  alors  dans  une  partie  de  l'Europe. 
Ce  caractère  a  environ  onze  points  et  demi.  (Voyez 
dans  les  planches ,  sous  le  n°  6 ,  un  fac-similé  des  deux 
caractères,  fait  d'après  celui  de  M.  Fischer.) 

Ce  savant,  à  qui  nous  devons  la  conservation  et  la 
description  d'une  foule  de  monuments  typographiques 
des  premiers  temps  de  l'imprimerie ,  mentionne  encore 
clans  deux  de  ses  ouvrages2  un  autre  opuscule  de  la  plus 

cette  variante?  C'est  ce  que  j'ignore.  Si  les  caractères  avaient  appartenu 
à  Nummeister,  il  s'en  serait  servi  là  où  il  est  allé  s'établir  après  la  mort 
de  Gutenberg  :  or  nous  verrons  cpi'ii  en  avait  d'autres. 

1  On  trouve  cette  formule  mira  arte  ou  sua  arte  dans  une  foule  de  livres 
des  premiers  temps. 

2  Typographische  Seltenheiten,  6e  livraison,  p.  3/i  et  69,  et  Notice  du 
premier  monument  typographique ,  etc.  p.  6. 


206  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

haute  importance  pour  nous ,  car  il  vient  confirmer  mon 
attribution.  Cet  opuscule  est  un  calendrier  ou  almanach 
pour  1/160,  imprimé  avec  les  deux  caractères  du  Trac- 
tatus  de  celebratione  missarum.  Il  se  compose  de  quelques 
feuillets  in- 4°,  en  tête  desquels  on  lit  en  forme  de  titre  : 
«Particula  prima  de  dào  arïi  et  signifîcatïs  ëius1  ad  que 
«humana  ratio  ptingere  potest,  consideratis  singulis  pla- 
«  netarum  dignitatibus ,  figura  revolacônis  ani  li.  »  Les  mots 
que  j'ai  mis  en  italique  forment  une  ligne  en  gros  carac- 
tère gothique, le  reste  est. en  caractère  cursif,  l'un  et  l'au- 
tre conformes  à  ceux  de  l'ouvrage  précédent.  Il  y  avait  en 
180 k  six  feuillets  seulement  de  ce  livret  dans  le  musée 
du  prince  (aujourd'hui  grand-duc)  de  Darmstadt  :  que 
sont-ils  devenus  ?  On  l'ignore.  M.  Féder,  conseiller  in- 
time au  service  de  S.  A.  R.  le  grand-duc  de  Hesse,  et  con- 
servateur de  la  Bibliothèque  aulique  de  Darmstadt,  a 
bien  voulu  faire  pour  moi  des  recherches  dans  son  dépôt; 
mais  elles  ont  été  vaines.  Peut-être  est-ce  là  une  de  ces 
pièces  curieuses  qui  avaient  été  placées  à  la  Bibliothèque 
nationale  de  Paris  sous  l'Empire,  pour  être  mise  à  la 
portée  des  savants  de  tous  les  pays ,  et  qui  nous  ont  été 
enlevées  en  1 8 1  5  sous  prétexte  de  les  restituer  à  leurs 
dépôts  primitifs.  Combien  de  monuments  du  même  genre 
ont  disparu  ainsi  dans  la  poche  de  ces  juges  rigides,  qui, 
en  dépouillant  la  France,  ne  songeaient  qu'à  satisfaire 
leur  cupidité  ou  leur  sotte  jalousie  nationale  !  Heureu- 
sement M.  Fischer  nous  a  donné  une  description  fort  com- 

1  Ainsi  figuré  dans  le  livre  de  M.  Fischer,  p.  70. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.       207 

Diète  de  ce  livret  dans  ses  Curiosités  typographiques 1  : 
c'est  tout  ce  qui  en  reste;  mais  c'est  beaucoup.  En  effet, 
ce  calendrier,  qui  a  dû  être  exécuté  en  1 45  9,  vient  con- 
firmer la  date  inscrite  à  la  plume  sur  le  Tractatus  de  cele- 
bratione  missarum  (i/t63),  et  prouve  qu'il  existait  trois 
imprimeries  à  Mayence,  vers  1  /i6o,  sans  parler  de  celle 
où  a  été  imprimée  la  Lettre  d'indulgences  de  3 1  lignes , 
dont  nous  nous  occuperons  plus  loin,  parce  que,  suivant 
moi,  cette  imprimerie  n'était  plus  à  Mayence  en  iliGo. 

Ces  imprimeries  étaient  : 

i°  Celle  de  Fust  et  Schoiffer,  qui  imprima  en  1  45g 
le  Rationale  Durandi;  i°  celle  de  Bechtermuntze,  qui  mit 
au  jour  en  1I160  le  Cailiolicon  (Joannis  Balbi  de  Janua), 
qu'on  a  attribué  jusqu'ici  à  Gutenberg,  mais  à  tort,  comme 
je  le  prouverai;  3°  enfin  celle  d'où  sont  sortis  le  Calen- 
drier de  Îâ60  et  le  Tractatus  de  celebratione  missarum. 

Or  quelle  peut  être  cette  troisième  imprimerie  d'un 
maître  inconnu,  sinon  celle  de  Gutenberg,  dont  l'exis- 
tence nous  est  signalée  par  plusieurs  documents2?  L'ex- 
ploitation, à  cette  époque,  d'une  imprimerie  distincte  de 
celle  de  Fust  par  Gutenberg  ne  peut  être  mise  en  doute, 
car  voici  ce  que  dit,  sur  l'année  i/i58,  Philippe  de  Li- 
gnamine ,  dans  sa  Continuation  de  la  chronique  des  sou- 

1  Tjpographisclie  Seltenheiten ,  6e  livraison,  p.  69  et  suiv. 

2  Je  ne  cite  pas  comme  tel  une  lettre  apocryphe  de  1 45g ,  attribuée  à 
Gutenberg,  sur  la  foi  de  Bodmann,  par  Oberlin  et  M.  Fischer,  parce  que 
ce  monument  est  aujourd'hui  reconnu  pour  faux.  (Voyez  Schaab.  Die 
Geschichte,  etc.  t.  I,  p.  32  et  suiv.) 


208  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

verains  pontifes,  imprimée  par  lui-même  à  Rome  en 
1 4.7/1  :  «  J-1  Gutenberg  de  Strasbourg 2  et  un  autre  appelé 
Fust,  très-habiles  dans  l'art  d'imprimer  avec  des  caractères 
de  métal  sur  parchemin ,  impriment  chacun  trois  cents 
feuilles  par  jour,  à  Mayence3.»  Ce  témoignage,  venant 

1  L'original  porte  par  erreur  Jacobus.  Lignamine  avait  probablement 
mis  un  J.  (pour  Joannes),  et  le  compositeur  aura  achevé  le  mot  à  sa 
guise. 

2  C'était  une  opinion  commune  alors  que  Gutenberg  était  de  Stras- 
bourg. Elle  devait  son  existence  au  long  séjour  que  Gutenberg  avait  fait 
dans  cette  ville ,  et  à  la  certitude  qu'il  y  avait  conçu  son  invention  avant  de 
se  rendre  à  Mayence. 

3  Voici  les  propres  termes  de  la  chronique  :  «Jacobus  cognomento 
«Gutenbergo  [sic) ,  patria  Argentinus,  et  quidam  altcr  cui  nomen  Fuslus, 
«  imprimendarum  litterarum  in  membranis  cum  metallicis  formis  periti , 
«trecentas  cartas  quisque  eorum  per  diem  facere  innotescunt  apud  Ma- 
li guntiam,  Germaniœ  civitatem.  »  [Chron.  summ.  pontif.  etc.  fol.  121).  Ces 
trois  cents  feuilles  font  six  cents  de  tirage.  Aujourd'hui  un  ouvrier  peut 
aisément  tirer  sur  un  ouvrage  soigné  mille  feuilles  ou  deux  mille  coups 
(côté  de  première  et  côté  de  seconde)  ;  mais  c'était  déjà  beaucoup  à  cette 
époque  où  l'imprimerie  était  toute  nouvelle  que  trois  cents  feuilles ,  au- 
trement dit  six  cents  de  tirage;  car  il  ne  faut  pas  oublier  les  difficultés 
d'un  début.  Suivant  un  auteur  du  xvne  siècle ,  il  paraît  que  les  ouvriers 
français  imprimaient  déjà  au  commencement  de  ce  siècle  deux  mille  cinq 
cents,  et  les  imprimeurs  belges  quatre  mille  par  jour,  si  notre  auteur 
n'exagère  pas.  Voici  au  reste  ses  propres  expressions:  «Les  Flamands  em- 
ploient toutes  sortes  de  pauvres  gens  du  pays,  à  très-petit  prix,  et  obli- 
gent les  compagnons  à  tirer  quinze  cents  par  jour  plus  que  les  François, 
qui  n'en  tirent  que  vingt  et  cinq  cents ,  faisant  faire  de  la  composition  à 
l'équipollent.  »  Antoine  de  Montchrétien ,  cité  par  M.  Ambroise  Firmin 
Didot,  dans  son  Essai  sur  la  typographie  [Encyclopédie  moderne,  t.  XXVI, 
col.  694).  M.  Didot  n'a  pas  compris  le  véritable  sens  de  l'expression  de 
vingt  et  cinq  cents  :  ce  n'est  pas  cinq  cents  feuilles  plus  vingt  de  passe,  comme 
il  le  dit,  mais  bien  vingt-cinq  fois  cent  que  Montchrétien  a  voulu  dire.  En 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.       209 

d'un  savant  qui  était  lui-même  typographe ,  est  de  la  plus 
haute  importance,  et  me  semble  résoudre  la  question. 

Si  l'attribution  que  nous  venons  de  faire  du  Tractatus 
de  celebratione  missarum  à  la  presse  de  Gutenberg  est 
fondée,  il  en  doit  être  de  même  de  deux  autres  opus- 
cules in-quarto  que  possède  la  Bibliothèque  nationale  de 
Paris,  et  qui  sont  imprimés  avec  un  caractère  identique 
à  celui  qui  a  servi  dans  le  corps  de  l'ouvrage  précédent. 
Le  premier,  intitulé  :  Hermani  de  Saldis  Spéculum  sacerdo- 
tum,  et  composé  de  seize  feuillets,  est  imprimé  sur  un 
papier  qui  ressemble  beaucoup  par  la  couleur  et  la  beauté 
à  celui  marqué  d'une  tête  de  bœuf.  Il  porte  dans  le  fili- 
grane la  lettre  gothique  d  avec  une  liaste  très-prolongée1. 
Le  second  est  un  ouvrage  en  allemand,  qui  traite  de  la 
nécessité  des  conciles  et  de  la  manière  de  les  tenir.  Il  se 
compose  de  quatorze  feuillets  ayant  chacun  3i  lignes, 
et  commence  ainsi  :  «  [?]s  ist  noit  das  dicke  uncl  vil  con- 
cilia werden ,  etc.2  » 

M.  Fischer  cite  encore 3  un  opuscule  du  même  genre , 
intitulé  :  Dyalogus  inter  Hugonem,  Cathonem  et  Oliverium 
super  libertate  ecclesiastica.  Vingt  feuillets  in-quarto  ;  le  pa- 
pier porte  également  un  d,  mais  avec  une  croix  à  la  lias  le. 

effet,  il  n'est  pas  croyable  qu'au  xvnc  siècle,  alors  que  les  Belges  auraient 
imprimé,  au  compte  de  M.  Didot,  deux  mille  feuilles  par  jour,  les  Fran- 
çais n'auraient  pu  en  tirer  que  cing  cents ,  c'est-à-dire  le  quart. 

1  Fischer,  Essai,  etc.  p.  79;  et  Van  Praet,  Catal.  (in-fol.),  p.  33. 

2  Van  Praet,  Catalogue  (in-fol.),  p.  34.  Je  dois  avouer  que  je  n'ai  pas 
vu  ce  dernier  livre  ;  on  n'a  pu  le  retrouver  à  la  Bibliothèque  nationale. 

3  Typographischc  Seltenheiten ,  6e  livraison,  p.  7/1. 

.4 


210  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  Gutenberg  jouis- 
sait alors  d'un  certain  relief  dans  son  pays.  Soit  comme 
récompense  de  ses  travaux  typographiques,  soit  en  re- 
connaissance de  services  rendus  à  Adolphe  de  Nassau 
durant  la  lutte  que  ce  dernier  soutint  contre  Diether  de 
Isemburg,  son  prédécesseur  sur  le  siège  archiépiscopal, 
dont  il  parvint  à  le  déposséder  en  1  462  à  force  ouverte, 
notre  artiste  reçut  de  ce  prélat,  en  1 465 ,  un  diplôme  de 
gentilhomme  de  sa  cour.  Ce  document1  nous  apprend 
que  Gutenberg  devait  recevoir  annuellement,  à  ce  titre, 
un  costume  de  cour,  vingt  mattcrs  de  blé ,  deux  foudres  de 
vin ,  pour  l'usage  de  sa  maison ,  etc.  L'acte  est  donné  à 
Eltvil ,  autrement  dit  Ellfeld ,  résidence  habituelle  de 
l'archevêque- électeur,  le  jeudi  après  la  Saint- Antoine 
(«77i  Dornstacj  Sont  Antonientacj)  1 465.  Cette  date  est  assez 
incertaine  quant  au  jour,  car  il  y  a  plusieurs  saints  du 
nom  d'Antoine,  dont  les  fêtes  ont  lieu  dans  différents 
mois;  mais  elle  n'est  pas  douteuse  quant  à  l'année,  car 
on  suivait  à  Mayence  l'usage  romain ,  qui  faisait  commen- 
cer celle-ci  à  la  Noël  ou  même  au  premier  janvier,  et  non 
l'usage  de  la  France,  qui  la  faisait  commencer  à  Pâques2. 

D'après  les  termes  de  cet  acte,  on  peut  croire  que 

1  II  est  en  allemand  et  a  été  publié  par  Joannis,  Rer.  Mogunt.  Script. 
t.  III,  p.  k.1 4;  par  Wolf,  Monum.  typogr.  t.  I,  p.  5;  par  Kôhler,  Ehrenret- 
tung  Guttenbcrg's,p.  100. 

2  Voyez  une  longue  note  insérée  par  Mercier,  abbé  de  Saint-Léger, 
dans  la  seconde  édition  de  son  Supplément  à  l'histoire  de  l'imprimerie  de 
Marchand,  p.  189.  Je  reviendrai  moi-même  sur  ce  sujet  en  parlant  des 
livres  de  Schoiffer. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  IV.       211 

Gutenberg,  qui  était  déjà  fort  âgé,  ne  pratiquait  plus 
alors  lui-même ,  et  qu'il  faisait  exécuter  par  d'autres  les 
livres  qu'il  publiait.  Cela  explique  la  présence  du  nom 
de  Nummeister  dans  la  note  manuscrite  du  Tractatiis  de 
celebratione  missarum  citée  plus  haut1,  laquelle  nous  ré- 
vèle la  coopération  de  ce  dernier  dans  l'impression  du 
livre.  Mais  nous  avons  la  preuve  que  l'imprimerie  ap- 
partenait à  Gutenberg ,  et  cette  preuve  est  incontes- 
table, car  c'est  un  document  judiciaire  rédigé  après  la 
mort  de  ce  dernier. 

Voici  la  traduction  de  ce  document  curieux,  qui  est 
également  en  allemand2: 

«Je  soussigné  Conrad  Homery,  docteur,  reconnais  par 
cette  lettre  que  son  altesse  le  prince ,  mon  gracieux  et 
cher  seigneur  Adolphe ,  archevêque  de  Mayence ,  m'a  fait 
gracieusement  livrer  quelques  formes  [formen3),  carac- 
tères, instruments,  outils  et  autres  objets  relatifs  à  l'im- 
primerie ,  qu'avait  laissés  après  sa  mort  Jean  Gutenberg , 
et  qui  m'appartenaient  et  m'appartiennent  encore;  mais 
pour  l'honneur  et  pour  le  plaisir  de  son  altesse ,  je  me  suis 
engagé  et  m'engage  par  cette  lettre  âne  jamais  m'en  ser- 
vir ailleurs  que  dans  la  ville  de  Mayence,  et,  de  plus,  à 
les  vendre  à  un  bourgeois  de  cette  ville  de  préférence 

1  Page  2o3  et  suiv. 

2  Pour  le  texte  allemand,  voyez  Joannis,  Rer.  Moy.  Script,  t.  III, 
p.  428;Wolf,  Monum.  typoejr.  1. 1,  p.  5;  Kôhler,  Èhrenrettung  GiiUenbercf  s , 
p.  102. 

3  Le  mot  allemand  formen  paraît  d<>jà  dans  les  pièces  du  procès  de 
Strasbourg  (voyez  ci-dessus,  p.  i  32  eti33). 

a. 


212  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

à  tout  autre,  à  prix  égal.  En  foi  de  quoi  j'ai  mis  mon 
sceau  à  la  présente,  laquelle  a  été  donnée  l'année  1 468 
après  la  naissance  de  Jésus -Christ,  le  vendredi  après 
le  jour  de  saint  Mathias  (Frytag  nach  Sant  Mathystag 
[26  février1]).  » 

A  quel  titre  Homery  était-il  propriétaire ,  en  tout  ou  en 
partie,  de  l'imprimerie  de  Gutenberg,  en  1  468?  Est-ce, 
comme  on  l'a  prétendu,  à  titre  de  bailleur  de  fonds, 
de  parent,  de  donataire  ou  d'acquéreur?  On  l'ignore 
complètement.  Tout  ce  qu'on  a  dit  jusqu'ici  à  ce  sujet 
n'est  basé  sur  rien  de  sérieux.  M.  Wetter2  croit  voir  dans 
le  mot  de  Homery  la  corruption  du  nom  de  Humbreicht, 
qui ,  suivant  lui ,  s'est  écrit  Humbracht ,  Humbrecht ,  Hu- 
merecht ,  Humericht ,  Humerey ,  Humery ,  et  apparte- 
nait à  une  famille  alliée  à  Gutenberg;  mais  ce  renseigne- 
ment est  bien  vague. 

Ce  qui  ressort  du  document  que  nous  venons  de 
transcrire ,  c'est  que  Gutenberg  possédait,  comme  je  viens 
de  le  dire,  une  imprimerie  à  l'époque  de  sa  mort,  arri- 
vée au  commencement  de  1Z168,  peut-être  même  en 

1  Même  observation  pour  la  date  de  cet  acte  que  pour  celle  de  l'acte 
de  1 465  :  Joannis  dit  qu'il  s'agit  ici  de  saint  Mathias,  et  il  date  l'acte  du 
2  4  février,  ce  qui  est  en  tous  cas  une  erreur.  En  effet,  la  Saint-Mathias 
tombe  le  2  4  février  dans  les  années  ordinaires ,  et  le  2  5  dans  les  années 
bissextiles  :  or  l'acte  n'est  pas  daté  du  jour  même  de  la  Saint-Mathias,  mais 
du  vendredi  suivant;  il  faut  donc  adopter  le  26  février,  car  l'année  i468 
fut  bissextile,  et  la  Saint-Mathias  tomba  le  25,  qui  était  un  jeudi.  Mais  il 
pourrait  bien  être  question  ici  de  la  Saint-Mathieu,  qui  esl  placée  au  2  1  sep- 
tembre, et  qui  tomba  en  i468  un  mercredi. 

2  Kritische  Geschichte,  etc.  p.  419. 


PREMIERE  PARTIE.—  CHAPITRE  IV.       213 

1 46  y  \  et  qu'on  portait  alors  à  Mayence  un  grand  intérêt 
aux  reliques  typographiques  qu'il  avait  laissées.  On  voit 
en  effet  que  le  prince  ecclésiastique  qui  gouvernait  cette 
ville  imposa  à  leur  propriétaire  l'obligation  de  ne  les  ven- 
dre ,  à  égalité  d'avantages ,  qu'à  un  bourgeois  de  Mayence. 
Il  paraît  que  Gutenberg  fut  enterré  au  couvent  des 
Franciscains ,  voisin  de  son  ancien  domicile ,  la  maison 
zum  Jungen.  C'est  du  moins  ce  qu'il  est  permis  de  con- 
clure de  l'épitaphe  suivante,  qui  nous  a  été  conservée 
par  Wimpheling2  : 

d.  o.  m.  s. 
JOANNI  GENSZFLEISCH, 

ARTIS  IMPRESSORIE  REPERTORI , 

DE  OMNI  NATIONE  ET  LTNGUA  OPTIME  MERITO 

IN  NOMINIS  SUI  MEMORIAM  IMMORTALEAI 

ADAM  GELTHDS  POSDIT. 

OSSA  EJUS  IN  ECCLESIA  D.  FRANCISCI  MOGDNTINA  FELICITER  CUBANT. 

On  apprend  par  là  qu'Adam  Gelthus,  un  des  parents 
de  Gutenberg,  lui  avait  fait  ériger  un  monument  dans 
l'église  des  Franciscains.  Ive  Wittich,  qui  vit  ce  monu- 
ment au  commencement  du  xvie  siècle,  ne  trouvant  pas 
sans  doute  l'épitaphe  assez  précise,  à  cause  du  nom  de 
famille  (Gensfieisch3)  qu'on  y  avait  donné  à  Gutenberg, 

1  Lambinet  (Orig.  de  l'imprim.  t.  I,  p.  1/49)  fixe  cette  mort  au  ik  fé- 
vrier i468,  prenant  par  inadvertance  la  date  donnée  par  Joannis  à  la 
lettre  de  Homery  pour  la  date  de  la  mort  de  Gutenberg. 

2  Oratio  in  memoriam  Marsilii,  ab  Inghen.  s.  1.  (Heidelberg),  1/199, 
in  -4°. 

3  Je  ne  m'amuserai  pas  à  réfuter  Meerman ,  qui  prétend  que  ce  monu- 


214  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

lui  en  fit  ériger  un  autre  dans  l'hôtel  de  ce  nom ,  où 
l'on  croit  qu'il  a  fini  ses  jours1,  et  où  était  alors  instal- 
lée l'école  de  droit.  L'épitaphe  de  ce  monument  était  ainsi 
conçue  : 

JO.  GUTENBURGENSl   MOGUNTINO  2, 

QUI    PRIMUS  OMNIUM  LITERAS  AERE  IMPRIMENDAS  INVENIT, 

HAC  ARTE  DE  ORBE  TOTO  BENE  MERENTI 

IVO  WITIGISIS  HOC  SAXGM 

PRO  MONUMENTO  POSDIT.   M  D  VIII  3. 

ment  fut  érigé  à  la  mémoire  de  Jean  Gensfleisch  le  vieux,  oncle  de  Jean 
Gutenberg ,  et  le  voleur  de  Coster.  Ce  système ,  qui  s'appuie  uniquement 
sur  des  contes,  n'est  pas  sérieux.  (\oy.  Orig.  typogr.  t.  II,  p.  2o5,  note  éd.) 

1  Suivant  Wimpheling.  Voyez  ci-dessus,  p.  i63. 

2  Meerman  cite  (t.  II,  p.  i54  note) ,  d'après  un  ancien  auteur,  un  mo- 
nument érigé  à  Heidelberg  à  un  Jean  Gutenberg,  dont  l'épitapbe  dit  qu'il 
porta  l'imprimerie  à  Rome  :  «  Hans  Guttemberg  ist  mein  nom.  Die  erst 
n  truckrcy  bracht  icb  nacb  Rom.  Ritt  vor  mein  seel.  Gibt  dir  Gott  lohn.  » 
II  affirme ,  d'après  une  autre  autorité ,  qu'il  faut  lire ,  au  lieu  de  Hans  Gut- 
temberg, Hans  von  Laudenbach.  Suivant  ces  nouvelles  données,  voici 
quel  serait  le  vrai  texte  de  l'épitapbe  [ibid.  p.  2  3ç),  texte  et  note)  : 

Hans  von  Laudebach  ist  mein  nam  , 
Die  ersten  bûcher  truckt  icb  zu  Rom. 
Bitt  vor  mein  seel,  Gott  gibt  dir  lohn. 
Starb  i5i4,  auff  Sanct  Steffan. 

Meerman  pense  que  ce  Laudenbacb  fut  un  des  premiers  ouvriers  qu'eu- 
rent Sweinheim  et  Pannartz,  à  Rome,  et  que  c'est  pour  cela  qu'il  s'attribue 
l'honneur  d'avoir  imprimé  le  premier  dans  cette  ville.  Suivant  le  même 
auteur  [ibid.  p.  267),  cet  ouvrier  tirait  son  nom  du  lieu  de  sa  naissance, 
Laudenbacb ,  dans  le  Palatinat ,  à  trois  milles  seulement  de  Heidelberg. 
Il  y  aurait  peut-être  moyen  de  tout  concilier  en  disant  que  cet  artiste  de 
Laudenbacb  était  Jean  Gensberg ,  imprimeur  à  Rome  vers  1^73,  et  qui 
avait  commencé  par  être  ouvrier  de  Sweinheim  en  1467.  La  similitude 
des  noms  aurait  seule  causé  la  méprise. 

3  Serrarius ,  qui  nous  a  conservé  cette  inscription  dans  son  Moguntia- 
carum  rerum  libri  V,  etc.  (in-4°,  160.4),  a  probablement  mal  lu  ce  cbiffre. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  IV.       215 

Ni  l'une  ni  l'autre  de  ces  deux  épitaphes  ne  sont  ve- 
nues jusqu'à  nous 1. 

D'un  autre  côté,  Wimpheling2  a  glorifié  Gutenberg 
dans  une  épigramme  célèbre,  où  il  l'appelle  d'un  nom 
étrange,  qui  est  la  traduction  latine  de  son  nom  de  fa- 
mille (Gensfleisch  ou  chair  d'oie)  : 

Fœlix  Ansicare ,  per  te  Germania  fœlix 
Omnibus  in  terris  prœmia  laudis  habet. 

Urbe  Moguntina,  divino  fuite  Joannes 
Ingenio ,  primus  imprimis  aère  notas. 

Multum  relligio,  multum  tibi  graeca  sopbia, 
Et  multum  débet  lingua  latina  tibi. 

car  Witticb  était  mort  le  4  décembre  iSo'].  (Voyez  Gudenus,  Cod.  diplom. 
t.  III,  p.  97 1.)  M.  Welter,  qui  donne  cette  inscription  p.  53  de  son  livre, 
a  écrit  m  d  vu,  je  ne  sais  d'après  quelle  autorité. 

1  La  seconde  existait  encore  au  commencement  du  XVIIe  siècle,  puis- 
qu'elle a  été  vue  par  Serrarius. 

2  Voyez  le  livre  cité  à  la  note  2  de  la  page  2 1 3. 


216  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

CHAPITRE    V. 

JEAN  FUST  ET  PIERRE  SCHOIFFER. 
1455-1466. 

Devenu  possesseur  des  caractères  de  Gutenberg  et  du 
restant  des  Bibles  que  celui-ci  avait  imprimées,  Fust  avait 
fait  porter  le  tout  dans  son  domicile  particulier,  la  mai- 
son zum  Humbreicht,  située  rue  des  Cordonniers  (Schu- 
ster  gasse),  n°  88,  et  qui  fut  aussi  plus  tard  désignée  sous 
le  nom  d'Imprimerie,  comme  la  maison  zum  Jungen. 

Nous  avons  vu  précédemment  que  Fust  avait  jeté  les 
yeux  sur  Schoiffer  pour  remplacer  Gutenberg  dans  la 
direction  de  l'atelier  typographique  créé  par  ce  dernier. 
Pour  se  l'attacher  plus  sérieusement,  Fust,  qui  connaissait 
l'activité  et  le  talent  de  cet  ouvrier,  lui  donna  le  titre  d'as- 
socié ,  se  réservant  toutefois  à  lui-même  le  premier  rang 
dans  l'association  et  la  propriété  exclusive  de  l'impri- 
merie. Mais  Schoiffer  devint  bientôt  l'âme  de  l'atelier, 
et  quoique  son  nom  ne  figure  qu'en  second  lieu  dans  les 
souscriptions,  c'est  à  lui  seul  que  revient  l'honneur  de 
l'exécution  des  publications  faites  au  nom  des  deux  as- 
sociés. On  ne  sera  donc  pas  surpris  si  je  néglige  un  peu 
la  personne  de  Fust  au  commencement  de  ce  chapitre , 
destiné  surtout  à  faire  connaître  les  travaux  de  la  nou- 
velle entreprise  ;  je  me  réserve  de  donner  à  la  fin  de 
curieux  détails  sur  l'ex-associé  de  Gutenberg. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        217 

Pierre  Schoiffer1  naquit,  vers  1 43o,  à  Gernsheim,  pe- 
tite ville  située  sur  le  Rhin,  dans  l'électorat  de  Mayence. 
De  là  vint  qu'il  prit  souvent  (suivant  en  cela  un  usage 
fort  commun  alors)  le  nom  de  Gernsheim  2,  et  même 
celui  de  Mayence ,  beaucoup  plus  connu  à  l'étranger  que 
celui  du  lieu  où  il  était  né,  d'ailleurs  très-voisin  de  cette 
ville. 

Dès  qu'il  eut  atteint  une  vingtaine  d'années,  Schoiffer 
vint  suivre  les  cours  de  l'Université  de  Paris,  qui  était 
depuis  plusieurs  siècles  déjà  la  plus  célèbre  du  monde, 
et  où  tout  homme  d'intelligence  aspirait  à  passer  quelque 
temps.  La  bibliothèque  de  Strasbourg  possède  encore  un 
curieux  manuscrit  daté  de  cette  époque ,  et  où  on  lit  la 
souscription  suivante ,  dont  Schœpflin  a  donné  un  fac- 
similé  3  :  «  Hic  est  finis  omnium  librorum  tam  veteris  quam 
«nove  loice  (lisez  loqice);  completi  per  me  Petrum  de 
«  Gernszheim,  alias  de  Moguntia,  m.  cccc.  xlix.  in  glorio- 
«  sissima  Universitate  Parisiensi.  » 

Je  parlerai  plus  en  détail  de  ce  curieux  volume  à  l'ar- 

1  Le  nom  de  cet  artiste  se  trouve  diversement  écrit  dans  les  anciennes 
impressions,  ainsi  que  dans  les  manuscrits  du  temps;  on  y  lit  :  Schoffer, 
Schoffer,  Schoffer,  Schoiffer,  Schoifher,  Schoyffer,  Schoyffhcr,  Schaefcr. 
Comme  ce  nom  signifie  en  allemand  berger,  on  le  trouve  encore  latinisé 
en  Opilio. 

2  Ou  Gernszheim  :  prononcez  Guernecheim ,  à  la  manière  allemande.  Ce 
nom  est  aussi  écrit  de  diverses  façons  dans  les  monuments  contemporains-, 
mais  la  forme  la  plus  habituelle  est  Gernshei  .u  C'est  à  tort  que  Mercier 
(Suppl.  à  l'hist.  de  l'imp.  de  Marchand,  2e  ;dit.  p.  2)  dit  qu'il  faut  écrire. 
Gerneserheim ,  prenant  la  double  s  dure  I  j)  pour  un  signe  d'abréviation. 

3  Vindiciœ  typographiew ,pl.  vu. 


218  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

ticle  consacré  à  la  capitale  de  la  France.  Il  me  suffira  de 
relever  ici  l'erreur  dans  laquelle  sont  tombés  ceux  qui 
font  de  Schoiffer  un  simple  maître  d'écriture  chargé  de 
donner  des  leçons  de  son  art  à  la  fdle  de  Fust1,  et  pour 
cela  seul,  disent-ils,  qualifié  de  clerc.  Schoiffer  avait 
beaucoup  plus  de  droits  à  ce  titre  qu'ils  ne  le  supposent , 
puisqu'il  était  clerc  dans  toute  l'acception  du  mot,  et  de- 
vint même  plus  tard  juge  laïque  de  Mayence. 

A  quelle  époque  Schoiffer  quitta-t-il  Paris  ?  Quand 
vint-il  se  fixer  à  Mayence  ?  C'est  ce  qu'on  ignore  encore. 
Tout  ce  qu'on  sait,  c'est  qu'il  était  dans  cette  dernière 
ville  en  iA55,  époque  où  il  figura  comme  témoin  de 
Fust  dans  la  pièce  que  j'ai  transcrite  précédemment,  et 
qui  contient  les  détails  du  procès  que  ce  dernier  eut 
avec  Gutenberg.  Si  l'on  en  juge  par  le  rôle  qu'il  joua  de- 
puis dans  les  fastes  de  l'imprimerie,  on  a  tout  lieu  de 
croire  que  Schoiffer  était  employé  depuis  quelque  temps 
dans  l'atelier  de  Gutenberg  et  y  avait  acquis  une  certaine 
importance.  Il  y  exerçait  probablement  la  profession  de 
calligraphe.  Gutenberg  avait,  en  effet,  besoin  d'artistes 
pour  écrire  les  rubriques  et  peindre  les  capitales  ornées 
de  sa  Bible;  il  est  donc  très-possible  que  Schoiffer  ait 
été  chargé  de  ce  soin  :  et  ce  qui  vient  à  l'appui  de  cette 
opinion ,  c'est  que  c'est  justement  par  un  procédé  destiné 

1  La  Serna  Santander,  Dict.  bibl.  1. 1 ,  p.  118.  D'autres  auteurs  vont  plus 
loin  ;  ils  font  de  Schoiffer  un  domestique  ,  se  fondant  sur  le  nom  defamu- 
las  que  lui  donne  l'abbé  Trithème.  Ce  mot  ne  veut  pas  dire  autre  chose 
([\i  employé ,  attaché  à  la  famille  à  un  titre  quelconque. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        219 

à  suppléer  au  travail  des  calligraphes ,  dont  il  avait  pu  se 
rendre  bien  compte,  qu'il  se  signala  dans  la  typographie. 
Quoi  qu'il  en  soit,  devenu  associé  de  Fust,  Schoiffer 
fit  son  début  dans  la  carrière  typographique  par  un  coup 
de  maître ,  en  donnant  aux  Bibles  de  Gutenberg  un  ca- 
chet particulier,  destiné  à  faire  oublier  le  travail  de  cet 
artiste.  Il  en  réimprima  le  premier  cahier1  en  ayant  soin 
de  resserrer  la  composition ,  de  manière  à  ne  plus  don- 
ner aux  neuf  premières  pages  que  ko  lignes  au  lieu  de 
k 2.  La  dixième  n'ayant  pu  finir  précisément  à  ko  lignes 
en  reçut  k  1 .  Craignant  sans  doute  de  rencontrer  plus 
loin  d'autres  obstacles  de  même  genre,  qui  auraient 
rendu  son  travail  fort  irrégulier,  Schoiffer  laissa  aux  dix 
autres  pages  du  cahier  les  k  2  lignes  qu'elles  avaient  pri- 
mitivement. Pour  donner  ensuite  aux  premières  pages 
la  même  hauteur  qu'aux  autres ,  qui  avaient  une  ou  deux 
lignes  de  plus,  il  les  interligna  avec  des  bandes  de  pa- 

1  Rien  ne  prouve ,  à  la  rigueur,  que  ce  fût  sur  la  Bible  qu'il  commença 
ses  essais ,  mais  la  chose  me  semble  toute  naturelle.  L'exemplaire  en  pa- 
pier que  possède  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  et  qui  est  souscrit 
par  Henri  Cremer,  à  la  date  du  mois  d'août  1 456 ,  aurait  pu  lever  tous  les 
doutes,  s'il  n'était  pas  aussi  incomplet;  mais  cet  exemplaire  est  horrible- 
ment mutilé.  Il  manque  en  tête  du  premier  volume  quarante-six  feuillets , 
sans  parler  de  ceux  qui  ont  été  coupés  dans  l'intérieur,  particulièrement 
aux  endroits  qui  auraient  pu  indiquer  si  c'est  un  exemplaire  primitif  ou 
un  exemplaire  modifié.  Le  second  volume  n'est  pas  moins  maltraité  :  il  y 
manque  trente  et  un  feuillets  au  commencement,  sans  compter  ceux  de 
l'intérieur.  Partout  les  lettres  ornées  ont  été  retirées.  Le  propriétaire  de  ce 
livre  qui  y  a  opéré  de  pareilles  mutilations  a  eu  une  idée  bien  malheu- 
reuse. Complet,  cet  exemplaire,  avec  ses  souscriptions,  serait  aujour- 
d'hui d'un  prix  inestimable. 


220  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

pier  ou  de  parchemin  en  nombre  suffisant,  car  il  n'est 
pas  nécessaire  de  dire  qu'il  n'existait  pas  alors  d'inter- 
lignes, et  surtout  d'interlignes  ayant  moins  d'un  point 
typographique.  Pour  la  page  de  l\  1  lignes,  les  interlignes 
n'ont  pas  même  un  demi-point1. 

Schoiffer  ne  se  contenta  pas  de  ce  changement  :  il 
exécuta  à  la  presse ,  à  l'aide  d'un  second  tirage  en  rouge , 
les  trois  rubriques  qui  se  trouvent  dans  ce  cahier,  aux 
pages  1,  y  et  9.  Ces  modifications  donnèrent  à  la  Bible 
de  Gutenberg  un  aspect  tout  différent  aux  yeux  de  ceux 
qui  ne  regardaient  que  les  premières  pages  du  livre.  Pour 
que  l'illusion  fût  plus  complète,  Schoiffer  tira  aussi  en 
rouge  les  rubriques  de  la  première  feuille  du  cahier  1  à , 
qui  commence  le  second  volume  dans  les  exemplaires 
en  quatre  volumes.  Je  pense  qu'il  ne  fit  pas  recomposer 
cette  feuille2,  parce  qu'il  n'y  fit  point  d'aulre  changement, 
et  qu'il  lui  suffisait,  par  conséquent,  d'exécuter  à  l'im- 
pression les  rubriques  restées  en  blanc  sur  les  feuilles 
déjà  tirées  en  noir.  Ainsi  modifiées,  ces  Bibles  purent 
passer  pour  des  produits  de  la  nouvelle  association,  et 
être  vendues  comme  telles. 

J'ai  dit  précédemment  que  Gutenberg  avait  fait  gra- 

1  Nous  avons  démontré  précédemment  (p.  1 85)  l'absurdité  du  système 
de  M.  Sotheby,  qui  attribue  la  différence  qu'on  remarque  entre  la  hauteur 
de  chaque  page  de  ce  premier  cahier  de  la  Bible  de  Gutenberg  à  l'exis- 
tence de  fontes  distinctes  du  même  caractère  sur  des  corps  divers. 

2  Je  n'ai  pu  vérifier  le  fait,  parce  que  le  seul  exemplaire  de  Paris  qui 
aurait  pu  m'en  donner  le  moyen  (celui  de  Cremer)  est  incomplet,  et  que 
je  n'ai  pu  voir,  lors  de  mon  séjour  à  Londres,  celui  de  M.  Perkins. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        221 

ver,  outre  le  caractère  de  sa  Bible,  qui  a  environ  dix-huit 
points  typographiques,  deux  autres  gros  caractères  go- 
thiques pour  imprimer  un  Psautier  destiné  aux  chants 
d'église  :  c'était  là  un  digne  pendant  delà  Bible.  J'attribue 
à  Gutenberg  ces  deux  caractères,  qui  ont,  l'un  trente 
points,  l'autre  trente-sept,  non-seulement  parce  qu'ils 
ont  la  même  forme  que  celui  de  la  Bible,  mais  encore 
parce  que  l'emploi  qu'en  fit  Schoiffer,  peu  de  temps  après 
la  rupture  de  l'association  de  Fust  et  Gutenberg,  prouve 
qu'ils  ont  dû  être  tout  au  moins  gravés  par  ordre  de  ce 
dernier,  Schoiffer  n'ayant  pu  en  si  peu  de  temps  faire 
graver  les  poinçons ,  fondre  les  caractères  et  exécuter  le 
livre ,  qui  dut  prendre  un  temps  considérable ,  à  cause 
des  différents  tirages  que  demandait  chaque  feuille. 

Possesseur  de  ces  magnifiques  caractères,  Schoiffer 
songea  à  en  faire  un  emploi  qui  constatât  sa  supériorité 
artistique  d'une  manière  éclatante.  Déjà,  comme  nous 
l'avons  vu,  il  a  fait  sur  quelques  feuilles  de  la  Bible  un 
premier  essai  d'impression  en  rouge,  qui  lui  a  parfaite- 
ment réussi.  Cette  fois,  ce  ne  sont  pas  seulement  quel- 
ques rubriques  qu'il  veut  imprimer  en  couleur  distincte , 
il  a  la  prétention  d'exécuter  à  la  presse  ces  lettres  aux 
formes  si  diverses,  aux  arabesques  si  gracieuses,  qui 
ornent  les  manuscrits  du  moyen  âge.  Il  entreprend  un 
Psautier  où  les  difficultés  typographiques  surgissent  à 
chaque  page.  Là,  il  n'y  a  pas  seulement  des  lettres  or- 
nées ,  il  y  a  une  profusion  immense  de  lettres  rouges  se- 
mées dans  le  texte,  etc. 


222  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Schoiffer,  qui  a  tout  prévu,  ne  se  laisse  pas  arrêter 
par  les  obstacles.  Il  fait  graver  ses  dessins  sur  bois  par  les 
plus  habiles  artistes  de  cette  époque,  et  parvient  à  exécu- 
ter un  véritable  chef-d'œuvre  typographique ,  qui  fait  en- 
core aujourd'hui  l'admiration  de  tous  ceux  qui  le  voient. 
Le  fait  qui  doit  surtout  frapper  un  typographe ,  c'est  l'exé- 
cution de  certaines  lettres ,  car  elle  semble  prouver  que 
Schoiffer  fit  usage  du  procédé  d'impression  retrouvé  de 
nos  jours  par  Congrève,  qui  lui  a  donné  son  nom.  Ces 
lettres  présentent  même  des  complications  auxquelles 
n'aurait  pas  voulu  s'assujettir  le  nouvel  inventeur,  qui 
s'est  contenté  généralement  d'imprimer  en  couleurs  dis- 
tinctes des  sujets  placés  dans  des  cartouches  bien  tran- 
chés, tandis  que  certaines  lettres  du  Psautier  deman- 
daient un  emboîtage  multiple.  On  pourrait  sans  doute 
obtenir  ce  résultat  par  des  tirages  successifs,  mais  non 
pas  avec  la  même  précision.  M.  Fischer  cite,  il  est  vrai 1, 
un  exemple  où  les  couleurs  de  l'une  de  ces  lettres  (em- 
ployée dans  un  Donat  déjà  mentionné  page  1 66,  et  dont 
il  sera  question  longuement  plus  loin)  semblent  chevau- 
cher, ce  qui  lui  a  fait  croire  à  l'emploi  de  deux  formes 
pour  le  tirage  d'une  même  lettre  ;  mais  le  dessin  qu'il  a 
fait,  et  qui  est  très-exact,  comme  je  m'en  suis  assuré  sur 
le  livre  même,  lui  donne  tort.  En  effet,  l'imperfection 
signalée  ne  provient  pas  d'un  défaut  de  registre,  mais 
d'un  accident  qui  a  gâté  l'arabesque. 

Le  Psautier  de  i  A5  7  est  un  in-folio  un  peu  carré,  dont 

1   Essai,  etc.  p.  7 1\. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        223 

les  pages  (j'entends  parler  de  la  partie  imprimée  et  non 
des  marges,  qui  varient  dans  chaque  exemplaire)  ont 
vingt  centimètres  de  largeur  et  trente  centimètres  de 
hauteur.  Le  volume  complet  doit  être  composé  de  cent 
soixante  et  quinze  feuillets,  divisés  par  cahiers  de  cinq 
feuilles ,  comme  la  Bible  de  Gutenberg.  Les  dix  premiers 
cahiers  du  moins  sont  ainsi  ;  le  1  1 e  n'a  que  quatre  feuilles  ; 
le  1  2e,  trois;  les  1 3e  et  i  Ae,  cinq-,  le  î  5e,  quatre  et  demie  ; 
la  disposition  du  reste  du  volume  est  fort  difficile  à  dé- 
terminer, parce  que,  quelques  exemplaires  s'arrêtant  au 
1 5e  cahier,  les  autres  ont  subi  des  modifications  suivant 
le  goût  des  détenteurs. 

Voici  la  composition  de  l'exemplaire  de  la  Bibliothèque 
impériale  de  Vienne,  qui  passe  pour  être  le  plus  com- 
plet et  le  mieux  conservé: 

Les  cent  trente-six  premiers  feuillets  renferment  les 
psaumes  accompagnés  d'antiennes ,  de  prières  et  de  col- 
lectes. Au  verso  du  1 3  6e  feuillet  est  le  cantique  de  Siméon, 
suivi,  jusqu'au  recto  du  i^>je,  de  prières  et  de  collectes. 
Au  verso  du  î  37e  commencent  les  litanies  des  saints, 
suivies  aussi  de  prières  et  de  collectes  jusqu'au  verso  du 
1 43e,  qui  est  blanc.  Après  vient  une  partie  de  onze  feuil- 
lets, renfermant  les  vigiles  de  l'office  des  morts,  qui 
finissent  au  verso  du  1  5  h\  également  blanc.  Les  vingt  et 
un  feuillets  suivants  renferment  les  hymnes  et  les  offices. 

Presque  tout  l'ouvrage  est  composé  avec  le  gros  ca- 
ractère ,  qui  a  trente  -  sept  points ,  et  dont  vingt  lignes 
forment  la  page.  Quelques  parties  seulement  sont  im- 


224  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

primées  avec  le  petit  caractère,  qui  a  trente  points.  H  y  a 
aussi  un  grand  nombre  de  lignes  en  caractères  de  trente 
points  parsemées  dans  le  gros  texte.  Comme  dans  la 
Bible  de  Gutenberg,  les  lignes  ne  sont  pas  conduites 
jusqu'au  bout  de  la  justification  :  il  reste  souvent  un  es- 
pace vide  à  la  fin ,  parce  qu'on  n'a  pu  y  faire  entrer  au- 
cune syllabe  du  mot  suivant. 

Beaucoup  d'auteurs  nient  que  ce  livre  ait  été  exé- 
cuté avec  des  caractères  fondus  :  suivant  les  uns,  et  de 
ce  nombre  est  Fournier1,  il  aurait  été  imprimé  avec  des 
lettres  de  bois  ;  suivant  les  autres ,  avec  des  caractères  de 
métal  gravé  ;  mais  aucun  d'eux  n'a  précisé  sa  critique  : 
tous  s'en  tiennent  à  des  généralités  qu'il  est  facile  de  ré- 
futer. Ainsi,  ils  se  contentent  de  dire  que  les  mêmes 
lettres  diffèrent  entre  elles,  sans  dire  lesquelles.  Cette 
prétendue  variété  des  types  entre  eux  peut  venir  de  l'u- 
sage où  l'on  était  alors  d'en  graver  plusieurs  pour  la 
même  lettre,  comme  je  l'ai  déjà  dit.  On  avait  d'ailleurs 
ici  une  bonne  raison  pour  en  agir  ainsi  :  c'est  que  la 
grosseur  du  caractère  et  l'exiguïté  de  la  justification  au- 
raient rendu  presque  impossible  la  composition  du  livre , 
si  l'on  n'avait  eu  des  lettres  de  différentes  forces.  Quant 
à  moi,  après  une  étude  approfondie  de  plusieurs  exem- 
plaires, je  déclare  que  ce  livre  est  certainement  imprimé 
avec  des  caractères  de  métal  fondus ,  et  fondus  avec  une 
précision  admirable.  Je  me  fais  fort  de  prouver  le  fait  à 
qui  voudrait  le  nier,  à  la  simple  inspection  des  exem- 

1  De  l'origine  de  l'imprimerie,  p.  23 1. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        225 

plaires  de  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris.  Je  précise , 
parce  que  je  reconnais  que  le  doute  est  permis  en  face 
de  certains  autres  exemplaires  sophistiqués,  tels  que 
celui  du  British  muséum,  par  exemple,  qui  a  des  lignes 
entières  écrites  à  la  main.  J'ignore  le  motif  qui  a  porté 
à  faire  cette  opération  singulière;  mais  on  peut  s'en 
rendre  compte  quand  on  songe  au  prix  considérable  de 
ce  livre 1.  Il  est  possible  que  des  exemplaires  incom- 
plets aient  été  achevés  à  la  plume  par  d'habiles  calligra- 
phes.  La  sophistication  de  l'exemplaire  du  British  muséum 
est  évidente  :  les  feuillets  sont  encore  couverts  d'une  es- 
pèce de  poudre  blanche  qui  indique  la  récente  préparation 
qu'il  a  subie  ;  on  voit  aux  folios  1  o  recto ,  i  7  verso ,  5  5 
recto,  des  lignes  évidemment  retouchées,  et  qu'on  pour- 
rait prendre  pour  des  caractères  de  bois,  si  les  exem- 
plaires authentiques  ne  donnaient  pas  un  démenti  à  cette 
apparence.  Je  citerai  une  remarque  curieuse  que  j'ai  faite, 
et  qui  démontre  que  ce  livre  est  bien  imprimé  en  carac- 
tères fondus.  Dans  les  litanies,  le  mot  sancta,  écrit  avec 
abréviation  std,  se  trouve  un  grand  nombre  de  fois  dans 
la  même  page.  Eh  bien ,  ïcl  laisse  voir  presque  constam- 
ment un  accident  fort  commun  clans  la  fonte  des  carac- 
tères, et  qu'on  appelle  un  manque  :  le  trait  fin  de  la  panse 
supérieure  n'est  pas  venu  dans  le  moule,  et  présente  à 
l'impression  une  petite  lacune  (et).  Au  reste,  on  peut 

1  Le  principal  exemplaire  de  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  quoi- 
que fort  maltraité  et  incomplet  de  six  feuillets ,  a  coûté  i  2,000  francs.  Au- 
jourd'hui on  n'en  aurait  certainement  pas  un  semblable  pour  5o,ooo  francs. 


226  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

invoquer  deux  faits  importants  contre  l'opinion  assez  gé- 
nérale qui  conteste  aux  caractères  du  Psautier  de  1  k  5  7  la 
qualité  de  métal  fondu  :  le  premier,  c'est  que  si  ce  livre 
était  en  caractères  de  métal  gravé,  on  ne  se  serait  pas 
donné  la  peine  de  faire  des  cahiers  de  cinq  feuilles ,  de- 
mandant ainsi  plus  de  quinze  mille  lettres  :  il  suffisait 
d'en  faire  pour  une  feuille  ou  deux,  et  de  les  employer 
successivement  ;  le  second  ,  c'est  que  si  ces  caractères 
étaient  en  bois  (ce  qu'il  est  impossible  d'admettre  d'ail- 
leurs en  présence  de  la  netteté  de  l'impression),  ils  n'au- 
raient pas  été  employés  pendant  près  d'un  siècle ,  comme 
l'ont  été  ceux-ci  ;  car  on  connaît  quatre  autres  éditions 
de  ce  livre  imprimées  successivement  avec  ce  caractère , 
la  première  en  1  Zi  5  9  ;  la  seconde  en  1 1\  90;  la  troisième 
en  1  5o 2  ;  et  la  quatrième  en  1 5 1 6  ï.  Cette  dernière  est 
imprimée  par  Jean  Schoiffer,  fils  de  Pierre ,  qui  avait  hé- 
rité de  l'imprimerie  de  celui-ci.  Des  caractères  de  bois 
n'auraient  pas  fait  un  pareil  usage ,  et  bien  certainement 
n'auraient  pas  été  employés  au  xvie  siècle. 

1  Cette  édition,  dont  un  exemplaire  en  papier  se  trouve  à  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris ,  est  décorée  d'un  frontispice  où  l'on  voit  le  por- 
trait de  saint  Benoît  gravé  sur  bois.  H  se  compose  décent  soixante  et  quinze 
feuillets ,  non  compris  le  frontispice ,  au  haut  duquel  on  lit  :  Psalterium 
ordinis  S.  Benedicti  de  observaiione  Burff'eldensi.  Il  se  termine  par  une 
ligne  dont  les  mots  sont  imprimés  alternativement  en  rouge  et  en  noir, 
et  qui  est  ainsi  conçue  :  «  Impressum  Moguntie ,  per  Joannem  Schôffer, 
«  1 5 1 6.  »  On  y  voit  encore  la  grande  lettre  au  lévrier  ;  mais  elle  est  toute  en 
rouge,  soit  que  l'imprimeur  ait  été  incapable  d'exécuter  le  tirage  en  cou- 
leur de  la  première  édition,  soit  qu'il  ait  jugé  la  chose  trop  dispendieuse 
à  une  époque  où  les  livres  avaient  beaucoup  baissé  de  prix. 


PREMIÈRE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        227 

Il  est  bien  entendu  toutefois  que  les  observations  précé- 
dentes ne  s'appliquent  pas  aux  lettres  ornées,  quisontcer- 
tainement  en  bois.  La  première  de  toutes ,  qui  est  la  plus 
grande  et  la  seule  imprimée  en  trois  couleurs,  bleu ,  rouge 
et  pourpre,  a  neuf  centimètres  de  haut  sur  dix  de  large, 
sans  compter  les  ornements,  qui  occupent  toute  la  marge 
et  qui  ont  trente-deux  centimètres  de  haut.  Cette  lettre 
représente  un  B  entouré  d'arabesques ,  de  feuillages  et  de 
fleurs;  on  voit  dans  un  de  ses  jambages  un  lévrier  cou- 
rant après  une  perdrix  au  vol.  Heinecke  l'a  reproduite x; 
plusieurs  autres  auteurs  l'ont  donnée  aussi;  je  citerai  par- 
ticulièrement MM.  Wetter2  et  Falkenstein3.  Un  fait  fort 
curieux  à  noter,  c'est  que  SchoifFer  a  varié  les  couleurs 
de  ces  lettres  ornées  dans  les  différents  exemplaires  de 
son  Psautier,  outre  qu'il  a  fait  subir  quelques  change- 
ments au  texte  :  de  sorte  que  les  cinq  ou  six  exemplaires 
qui  restent  de  ce  livre  ne  se  ressemblent  pas  entre  eux, 
ce  qui  a  donné  matière  à  plus  d'une  dispute  entre  les 
bibliographes.  Cette  circonstance  vient  confirmer  ce  que 
j'ai  dit  déjà  du  mode  d'impression  employé  par  Schoif- 
fer.  Mais  ce  qui  le  prouve  péremptoirement,  à  mon  avis, 
c'est  que  la  lettre  au  lévrier  a  été  imprimée  en  une  seule 
couleur  dans  l'édition  de  1 5 1 6.  La  chose  n'aurait  pas  été 
possible,  si  les  deux  principales  pièces  qui  composent 
cette  lettre  n'avaient  pu  s'emboîter  ;  ou  du  moins  on  ne 

1   Idée  générale,  etc.  p.  266. 

''  Kritische  Geschichte,  etc.  pi.  VII  et  VIII. 

:  Geschichte,  etc.  p.  1 2  2 . 


228  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

pourrait  pas  s'expliquer  le  motif  qui  aurait  porté  Jean 
Schoiffer  à  imprimer  cette  lettre  en  une  seule  couleur,  si , 
en  effet,  les  deux  pièces  avaient  dû  être  tirées  séparément. 
Le  Psautier  de  1  h  5 7  est  terminé  par  une  souscription 
que  plusieurs  auteurs  ont  reproduite  en  fac-similé1,  et 
où  l'on  trouve  dès  le  second  mot  une  faute  d'impression 
étrange,  faute  qui  a  échappé  à  tous  les  remaniements, 
et  qui  paraît  là  comme  le  cachet  typographique.  Voici 
cette  souscription  avec  la  restitution  de  ses  abréviations  : 
«Presens  spalmorum  (pour  psalmorum)  codex,  venustate 
«  capitalium  decoratus  ,  rubricationibusque  sufïicienter 
«  distinctus ,  adinventione  artificiosa  imprimendi  ac  ca- 
«  racterizandi  absque  calami  ulla  exaratione  sic  effigiatus, 
«  et  ad  eusebiam  Dei  industrie  est  consommatus  per  Jo- 
«hannem  Fust,  civem  Moguntinum,  et  Petrum  Schoffer 
«de  Gernszheim,  anno  Domini  millesimo.  cccc.  lvii.  in 
«vigilia  Assumpcionis.  »  Au-dessous  de  cette  souscrip- 
tion, on  voit  dans  quelques  exemplaires  un  double  écus- 
son ,  également  imprimé  en  rouge ,  et  portant  les  armes 
des  deux  imprimeurs.  Ces  armes  devinrent  ensuite  la 
marque  artistique  de  l'atelier,  car  Schoiffer  les  a  conser- 
vées sur  ses  livres  après  la  mort  de  Fust,  et  ses  fils  et 
petits-fils  s'en  sont  également  servis2. 

1  Voyez  Heinecke,  Idée  générale,  etc.  p.  266.  —  Histoire  de  l'Académie 
des  inscriptions  et  belles-lettres ,  t.  XIV,  p.  2  54.  —  Wetter,  Kritische  Ge- 
schichte,  etc.  pi.  VIII.  —  Falkenstein ,  Geschichte,  etc.  p.  1 2  4  • 

2  Ainsi  on  retrouve  ce  double  écusson  sur  un  ouvrage  imprimé  en  1 532 
par  Ivon  Schoiffer,  petit-fils  de  Pierre  :  Joannis  Anchonii  Campani,  etc.  De 
ingratitndine  fugienda ,  in-8°,  Mayence,  1  532.  Je  cite  cet  ouvrage  parce 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        229 

Quelques  auteurs  ont  prétendu  que  Schoiffer  était 
l'inventeur  du  poinçon ,  et  cela  au  détriment  de  Guten- 
berg ,  à  qui  ils  n'accordent  que  l'invention  des  caractères 
en  bois.  La  souscription  du  Psautier,  et  elle  a  été  suivie  de 
beaucoup  d'autres  du  même  genre ,  renverse  tout  l'écha- 
faudage de  raisonnements  qu'on  a  fait  à  ce  sujet.  Schoiffer 
revendique-t-il  dans  cette  souscription  l'honneur  qu'on 
veut  lui  attribuer  aujourd'hui?  Nullement.  Tout  ce  qu'il 
demande ,  c'est  la  gloire  d'avoir  imprimé  ou  écrit  sans  le 
secours  de  la  plume,  à  l'aide  du  nouvel  art,  ce  livre  de 
psaumes  orné  de  belles  capitales  et  suffisamment  distingué 
par  ses  rubriques.  C'est,  en  effet,  par  cette  innovation  ar- 
tistique que  Schoiffer  se  distingue  de  Gutenberg.  Tous 
ceux  qui  connaissent  le  mécanisme  de  l'imprimerie  con- 
viendront, certainement,  qu'il  était  impossible  de  pousser 
plus  loin  qu'il  ne  l'a  fait  dans  son  Psautier  la  perfection  de 
cet  art.  Au  reste,  il  fut  bien  récompensé  de  ses  peines. 
Son  livre  s'épuisa  rapidement,  et  il  dut  s'occuper  presque 
aussitôt  d'en  faire  une  seconde  édition ,  qui  fut  terminée 
le  29  août  1 A 5 9 ,  c'est-à-dire  deux  ans  après  la  première. 

Cette  nouvelle  édition  est  conforme  à  la  précédente, 
sauf la  justification,  qui  est  un  peu  plus  grande.  Les  pages 
de  la  première  n'avaient  que  20  lignes,  celles  de  la  se- 
conde en  ont  2 3.  On  a  aussi  supprimé  quelques  prières 
à  la  fin.  Tout  cela  réuni  a  réduit  le  volume  à  cent  trente- 
six  feuillets  au  lieu  de  cent  soixante  et  quinze. 

qu'il  est  un  de  ceux  qu'a  omis  M.  Schaab  dans  sa  liste  des  livres  portant 
le  nom  de  Schoiffer. 


230  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

La  souscription  placée  à  la  fin  de  cette  seconde  édi- 
tion du  Psautier  se  fait  remarquer  d'abord  par  l'absence 
de  la  faute  qui  se  trouve  à  la  première ,  et  ensuite  par  les 
termes  de  la  fin ,  qui  sont  tels,  à  partir  du  mot  effigiatus : 
«  et  ad  laudem  Dei  ac  honorem  sancti  Jacobi  est  con- 
«sommatus  per  Johannem  Fust,  civem  Moguntinum, 
«  et  Petrum  Schoif  her  de  Gernszheym ,  clericum.  Anno 
«Domini  millésime  cccc.  lix.,  xxix  die  mensis  Augusti.  » 

Les  bénédictins  de  Saint- Jacques ,  de  la  ville  de 
Mayence ,  se  fondant  sur  ces  mots  ac  honorem  sancti  Ja- 
cobi1, prétendaient  que  leur  abbaye  avait  fait  les  frais  de 
cette  impression  ;  mais  le  fait  me  paraît  peu  probable  : 
tout  au  plus  contribuèrent-ils  pour  une  part  dans  la  dé- 
pense, qui  dut  être  considérable2.  Ce  livre  fut  réimprimé 

1  Gercken  et  après  lui  Panzer  [Ann.  typocjr.  t.  II,  p.  112)  ont  men- 
tionné deux  exemplaires  existants  en  1786  à  Mayence,  l'un  dans  la  collé- 
giale de  Saint-Alban ,  avec  ce  changement  dans  la  souscription  :  ad  lau- 
dem Dei  ac  honorem  S.  Albani;  l'autre  dans  celle  de  Saint-Victor,  avec  cet 
autre  changement  :  ad  laudem  Dei  ac  honorem  S.  Vwtoris.  Lambinet  et  Van 
Praet  prétendent  que  ces  exemplaires  sont  chimériques.  H  n'y  aurait  rien 
d'étonnant  cependant  à  ce  que  Schoiffer  eût  exécuté  un  changement  pour 
chacun  des  exemplaires  destinés  à  ces  diverses  maisons  religieuses.  La 
chose  me  paraît  même  fort  naturelle.  Nous  voyons,  en  effet,  que  l'exem- 
plaire de  l'édition  de  1/190,  cité  dans  les  Acta  eruditorum  Lipsiœ  (année. 
1740,  p.  356),  porte  le.  nom  de  S.  Benoît,  probablement  parce  qu'il  avait 
été  destiné  à  une  maison  religieuse  ayant  ce  bienheureux  pour  patron. 
L'édition dei5i6porte  également  le  nom  d'une  maison  de  l'ordre  de  Saint- 
Benoît  :  Psalterium  ordinis  S.  Eenedicti  de  observatione  Burjfeldensi.  (Voyez 
ci-dessus,  page  226,  note.) 

2  La  bibliothèque  de  Mayence  n'a  pas  d'exemplaire  de  l'édition  de 
1 457  ;  mais  elle  en  possède  un  de  l'édition  de  1  /|5c).  Il  provient  de  la  Char- 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        231 

en  î/iSg,  parce  que  l'édition  de  îlibj  s'était  épuisée, 
comme  on  le  réimprima  eni/jo,o,i5o2,i5i6,  etc.  tou- 
jours avec  les  mêmes  caractères,  ce  qui  est  une  réfuta- 
tion suffisante,  comme  je  l'ai  dit,  de  l'opinion  de  ceux 
qui  prétendent  que  le  célèbre  Psautier  de  i/i5y  est  en 
caractères  de  bois. 

En  même  temps  qu'il  imprimait  son  Psautier,  Schoiffer 
s'occupait  activement  de  faire  graver  des  caractères  d'une 
nouvelle  forme ,  pour  imprimer  d'autres  ouvrages  moins 
dispendieux.  Trois  mois  après  la  publication  de  la  seconde 
édition  du  Psautier,  c'est-à-dire  le  6  octobre  i/i5o,,  il 
donnait  au  public  un  autre  ouvrage,  imprimé  avec  des 
types  entièrement  différents  de  ceux  qui  lui  avaient  servi 
jusque-là,  et  qui,  comme  nous  avons  vu,  lui  venaient  de 
Gutenberg.  Ce  nouveau  livre ,  connu  sous  le  nom  de  Ratio- 
nale  Durandi,  forme  un  volume  in-folio  de  cent  soixante 
feuillets  à  deux  colonnes,  de  soixante-trois  lignes  à  la  co- 
lonne, tiré  comme  d'habitude  par  cahiers  de  cinq  feuilles ] . 

treuse  de  la  même  ville ,  comme  l'indique  la  note  manuscrite  suivante 
qu'on  trouve  sur  cet  exemplaire  :  a  Hoc  Psalterium  sibi  pretio  comparavit 
«  Carthusia  S.  Mich.  extra  Mog.  infra  E.  S.  patris  nostri  Brunonis,  1 655.  » 

1  C'est  donc  à  tort  que  Malinckrot,  dans  sa  Dissertation  sur  l'origine  de 
l'imprimerie,  p.  67,  dit  que  ce  livre  a  vingt  quaternwns  :  il  n'a  que  seize 
cahiers,  mais  chacun  a  cinq  feuilles  et  non  quatre,  ce  qui  revient  au  même 
à  la  vérité,  quant  au  nombre  total  des  feuillets  du  livre.  On  verra  plus  loin 
pourquoi  je  relève  ce  fait,  qui  a  de  l'importance  pour  la  clarté  de  la  des- 
cription. Le  précieux  exemplaire  du  Rationale  que  possédait  Malinckrot 
existe  encore;  il  est  enrichi  d'une  souscription  manuscrite  qui  nous  ap- 
prend qu'il  provient  du  couvent  de  religieux  de  Saint-François  de  Galilée, 
proche  Zutphen,  dans  les  Pays-Bas,  et  qu'il  avait  été  donné  aux  moines 


232  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

La  souscription  de  ce  livre  est  conforme  à  celle  du  Psau- 
tier :  «Presens  racionalis  divinorum  codex  ofïiciorum, 
«  venustate  capitalium  1  decoratus ,  rubricationibusque 
«  distinctus ,  artificiosa  adinventione ,  etc.  (i/i5g),  sex. 
«  die  Octobris.  » 

Les  nouveaux  caractères  de  Schoiffer,  c'est-à-dire  celui 
du  corps  de  l'ouvrage,  qui  a  environ  douze  points  typogra- 
phiques, et  celui  de  la  souscription,  qui  en  a  quinze,  sont 
ronds,  comme  celui  du  texte  du  Tractatus  de  celebratione 
missarum,  que  j'ai  attribué  précédemment  à  Gutenberg. 
Cette  forme  convenait  mieux  que  la  gothique  aux  ouvrages 
ordinaires,  ayant  une  plus  grande  conformité  avec  l'écri- 
ture du  temps. 

Il  y  a  deux  sortes  d'exemplaires  du  Rationale;  les  uns 
avec  les  capitales  imprimées  (qui  sont  celles  du  Psautier), 
les  autres  avec  les  capitales  faites  à  la  main ,  et  auxquels 
par  conséquent  la  souscription  ne  convient  nullement. 
Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux ,  c'est  que  l'espace  laissé 

par  deux  frères ,  Hermann  et  Jean  Herwin ,  à  la  condition  qu'on  prierait 
pour  eux,  et  que  le  livre  serait  placé  dans  la  bibliothèque  du  monastère, 
et  enchaîné,  comme  cela  se  pratiquait  alors  pour  les  livres  les  plus  précieux. 
(  Wolf,  Monum.  tjpogr.  t.  I,  p.  687.) 

1  Van  Praet  [Vélins  du  roi,  t.  I,  p.  62-63)  cite  un  exemplaire  de  la  Bi- 
bliothèque nationale  qui  est  sans  souscription;  mais  c'est  parce  qu'elle  a 
été  grattée  pour  donner  plus  de  prix  au  livre.  En  exposant  la  feuille  de  vélin 
au  jour  on  voit  parfaitement  la  trace  de  cette  souscription.  En  général  les 
bibliographes  sont  beaucoup  trop  portés  à  admettre  des  différences  entre 
les  divers  exemplaires  d'une  même  édition  ;  quelques  études  typographi- 
ques les  mettraient  en  garde  contre  ces  prétendues  différences,  qui  pro- 
viennent la  plupart  du  temps  de  fraudes  peu  délicates. 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  V.        233 

en  blanc  dans  ces  derniers  est  en  quelques  endroits  plus 
considérable  que  celui  occupé  par  les  lettres  ornées  dans 
les  premiers.  Aux  livres  III,  IV,  VII  et  VIII,  il  y  a  eu 
certainement  un  remaniement  après  un  premier  tirage. 
Van  Praet  croit  que  ce  remaniement  a  eu  lieu  après  le 
tirage  des  exemplaires  avec  capitales ,  afin  de  donner  plus 
d'espace  aux  miniaturistes  pour  faire  la  capitale  à  la  plume. 
Je  suis  d'un  avis  contraire  :  je  pense  qu'on  a  d'abord  tiré 
les  exemplaires  en  blanc,  et  que  le  remaniement  n'a  eu 
lieu  que  lorsqu'on  a  voulu  faire  le  tirage  avec  capitales , 
parce  qu'alors  on  a  été  obligé  de  s'accommoder  à  la  di- 
mension de  la  lettre  de  bois ,  qui  était  moindre  qu'on  ne 
l'avait  cru.  On  n'aurait  pas  fait  un  remaniement  pour 
donner  plus  d'espace  au  miniaturiste,  qui  pouvait  tou- 
jours s'accommoder  parfaitement  de  celui  qu'on  lui  au- 
rait laissé. 

Un  exemplaire  du  Rationale  fut  vendu  à  Venise,  en 
1  46 1 ,  dix-huit  ducats l. 

Si  j'en  juge  par  ce  qui  se  pratique  aujourd'hui ,  Schoif- 
fer  ne  devait  pas  avoir  moins  de  3oo,ooo  lettres  de  son 
petit  caractère  pour  exécuter  ce  livre.  En  eifet ,  la  ligne 

1  Van  Praet,  Catalogue  (in-foL),  p.  20  (7).  Dans  l'un  des  exemplaires 
que  possède  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris ,  on  trouve  deux  notes  ma- 
nuscrites qui  nous  apprennent  que  ce  volume  appartenait  en  1/I72  à  un 
chanoine  de  Saint-André-des-Arts  (dont  le  nom  est  effacé),  qu'il  fut  vendu 
en  1^78  par  Pasquier  Bonhomme,  libraire  de  l'Université  de  Paris,  à  un 
chanoine  de  Sens  (dont  le  nom  est  également  effacé),  et  qu'il  appartint 
ensuite  à  maître  Même  Cadouet ,  qui  en  fit  donation  à  maître  Estienne 
Prostat. 


234  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

a  environ  Ao  lettres,  la  colonne  63  lignes,  ce  qui  donne 
2, 5oo  lettres  à  la  colonne,  5,ooo  à  la  page,  20,000  à  la 
feuille,  100,000  au  cahier  :  soit,  pour  trois  cahiers  (un 
sous  presse,  un  autre  en  correction,  un  troisième  en 
composition  ou  en  distribution),  3 00, 000. 

L'année  suivante,  le  2 5  juin  i46o,  Schoifïer  publia 
un  autre  livre  intitulé  :  Constitutiones  Clementis  papœ  V, 
una  cum  apparatu  domini  Johannis  Andreœ.  Ce  livre,  qui 
est  in-folio ,  et  tiré  également  par  cahiers  de  cinq  feuilles, 
nous  offre  l'exemple  d'un  nouveau  genre  de  difficulté 
vaincue.  Le  texte  des  constitutions  de  Clément,  imprimé 
avec  le  caractère  employé  dans  la  souscription  du  Ratio- 
nale  Durandi,  est  encadré  dans  les  commentaires  de  Jean 
André ,  imprimés  avec  le  caractère  du  texte  du  même 
livre.  L'intelligence  et  l'adresse  qu'a  déployées  le  metteur 
en  page  de  ce  livre  est  vraiment  admirable.  Il  s'agissait  de 
faire  marcher  ensemble  des  proportions  variables  de 
texte  et  de  notes,  et  l'ouvrier,  quel  qu'il  soit,  qui  a  été 
chargé  de  ce  travail  s'en  est  parfaitement  acquitté. 

Ce  livre  a  été  réimprimé  trois  ou  quatre  autres  fois 
par  le  même  imprimeur  et  dans  le  même  format.  Toutes 
les  éditions  ont  à  peu  près  la  même  souscription  ;  il  n'y 
a  de  différence  que  dans  la  date.  Celle  du  a5  juin  1 1160, 
qui  nous  occupe  en  ce  moment,  porte,  comme  tou- 
jours, la  mention  que  les  rubriques  ont  été  imprimées, 
ainsi  que  le  reste  du  livre,  à  l'aide  de  la  nouvelle  ma- 
nière de  caractériser.  Mais  les  capitales  sont  restées  en 
blanc  pour  être  faites  par  les  enlumineurs. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        235 

On  ne  connaît  rien  qui  soit  sorti  des  presses  de  Schoiffer 
durant  Tannée  i46i,  car  on  ne  peut  admettre  que  ce 
soit  à  cette  époque  que  furent  imprimées  les  pièces  contre 
l'archevêque  Diether  de  Isemburg,  qui  portent  cette 
date,  et  dont  nous  parlerons  plus  loin.  Ces  pièces,  dont 
M.  Bechstein,  de  Meiningen,  a  le  premier  révélé  l'exis- 
tence ,  n'ont  pu  être  imprimées  qu'après  la  prise  de 
Mayence  (en  octobre  1/162)  par  Adolphe  de  Nassau, 
compétiteur  de  Diether. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  presses  de  Schoiffer  ne  restèrent 
pas  inactives;  car,  outre  une  foule  de  livrets  sans  date 
qu'on  peut  placer  dans  cette  période ,  il  était  alors  occupé 
à  imprimer  une  Bible  qui  fait  près  de  5oo  feuillets  ou 
1 ,000  pages.  Ce  livre,  exécuté  avec  le  caractère  du  texte 
des  Clémentines ,  dont  nous  venons  de  parler,  est  à  deux 
colonnes  de  quarante-huit  lignes  chacune,  et  tiré  comme 
toujours  par  cahiers  de  cinq  feuilles.  C'est  la  première 
Bible  datée.  Elle  porte  par  excellence  le  nom  de  Bible  de 
Mayence ,  quoiqu'elle  ne  soit  pas  la  première  qui  ait  été 
imprimée  dans  cette  ville ,  comme  nous  l'avons  vu.  Elle 
doit  cet  honneur  à  sa  souscription.  La  Bible  de  k  2  lignes 
est  plus  généralement  connue  sous  le  nom  de  Bible  Ma- 
zarine,  parce  que  c'est  l'exemplaire  de  la  bibliothèque 
française  de  ce  nom  qui  a  le  premier  attiré  l'attention 
des  bibliographes;  de  même  que  la  Bible  de  36  lignes 
est  connue  sous  le  nom  de  Schelhorn,  qui  le  premier  l'a 
signalée  aux  érudits. 

La  Bible  de  1/162  est  divisée  en  deux  volumes.  Le 


236  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

premier  contient  2/12  feuillets,  et  se  termine  par  la  sous- 
cription suivante ,  imprimée  en  rouge  : 

Anno  m.  (ici  le  double  écusson)  cccc.  lxii. 

Le  second  volume  a  239  feuillets,  et  se  termine  par 
une  souscription  en  rouge  qui  varie  dans  quelques  exem- 
plaires. Voici  les  deux  principales  variantes  : 

i°  Presens  hoc  opusculum  artificiosa  adinventione  imprimendi 
seu  caracterizandi  absque  calami  exaratione,  in  civitate  Moguntina, 
sic  effigiatum ,  et  ad  eusebiam  Dei  industrie  per  Johannem  Fust 
civem ,  et  Petrum  Schoiffher  de  Gernszheym ,  clericum  diotesis 
ejusdem,  est  consummatum ,  anno  Domini  m.  cccc.  lxii,  in  vigilia 
Assumpcionis  virginis  Marie. 

2°  Presens  hoc  opusculum  finitum  ac  completum,  et  ad  euse- 
biam Dei  industrie,  in  civitate  Mogunlina,  per  Johannem  Fust 
civem,  et  Petrum  Schoiffher  de  Gernszheym,  clericum  diotesis  ejus- 
dem, est  consummatum,  anno  Incarnacionis  Dominice  M. cccc.  lxii, 
in  vigilia  Assumpcionis  gloriose  virginis  Marie. 

La  plus  grande  différence  qui  existe  entre  ces  deiix 
souscriptions  est  l'omission  dans  la  dernière  du  mode 
d'exécution  du  livre.  Plusieurs  auteurs1  ont  prétendu 
que  les  exemplaires  où  l'on  ne  trouve  pas  les  mots  artifi- 
ciosa adinventione  imprimendi  seu  caracterizandi  absque  ca- 
lami exaratione  avaient  été  vendus  comme  manuscrits  à 
Paris.  Ils  ajoutent  que,  sur  la  plainte  portée  par  les  ache- 
teurs contre  Fust,  qui  les  avait  vendus  lui-même,  ce  der- 
nier fut  poursuivi  par  le  parlement,  pour  survente,  et 

1  Gabriel  Nantie,  Addition  à  l'histoire  de  Louis  XI,  p.  290;  l'abbé  Mer- 
cier, Supplément  à  l'histoire  de  l'imprimerie,  p.  10,  etc. 


PREMIÈRE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        237 

forcé  de  fuir.  Mais  c'est  là  tout  simplement  un  conte, 
comme  je  le  prouverai  plus  loin.  A  l'époque  de  la 
publication  de  cette  Bible,  la  nouvelle  de  l'invention 
de  l'imprimerie  était  répandue  dans  l'Europe  entière. 
Cinq  ou  six  productions  de  cet  art  l'avaient  hautement 
signalée  depuis  1  45y ,  et  Paris  moins  qu'aucune  autre 
ville  ne  pouvait  l'ignorer.  Nous  verrons  qu'en  effet  Paris 
connut  la  découverte  de  fort  bonne  heure,  et  se  mit 
même  en  mesure  de  l'exploiter  immédiatement.  Tout 
ce  qu'on  peut  conclure  du  récit  des  chroniqueurs,  c'est 
donc  le  voyage  de  Fust  à  Paris  vers  1  463  ;  car  en  1/162 
il  lui  eût  été  impossible  de  sortir  de  Mayence ,  cette  ville 
étant  alors  assiégée  par  Adolphe  de  Nassau,  qui  s'en  em- 
para le  28  octobre. 

Les  différences  qu'on  remarque  dans  les  souscriptions 
de  la  Bible  de  1/162  sont  peut-être  uniquement  dues  à 
des  erreurs  réparées.  Il  est  certain  qu'on  rencontre  beau- 
coup d'autres  irrégularités  dans  ce  livre.  Les  changements 
qu'il  a  subis  sont  parfois  si  considérables,  que  plusieurs 
bibliographes  sont  persuadés  qu'il  y  a  eu  plusieurs  édi- 
tions la  même  année.  Seemiler  a  soutenu  cette  opinion 
dans  une  dissertation  particulière  qu'il  a  publiée  à  Ingol- 
stadt,  en  1785,  sous  ce  titre  :  De  latinoram  Bibliorum 
cum  nota  anni  1Ù62  impressa  duplici  editione  Moguntina 
exercitatio1 .  Il  y  signale  un  certain  nombre  de  variantes 
tirées  d'un  exemplaire  de  la  bibliothèque  d'Ingolstadt ,  et 
d'un  second  dont  s'est  servi  Masch  pour  décrire  ce  livre 

1   In-quarto  de  dix  pages. 


238  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

dans  la  nouvelle  édition  de  la  Bibliotheca  sacra,  de  Le- 
long1. 

Mais  de  ce  que  ces  variantes  existent  réellement  doit- 
on  en  conclure  que  le  livre  a  été  mis  sous  presse  autant 
de  fois  qu'il  y  a  d'exemplaires  dissemblables?  C'est  ce 
qu'on  ne  peut  raisonnablement  admettre.  Les  feuillets 
qui  diffèrent,  et  qui  se  réduisent  en  réalité  à  un  petit 
nombre,  sont  des  carions  qui  contiennent  ou  des  correc- 
tions importantes ,  ou  des  omissions  essentielles  qu'on 
s'est  empressé  de  réparer  dès  qu'on  les  a  découvertes. 
Pour  ne  citer  qu'un  seul  exemple ,  on  a  remarqué  qu'au 
folio  5 1  du  second  volume ,  chapitre  lviii  d'Isaïe ,  une  ligne 
entière  ayant  été  omise,  par  suite  de  quelques  remanie- 
ments, comme  on  le  voit  dans  les  exemplaires  primitifs, 
on  l'a  restituée  au  moyen  de  la  réimpression  du  feuillet. 
Dans  les  exemplaires  intacts,  ce  feuillet  commence  au 
recto,  colonne  première,  par  la  ligne  :  p.  dié,  etc.  dans 
ceux  pour  lesquels  on  a  fait  un  carton ,  il  commence  au 
contraire  par  la  ligne  qui  avait  été  omise  :  clamor,  etc. 

Une  erreur  plus  singulière  peut-être,  quoique  moins 
importante ,  et  qui  n'a  pas  été  réparée ,  c'est  le  mot  opus- 
culum,  qui  se  retrouve  dans  toutes  les  souscriptions  de 
ce  livre,  et  qui  jure  avec  ses  proportions  peu  communes. 
Maittaire  2  prétend  qu'il  y  a  des  exemplaires  qui  portent 
le  mot  opus,  mais  Van  Praet,  mieux  renseigné,  affirme 
le  contraire ,  et  doit  être  cru. 

1  Part.  II,  t.  III,  p.  98. 

2  Ann.  typogr.  t.  I,  part.  I,  p.  272 ,  édit.  1733. 


PREMIÈRE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        239 

Van  Praet 1  mentionne  un  exemplaire  de  la  Bible  de 
1/162  sur  lequel  était  inscrit  un  acte  de  vente  en  latin, 
dont  voici  la  traduction.  «Moi,  Hermann,  d'Allemagne, 
facteur  (institor)  de  l'honnête  et  discret  Jean  Guymier, 
libraire  juré  de  l'Université  de  Paris ,  confesse  avoir  vendu 
à  l'illustre  et  savant  maître  Guillaume  de  Tourneville , 
archiprêtre2  et  chanoine  d'Angers,  mon  seigneur  et  très- 
respectable  maître ,  une  Bible  imprimée  à  Mayence ,  sur 
parchemin,  en  deux  volumes,  pour  le  prix  et  somme  de 
ho  écus,  que  j'ai  touchés  réellement,  etc.  En  foi  de  quoi 
j'ai  apposé  ici  mon  sceau,  le  5e  jour  du  mois  d'avril,  l'an 
du  Seigneur  m.  cccc.  lxx.  (1/171  nouveau  style).  » 

Outre  l'impression  de  cette  Bible ,  l'atelier  de  Schoif- 
fer  produisit  en  1/162  plusieurs  documents  relatifs  aux 
troubles  civils  qui  affligeaient  alors  le  diocèse  de  Mayence. 
Le  premier  est  un  manifeste  en  allemand  de  l'archevêque 
Diether  de  Isemburg  contre  Adolphe  de  Nassau,  son 
compétiteur,  qui  était  soutenu  par  le  pape  et  l'empereur. 
Ce  manifeste  est  daté  du  6  avril  1 1162  ,  et  dut  être  pu- 
blié presque  aussitôt.  Il  forme  un  in -piano  exécuté  avec 
le  caractère  du  Rationale,  et  composé  de  1 06  lignes,  em- 
brassant toute  la  largeur  du  papier,  et  ayant  32  centi- 

1  Catalogue  (in-fol.),  p.  5g. 

2  Meerman,  qui  cite  ce  document  (Ong.  typogr.  t.  I,  p.  7,  note  x),  a 
commis  deux  fautes  dans  les  lignes  qu'il  lui  a  consacrées,  l'une  en  prenant 
Hermann  pour  le  facteur  de  Schoiffer  (il  le  devint  à  la  vérité  plus  tard, 
mais  il  ne  l'était  pas  encore),  l'autre  en  donnant  à  Guillaume  de  Tourne- 
ville  le  titre  d'archevêque  d'Angers  :  Guillaume  n'était  qu'archiprètre  de 
cette  ville. 


240  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

mètres  de  large  et  /iq  de  haut.  Je  connais  l'existence  de 
quatre  exemplaires  de  ce  curieux  monument  typogra- 
phique, désigné  sous  le  nom  de  Manifeste  de  Diether  de 
Isemburg  : 

i°  Dans  la  Bibliothèque  royale  de  Munich; 

20  Dans  la  bibliothèque  de  lord  Spencer  à  Althorp,  en 
Angleterre  ; 

3°  Dans  la  Bibliothèque  publique  de  Strasbourg; 

k°  Dans  les  archives  de  la  ville  de  Francfort-sur-le- 
Main. 

C'est  ce  dernier  exemplaire  que  j'ai  étudié  :  il  porte 
au  dos  une  souscription  manuscrite  en  allemand ,  par 
laquelle  nous  apprenons  qu'il  a  été  adressé  aux  «  maîtres 
et  membres  de  la  corporation  des  pêcheurs  de  Franc- 
fort. »  C'est  comme  document  original  qu'il  se  trouve 
dans  les  archives  de  Francfort1.  On  voit  dans  le  texte 
quelques  corrections  faites  à  la  main.  On  a  oublié  de 
mettre  en  commençant  la  lettre  A  (la  pièce  débute  par 
le  mot  allen),  qui  avait  été  laissée  en  blanc  à  l'impres- 
sion pour  le  rubricateur,  suivant  l'usage. 

Diether  ayant  été  chassé  de  la  ville  de  Mayence,  dont 
son  compétiteur  se  rendit  maître  de  vive  force  le  28  oc- 
tobre 1  462  ,  SchoifFer  imprima  alors  une  série  de  pièces 
de  même  genre,  mais  d'un  esprit  opposé  :  je  veux  parler 
des  actes  mêmes  qui ,  dès  1 46 1 ,  avaient  proclamé  la  dé- 
chéance de  Diether  de  Isemburg,  et  qu'on  jugea  conve- 

1  M.  l'archiviste  Hertzog  mit  beaucoup  d'obligeance  à  me  faciliter  l'étude 
de  ce  monument  lors  de  mon  premier  voyage  à  Francfort. 


PREMIÈRE  PARTIE.— CHAPITRE  V.         241 

nable  de  répandre  dans  le  pays  pour  mieux  achever  la 
ruine  de  ce  prélat. 

Voici  la  description  de  ces  pièces,  au  nombre  de  cinq, 
d'après  ce  qu'a  écrit  M.  Bechstein ,  de  Meiningen ,  qui 
en  est  propriétaire1,  dans  un  article  du  journal  allemand 
le  Serapeum'2,  dans  les  deux  seuls  volumes  parus  jusqu'ici 
du  Deutsches  Muséum3,  et  dans  quelques  lettres  particu- 
lières à  moi  adressées  : 

La  première  est  une  lettre  de  l'empereur  Frédéric  III , 
proclamant  la  déchéance  de  Diether  de  Isemburg.  Elle 
est  datée  du  samedi  avant  la  Saint-Laurent  (autrement  dit 
du  8  août  1  46  1 ,  car  la  Saint-Laurent  tombait  le  lundi  î  o), 
et  est  imprimée  sur  une  demi-feuille  de  papier,  avec  le 
caractère  de  la  Bible  de  î  462.  Ce  document  est  en  alle- 
mand ;  il  a  été  publié  par  Gudenus4,  mais  avec  une  or- 
thographe modernisée ,  et  avec  quelques  changements 
dans  les  premières  lignes.  Il  commence  ainsi  (avec  omis- 
sion de  la  première  lettre)  :  «  [W]ir  Friederich,  etc.  »  et 
finit  par  la  date  du  règne  de  l'empereur.  Le  tout  forme 
28  lignes  disposées  dans  la  plus  grande  largeur  du  papier5. 

1  On  m'apprend  que  ces  pièces  ont  été  acquises  depuis  par  M.  Cule- 
mann,  imprimeur  à  Hanovre,  qui  possède  une  bibiiothèque  fort  riche  en 
livres  des  premières  années  de  l'imprimerie. 

2  T.  I,  p.  3o5  (3i  octobre  i84o). 

3  T.  I,  p.  io5,  et  t.  II,  p.  i3q.  (Ces  volumes,  publiés  par  M.  Bechstein 
même,  ont  été  imprimés  à  Iéna,  en  1 842-43,  in-8°. ) 

4  Cod.  dipl.  t.  IV,  p.  345. 

5  M.  Bechstein  en  a  donné  un  fac-similé  et  une  description  détaillée 
dans  le  premier  volume  du  Deutsches  Muséum,  p.  io5  et  suiv. 

16 


242  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Ce  dernier  est  fort,  et  son  filigrane  porte  une  couronne 
surmontée  d'une  croix. 

Les  quatre  autres  pièces  sont  toutes  des  brefs  ou  bulles 
du  pape  Pie  II,  en  langue  latine,  datées  de  Tivoli,  et  di- 
rigées contre  Diether  de  Isemburg.  Elles  sont  imprimées 
avec  le  petit  caractère  du  Rationale.  Elles  commencent 
toutes,  avec  omission  de  la  première  lettre,  par  les  mots: 
«  [P]ius  episcopus  servus,  etc.  »  Elles  ont  été  publiées  dans 
la  Mocjuntia  devicta  de  Heîlwich1,  mais  avec  une  ortho- 
graphe modernisée. 

La  première  de  ces  bulles,  relative  à  la  déchéance 
de  Diether,  se  compose  de  87  lignes,  qui  remplissent 
une  feuille  de  papier  in-plano2,  comme  le  Manifeste  de 
ce  dernier.  G  et  acte  donne  les  motifs  de  la  déchéance 
de  l'archevêque  de  Mayence ,  et  ordonne  de  le  fuir  comme 
une  bête  malade  et  pestilentielle  (morbidum  pecudem  et 
pestilentem  bestiam).  La  date,  qui  se  retrouve  sur  les  trois 
autres  bulles ,  est  ainsi  conçue  :  «  Datum  Tyburi ,  anno 
«  Incarnationis  Dominice  millesimo  quadringentesimo 
«sexagesimo  primo,  duodecimo  kalend.  Septembris 
«  (2  1  août),  pontificatus  nostri  anno  tercio3.  »  Le  fdigrane 
du  papier  est  une  petite  tête  de  bœuf  avec  les  cornes 
courbées  en  dehors. 

1   Joannis,  Ker.  Mogunt.  Script,  t.  II,  p.  ili&- 

-  Dans  Joannis ,  cette  bulle  fait  plus  de  six  pages  in-folio.  M.  Bechstein 
en  a  donné  un  fac-similé  et  une  description  dans  le  tome  II  du  Deutsches 
Muséum,  p.  129  et  suiv. 

3  Dans  Joannis,  les  dates  sont  en  chiffres  arabes,  ce  qui  n'était  pas  d'usage 
alors. 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  V.         243 

La  deuxième  bulle ,  adressée  à  Adolphe  de  Nassau,  est 
le  décret  de  son  installation  :  elle  est  sur  une  demi-feuille, 
et  se  compose  de  2  y  lignes  longues  occupant  la  plus  grande 
largeur  du  papier.  Le  filigrane  porte  une  grappe  de  raisin. 

La  troisième  est  adressée  au  chapitre  de  Mayence  à 
l'occasion  de  la  précédente;  elle  est  également  sur  une 
demi-feuille  de  papier,  et  se  compose  de  1  !\  lignes  dispo- 
sées de  la  même  manière.  Pas  de  filigrane.  On  lit  au  bas  : 
«  Collationata  per  me  Jo.  Stube,  not.  » 

La  quatrième  est  adressée  à  tous  gens  d'église  du  dio- 
cèse de  Mayence,  et  à  tous  vassaux  de  condition  quel- 
conque soumis  à  sa  juridiction  1 ,  et  elle  les  déclare 
dégagés  de  leur  serment  envers  Diether,  qui  y  est  de 
nouveau  traité  de  bête  pestilentielle2.  Elle  se  compose  de 
1 8  lignes  pleines  sur  une  demi-feuille  de  papier,  égale- 
ment sans  filigrane,  ce  qui  ne  doit  pas  surprendre,  parce 
que,  ce  signe  ne  se  trouvant  que  d'un  côté,  lorsqu'on 

1  «Dilectis  filiis  universis,  capituiis,  prepositis,  scolasticis,  custodibus, 
«  camerariis ,  cantoribus,  ihesaurariis ,  omnibusque  et  singulis  prelatis 
«quocumque  nomine  censeantur,  canonicis,  pastoribus,  plebanis,  vicariis 
«perpetuis  ac  temporabbus ,  altaristis  ecclesie  et  totius  dyocesis  Mogunti- 
«nensis,  omnibusque  et  singulis  vasaibbus  ligiis,  castrensibus  ac  simpli- 
«  cibus  ,  officiatisque  omnibus  cujuscumque  status  et  conditionis  existant, 
«scabinis  civitatum,  oppidorum,  viHarum,  fortaliciorumque  omnis  burgi, 
«  magistris ,  consulibus  ,  eorumque  rectoribus,  quocurnque  censeantur 
«nomine,  et  subditis  universis  et  singulis  ejusdem  ecclesie  Moguntinen- 
«  sis ,  salutem ,  etc.  » 

2  M.  Becbstein  a  également  fait  faire  un  fac-similé  de  cette  pièce,  qui 
n'a  cependant  pas  été  publié.  Il  a  eu  l'obligeance  de  m'en  envoyer  un 
exemplaire,  sur  lequel  j'ai  copié  la  nomenclature  qui  précède. 

16. 


244  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

coupe  une  feuille  par  le  milieu,  il  y  a  toujours  une  des 
deux  parties  qui  se  trouve  privée  de  filigrane1. 

La  collection  de  M.  Bechstein  renferme  encore  une 
sixième  pièce  de  même  apparence ,  mais  étrangère  à  l'ar- 
chevêque Diether;  elle  est  relative  à  la  querelle  des 
électeurs.  C'est  une  lettre  du  pape  adressée  à  tous  les 
prélats ,  princes ,  cours  et  universités  de  la  nation  alle- 
mande ,  à  l'occasion  de  la  mission  manquée  du  cardinal 
Bessarion  et  de  la  dîme  des  Turcs.  M.  Bechstein  pense 
que  ce  document  n'a  pas  été  publié  ailleurs.  Demi-feuille 
de  papier,  28  lignes  longues;  le  filigrane  représente  une 
couronne.  La  date  diffère  des  précédentes  ;  elle  est  ainsi 
conçue  :  «  Datuni  Tyburi ,  anno  Incarnationis  Dominice 
«  millesimo  quadringentesimo  sexagesimo  secundo ,  pri- 
«  die  non.  Septembris,  pontificatus  nostri  anno  quarto.» 

Cette  date  vient  justifier  ce  que  j'ai  dit  précédem- 
ment de  l'époque  à  laquelle  toutes  ces  pièces  ont  été  im- 
primées. On  voit,  en  effet,  que,  donnée  à  Tibur  près  de 
Rome,  le   4  septembre  1/162,  cette  dernière  bulle  ne 

1  M.  Fidelis  Butsb,  libraire  à  Augsbourg,  a  publié,  au  mois  de  juin  i85i, 
un  catalogue  de  raretés  bibliographiques  où  figure  un  second  exemplaire 
de  cette  bulle,  qu'il  croyait  à  tort  d'une  autre  édition-,  je  me  suis  assuré, 
dans  la  bibliothèque  même  de  Mayence  (où  se  trouve  aujourd'hui  cette 
pièce),  qu'elle  est  conforme  ru  fac-similé  que  m'avait  adressé  M.  Bechstein. 
Tout  ce  qu'a  écrit  à  ce  sujet  M.  Sotzmann  dans  le  Serapeum  de  i85i  et  de 
i852  est  donc  dénué  de  fondement,  ainsi  que  ce  qu'a  publié  d'après  lui 
M.  Helbig  dans  le  Bulletin  du  bibliophile  belge.  Gutenberg  n'est  pour  rien 
dans  cette  impression ,  qui  d'ailleurs  n'a  pas  été  exécutée  avec  les  carac- 
tères du  Catholicon.  Le  papier  de  l'exemplaire  de  Mayence  a  dans  le  fili- 
grane une  grappe  de  raisin. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  V.        245 

put  guère  arriver  à  Mayence  qu'au  mois  d'octobre  de  la 
même  année.  Elle  aura  été  imprimée ,  ainsi  que  les  cinq 
autres,  en  novembre,  après  la  soumission  delà  ville  à 
Adolphe  de  Nassau. 

Les  troubles  civils  dont  il  vient  d'être  question  parais- 
sent avoir  imposé  à  l'atelier  de  Schoiffer  d'assez  longs  chô- 
mages, qui  ne  furent  pas  toutefois  sans  profit  pour  l'huma- 
nité, car  la  plupart  des  ouvriers  de  celui-ci  en  profitèrent 
pour  aller  s'établir  ailleurs  à  leur  propre  compte,  comme 
avaient  déjà  fait  quelques-uns  de  leurs  compagnons  les 
années  avant.  On  ne  connaît  que  deux  opuscules  qui  aient 
été  exécutés  certainement  entre  i463  et  1  465 ,  mais  ils 
sont  sans  date,  sans  nom  de  lieu  ni  d'imprimeur.  Ce  sont 
deux  éditions  différentes  d'une  bulle  du  pape  Pie  II 
contre  les  Turcs,  donnée  le  22  octobre  1  463 ,  et  impri- 
mée sans  doute  peu  de  temps  après.  La  première,  qui 
est  en  latin ,  forme  trois  feuilles  ou  six  feuillets  in-folio. 
Sur  le  premier  de  ces  feuillets  on  lit,  en  gros  caractère 
du  Psautier  :  «Bulla  cruciata  sanctissimi  domini  nostri 
«  papae  contra  Turcos.  «Tout  le  reste  du  feuillet  est  blanc. 
La  bulle,  imprimée  en  caractère  du  Rationale,  commence 
au  feuillet  suivant  par  ces  mots,  dont  je  supplée  les  abré- 
viations et  la  première  lettre ,  omise ,  suivant  l'usage ,  pour 
être  peinte  par  un  calligraphe  :  «  [P]ius  episcopus  servus 
«  servorum  Dei,  »  etc.  et  finit  au  recto  du  sixième  feuillet 
par  cette  souscription  :  «  Datum  Romœ ,  apud  Sanctum 
«  Petrum ,  anno  Incarnationis  Dominice  m0  cccc0  lxiij0. 
«xi  kal.  Novembris,  pontificatus  nostri  anno  sexto.  »Les 


246  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

pages  pleines  ont  45  lignes;  les  trois  feuilles  sont  encar- 
tées les  unes  dans  les  autres. 

Cet  opuscule  se  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale  de 
Paris.  Il  y  en  a  aussi,  dit-on,  un  exemplaire  dans  la 
bibliothèque  d'Aschaffenbourg. 

La  seconde  édition  de  cette  bulle  est  en  allemand. 
On  n'en  connaît  qu'un  exemplaire ,  conservé  dans  la  bi- 
bliothèque de  lord  Spencer.  Cette  édition  forme  quatre 
feuilles  ou  huit  feuillets.  Elle  a,  du  reste,  les  mêmes 
dispositions  que  l'édition  latine.  Le  titre  commence  ainsi  : 
«Dis  ist  die  Bull  zu  Dutsch,  etc.1  ». 

Ces  deux  éditions  parurent  probablement  en  i464- 

Aussitôt  que  l'ordre  se  fut  un  peu  rétabli,  SchoifFer 
se  remit  à  la  besogne  avec  ardeur.  Dès  l'année  1  465  il 
lit  paraître  deux  éditions  célèbres  :  les  Offices  de  Cicéron 
et  les  Décrétâtes  de  Boniface  VIII. 

Comme  le  premier  livre  ne  porte  pas  l'indication  du 
jour  de  sa  publication,  nous  parlerons  d'abord  du  se- 
cond, quoique  la  date  de  son  impression  dût  peut-être 
le  faire  considérer  comme  ayant  été  imprimé  le  dernier. 
Le  fait  est  d'ailleurs  sans  importance ,  parce  qu'il  est  pro- 
bable qu'on  travailla  aux  deux  ouvrages  en  même  temps. 

Le  livre  des  Décrétales  forme  un  volume  grand  in- 
folio de  cent  quarante  et  un  feuillets,  y  compris  un  petit 
traité  de  Jean  André,  évêque  d'Aléria,  sur  l'arbre  de 
consanguinité  et  d'affinité ,  qui  forme  quatre  feuillets  dis- 
tincts, placés  tantôt  en  tête,  tantôt  à  la  fin  du  volume, 

'  Dibdin,  Bîbl.  Spenc.  t.  IV,  p.  460. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  V.        247 

et  parfois  manquent  tout  à  fait.  Le  livre  de  Boniface  com- 
mence ainsi  en  lettres  rouges  :  «  Incipit  liber  sextus  De- 
«cretaîium  domini  Bonifacii  pape  VIII,  etc.»  Il  est  dis- 
posé typographiquement  comme  les  Clémentines  de  i  A6o, 
c'est-à-dire  que  le  texte,  en  gros  caractère  de  la  Bible 
de  1A62,  est  entièrement  encadré  dans  des  notes  ou 
commentaires  en  caractère  du  Rationale.  Ce  livre  est 
divisé,  selon  l'usage,  par  cahiers  de  cinq  fouilles.  Voici 
la  souscription  qu'il  porte ,  du  moins  dans  la  plupart  des 
exemplaires,  car  il  paraît  qu'elle  diffère  dans  quelques- 
uns  1  : 

Presens  hujus  sexti  decretalium  preclarum  opus ,  aima  in  urbe 
Maguntina  inclyte  nacionis  Germanice ,  quam  Dei  clementia  tam 
alto  ingenii  lamine  donoque  gratuito  céleris  terrarum  nacionibus 
preferre  illusirareque  dignatas  '  est,  non  atramento,  pluniali  canna , 
neoue  aerea,  sed  artificiosa  quadam  adinventione  imprimendi 
seu  caracterizandi  sic  eïïigiatum,  et  ad  eusebiam  Dei  industrie  est 
consummatum  per  Jobannem  Fust  civem  et  Petrum  ScbonTer  de 
Gernszheyni.  Anno  Domini  M.  cccc.  lxv.  die  vero  xvn.  inensis 
Decembri. 

Je  forai  remarquer  qu'il  y  a  ici  quelque  réminiscence 
de  la  souscription  enthousiaste  du  fameux  Catholicon ,  im- 
primé cinq  ans  avant  dans  la  même  ville ,  mais  par  un 
autre  artiste,  dont  je  parlerai  plus  loin.  Seulement  les 

1  Voyez  la  Sema  Santander,  Diction,  bibl.  t.  II,  p.  287;  Panzer,  Annales 
typogr.  t.  II,  p.  1 1 5 ;  Brunet,  Manuel,  t.  I,  p.  A 12.  La  différence  consiste 
dans  la  suppression  de  ce  que  nous  mettons  en  italique. 

2  H  est  à  peine  nécessaire  de  relever  ce  solécisme ,  que  Schoiffer  copia 
machinalement  sur  la  souscription  du  Catholicon,  et  qu'il  répéta  jusqu'en 
1  \ 69,  où  il  écrivit  enfin  dignala,  dans  celle  du  saint  Thomas. 


248  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

imprimeurs  des  Décrétales  sont  trop  fiers  de  leurs  œuvres 
pour  négliger  de  se  nommer  comme  celui-ci. 

Le  second  ouvrage  publié  par  Schoiffer  en  i/j65  est 
le  livre  des  Offices  de  Cicéron.  C'est  un  in-quarto  composé 
de  quatre-vingt-huit  feuillets  imprimés  à  longues  lignes, 
avec  le  caractère  du  Rationale  de  ikSq.  Ce  Cicéron  est 
le  premier  livre  régulièrement  interligné ,  à  ma  connais- 
sance. Les  pages  n'ont  que  28  lignes,  par  suite  du  large 
espacement  réservé  entre  elles.  Le  livre  est  divisé  par 
cahiers  de  deux  feuilles,  c'est-à-dire  de  huit  feuillets  et 
non  de  dix ,  comme  cela  se  faisait  encore  pour  l'in-quarto 
dans  les  autres  imprimeries.  Pendant  quelques  années, 
Schoiffer  est  un  novateur  facile  à  reconnaître.  Il  est  le 
premier  qui  ait  imprimé  les  rubriques  et  les  capitales  en 
couleur;  le  premier  qui  ait  fait  emploi  des  notes  margi- 
nales; le  premier  qui  ait  employé  des  interlignes  :  c'est 
l'ouvrier  sans  cesse  occupé  de  perfectionner  son  art;  mais 
avec  l'âge  il  perdit  la  précieuse  faculté  des  innovations. 

Le  livre  des  Offices  de  Cicéron  est  aussi  le  premier  où 
l'on  vit  paraître  du  grec  imprimé  :  il  est  vrai  qu'il  n'y  en 
a  que  quelques  mots ,  et  qu'ils  sont  non  pas  fondus ,  mais 
gravés  d'une  façon  assez  grossière  ;  mais  enfin  c'est  le  dé- 
but, et  l'on  s'en  aperçoit  bien  aux  fautes  qui  s'y  trouvent1. 
La  même  année,  les  imprimeurs  établis  au  monastère 
de  Subiaco,  près  de  Rome,  et  dont  nous  aurons  occasion 
de  parler  plus  loin ,  publièrent  un  Lactance,  où  parurent 
des  passages  entiers  de  grec  en  caractères  mobiles. 

1   Voyez  Mailtaire ,  Ann.  typoar.  t.  T,  p.  274. 


PREMIERE  PARTIE.— CHAPITRE  V.         249 

Les  Offices  de  Cicéron  portent  la  souscription  suivante  : 

Presens  Marci  Tulii  clarissimum  opus  Johannes  Fust ,  Mogun- 
tinus  civis ,  non  atramento,  plumali  cana ,  neque  aerea,  sed  arte 
quadam  perpulcra,  Pétri  manu  pueri  mei  féliciter  effeci.  Finitum 
anno  m.cccc.lxv. 

(Suit  l'écusson ,  mais  dans  quelques  exemplaires  seule- 
ment.) 

On  a  conclu  de  ces  mots  pueri  mei,  employés  par  Fust 
pour  désigner  Pierre  Schoiffer,  que  ce  dernier  avait 
épousé  la  fdle  du  premier.  On  s'est  trompé  :  ces  mots 
rappellent  bien  une  alliance  contractée  par  Schoiffer  dans 
la  famille  de  Fust,  mais  non  avec  la  fille  de  ce  dernier, 
comme  j  e  le  démontrerai  plus  loin  ;  ils  prouvent  seule- 
ment que  cette  alliance ,  que  quelques  auteurs  font  re- 
monter aux  premiers  temps  de  l'association  de  Schoiffer 
avec  Fust,  n'eut  lieu  qu'en  1  465,  époque  où  le  premier 
abandonna,  en  effet,  la  qualification  de  clericus,  qu'il  avait 
conservée  jusque-là  dans  les  souscriptions  de  ses  livres. 

L'année  suivante ,  Schoiffer  imprima  également  deux 
ouvrages  datés  :  le  premier  est  une  seconde  édition  des 
Offices  de  Cicéron,  qui  fut  achevée  le  4  février.  Elle  est 
en  tout  conforme  à  la  première ,  sauf  la  souscription ,  qui 
est  ainsi  conçue  : 

Presens  Marci  Tulii  clarissimum  opus  Johannes  Fust ,  Mogun- 
tinus  civis,  non  atramento,  plumali  cana,  neque  aerea,  sed  arle 
quadam  perpulcra,  manu  Pétri  de  Gernszhein  pueri  mei  féliciter 
effeci.  Finitum  anno  m.  cccc.  lxvi.  quarta  die  mensis  Februarii. 

Pierre  Schoiffer  reçoit  encore  ici  le  titre  d'enfant  de 


250  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Fust;  mais  il  figure  d'une  manière  plus  convenable  que 
dans  la  première  souscription.  Son  nom  de  famille  ne 
paraît  pas,  il  est  vrai,  mais,  au  moins,  à  son  prénom  est 
joint  le  nom  de  son  lieu  de  naissance. 

La  diversité  des  leçons  et  les  différences  assez  sensibles 
qu'on  trouve  dans  les  exemplaires  de  ces  deux  éditions 
des  Offices  de  Cicéron  ont  donné  lieu  à  de  nombreuses  dis- 
cussions parmi  les  bibliographes.  Les  uns  prétendent  que 
ces  éditions  ne  diffèrent  entre  elles  que  par  la  souscrip- 
tion; d'autres,  au  contraire,  soutiennent  qu'il  y  a  trois 
éditions  diverses  exécutées  en  i/[65.  Ni  l'une  ni  l'autre 
de  ces  opinions  ne  me  paraît  fondée.  Je  ne  puis  que  ré- 
péter ce  que  j'ai  dit  à  propos  de  la  Bible  de  1/162.  Les 
différences  qu'on  remarque  dans  les  divers  exemplaires 
proviennent  uniquement,  à  mon  avis,  de  la  retiration 
successive  de  quelques  parties  dans  les  deux  éditions, 
pour  en  faire  disparaître  des  fautes  ou  des  omissions ,  et 
du  mélange  de  ces  deux  éditions ,  ou  du  moins  de  quel- 
ques feuilles  de  la  première  restées  en  magasin  ;  mélange 
d'autant  plus  facile ,  que ,  dans  leurs  réimpressions ,  les  pre- 
miers typographes  imitaient  presque  toujours  servilement 
leur  modèle,  et  que  la  valeur  intrinsèque  des  défets  (les 
deux  éditions  sont  entièrement  en  vélin)  devait  engager 
à  les  utiliser. 

Fust  vint  lui-même  placer  son  livre  à  Paris,  dans  le 
courant  de  l'année  1/166.  Il  en  donna  de  sa  main  un 
exemplaire  à  Louis  de  Lavernade ,  premier  président  du 
parlement  de  Languedoc,  en  juillet  de  cette  année,  c'est- 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  V.        251 

à-dire  quatre  mois  après  que  le  livre  eut  été  achevé.  C'est 
ce  que  constate  une  note  écrite  par  Louis  de  Lavernade 
sur  son  exemplaire,  qui  existe  encore1.  Le  voyage  de 
Fust  prouve  mieux  que  tous  les  raisonnements  qu'on 
pourrait  faire  l'importance  intellectuelle  de  Paris  aux 
yeux  des  imprimeurs  de  Mayence.  Il  prouve  également 
la  fausseté  du  récit  de  certains  auteurs,  qui  ont  prétendu 
qu'on  avait  exercé  à  Paris  des  poursuites  contre  Fust 
pour  la  vente  de  sa  Bible  de  1662.  Mais  nous  revien- 
drons sur  tout  cela  plus  loin. 

Le  second  ouvrage  que  publia  l'association  en  î  466 
est  intitulé  Grammatica  vêtus  rhitlimica.  C'est  une  espèce 
de  grammaire  en  vers,  comme  l'indique  son  titre,  et 
composée  de  onze  feuillets  in-folio2.  Elle  est  imprimée 
avec  le  petit  caractère  du  Rationale,  et  se  termine  par 
une  souscription  en  forme  de  logogriphe,  où  se  trouve 
mentionnée  la  date  d'impression.  Voici  cette  souscription  : 

Actis  lerdeni  jubilaminis  octo  bis  annis, 
Moguncia  Reni  me  condil  et  imprimit  amnis. 
Hinc  Nazareni  sonet  oda  per  ora  Johannis  ; 
Namque  sereni  luminis  est  scaturigo  perennis. 

L'an  2  fois  8  du  3oe  jubilé  de  5o  ans  chacun  corres- 
pond à  1 466  -,  car  29  fois  5o  font  1  /ioo ,  et  2  fois  8,16: 

1  Je  reparlerai  de  ce  précieux  volume  à  l'article  de  Paris,  dans  la 
deuxième  partie  de  mon  livre.  (Voyez  sous  le  n°  7  le  fac-similé  de  la  note 
autographe  de  Louis  de  Lavernade.) 

2  L'exemplaire  de  la  Bibliothèque  nationale  a  été  acheté  3,3oo  francs 
à  la  vente  de  M.  de  Brienne.  qui  eut  lieu  en  1792. 


252  DE  LGRIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

ensemble  1  466.  Le  nom  de  Jean,  qui  se  trouve  au  troi- 
sième vers,  fait  allusion  à  celui  de  Fust,  devant  lequel 
Schoiffer  s'effaçait  par  déférence,  depuis  qu'il  était  de- 
venu son  allié.  Nous  possédons  même  des  livres  impri- 
més par  ce  dernier  où  son  nom  ne  figure  pas  du  tout. 
Tel  est  le  suivant,  qui  est  sans  souscription,  mais  dans 
le  prologue  duquel  Fust  seul  est  nommé  : 

S.  Augustini  Liber  de  arte  preclicandi,  seu  cjusdem  doc- 
trines christianœ  liber  c/uartus.  Vingt-deux  feuillets  petit  in- 
folio, ko  lignes  longues  à  la  page  ;  divisé  en  deux  cahiers 
de  cinq  feuilles,  plus  une  feuille  détachée;  petit  carac- 
tère de  Schoiffer.  Il  y  a  aussi  à  la  fin  quelques  lignes  im- 
primées avec  le  caractère  de  la  Bible  de  1/162.  Le  som- 
maire de  la  première  page ,  c'est-à-dire  du  prologue ,  est 
imprimé  en  rouge.  Le  filigrane  du  papier  porte  deux  clefs 
adossées.  Dans  les  marges  du  texte  ,  on  voit  des  lettres 
servant  à  indiquer  la  division  des  pages  et  auxquelles 
se  réfèrent  les  tables,  comme  l'indique  l'auteur  inconnu 
du  prologue ,  dont  voici  les  deux  principaux  passages  : 

. . .  Quapropter  cum  nullo  alio  modo  sive  meclio  id  expedicius 
fieri  posse  judicarem,  discrète  viro  Johanni  Fust,  incole  Magun- 
tinensi,  impressorie  artis  magistro,  modis  omnibus  persuasi,  qua- 
tenus  ipse  assumere  dignaretur  onus  et  laborem  multiplicandi 
liunc  libellum  per  viam  impressionis ,  exemplari  meo  pre  oculis 
habito,  ut  sic  cum  ipse  brevi  in  tempore  eumdem  libellum  ad 

magnam  numerosilatem  multiplicaret Sciât  autem  quisque 

hune  libellum  a  dicto  artifice  comparans,  quod  ille  alpbabeti  lit- 
tere  tam  simplices  quam  duplicate  ab  extra  per  margines  minores 
posile   deserviunt  pro  jam  dicta   tabula  îibelli,  que  ad  easdem 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  V.        253 

litleras  remittit  per  singuîa  puncta ,  ut  sic  unumquodque  in  hoc 
libelle-  contentorum  ad  vota  cum  placuerit  cito  possit  reperiri ,  et 
nichilominus  per  remissionem,  varietatem  sive  pluralitatempateat, 
quid  in  diversis  ejusdem  libelli  passibus  nonnunquam  de  eisdem 
punctis  contineatur,  quod  plurimum  proderit  fructuose  in  eo  stu- 
dere  voientibus ,  etc.  Explicit  prologus. 

Ce  livret  fut  certainement  imprimé  avant  1/167,  car 
tout  tend  à  prouver  que  Fust  mourut  en  1 466.  En  effet, 
non-seulement  son  nom  ne  figure  pas  sur  la  Somme  de 
saint  Thomas,  publiée  le  6  mars  1  46 y,  et  dont  nous  nous 
occuperons  au  chapitre  suivant;  mais  encore  on  va  voir 
qu'il  fut  remplacé  au  commencement  de  1/167  dans  le 
conseil  de  fabrique  de  Saint-Quentin ,  sa  paroisse ,  où  il 
figurait  depuis  i464  ;  et  il  ne  peut  rester  aucun  doute 
sur  le  motif  de  ce  remplacement,  puisque,  dans  le  do- 
cument qui  le  constate,  publié  par  Severus1,  et  réim- 
primé plus  tard  par  Wurdtwein 2  et  Schaab3,  Jean  Fust 
est  qualifié  àefea  (selig). 

Ainsi  Fust  est  donc  mort  dans  les  six  derniers  mois 
de  1  466.  Quelques  auteurs  prétendent  qu'il  fut  emporté 
par  une  grande  mortalité  dont  Paris  fut  affligé  aux 
mois  d'août  et  de  septembre  1  d66;  mais  il  y  a  tout  lieu 
de  croire  qu'ii  ne  mourut  que  le  3o  octobre  (3  des 
calendes  de  novembre  ) ,  date  d'un  anniversaire  fondé 
pour  lui  à  Saint-Victor  de  Paris,  où  il  avait  probable- 

1   Paroch.  Urbis  Mogunt.  Aschaffenburg ,  1768. 
'2  Bibl.  Mogunt.  n°  17,  doc.  23 1  et  282. 
3  Die  Geschichte ,  etc.  t.  I,  p.  443. 


254  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

nient  été  enterre.  \  oiei  les  ternies  mêmes  de  cet  anni- 
versaire, tirés  du  Nécrologe  de  Saint-Victor,  conservé 
aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris1. 

B.  III  kal.  Novembris  obiit  Arnulfus .  etc 

Item.  Anniversarium  honorabilium  virorum  Pétri  Scofer,  et 

Conrardi  ilenlif.  ac  Johannis  Fust.  civinm  de  Moguntia,  impresso- 
rnxn  librorum.  née  non  uxorum .  tiliorum,  parentaux,  amieorum 
et  benetaetorum  eorumdem.  Qui  Petrus  et  Conrardus  dederuni 
aobis  Epistoîas  beati  Ihercninh .  impressas  in  pargameno,  excepta 
tamen  summa  duodecim  scutorum  auri.  quam  prefati  tmpressores 
receperunt  per  manus  domini  Johannis.  abbatis  hujus  ecclesie. 

On  voit  que  cet  anniversaire  fut  fondé  par  Schoiffer 

et  par  un  nouvel  associe  appelé  Conrad  Henlif,  au  prix 
d'un  exemplaire  des  Epîtres  de  saint  Jérôme,  en  parche- 
min-, sur  lequel  encore  l'abbe  de  Saint- Victor  crut  de- 
voir rendre  douze  écus  d'or.  On  ne  sait  pas  précisément 
en  cruelle  année  eut  lieu  cette  fondation;  mais  il  v  a  tout 

1  Département  des  mss.  fonds  Saint-Victor,  n°  iô,  fol.  2o5.  M.  Schaab, 
qui  a  imprimé  cette  pièce,  y  a  laissé  passer  plusieurs  fautes;  nous  les  re- 
lèverons à  l'article  de  Paris,  et  pour  plus  d'exactitude,  nous  en  donnons 
le  fac-similé  sous  le  n°  3  des  pièces. 

-  Meerman  (Orig.  tvpoqr.  t.  I,  p.  7,  note,  et  t.  II,  p.  271,  2e  colonne) 
parait  croire  que  le  Jean  Fust  cité  dans  le  document  de  Saint-Victor  était 
un  parent  du  célèbre  Jean  Fust,  qui  lui  aurait  succédé  comme  associé  de 
Schoiffer.  Mais  il  est  évident  qu'il  s'agit  ici  du  bailleur  de  fonds  de  Guten- 
berg  lui-même.  On  voit  en  effet  que  le  Fust  en  question  était  mort  à  l'é- 
poque de  cette  fondation,  car  il  n'est  pas  nommé  à  la  cinquième  ligne 
avec  les  deux  autres  donataires,  Schoiffer  et  Henlif.  Il  y  a  bien  eu  un 
Jean  Fust  auquel  pourrait  s'appliquer  l'assertion  de  Meerman  (c'était  un 
petit-fils  du  premier),  mais  il  était  dans  les  ordres,  comme  nous  le  verrons 
plus  loin ,  et  ne  mourut  qu'en  1  5o  1 . 


PREMIERE  PARTIE.— CHAPITRE  V.        255 

lieu  de  croire  que  ce  fut  en  1/171,  car  cette  édition  rie  , 
Épitres  de  saint  Jérôme,  comme  le  constate  l'exemplaire 
en  question,  qui  existe  encore  à  Paris  (bibliothèque  de 
l'Arsenal) ,  ne  fut  terminée  qu'au  mois  de  septembre  1/170, 
et  il  n'est  pas  probable  que  les  imprimeurs  de  Mayence 
soient  venus  l'apporter  à  Paris  dans  l'hiver. 

Schoiiïer  fonda  un  autre  anniversaire  pour  Jean  Fus! 
et  pour  la  femme  de  celui-ci  aux  Dominicains  de  Mayence, 
en  1/173;  mais  le  jour  de  cet  anniversaire  n'est  pas  indi- 
qué ,  du  moins  dans  la  copie  de  cette  pièce  que  nous  a 
donnée  Joannis1.  Cet  auteur  dit  seulement  :  «On  lit  ce 
qui  suit  avant  le  jour  de  saint  \  alentin  martyr  : 

Anniversarium  Johannis  Fusti  et  Margaretae  uxoris,  et  suo- 
rum,  pro  quo  conventus  recepit  Epistolare  Ieronimi  et  Clemen- 
tinas  a  venerabili  Petro  Gernsheim ,  impressore ,  suo  genero ,  anno 
M.  CCCC.  LXXIIL  » 

Le  jour  de  saint  Valentin  tombant  le  1  k  février,  il  est 
probable  que  ce  second  anniversaire  fut  fondé  à  l'époque 
de  la  mort  de  Marguerite,  femme  de  Fust,  qui,  de  la 
sorte ,  aurait  survécu  près  de  sept  ans  à  son  mari.  Un  fait 
assez  curieux  à  noter,  c'est  que  Schoiffer  paya  le  second 
anniversaire  comme  le  premier,  avec  un  exemplaire  des 
Epitres  de  saint  Jérôme,  auquel  il  fut  toutefois  obligé  d'a- 
jouter un  exemplaire  des  Clémentines,  imprimées  par 
lui  en  1  /17] ,  ce  qui  prouve  la  dépréciation  considérable 
qu'éprouvaient  déjà  les  livres,  à  cause  de  la  concurrence 
qui  grandissait  autour  des  imprimeurs  de  Mayence. 

1   her.  Mogunl.  Script,  t.  IJI,  p.  428. 


256  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

C'est  ici  le  lieu  d'entrer  dans  quelques  détails  sur  Fust 
et  sa  famille. 

Nous  avons  déjà  vu  dans  la  pièce  de  procédure  de 
i/t55  que  Jean  Fust  avait  un  frère  appelé  Jacques,  qui 
agit  pour  lui  dans  cette  affaire.  Ce  Jacques  était  archi- 
tecte de  la  ville  en  i  /M  5.  Plus  tard  il  se  fit  orfèvre,  et 
devint  bourgmestre  de  Mayence.  Il  remplissait  cette 
charge  en  1  A62  ,  à  l'époque  où  la  ville  fut  saccagée  par 
les  troupes  d'Adolphe  de  Nassau.  Il  paraît  avec  cette  double 
qualité  d'orfèvre  (goldsmith)  et  de  premier  bourgmestre 
dans  des  documents  cités  par  Joannis1.  D'un  autre  côté, 
on  vient  de  voir  que  Jean  Fust  était  marié  à  une  dame 
appelée  Marguerite,  dont  on  ignore  le  nom  de  famille. 
Tous  les  historiens  ont  prétendu  jusqu'ici  qu'il  n'avait  eu 
de  son  mariage  qu'une  fille ,  appelée  Christine ,  qu'il 
maria  à  Schoiffer.  Eh  bien ,  c'est  une  erreur  :  Jean  n'eut 
pas  de  fille  et  eut  au  contraire  un  fils  nommé  Gonrad , 
qui  lui  succéda. 

Ce  Conrad  ne  figure  pas,  à  la  vérité,  dans  les  pre- 
miers travaux  de  l'imprimerie;  mais  il  devint,  après  la 
mort  de  son  père,  l'associé  de  Schoiffer,  dont  il  était 
déjà  le  beau-père. 

On  m'opposera  sans  doute  ici  le  récit  de  Trithème, 
qui  dit  positivement  que  Schoiffer,  d'abord  ouvrier  (et 
non  pas  domestique)  chez  Fust,  devint  ensuite  son  gendre 
«  tum  famulus,  postea  gêner Joannis  Fust2  »;  et  les 

1  lier.  Mogunl.  Script,  t.  II ,  p.  188. 

2  Annales  Hirsaucjienses ,  t.  II,  p.  42  1  et  suiv.  (Voy.  ci-après  p.  296.) 


PREMIERE  PARTIE.  —  CHAPITRE  V.        257 

déclarations  encore  plus  expresses  de  Jean  Schoiffer,  fils 
de  Pierre.  En  effet,  celui-ci,  dans  un  des  livres  imprimés 
par  lui-même1,  donne  à  Jean  Fust  le  titre  de  grand-père 
(avus),  et  dans  deux  autres2  dit  être  son  petit-fils  [nepos); 
il  rapporte  que  ce  dernier  donna  sa  fille  Christine  en 
mariage  à  Pierre  Schoiffer  pour  le  récompenser  de  ses 
travaux  :  «  Cui  etiam  filiam  suam  Christinam. . .  pro  digna 
«  laborum  multarumque  adinventionum  remuneratione 
«nuptui  dédit3.  » 

A  cela,  je  réponds  que  ces  expressions  ne  prouvent 
rien,  sinon  le  défaut  de  termes  précis,  dans  la  langue 
latine  comme  dans  la  langue  française,  pour  désigner  le 
degré  de  parenté  existant  entre  Schoiffer  et  Fust.  Les 
mots  gêner,  avus ,  nepos  et  Jilia  n'ont  pas ,  dans  les  pas- 
sages invoqués  ici,  le  sens  absolu  qu'on  leur  attribue 
ordinairement  :  le  mot  gêner  peut  aussi  bien  s'appliquer 
au  mari  de  la  petite-fille  d'un  homme  qu'à  celui  de  sa 
propre  fille  ;  les  mots  avus  et  nepos  s'entendent  également 
de  tout  ascendant  ou  de  tout  descendant,  passé  le  pre- 
mier degré  -,  enfin  le  mot  fdia  s'applique  aussi  bien  à  une 
petite-fille  qu'à  une  fille,  surtout  lorsqu'il  n'y  a  qu'un 
enfant  du  sexe  féminin  dans  la  famille ,  et  qu'il  a  été  élevé 
par  le  grand-père ,  comme  c'était  probablement  le  cas. 

Au  reste,  peu  importe  cette  discussion  grammaticale. 

1  Breviarium  secundum  morem  ecclesiœ  Moaunt.  1009.  (Souscription.) 

2  Breviarium  historiœ  Francorum,  1 5 1 5,  et  Breviarium  ecclesiœ  Mindensis, 
i5i6.  (Souscriptions.) 

3  Breviarium  historiœ  Francorum,  1  5 1  5.  (Souscr.)  (Voy.  ci-après,  p.  3o2.) 

!7 


258  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Le  fait  est  parfaitement  prouvé ,  et  par  plus  d'un  témoi- 
gnage ,  comme  on  va  le  voir. 

Le  premier  que  j'invoquerai  est  la  souscription  des 
deux  éditions  des  Offices  de  Cicéron,  que  je  viens  de 
mentionner.  Le  mot  de  puer,  par  lequel  Jean  Fust  y  dé- 
signe Pierre  Schoiffer,  me  semble  préciser  les  rapports 
d'alliance  qui  existaient  entre  eux  deux.  Ce  mot,  parfai- 
tement placé  dans  la  bouche  d'un  vieillard  parlant  de 
son  petit-fils ,  n'aurait  pas  été  convenable  dans  celle  d'un 
simple  beau-père  à  l'égard  de  son  gendre,  qui  avait  alors 
plus  de  trente-cinq  ans. 

Le  second  est  un  document  en  allemand,  imprimé 
par  plusieurs  auteurs  \  mais  dont  aucun,  à  mon  avis,  n'a  en- 
core compris  le  vrai  sens.  Jean  Fust  avait  été  élu  l'un  des 
douze  jurés  de  sa  paroisse  dès  l'année  ikGli.  Au  com- 
mencement de  1  k 6 y,  on  renouvela  ce  conseil,  et  comme 
Fust  était  mort,  on  lui  donna  pour  remplaçant  Adam 
de  Hochheim;  mais  en  même  temps  on  y  admit,  par 
honneur,  le  fils  du  défunt,  appelé  Conrad,  à  titre  de  gref- 
fier ou  secrétaire ,  comme  étant  le  plus  jeune  sans  doute. 
Voici  le  passage  du  registre  de  l'église  de  Saint -Quentin 
qui  nous  intéresse  :  «  . . .  Adam  von  Hochheim  an  des  Ver- 
«varen  Johannes  Fusten  stait,  und  Conradum  an  Henri 
«  Fabri  Gerichtsschreibers  stait,  und  ist  der  Cunradus  Jo- 
«  hannis  Fusten  seligen  nachvare.  »  Traduction  littérale  : 
« Adam  von  Hochheim  a  remplacé  Jean  Fust,  et 

1   Voyez  Severus,  Parochiœ  urbis  Mogunt.  1768  ;  Wurdtwein,  Bibl.  Mocj. 
numéro  17,  doc.  23i-232;  Schaab,  Die  Geschichte ,  etc.  t.  I,  p.  4  42-43. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        259 

Conrad  a  remplacé  Henri  Fabri,  greffier,  et  ce  Conrad 
est  le  successeur *  de  feu  Jean  Fust.  » 

Le  nom  de  famille  de  Conrad  n'est  pas  rappelé,  il  est 
vrai ,  dans  ce  document  ;  mais  c'est  parce  qu'il  est  men- 
tionné après  son  père.  Cette  circonstance  aurait  du  ouvrir 
les  yeux  aux  Allemands  qui  ont  publié  cette  pièce.  En 
effet,  Conrad  est  la  seule  de  toutes  les  personnes  qui  y 
sont  nommées  dont  on  ne  cite  que  le  prénom.  De  plus, 
on  lui  donne  le  titre  de  successeur  de  Jean  Fùst.  Ce  n'est 
pas  successeur  dans  la  fonction  de  juré  de  la  paroisse  de 
Saint-Quentin ,  puisqu'on  voit  que  Jean  Fust  est  remplacé 
par  Adam  de  Hochheim,  et  que  Conrad  remplace  Henri 
Fabri  ;  c'est  donc  dans  l'imprimerie  :  or,  à  quel  titre  au- 
rait-il hérité  de  l'imprimerie  de  Jean  Fust,  si  ce  dernier 
n'avait  eu  qu'une  fille  mariée  à  SchoifFer? 

Au  reste ,  le  troisième  document  que  j'invoquerai  ici 
ne  laissera  pas  de  doute  à  cet  égard.  C'est  un  fragment  ori- 
ginal d'un  registre  de  l'église  de  Saint-Pierre  de  Mayence, 
qui  se  trouve  aujourd'hui  à  Paris2,  et  dont  je  joins  ici 
un  fac-similé  exact  (voyez  le  n"  k  des  fac-similé  de  pièces). 

1  Quelques  savants  allemands  que  j'ai  consultés  donnent  au  vieux  mot 
nachvare  un  sens  beaucoup  plus  précis  :  suivant  eux,  il  signifie  descendant  ; 
et  par  induction ,  fils,  de  même  que  vorvare  (vorfahr)  signifie  ascendant, 
mais  je  laisse  aux  philologues  le  soin  de  fixer  le  vrai  sens  de  ce  mot  :  celui 
que  j'ai  adopté  suffit  à  ma  thèse. 

2  Département  des  manuscrits,  t.  II,  fol.  1 45  de  la  Correspondance 
d'Oberlin.  Je  dois  la  connaissance  de  ce  document  à  M.  Hauréau,  conser- 
vateur des  manuscrits  ,  qui ,  l'ayant  aperçu  en  rangeant  les  lettres  d'Ober- 
lin, me  l'a  signalé. 

'7- 


260  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Voici  la  transcription  fidèle  de  ce  monument  précieux, 
dont  on  n'a  jusqu'ici  publié  que  des  versions  falsifiées1, 
je  ne  sais  dans  quel  intérêt: 

DE  LIBRO  SUPER  k°  SENTENTIARUM  EX  LIBERARIA  CONCESSO. 

Anno  Domini  lxviii  quo  supra,  die  Jovis  xim  mensis  Januarii, 
hora  vesperorum,  in  curia  Ringravii,  coram  dominis  decano  et 
aliis  capitulariter  congregatis,  personaliter  constitutus  discretus 
Conradus  Fust,  civis  Magunt.  petiit  hiuniliter  quod  domini  vellent 
sibi  et  Petro,  qui  liabet  filiam  suam,  concedere  union  lïbrnm  ex  libe- 
raria  ecclesie  noslre,  pro  uno  exempliari,  videlicet  beatum  Tho- 
mam  super  quarto  sententiarum ,  ex  quo  vellent  plures  fieri,  etc. 
Domini  délibérantes ,  attendentesque  quod  bujusmodi  petitio  esset 
justa ,  pia ,  et  plura  bona  ex  ipsa  possent  fieri ,  addixerunt  sibi  hu- 
jusmodi  librum  concedendum,  salvo  tamen  quod  in  memoriam 
hujus  ponat  ad  locum  sextum  Decretalium  ,  et  det  dominis ,  etc. 
unam  recognitionem ,  et  sic  est  actum. 

Cet  article  est  bâtonné  par  deux  traits  en  croix  que 
nous  avons  figurés  sur  le  fac-similé  par  des  points,  et  on 
lit  en  marge  la  note  suivante ,  qui  indique  le  motif  du 
biffage  :  «  Hic  liber  ad  statum  et  infra  octavam  reporta- 
«  tus  est.  » 

Voici  maintenant  la  traduction  ou  pour  mieux  dire  l'a- 
nalyse de  ce  précieux  monument:  «Le  jeudi  soir  1 1\  jan- 
vier 1 468 ,  le  doyen  et  les  chanoines  du  chapitre  [de 
Saint-Pierre]  étant  assemblés  capitulairement  dans  la  cour 
du  Rhingrave,  discrète  personne  Conrad  Fust,  citoyen 
de  Mayence,  demanda  humblement  à  ces  messieurs  qu'ils 
voulussent  bien  lui  prêter,  ainsi  qu'à  Pierre  [Schoiffer], 

1   Schaab,  Die  Ge.schichte ,  etc.  t.  I,  p.  i  18. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  V.        261 

l'époux  de  sa  fille,  le  livre  [manuscrit]  de  saint  Tho- 
mas [d'Aquin],  intitulé  :  Liber  super  quarto  sententiarum , 
qui  se  trouve  dans  la  bibliothèque  de  notre  église,  et 
dont  ils  veulent  multiplier  les  exemplaires.  Les  chanoines, 
considérant  crue  cette  requête  était  juste,  pieuse,  et  qu'il 
pouvait  en  résulter  beaucoup  de  bien,  consentirent  à  la 
demande  [de  Conrad] ,  à  la  condition  toutefois  qu'il  rem- 
placerait le  livre  [en  question]  par  les  Décrétâtes  du  pape 
Boniface  VIII  [récemment  imprimées  par  Schoiffer],  et 
donnerait  une  reconnaissance  aux  chanoines  [comme  ga- 
rantie du  prêt].  » 

Ce  qui  avait  été  convenu  ayant  été  accompli,  et  le 
manuscrit  de  saint  Thomas  ayant  été  rendu  en  bon  état, 
dans  la  huitaine  (infra  octavam),  on  restitua  à  Conrad  le 
livre  et  la  reconnaissance  qu'il  avait  donnés  en  gage,  et 
on  bâtonnasur  les  registres  du  chapitre  l'acte  qui  précède. 

Cela  est-il  assez  clair?  Je  le  pense.  Rien  n'y  manque, 
ni  le  nom  de  Fust  donné  à  Conrad,  ni  la  mention  du 
mariage  de  sa  frile  avec  Pierre  Schoiffer.  On  remarquera, 
en  outre,  que  ce  n'est  pas  ce  dernier  qui  emprunta  le 
manuscrit,  mais  bien  Conrad  Fust,  en  sa  qualité  de  ci- 
toyen de  Mayence  et  de  fds  d'un  personnage  important 
de  la  ville,  circonstance  qui  lui  avait  déjà  valu  l'honneur 
d'être  admis  parmi  les  jurés  de  l'église  de  Saint-Quentin, 
sa  paroisse,  avec  le  titre  de  greffier1. 

1  M.  Wetter  à  qui  j'avais  cru  devoir  faire  part  de  ma  découverte ,  ainsi 
qu'à  M.  Schaab ,  lors  de  mon  premier  voyage  à  Mayence ,  en  1 85o,  a  essayé 
de  combattre  mon  système  de  fdiation  à  l'égard  de  Conrad,  système  qui 


262  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

L'importance  de  ce  document,  qui  sera  confirmé  d'ail- 
leurs par  plusieurs  autres  que  j'aurai  occasion  de  citer 
dans  le  chapitre  suivant,  exige  que  j'entre  ici  dans  quel- 
ques détails  sur  son  origine  et  son  authenticité.  Je  les 
puiserai  dans  la  correspondance  d'Obeiiin,  qui  forme 
douze  volumes  in-quarto,  conservés  à  la  Bibliothèque 
nationale,  à  laquelle  ils  ont  été  cédés  par  les  héritiers 
mêmes  de  cet  illustre  Strasbourgeois. 

Le  i  7  fructidor  an  xm  [k  septembre  1 80 5  ) ,  Bodmann, 
archiviste  du  département  du  Mont-Tonnerre ,  écrivait 
de  Mayence  à  Oberlin,  alors  professeur  à  Strasbourg, 
une  lettre  en  allemand  dont  voici  le  passage  principal1  : 

«Je  vous  envoie  ci-joint  l'extrait  d'un  protocole  du 
chapitre  de  l'église  de  Saint-Pierre,  de  l'année  î  Zj.68 ,  d'où 

dérange  celui  qu'il  a  adopté  dans  son  Histoire  de  l'imprimerie.  Il  a  publié 
dans  la  Revue  de  la  Société  des  recherches  historiques  et  archéologiques 
rhénanes  [Zeitschrift  des  Vereins  zur  Erforschung  der  Pdieinischen  Geschichte 
and  Altertkiimer,  Band  I,  Heft  4,  Seite  i-j2>  sqq.)  un  travail  où  il  accepte 
l'identité  que  j'ai  établie  entre  le  Conrad  du  conseil  de  fabrique  de  Saint- 
Quentin  et  le  Conrad  Hanequis  des  lettres  patentes  de  Louis  XI;  mais 
où  il  soutient  que  ce  Conrad  était,  non  pas  le  fils,  mais  un  gendre  de 
Fust.  J'ai  répondu  quelques  mots  à  M.  Wetter  dans  une  lettre  qui  a  été 
insérée  au  Bulletin  du  bibliophile  (français),  numéro  de  janvier  i85i,  et 
dans  le  journal  allemand  le  Serapeum,  numéro  7,  du  1 5  avril  même  année. 
Je  n'y  reviendrai  pas  ici.  Je  dirai  seulement  que  M.  Wetter  m'a  réfuté 
sans  connaître  mes  documents.  Or  on  a  vu  que,  dans  ces  documents,  Con- 
rad est  appelé  Fust,  et  qu'il  était  successeur,  ou  pour  mieux  dire  descendant, 
de  Jean,  ce  qui  lui  fait  donner  le  pas  sur  Schoiffer  lui-même  dans  les  lettres 
patentes  de  Louis  XI ,  où  il  est  toujours  nommé  le  premier. 

1  Je  dois  la  traduction  de  ce  passage  et  des  suivants  de  la  Correspondance 
d' Oberlin  à  l'obligeancedeM.  Michelan,  employé  à  la  Bibliothèque  nationale. 


PREMIERE  PARTIE.  —CHAPITRE  V.        263 

il  résulte  que  Pierre  Schoiffer  n'était  pas  le  gendre  de 
Jean  Fust,  mais  bien  de  son  frère  Conrad.  Ainsi  donc 
une  petite  rectification  dans  l'histoire  de  l'imprimerie.  Si 
vous  voulez  avoir  l'original,  je  l'enlèverai  du  livre  pour 
vous  l'envoyer,  et  je  le  recollerai  ensuite.  Il  semble  donc 
que  ce  Conrad  Fust  a  exercé  l'état  en  société  avec  son 
frère  Jean  et  son  gendre  Schoiffer.  Dans  ma  première, 
vous  recevrez  un  passage  remarquable  d'un  arrêt  rendu 
à  Paris,  en  l'an  1  468,  sur  la  demande  de  Fust,  [tiré]  d'un 
livre  de  droit  imprimé  à  la  fin  du  xvf  siècle1.  » 

Il  y  a  plusieurs  observations  à  faire  sur  cette  lettre  de 
Bodmann.  On  remarquera  d'abord  qu'il  se  trompe  sur 
le  degré  de  parenté  de  Conrad  avec  Jean  Fust.  Il  le  con- 
fond avec  le  frère  de  ce  dernier,  qui  s'appelait  Jacques. 
Bodmann  parle  aussi  d'un  document  curieux  que  nous 
n'avons  pas  retrouvé  dans  les  papiers  d'Oberlin,  et  dont, 
à  la  vérité ,  nous  doutons  qu'il  ait  compris  le  vrai  sens ,  car 
il  nous  paraît  peu  probable  qu'on  ait  rendu  en  1  Zi68  un 
jugement  en  faveur  de  Fust,  mort  deux  ans  auparavant,  à 
moins  qu'il  ne  soit  question  de  la  suite  du  procès  de  1 45  5 , 
poursuivi  par  sa  famille  contre  Gutenberg;  peut-être  aussi 
s'agit-il  ici  du  fils  de  Conrad,  appelé  également  Jean, 
comme  son  grand-père,  et  qui  était  alors  chanoine  du 
chapitre  de  Saint-Etienne  de  Mayence2. 

1  Correspondance  d'Qberlln,  t.  II,  fol.  86.  L'extrait  dont  il  est  parlé  à 
la  première  ligne  de  cette  lettre  se  trouve  sur  un  feuillet  détaché,  au 
folio  1 35. 

2  Kôhler,  Ehrenrettunc/  Gutenberg' s,  numéro  99. 


264  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Oberlin,  qui  vit  sans  doute  plus 
clair  que  Bodmann,  insista  pour  avoir  l'original  du  docu- 
ment que  celui-ci  lui  avait  offert.  Bodmann  le  lui  adressa 
le  i3  vendémiaire  an  xiv  (5  octobre  i8o5),  avec  une 
lettre  dont  voici  le  commencement 1  : 

«Je  ne  comprends  pas  bien  votre  desiderium  au  sujet 
de  Fust.  C'est  pourquoi  j'ai  coupé  le  passage,  que  je  vous 
envoie  2.  Soyez  assez  bon  pour  me  le  renvoyer,  afin  que 
je  puisse  le  recoller  dans  le  livre.  De  Conrad  Fust  on 
sait  peu  de  choses  :  il  était  frère  de  Jean  et  demeurait 
chez  lui.  Son  fils  était  Jean  Fust,  juge  au  tribunal  de 
cette  ville.  Si  je  puis  mettre  la  main  sur  les  anciens  né- 
crologes des  paroisses  et  des  cloîtres,  je  trouverai  peut- 
être  quelque  renseignement  sur  lui  et  sa  famille.  Peut- 
être  a-t-il  plus  contribué  au  progrès  du  nouvel  art  qu'on 
ne  l'a  cru  jusqu'à  présent.  » 

On  voit  que  Bodmann  persiste  dans  son  erreur  au 
sujet  de  Conrad.  De  plus,  il  fait  mention  d'un  second 
Jean  Fust,  juge  de  Mayence,  dont  nous  ne  savons  rien. 
Peut-être  confond-il  ce  Jean  avec  un  Nicolas3  Fust,  qui 
était  en  effet  juge  à  Mayence  dès  1  Zi/n  ,  et  qui  paraît  avoir 
figuré  au  jugement  de  Gutenberg  en  1  455  ;  mais  on  ne 
connaît  pas  son  degré  de  parenté  avec  Jean  Fust.  Plût  à 

1  Cetle  lettre,  également  en  allemand ,  se  trouve  au  folio  88  du  tome  II 
de  la  Correspondance  a"  Oberlin. 

2  Ce  document  se  trouve  au  folio  iA5  du  même  volume. 

3  C'est  peut-être  de  ce  Nicolas  que  descendaient  les  Fust  d'Asckaffen- 
burg,  ou  pour  mieux  dire  de  Francfort,  qui  revendiquaient  au  xvne siècle 
la  gloire  d'être  de  la  famille  de  Jean  Fust. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  V.        265 

Dieu  que  Bodmann  eût  envoyé  à  Oberlin ,  de  la  même  ma- 
nière (quelque  blâmable  que  soit  l'action  au  point  de  vue 
administratif)  les  autres  documents  qu'il  avait  trouvés  dans 
son  dépôt,  et  dont  l'authenticité  est  aujourd'hui  contestable 
et  contestée  !  Paris  pourrait  restituer  à  Mayence  ses  titres 
de  gloire  les  plus  réels.  En  effet,  si  le  hasard  n'avait  pas 
conservé,  grâce  à  un  abus  de  confiance,  le  document  ori- 
ginal que  nous  avons  transcrit  plus  haut,  ou  si  Bodmann 
n'avait  envoyé  à  Oberlin  que  la  copie  jointe  à  sa  première 
lettre,  on  aurait  toujours  ignoré  les  circonstances  que  je 
viens  de  rappeler;  car  on  ne  retrouve. plus  aujourd'hui  à 
Mayence  le  volume  d'où  ce  document  a  été  arraché,  non 
plus  que  la  masse  énorme  de  pièces  qui  composaient  au- 
trefois les  archives  du  département  du  Mont-Tonnerre, 
formées  par  les  Français,  et  que  les  Mayençais  ont  laissé 
distraire  par  leurs  nouveaux  maîtres ,  sans  en  garder 
même  le  souvenir1  !  Il  en  serait  aujourd'hui  de  ce  docu- 
ment ce  qu'il  en  a  été  des  deux  lettres  attribuées  par 
Bodmann  à  Gutenberg,  et  qui  sont  maintenant  entière- 
ment mises  de  côté  comme  apocryphes ,  les  originaux 
n'ayant  pu  être  retrouvés. 

Plus  tard,  le  7  frimaire  an  xiv  (28  novembre  180 5), 
Bodmann  écrivait  encore  à  Oberlin 2  : 

«Parmi  les  manuscrits  du  professeur  Dûrr,  mort  le 
26  avril  de  cette  année,  et  qui,  depuis  quarante  ans, 

1  Les  seuls  souvenirs  que  les  Mayençais  aient   gardés  de   nous  sont 
leur  bibliothèque  et  leur  système  judiciaire,  basé  sur  noire  Code. 

2  Correspondance  d'Oberlin,  t.  II,  fol.  90. 


266  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

avait  rassemblé  tous  les  documents  possibles  sur  l'histoire 
de  la  ville  de  Mayence ,  se  trouve  un  fascicule  sur  l'im- 
primerie, contenant  tous  les  documents  sur  la  maison  où 
ont  été  faits  les  essais  du  nouvel  art.  Je  l'ai  acheté  des  hé- 
ritiers ,  et  j'en  ferai  l'objet  d'un  travail  pour  notre  société.  » 

Qu'est  devenue  la  pièce  dont  parle  ici  Bodmann  ?  Je 
l'ignore.  Quant  à  la  société  dont  il  est  question  dans  sa 
lettre,  c'était  une  association  littéraire  fondée  sous  l'inspi- 
ration française ,  et  qui  s'occupait  activement  et  presque 
uniquement  de  la  gloire  typographique  de  May  ence1 .  Grâce 
à  elle,  la  France  aurait  doté  cette  ville  d'une  statue  de 
Gutenberg  trente  ans  avant  l'époque  où  il  en  a  été  érigé 
une;  mais  la  chute  de  l'Empire  anéantit  ce  projet. 

On  me  pardonnera,  j'espère,  cette  longue  digression, 
qui  n'est  pas  sans  intérêt  pour  notre  sujet.  Je  vais  ache- 
ver ce  qui  me  reste  à  dire  de  Jean  Fust  et  de  sa  famille. 

Si  l'on  en  juge  par  le  temps  raisonnablement  néces- 
saire pour  que  Jean  Fust  ait  pu  marier  sa  petite-fille  en 
i  k6k,  c'est-à-dire  en  donnant  vingt  ans  à  cette  dernière, 
vingt-cinq  ans  d'âge  à  son  père  et  autant  à  son  grand-père 
à  l'époque  de  leur  mariage  respectif,  nous  arriverons 
à  fixer  la  date  de  la  naissance  de  Fust  vers   1  3g5  ;  il 

1  Cette  société,  composée  de  quarante  membres,  s'était  formée  sous  la 
présidence  du  préfet  du  département  du  Mont-Tonnerre ,  Jean-Bon  Saint- 
André,  et  avait  voté  à  son  origine  une  médaille  d'or  de  îAo  francs  pour 
l'éloge  de  Gutenberg.  De  plus,  elle  avait  décidé  l'érection  d'une  statue  à 
cet  illustre  Mayençais.  Celte  décision  avait  été  approuvée  par  le  gouver- 
nement français ,  et  annoncée  par  tous  les  journaux  de  Paris  et  du  reste 
de  la  France. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  V.        267 

aurait  donc  été  un  peu  plus  âgé  que  Gutenberg,  qui, 
en  effet,  mourut  un  an  après  lui.  Suivant  ce  calcul,  Fust 
se  serait  marié  vers  1  /i2  0.  De  sa  femme,  Marguerite,  il 
n'eut  qu'un  enfant,  Conrad,  qui  ne  paraît  pas  s'être  oc- 
cupé d'imprimerie  avant  la  mort  de  son  père ,  et  qui  ne 
s'en  mêla  ensuite,  autant  qu'il  est  permis  d'en  juger  par 
ce  que  nous  savons,  que  comme  héritier  de  l'atelier  ty- 
pographique de  ce  dernier.  Conrad  se  serait  marié  à  son 
tour  en  1445,  c'est-à-dire  peu  d'années  avant  l'associa- 
tion de  son  père  avec  Gutenberg.  J'ignore  le  nom  de  sa 
femme  ;  mais  il  est  certain  qu'il  eut  deux  enfants  :  Chris- 
tine ,  mariée  à  Pierre  Schoiffer,  et  Jean ,  qui  entra  dans 
les  ordres,  devint  chanoine,  puis  doyen  du  chapitre  de 
Saint-Etienne  de  Mayence ,  et  s'éleva  par  ses  qualités  à 
de  hautes  fonctions  ecclésiastiques.  Il  mourut  le  2  fé- 
vrier 1  5oi  1. 

Quant  à  Conrad,  il  vécut  au  moins  jusqu'en  1/176, 
car  c'est  de  lui  qu'il  est  question  dans  les  lettres  patentes 
de  Louis  XI,  de  îlijb,  sous  le  nom  de  Conrad  Hane- 
quis.  Ce  nom  ou  plutôt  ce  sobriquet,  très-commun  dans 
l'Allemagne,  lui  avait  sans  doute  été  donné,  dans  sa  jeu- 
nesse, comme  diminutif  du  prénom  de  son  père,  qui 
s'appelait  Jean ,  en  allemand  Hans,  Hannes,  Hennés,  etc. 
diminutif  lui-même  du  latin  Johannes.  De  ce  mot  on  a 
formé  une  foule  de  dérivés,  encore  en  usage  aujourd'hui, 
même  en  France 2,  de  formes  un  peu  différentes ,  il  est  vrai, 

1  Schaab,  Die  Geschichte,  etc.  t.  II,  p.  60. 

2  C'est  de  là  que  vient  le  nom  de  Hennequin,  si  commun  en  France, 


268  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

suivant  les  dialectes ,  mais  ayant  toutes  au  fond  le  même 
sens,  qui  répond  chez  nous  au  mot  de  Jeannot  ou  petit 
Jean.  C'est  ce  qui  explique  l'orthographe  diverse  du  sur- 
nom de  Conrad  dans  les  documents  qui  le  lui  donnent, 
de  préférence  à  son  nom  de  famille.  Ainsi  dans  l'acte  de 
fondation  de  l'anniversaire  de  Jean  Fust  son  père,  que 
nous  avons  transcrit  plus  haut,  Conrad  est  appelé  Hen- 
lif ,  peut-être  par  erreur  du  copiste ,  qui ,  dans  le  même 
document,  écrit  le  nom  de  Schoilfer,  Scofer.  Ailleurs, 
comme  nous  le  verrons,  il  est  appelé  Hanequis  et  He- 
nekes,  deux  formes  beaucoup  plus  régulières. 

particulièrement  du  côté  de  Metz.  (Voy.  Essai  philologique  sur  les  monu- 
ments de  la  typographie  àMetz  [par M.  Teissier] ,  grandin-8°,  Metz,  1828.) 
Le  nom  de  Jehannequin  lui-même  n'était  pas  rare  autrefois.  (Voy.  ci-des- 
sus, p.  70.) 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  VI.       269 
CHAPITRE  VI. 

PIERRE  SCHOIFFER  ET  CONRAD  FUST,  AUTREMENT  DIT  HANEQUIS. 

1467-1503. 

La  mort  de  Fustne  ralentit  pas  les  travaux  de  Schoiffer. 
Cette  mort  ne  changeait  rien,  en  effet,  à  l'état  des  choses; 
elle  vint  au  contraire  régulariser  la  position  fausse  de  ce 
dernier,  qui ,  devenu  maître  de  l'atelier  typographique , 
put  dès  lors  revendiquer  pour  lui  seul  le  mérite  de  ses 
travaux,  quitte  à  en  partager  les  profits  avec  son  beau- 
père  Conrad  Fust. 

Le  premier  ouvrage  important  qui  sortit  de  l'impri- 
merie de  Schoiffer  après  la  mort  de  Jean  Fust  fut  la 
Somme  de  saint  Thomas  d'Aquin,  autrement  dit  Seconda 
secondée1,  dont  la  souscription  porte  la  date  du  6  mars 

1  Les  bibliographes  attribuent  à  Schoiffer  une  édition  sans  date  de  la 
première  partie  de  la  Somme  de  saint  Thomas,  qu'ils  croient  de  Mayence, 
et  qu'ils  datent,  les  uns  de  1.467  (Van  Praet  ) ,  les  autres  de  1/170  (la 
Serna  Santander).  Une  étude  attentive  de  ce  livre,  qui  se  trouve  à  la  Bi- 
bliothèque nationale  de  Paris,  m'a  donné  la  certitude  qu'il  ne  sort  pas  des 
presses  de  Schoiffer.  Le  caractère ,  quoique  très-ressemblant  à  celui  de 
la  Bible  de  1^62,  en  diffère  cependant  par  quelques  points;  en  outre,  il 
est  d'un  corps  un  peu  moins  fort.  Voici,  du  reste,  la  description  de  ce 
curieux  livre.  Il  se  compose  de  2  52  feuillets  in-folio  à  deux  colonnes.  Le 
premier  tiers  du  volume  a  5o  lignes  à  la  colonne,  le  reste  n'en  a  que  A7. 
On  a  interligné  ces  dernières  pages,  afin  de  leur  donner  la  même  lon- 
gueur qu'aux  autres.  Le  livre  est,  comme  c'était  l'usage  alors,  divisé  en 
cahiers  de  5  feuilles;  il  est  terminé  par  la  souscription  suivante  :  «Expli- 


270  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

1/167.  Cet  ouvrage  forme  un  gros  volume  in-folio  de 
2  58  feuillets  ou  5 1 6  pages  à  deux  colonnes  de  59  lignes 
chacune,  en  caractère  du  Rationale;  il  est  divisé,  comme 
toujours,  par  cahiers  de  5  feuilles;  la  plupart  des  exem- 
plaires se  terminent  par  la  souscription  suivante ,  où  l'on 
retrouve  en  partie  les  termes  mystiques  du  fameux  Ca- 
tholicon  de  1 1\  60  : 

Hoc  opus  preclarum  Secunda  secunde,  aima  in  urbe  Moguntina 
inclite  nacionis  germanice ,  quam  Dei  clementia  tam  alti  ingenii 
lumine  donoque  gratuito  ceteris  terrarum  nacionibus  preferre 
illustrareque  dignatus  est ,  artificiosa  quadam  adinvencione  im- 
primendi  seu  caracterizandi  absque  ulla  calami  exaratione  sic  effi- 
giatum ,  et  ad  eusebiam  Dei  industrie  est  consummatum  per  Pe- 
trum  Scboiffber  de  Gernszbeim.  Anno  domini  m.  cccc.  lxvii.  die 
sexta  mensis  Marcii. 

Les  souscriptions  des  autres  exemplaires  présentent 
deux  variantes  que  signale  Van  Praet1. 

Nous  possédons  un  curieux  document  relatif  à  ce  livre, 
et  qui  prouve  que  Schoiffer  vint  lui-même  le  vendre  à 

«  cit  prima  pars  Summe  fratris  sancti  Thome  de  Aquino ,  ordinis  fratrum 
«  Predicatorum ,  magistri  in  theologia  eximii.  »  Cette  souscription  est  sui- 
vie, dans  l'exemplaire  de  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  de  la  note 
manuscrite  suivante  :  «  Hoc  volumen  prime  partis  beati  Thome  de  Aquino 
«  emptum  fuit  anno  Domini  m.  cccc.  octogesimo  primo ,  tricesima  mensis 
«  novembris,  precio  XL  s.  per  reverendum  in  Christo  patrem  fratrem  De- 
«siderium  Doneti,  priorem»  ( Celestinorum  de  Macoussiaco?).  Ainsi,  sui- 
vant cette  note,  le  volume,  qui  est  en  papier,  aurait  coûté  ko  écus,  en  1 48 1 , 
au  prieur  des  Célestins  de  Macoussy,  ce  qui  semble  constater  la  rareté  du 
livre  à  cette  époque. 
1   Catal.  (in- fol.)  p.  90. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  VI.       271 

Paris  en  1/168,  comme  Fusl  était  venu  y  vendre,  deux 
ans  avant,  les  Offices  de  Cicéron.  Ce  document  est  la 
quittance  donnée  par  Schoiffer,  le  20  juillet  1A68,  aux 
pensionnaires  du  collège  d'Autun  à  Paris,  de  la  somme 
de  1 5  écus  d'or  pour  le  prix  d'un  exemplaire  en  vélin , 
non  relié  [in  quaternis).  Nous  donnons  (sous  le  n°  5  )  le  fac- 
similé  de  ce  précieux  monument  de  l'écriture  de  Schoiffer, 
copié  sur  l'original ,  conservé  dans  l'armoire  de  fer  des 
Archives  générales  de  la  république1.  Le  signe  qu'on  voit 
au-dessous  de  l'acte  en  guise  de  signature  est  une  espèce 
de  monogramme  où  se  retrouvent  fondus  ensemble  les 
signes  qui  paraissent  sur  les  deux  écussons  de  Fust  et  de 
Schoiffer.  Il  convenait,  en  effet,  parfaitement  à  ce  der- 
nier de  réunir  en  un  même  chiffre  les  marques  artistiques 
qui  avaient  rendu  son  atelier  si  célèbre. 
Voici  le  texte  latin  de  cette  quittance  : 

Ego  Petrus  Gernsziehem ,  impressor  librorum  dyocesis  Magun- 
tinensis,  confiteor  vendidisse  venerabilibus  magistris  et  scolaribus 
bursariis  collegii  Eduensis  Parisius  fundati  quendam  librum  nun- 
cupatum  Summa  secunda  secunde  partis  sancti  Tbome ,  in  per- 
gameno ,  in  quaternis ,  non  illuminalam ,  incipiente  in  secundo 
folio   ut  Augustinus  dicit,  et  finiente  in  penultimo  folio  ante  la- 

1  S.  6346.  Les  rédacteurs  de  la  Bibliothèque  de  l'école  des  Chartes  (an- 
née 1849),  c[ui  ont  ^es  premiers  appelé  l'attention  sur  ce  monument, 
disent  à  tort  qu'il  fut  donné  quatre  mois  après  l'impression  du  livre.  La 
date  du  6  mars  1 467  que  porte  la  souscription  de  la  Somme  de  saint  Thomas 
se  rapporte  bien  à  l'année  1467 ,  et  non  à  l'année  1 468  nouveau  style,  car 
on  ne  suivait  pas  à  Mayence  l'usage  de  la  France.  Il  suffirait  pour  le  prou- 
ver de  citer  le  livre  des  Offices  de  Cicéron,  daté  du  mois  de  février  1466 ,  et 
donné  à  Louis  de  Lavernade  au  mois  de  juillet  de  la  même  année. 


272  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

bulam  mgressus  sed,  etc.  pro  pretio  quindecim  scutorum  auri ,  que 
vere  et  realiter  ab  eis  recepi;  et  de  predicta  summa  quindecim 
scutorum  auri  quito  ante  dictos  magistros  et  bursarios ,  et  predic- 
tum  librum  garentisare  promisi  et  promitto  adversus  quoscum- 
que.  Et  in  fidem  et  testimonium  premissorum  banc  presentem 
quitanciam  mea  propria  manu  Parisius  scripsi  et  subsignavi.  Anno 
Domini  millesimo  quadringentesimo  sexagesimo  octavo ,  die  vero 
vigesimo  mensis  Julii. 

(Ici  le  monogramme.) 

Schoiffer,  qui  avait  commencé  l'année  1  46 y  par  la  pu- 
blication de  la  Somme  de  saint  Thomas,  la  termina  par 
une  seconde  édition  des  Constitutions  de  Clément  V1, 
dont  il  avait  publié  la  première  en  1/160.  Je  n'ai  rien  à 
dire  de  cette  nouvelle  édition ,  qui  est  entièrement  con- 
forme à  la  première ,  sinon  qu'on  retrouve  dans  la  sous- 
cription les  mêmes  termes  que  dans  celle  de  la  Somme 
de  saint  Thomas ,  qu'il  adopta  dans  la  plupart  des  ou- 
vrages publiés  par  lui  à  cette  époque.  Voici  cette  sous- 
cription ,  dégagée  bien  entendu  des  abréviations  en  usage 
alors. 

Presens  Clementis  quinti  opus  Constitutionum  clarissimum, 
aima  in  urbe  Maguntina  inclite  nacionis  Gennanice,  quam  Dei 
clementia  tam  alti  ingenii  lumine  donoque  gratuito  ceteris  terra- 
rum  nacionibus  preferre  illustrareque  dignatus  est ,  artificiosa  qua- 
dam  adinventione  imprimendi  seu  caracterizandi  absque  ulla  ca- 
lami  exaratione  sic  effigiatum ,  et  ad  eusebiam  Dei  industrie  est 
consommatum  per  Petrum  Schoiffber  de  Gernszbeem,  anno  Do- 
minice  Incarnacionis  m.  cccc.  lxvii  ,  octava  die  mensis  Octobris. 

1  On  ne  connaît  jusqu'ici  qu'un  exemplaire  en  papier  de  ce  livre  (Bibl. 
Schwartz ,  part.  II,  p.  67)  ;  tous  les  autres  sont  en  vélin. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  Vf.       273 

Le  ilx  mai  1A68,  Schoiffer  donna  une  première  édi- 
tion des  Institutes  de  Justinien ,  sous  le  titre  de  Justiniani 
imperatoris  Instiiiitioiium  juris  libri  VI,  cum  cjlossa.  C'est 
un  volume  in-folio  de  100  feuillets  disposés  comme  les 
Clémentines,  c'est-à-dire  que  le  texte,  sur  deux  colonnes 
assez  exiguës  en  caractère  de  la  Bible  de  1  k6i ,  est  com- 
plètement enfermé  dans  des  notes  en  caractère  du  Ratio- 
nale.  L'intelligence  avec  laquelle  est  faite  la  mise  en  pages 
de  ces  livres ,  fort  à  la  mode  alors ,  est  admirable.  On  lit 
à  la  fin  du  volume  les  vers  suivants ,  relatifs  à  l'invention 
de  l'imprimerie ,  et  qui  trouvent  naturellement  leur  place 
ici.  Je  copie  exactement  l'orthographe  de  l'original  : 

Scema  tabernaculi  Moises ,  Salomon  quoque  templi , 

Haut  prêter  ingenuos  perficiunt  dedalos. 
Sic  decus  ecclesie  majus  :  major  Salomone 

.Jam  renovans  rénovât  Beselehel  et  Hyram. 
Hos  dédit  exiroios  sculpencli  in  arte  magistros , 

Cui  placet  en  mactos  arle  sagire  viros  ; 
Quos  genuit  ambos  urbs  Magunlina  Johannes, 

Librorum  insignes  protbocaragmaticos. 
Cum  quibus  optatum  Petrus  venit  ad  poliandrum, 

Cursu  posterior,  introeundo  prior  : 
Quippe  quibus  prestat  sculpendi  lege  sagitus 

A  solo  dante  lumen  et  ingenium. 
Natio  queque  suum  polerit  reperire  caragma, 

Secum  nempe  stilo  preminet  omnigeno. 
Credere  difficile  est  doctores  quam  preciosa 

Pendat  mercede  scripta  recorrigere. 
Ortbosinthelicum,  cujus  sinlagma  per  orbem 

Fidget ,  Franciscum  presto  magistrum  babet. 


274  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Me  quoque  devinxit1  illi  non  vile  tragema, 
Publica  secl  comoda  et  terrigenum  columen. 

Sic2  utinam  exscobere  falsis  molianlur  ydeam  , 
Qui  sintagma  regunt,  et  prothocaragma  legunt! 

Auréola  indubie  preniiaret  eos  logothece  ; 
Quippe  libris  cathedras  mille  suberudiunt. 

Voici  la  traduction,  aussi  littérale  que  possible,  de  cette 
poésie  barbare,  dans  laquelle  on  trouve  la  trace  de  l'in- 
vasion des  Grecs  en  Occident3,  après  la  prise  de  Cons- 
tantinople,  et  peut-être  aussi  quelque  réminiscence  de 
franc -maçonnerie,  venue  de  la  même  source. 

a  Moïse  par  le  plan  du  tabernacle,  Salomon  par  celui 
du  temple ,  n'ont  produit  que  des  ouvrages  ingénieux  ; 
l'Eglise  brille  d'un  éclat  plus  vif.  Plus  grande  que  Salo- 
mon, elle  a  renouvelé  et  renouvelle  Beselehel4  et  Hiram5. 
Celui  qui  se  plaît  à  développer  le  talent  hardi  nous  a 
donné  deux  grands  maîtres  dans  l'art  de  graver  du  nom 

1  Ce  mot  a  été  changé  en  conjunxit  dans  la  réimpression  que  SchoiHer 
fit  plus  tard  des  vers  de  son  correcteur  anonyme. 

2  Les  réimpressions  portent  0  au  lieu  de  Sic. 

3  II  est  à  remarquer  toutefois  que  les  mots  grecs  qui  se  trouvent  dans 
cette  édition,  au  lieu  d'être  imprimés  avec  des  caractères  grecs,  comme 
dans  les  Offices  de  Cicéron,  ont  été  imprimés  avec  des  caractères  romains , 
ou,  pour  mieux  dire,  gothiques,  et  fort  incorrectement  encore,  ce  qui  jure 
avec  les  prétentions  affichées  dans  la  pièce  de  vers  citée  plus  haut. 

4  Le  neveu  de  Moïse,  architecte  et  fondeur  de  toutes  sortes  de  métaux, 
employé  par  son  oncle  à  la  construction  et  à  l'ornement  du  Tabernacle. 

5  Roi  de  Tyr  qui  fournit  les  matériaux  à  David  pour  son  palais,  et  à  Sa- 
lomon pour  son  temple.  (Exod.  xxx,  2-5;  xxxv,  3o-33;  II  Reg.  v,  1 î; 
I  Parai,  xiv,  i;  III  Reg.  v,  8-io.) 


PREMIÈRE  PARTIE. —CHAPITRE  VI.       275 

de  Jean ,  tous  deux  natifs  de  Mayence ,  et  devenus  illustres 
par  la  première  impression  des  livres.  Pierre  marcha 
avec  eux  vers  le  but  désiré  :  parti  le  dernier,  il  arriva  le 
premier1,  rendu  supérieur  dans  l'art  de  graver  par  celui 
qui  donne  seul  la  lumière  et  le  génie.  Chaque  nation 
pourra  maintenant  se  procurer  son  caractère  propre,  car 
il  excelle  dans  la  gravure  de  tous  les  types.  On  a  peine 
à  croire  quel  haut  prix  il  donne  aux  savants  pour  corriger 
ses  éditions.  Il  a  près  de  lui  maître  François,  grammai- 
rien dont  la  science  méthodique  est  admirée  de  tout  le 
monde.  Je  lui  suis  aussi  attaché,  non  par  l'appât  d'un 
vil  gain,  mais  par  l'amour  du  bien  général  et  la  gloire  de 
ma  patrie.  Oh!  s'ils  parvenaient  à  purger  les  textes  de 
leurs  fautes  ceux  qui  règlent  l'arrangement  [des  carac- 
tères] (les  compositeurs)  et  ceux  qui  lisent  les  épreuves 
(les  correcteurs),  les  amis  des  lettres  les  gratineraient  in- 
dubitablement d'une  auréole,  eux  qui  viennent  en  aide 
par  leurs  livres  à  des  milliers  de  chaires  !  » 

Comment  s'appelait  l'auteur  de  ces  vers,  et  quelles 
fonctions  remplissait-il  dans  l'imprimerie  de  SchoifFer? 

1  H  y  a  ici  dans  le  texte  un  jeu  de  mots  faisant  allusion  au  passage  de 
l'Évangile  de  saint  Jean  (xx,  3-6)  où  il  est  dit  que  l'apôtre  chéri  de  Jésus, 
parti  après  Pierre  pour  aller  voir  le  tombeau  du  Christ,  arriva  cependant 
avant  lui  :  «Exiit  ergo  Petrus,  et  ille  alius  discipulus  (Johannes),  et  ve- 
«  nerunt  ad  monumentum.  Currebant  autem  duo  simul,  et  ille  alius  disci- 
«puius  pracucurrit  citius  Petro,  et  venit  primus  ad  monumentum  (po- 
«lyandrum).»  Ici,  au  contraire,  c'est  Pierre  qui  arrive  avant  Jean.  Voilà 
l'explication  fort  simple  de  ce  passage  qui  a  tant  intrigué  les  savants ,  et 
particulièrement  Schelhorn. 


276  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Nous  l'ignorons  complètement.  Nous  n'en  savons  guère 
plus  sur  maître  François,  ce  correcteur  si  célèbre  alors; 
car  nous  ne  connaissons  que  son  nom.  Quant  aux  deux 
Jean  natifs  de  Mayence,  ce  sont  Gutenberg  et  Fust; 
Pierre,  c'est  Schoiffer  lui-même,  qui  n'entra  que  plus 
tard  dans  la  carrière ,  comme  on  le  dit  ici ,  et  qui  alla 
plus  loin  que  ses  maîtres  :  ce  qui  n'est  pas  extraordinaire, 
puisqu'il  parlait  du  point  où  Gutenberg  n'était  arrivé 
qu'après  vingt  ans  de  travaux. 

Dans  cette  même  année  1  468 ,  Schoiffer  donna  un 
autre  ouvrage  daté ,  ce  fut  une  seconde  édition  de  la 
Grammatica  vêtus  rhithmica ,  mais  en  caractères  plus  gros 
que  ceux  qui  avaient  paru  dans  la  première ,  et  avec 
des  additions  marginales  fort  importantes,  qui  deman- 
dèrent de  la  part  de  l'ouvrier  beaucoup  de  travail  et  d'a- 
dresse, à  cause  des  parangonnages  qu'elles  nécessitaient. 
Le  texte  est  ici  en  caractère  de  la  Bible  de  1/162;  dans 
les  additions  on  trouve  le  caractère  du  Rationale  et  le 
petit  caractère  du  Psautier.  A  la  fin  de  cette  partie, 
on  lit  une  souscription  en  douze  vers,  dans  le  même 
style  que  celle  en  quatre  vers  qui  se  trouve  à  la  fin  de  la 
première  édition,  et  dans  laquelle  on  apprend  que  le 
livre  a  été  imprimé  à  Mayence  en  i/j68  (Tcrseno  sed  in 
anno  terdeni  Jubilei  :  l'an  3  fois  6  du  3oe  jubilé  de  5o 
ans).  A  la  suite  de  cette  partie  en  vers  déjà  imprimée, 
qui  forme  1 8  feuillets ,  s'en  trouve  une  autre  entièrement 
nouvelle ,  et  en  prose ,  de  2  y  feuillets  à  deux  colonnes , 
exécutée  avec  un  nouveau  caractère  de  la  force  de  celui 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  VI.       277 

du  Rationale  comme  corps,  mais  d'un  œil  plus  gros ,  et  j'a- 
jouterai plus  beau,  quoique  dans  le  même  style.  Schoif- 
fer  se  dispensa  même  d'en  graver  les  capitales ,  et  se  ser- 
vit de  celles  de  son  petit  caractère ,  qui  devaient  suffire , 
en  effet,  puisqu'elles  occupaient  tout  le  corps  de  la  lettre. 
Le  motif  de  cette  économie  doit  être  attribué  sans  doute 
au  désir  d'éviter  la  façon  d'un  nouveau  moule,  instru- 
ment fort  coûteux,  auquel  il  était  difficile  de  donner 
toujours  la  justesse  nécessaire1. 

Dès  ce  moment  Schoiffer  eut  trois  caractères  parfai- 
tement gradués,  avec  lesquels  il  pouvait,  en  les  mariant 
aux  trois  gothiques  qui  lui  venaient  de  Gutenberg ,  exé- 
cuter toute  sorte  de  travail. 

La  seconde  portion  du  livre  dont  nous  nous  occupons, 
imprimée  en  caractère  nouveau,  commence  ainsi  :  «Su- 
it perioribus  nuper  diebus  penitiora  quedam  grammatice 
«rudimenta,  etc.  » 

La  Sema  Santander  dit  qu'on  trouve  dans  ce  livre 
tous  les  caractères  dont  Fust  et  Schoiffer  ont  fait  usage  : 
c'est  une  erreur,  car  on  n'y  trouve  ni  le  caractère  de  la 
Bible  de  k  2  lignes ,  ni  le  gros  caractère  du  Psautier. 

On  ne  connaît  qu'un  seul  ouvrage  daté  de  Schoiffer  de 
l'année  1  469  ;  mais  on  en  possède  trois  de  1 A70.  Celui  de 
1  A 6 9  est  intitulé  :  S.  Thomœ  de  Aquino  Eocpositio  libri  quarti 
sententiaram.  C'est  un  grand  in-folio  imprimé  à  deux  co- 

1  «Le  mécanisme  en  est  même  encore  aujourd'hui  d'une  exécution 
difficile.»  Amb.  Firmin  Didot,  article  Typographie  (Encyclopédie  nouvelle, 
t.  XXVI,  col.  586,  note  3). 


278  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

lonncs  avec  le  petit  caractère  de  Schoiffer,  et  divisé  comme 
toujours  par  cahiers  de  cinq  feuilles.  La  souscription,  en 
caractère  de  la  Bible  de  1/462,  et  conforme,  quant  au 
texte ,  aux  souscriptions  des  Institales  et  des  Clémentines, 
nous  apprend  que  ce  livre  a  été  terminé  le  1  3  juin. 

Nous  avons  déjà  vu,  dans  le  chapitre  précédent1,  un 
document  fort  curieux  relatif  à  ce  livre,  et  qui  peut  nous 
donner  une  idée  du  temps  qu'on  mit  à  l'imprimer,  c'est 
l'acte  qui  constate  la  date  de  l'emprunt  fait  par  Conrad 
Fust,  au  chapitre  de  l'église  de  Saint-Pierre  de  Mayence, 
d'un  exemplaire  manuscrit.  On  voit  que  cet  emprunt  eut 
lieu  le  1  k  janvier  1&68.  Huit  jours  s'étaient  à  peine  écou- 
lés que  le  livre  était  rendu  aux  religieux,  qui  de  leur  côté 
restituèrent  le  gage  reçu  en  nantissement,  et  biffèrent  la 
mention  du  prêt  sur  leurs  registres.  Il  est  probable  qu'on 
se  servit  seulement  du  manuscrit  en  question  pour  colîa- 
tionner  la  copie  destinée  au  compositeur,  car  il  n'est  pas 
croyable  qu'on  eut  pu  en  si  peu  de  temps  faire  transcrire 
un  aussi  gros  volume.  C'était  beaucoup  que  de  le  lire  en 
huit  jours.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'impression  de  ce  livre  ne 
fut  terminée  que  dix-sept  mois  après,  et  on  n'en  sera  pas 
surpris  lorsqu'on  saura  qu'il  ne  forme  pas  moins  de  2  7  /j 
feuillets  ou  548  pages  in-folio  à  deux  colonnes,  de  60 
lignes  chacune,  en  petit  caractère  du  Bationale.  Bien  des 
imprimeurs  de  Paris  n'iraient  pas  plus  vite  aujourd'hui2. 

1  P.  260,  et  fac-similé  n°  4- 

2  H  y  a  loin  de  là  cependant  à  la  promptitude  que  M.  de  Laborde  sup- 
pose dans  l'impression  de  la  première  Bible,  qui  aurait  été,  suivant  lui, 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  VI.       279 

Quant  aux  trois  ouvrages  datés  de  1/170,  les  voici, 
sinon  dans  l'ordre  rigoureux  de  la  chronologie ,  qu'il  n'est 
pas  toujours  possible  de  suivre  avec  les  indications  incer- 
taines des  souscriptions,  du  moins  dans  l'ordre  probable. 

Le  premier  fut  une  seconde  édition  des  Décrétâtes  de 
Boniface  VIII.  Je  n'ai  rien  à  dire  de  ce  livre,  qui  est  ab- 
solument conforme  à  l'édition  de  1 465 ,  sauf  la  date,  qui 
est  ici  celle  du  1  7  avril  1/170. 

Le  second  est  une  édition  des  Epîtres  de  saint  Jérôme, 
en  deux  gros  volumes  grand  in-folio,  formant  Zio8  feuil- 
lets, divisés  comme  toujours  par  cahiers  de  cinq  feuilles, 
sauf  une  espèce  d'avant-propos  de  deux  feuilles  séparées, 
où  Schoiffer  fait  une  critique  sage  et  judicieuse  de  l'édi- 
tion donnée  deux  ans  avant  par  les  imprimeurs  de  Rome, 
avec  l'assistance  de  l'évêque  d'Aléria  x.  Chaque  page  a 
deux  colonnes  de  56  lignes  chacune;  les  rubriques  sont 
imprimées.  Tout  est  exécuté  avec  le  caractère  de  la  Bible 
de  1 462.  On  apprend  dans  la  souscription,  placée  à  la  fin 
du  second  volume ,  que  le  livre  a  été  achevé  le  7  sep- 
tembre. 

exécutée  en  six  mois,  quoique  beaucoup  plus  considérable  (voyez  Débuis 
de  l'imprimerie  à  Majence  et  à  Bamberg,  p.  2  3).  Il  est  vrai  qu'à  la  page  sui- 
vante M.  de  Laborde  suppose  que  Schoiffer,  qui  devait  être  devenu  plus 
habile,  a  mis  deux  ans  à  imprimer  la  Bible  de  1462  ,  qui  est  moins  volu- 
mineuse que  la  Bible  de  42  lignes  (ibid.  p.  24). 

1  «  L'on  croit  lire,  dit  Mercier,  abbé  de  Saint-Léger  (Supplément  à  l'his- 
toire de  l'imprimerie  de  Prosper  Marchand,  p.  i48),  non  pas  l'écrit  d'un 
imprimeur,  mais  une  discussion  raisonnée  d'un  éditeur  habile.  »  Mercier 
ignorait  que  Schoiffer  eût  fait  des  études  classiques ,  ce  que  nous  avons 
rapporté  au  précédent  chapitre. 


280  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Les  Epîtres  de  saint  Jérôme  présentent  une  particula- 
rité assez  singulière,  et  qui  a  porté  à  croire  qu'il  y  a  eu 
deux  éditions  de  ce  livre  en  îàio  :  plusieurs  parties  en 
sont  entièrement  différentes.  Il  est  du  moins  certain  qu'on 
a  réimprimé  l'introduction  du  premier  volume,  formant 
k  feuillets,  et  les  i  38  derniers  feuillets  du  deuxième  vo- 
lume. Je  ne  puis  deviner  le  motif  qui  a  porté  Schoiffer 
à  faire  cette  réimpression.  S'il  s'agissait  des  premières 
feuilles  du  livre ,  on  pourrait  croire  que  le  chiffre  du  ti- 
rage ayant  été  jugé  trop  restreint  pendant  l'impression ,  on 
l'avait  élevé  pour  les  dernières  feuilles ,  et  qu'ensuite  on 
avait  été  forcé  de  retirer  les  premières;  mais  ici  le  cas 
qui  se  présente  est  tout  différent,  et  ne  peut  s'expliquer 
que  par  une  erreur  de  calcul.  Peut-être  avait -on  fixé 
pour  le  tirage  de  ce  livre  un  chiffre  plus  élevé  que  d'ha- 
bitude, fixation  qui  aurait  été  suivie  pour  les  premières 
feuilles  et  oubliée  pour  les  dernières,  qu'on  aurait  ensuite 
été  forcé  de  réimprimer.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  fait  existe, 
et  je  le  signale  sans  avoir  la  prétention  de  l'éclaircir. 

Les  Epîtres  de  saint  Jérôme  présentent  encore  un  hors- 
d'œuvre  assez  étrange.  Le  verso  du  dernier  feuillet  du 
second  volume  est  entièrement  rempli  de  pièces  de  vers 
en  l'honneur  de  l'imprimerie,  et  parmi  elles  on  voit  pa- 
raître celle  qui  se  trouvait  déjà  à  la  suite  des  Institutes 
de  1/168,  avec  quelques  légères  variantes  seulement1. 

Nous  avons  cité  précédemment2  un  extrait  du  Nécro- 

1   Voyez  ci-dessus,  p.  274,  notes  1  et  2. 
-  P.  254. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  VI.        281 

loge  de  Saint- Victor  de  Paris  qui  prouve  que  Schoiffer 
crut  devoir  venir  placer  lui-même  son  livre  dans  cette 
ville.  On  voit,  en  effet,  qu'il  en  donna,  de  concert  avec 
Conrad  Fust,  autrement  dit  Hanequis,  appelé  par  cor- 
ruption Conrad  Henlif  dans  ce  document,  un  exemplaire 
à  l'abbé  de  Saint-Victor  pour  la  fondation  de  l'anniver- 
saire de  Jean  Fust,  qui  y  était  sans  doute  enterré.  Selon 
l'usage,  la  date  de  cette  fondation  n'est  pas  indiquée  dans 
le  volume;  mais  je  crois  qu'on  peut  sans  hésiter  la  rap- 
porter aux  premiers  mois  de  1  kl  1 . 

Le  troisième  ouvrage  publié  par  Schoiffer  en  1/170 
est  celui  qui  porte  le  titre  barbare  de  Mammotrectus ,  sive 
dictionarium  vocabuloram ,  etc.  Comme  l'indique  son  titre, 
c'est  un  dictionnaire  destiné  aux  ecclésiastiques  peu  éclai- 
rés. Ce  livre  est  de  Jean  Marcliesinus ,  qui  l'acheva  en 
1 466.  L'édition  de  Schoiffer  forme  un  volume  petit  in- 
folio à  deux  colonnes  en  caractère  du  Rationale.  La  sous- 
cription ,  imprimée  en  caractère  intermédiaire  de  Schoif- 
fer, que  j'appellerai  n°  2  ,  nous  apprend  que  l'impression 
ne  fut  terminée  que  le  jour  de  la  vigile  de  saint  Martin, 
c'est-à-dire  le  1  o  novembre ,  s'il  s'agit  du  célèbre  évêque 
de  Tours,  dont  la  fête  tombe  le  11.  Le  même  jour  il 
parut  dans  l'Argovie  une  autre  édition  de  ce  livre ,  dont 
nous  aurons  occasion  de  parler  plus  loin. 

L'année  1/171  n'est  pas  moins  chargée  que  la  précé- 
dente. On  connaît  trois  éditions  de  Schoiffer  portant  cette 
date  : 

in  Valerii  Maximi  De  dictis  factisque  meniorabilibus ,  etc. 


282  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Volume  petit  in-folio  à  longues  lignes,  caractère  de  la 
Bible  de  1/162;  198  feuillets  divisés  en  cahiers  de  cinq 
feuilles.  Les  sommaires  sont  imprimés  en  rouge.  La  sous- 
cription porte  que  ce  livre  a  été  terminé  le  1 8  des  ka- 
lendes  de  juillet,  c'est-à-dire  le  ik  juin.  A  la  suite  de  ce 
livre  se  trouve,  dans  un  exemplaire  seulement,  un  petit 
traité  de  Probus,  intitulé  Epitlwma  de  prénomme  apiul  Ro- 
manos1,  formant  12  feuillets  in-folio. 

20  Clementis  V  Constilutiones ,  troisième  édition  de  ce 
livre  faite  par  SchoiîFer.  Cette  dernière  diffère  des  précé- 
dentes en  ce  que  les  notes  ou  commentaires  sont  impri- 
més avec  le  caractère  n°  2.  Les  rubriques  sont  exécutées 
à  la  presse.  Les  appels  de  notes  sont  écrits  en  rouge  sur 
les  mots  dans  le  texte,  et  au  commencement  des  notes 
dans  les  commentaires.  La  table  des  rubriques,  qui  est 
imprimée ,  renvoie  à  des  folios  qui  n'existent  pas  dans  le 
livre,  et  qu'on  mettait  sans  doute  à  la  main.  Cette  table, 
du  reste,  n'est  pas  dans  tous  les  exemplaires.  La  sous- 
cription de  ce  livre ,  conforme  à  celle  de  l'édition  précé- 
dente ,  nous  apprend  qu'il  a  été  terminé  le  1 3  août. 

3°  S.  Tkomœ  deAquino  Prima  secundœ.  C'est  la  première 
et  la  seule  édition  de  ce  livre  faite  par  Schoiffer,  quoi 
qu'en  aient  dit  les  bibliographes,  qui  lui  attribuent  à 
tort  une  édition  sans  date ,  dont  les  caractères  sont,  il  est 
vrai,  fort  approchants  de  ceux  de  la  Bible  de  1/162,  mais 
en   diffèrent  cependant  en  quelques  points2.  L'édition 

1  Voyez  Van  Praet,  Vélins  de  la  Bibholh.  du  roi,  t.  IV,  p.  3i5. 

2  Voyez  la  description  de  ce  livre,  ci-dessus,  p.  269. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  VI.       283 

de  1 A  7 1  forme  un  gros  volume  in-folio  dont  le  sommaire 
de  la  première  page  est  imprimé.  L'ouvrage  est  à  deux 
colonnes ,  de  6 1  lignes  chacune,  en  caractère  n°  î .  La  sous- 
cription ,  en  caractère  n°  2 ,  nous  apprend  que  le  livre  a 
été  terminé  le  8  novembre. 

L'année  1/172  nous  fournit  également  trois  ouvrages 
datés  de  Schoiffer. 

Le  premier,  intitulé  Gratiani  Decretum,  seu  discordan- 
tium  canonum  concordiœ,  cum  glossis  Barilwlomei  Brixiensis 
et  Johannis  Theutonici,  forme  un  gros  volume  in-folio  de 
ki  2  feuillets1,  composé,  comme  les  Clémentines,  d'un 
texte  enfermé  de  tous  côtés  dans  des  notes  ou  commen- 
taires. Ce  texte  est  en  caractère  n°  3  de  Schoiffer,  les 
notes  en  caractère  n°  2 .  La  souscription  du  livre ,  d'une 
forme  toute  nouvelle,  nous  apprend  qu'il  a  été  terminé 
aux  ides  (c'est-à-dire  le  1 3)  d'août.  Voici  cette  souscrip- 
tion, imprimée  en  rouge,  comme  tous  les  sommaires, 
et  suivie  du  double  écusson  : 

Anno  Incarnalionis  Dominice  M.  cccc.  lxxii  ,  idibus  Augustiis, 
sanctissimo  in  Christo  pâtre  ac  domino  domino  Sixto  papa  quarto 
pontifice  maximo;  illustrissimo ,  nobilissime  domus  Austrie,  Fri- 
derico ,  Romanorum  rege  gloriosissimo ,  rerum  dominis  ;  nobili 
necnon  generoso  Adolpho  de  Nassau  archiepiscopatum  gerenle 
Maguntinensem ,  in  nobili  urbe  Moguncia ,  que  nostros  apud  ma- 
jores aurea  dicta,  quam  divina  eciam  clementia,  dono  gratuito, 
pre  ceteris  terrarum  nationibus  arte  impressoria  dignata  est  illus- 
trare,  hoc  presens  Gratiani  decretum,  suis  cum   rubricis,  non 

1  La  Bibliothèque  nationale  de  Paris  en  possède  un  magnifique  exem- 
plaire divisé  en  deux  tomes. 


284  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

atramenlali  penna,  cannave,  sed  arte  quadam  ingeniosa  impri- 
mendi,  cunclipolente  adspiranti  Deo,  Petrus  Schoiffer  de  Gern- 
szheym  suis  consignando  scutis  féliciter  consummavit. 

Le  second  ouvrage  publié  par  Schoiffer  en  1/172  fut 
une  Bible  en  deux  volumes,  conforme  en  tout  à  l'édition 
de  1462,  sauf  la  souscription,  qui  est  semblable  à  celle 
des  Décrétâtes  de  i/i65,  et  nous  apprend  que  l'impres- 
sion a  été  terminée  la  vigile  de  saint  Matthieu  apôtre  (le 
20  septembre)  1  k 7  2.  On  n'en  connaît  point  d'exemplaire 
sur  vélin ,  ce  qui  a  droit  de  surprendre ,  quand  on  songe 
au  grand  nombre  d'exemplaires  de  cette  dernière  espèce 
qu'on  possède  de  l'édition  de  1/162.  Sans  doute  que  déjà 
le  vélin  commençait  à  faire  défaut. 

Le  troisième  ouvrage  est  une  seconde  édition  des  Ins- 
titutes  de  Justinien  conforme  à  la  première,  celle  de  1  468 , 
sauf  la  date  d'impression,  qui  est  ici  du  29  octobre  «  mïlie- 
n'simo  (sic)  cccc  lxxii.  »  La  souscription  est  également 
suivie  des  vingt-quatre  vers  que  nous  avons  déjà  donnés 
page  273. 

L'année  1/170  nous  fournit  aussi  trois  éditions  datées  : 

i°  Une  troisième  édition  des  Décrétâtes  de  Boni- 
face  VIII,  conforme  aux  précédentes,  sauf  le  caractère 
des  commentaires ,  qui  est  ici  le  n°  2  au  lieu  du  n°  1 . 
Le  volume  se  compose  de  161  feuillets ,  y  compris  celui 
sur  lequel  se  trouve  la  souscription  ,  qui  est  détaché. 
Les  sommaires  sont  imprimés  ;  le  livre  est  divisé  comme 
toujours  en  cahiers  de  cinq  feuilles.  La  souscription  an- 
nonce qu'il  a  été  terminé  aux  nones  (le  5)  d'avril. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  VI.       285 

2°  Augustinus,  De  civitate  Dei  libri  xxn,  cum  commen- 
tariis  Tlwmœ  Valois  et  Nie.  Triveth,  un  volume  grand  in- 
folio à  deux  colonnes.  Le  texte  est  encadré  dans  les 
commentaires ,  comme  au  volume  précédent.  Les  carac- 
tères sont  ici  les  nos  1  et  3  de  Schoiffer.  La  souscription , 
emi  est  dans  le  genre  de  celle  du  Décret  de  Gratien  im- 
primé en  1/172,  nous  apprend  que  le  livre  a  été  ter- 
miné le  5  septembre. 

3°  GregoriilXNova  compillatio Decretalium ,  un  volume 
grand  in-folio;  sommaires  imprimés;  texte  en  caractère 
n°  3 ,  encadré  dans  des  commentaires  en  caractère  n°  2 . 
La  souscription ,  conçue  dans  les  mêmes  termes  cpie  celle 
du  Décret  de  Gratien  de  1/172,  nous  apprend  que  le 
livre  a  été  terminé  le  9  des  calendes  de  décembre  (23  no- 
vembre) 1/173.  A  la  fin  du  volume  se  trouvent  (sur  le 
verso  du  dernier  feuillet  dans  quelques  exemplaires,  et 
dans  d'autres  sur  un  feuillet  distinct)  plusieurs  pièces 
de  vers  en  l'honneur  de  la  typographie,  parmi  les- 
quelles figure  encore  celle  qui  termine  les  Institutes  de 
Justinien  de  1  468. 

L'année  1 A  7  A  ne  nous  fournit  que  deux  ouvrages  datés  : 

i°  Henrici  Herp  Spéculum  aureum  decem  preceptorum 
Dei,  un  volume  in-folio  de  Ao3  feuillets  ou  806  pages, 
à  deux  colonnes  de  A  9  lignes  chacune  ;  caractère  n°  1 .  La 
souscription,  conçue  dans  les  termes  ordinaires  et  im- 
primée en  caractère  n°  2  ,  nous  apprend  que  le  livre  a 
été  terminé  le  A  des  ides  (c'est-à-dire  le  10)  de  sep- 
tembre. 


286  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

2°  Turrecremata ,  Expositio  brevis  et  utilis  super  toto  psal- 
terio,  un  volume  petit  in-folio,  à  longues  lignes,  carac- 
tère n°  3  de  Schoiffer,  avec  des  capitales  d'une  forme  go- 
thique allemande  pour  marqner  les  versets.  Il  paraît  qu'on 
gravait  ces  capitales  à  mesure  qu'on  composait ,  et  qu'il  y 
en  avait  peu  d'abord ,  car  on  en  a  laissé  beaucoup  en  blanc 
dans  les  premières  pages.  Les  titres  ou  sommaires  sont 
en  caractère  n°  î  de  Gutenberg;  la  souscription,  très- 
simple,  nous  apprend  que  le  livre  a  été  terminé  le  3  des 
ides  (c'est-à-dire  le  1 1)  de  septembre,  le  lendemain  du 
jour  où  fut  achevé  l'ouvrage  de  Henri  Herp ,  cité  ci-dessus. 

L'année  1 1\  7  5  ne  nous  fournit  également  que  deux 
ouvrages  datés  : 

i°  Justiniani  Codex,  cum  glossis,  un  volume  grand  in- 
folio de  3a3  feuillets  ou  6h6  pages  à  deux  colonnes; 
le  texte ,  en  caractère  n°  3  ,  est  encadré  dans  les  com- 
mentaires en  caractère  n°  2.  L'ouvrage  a  été  terminé 
le  7  des  calendes  de  février  (c'est-à-dire  le  26  jan- 
vier) î  /ty5. 

20  Bemarcli  Serniones ,  un  volume  grand  in-folio,  de 
k  6  k  pages  à  deux  colonnes,  en  caractère  n°  3  de  Schoiffer. 
Les  sommaires  sont  imprimés.  La  souscription  nous  ap- 
prend que  le  livre  a  été  terminé  le  1  k  avril;  elle  est  suivie 
d'une  table  des  sermons.  Dans  l'exemplaire  de  la  Biblio- 
thèque nationale,  il  y  a  une  partie  supplémentaire  assez 
considérable  à  la  fin  du  volume. 

En  1/176,  nous  trouvons  quatre  éditions  datées  de 
Schoiffer  : 


PREMIÈRE  PARTIE. —  CHAPITRE  VI.       287 

i°  (9  janvier)  Bonifacii  VIII  Liber  sextus  Decretalium , 
quatrième  édition,  conforme  à  la  troisième  (1/173); 

i°  (10  mars)  Turrecremata,  Expositio  psalterii,  deuxième 
édition,  conforme  à  la  première  (1/17/1); 

3°  (  1  3  mai  [10  kal.  junii])  Justiniani  Institationes , 
troisième  édition,  conforme  à  la  deuxième  (1/172); 

l\°  (10  [k  là.]  septembre)  Clementis  V  Constituiiones , 
quatrième  édition,  conforme  à  la  troisième  (1/171). 

Je  ne  pousserai  pas  plus  loin  cette  description  des 
livres  de  Schoiffer,  qui,  au  point  où  nous  sommes  arri- 
vés, n'offrent  plus  un  grand  intérêt  pour  nous. 

Depuis  un  certain  nombre  d'années,  beaucoup  d'im- 
primeries s'étaient  élevées  dans  les  principales  villes  de 
l'Europe.  Schoiffer  redoubla  d'activité  pour  lutter  contre- 
la  concurrence  redoutable  que  lui  faisaient  ses  nouveaux 
confrères.  Il  se  mit  à  la  hauteur  des  circonstances  en  éten- 
dant son  commerce  de  livres.  Ne  se  contentant  pas  de 
vendre  ceux  qu'il  fabriquait,  il  se  lit  le  commission- 
naire général ,  pour  la  France ,  de  ceux  qui  se  publiaient 
en  Allemagne  :  c'est  ce  que  démontre  un  ouvrage  de 
Duns  Scoti,  qui  se  trouve  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal, 
à  Paris,  et  qu'on  croit  avoir  été  imprimé  par  Koburger, 
à  Nuremberg,  vers  1  k 7 k.  Ce  livre ,  qui  forme  un  volume 
in-folio ,  est  accompagné ,  en  guise  de  souscription ,  d'une 
quittance  de  Pierre  Schoiffer,  de  laquelle  nous  apprenons 
que  l'ouvrage  a  été  vendu  par  ce  dernier  à  Jean  Henri , 
chantre  de  l'église  de  Paris1,  moyennant  trois  écus  d'or. 

1   Voyez  le  fac-similé  n°  7  des  documents.  M.  Schaab  (Die  Gesch.  etc. 


288  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Cette  circonstance  força  Schoiffer  à  agrandir  son  éta- 
blissement *  de  Mayence ,  et  à  avoir  des  facteurs  pour  le 
placement  de  ses  livres  dans  les  grands  centres  intellec- 
tuels. Il  établit  particulièrement  un  de  ces  facteurs  à 
Paris,  où  il  ne  pouvait  se  rendre  aussi  souvent  qu'il  l'au- 
rait voulu  sans  doute. 

La  personne  que  Schoiffer  choisit  pour  le  représen- 
ter en  France  pendant  ses  absences  fut  ce  même  Her- 
mann  ou  mieux  Hermann  de  Stathoen ,  son  compatriote 
(car  il  était  du  diocèse  de  Munster),  que  nous  avons 
vu  figurer  précédemment  comme  facteur  de  Guymier, 
libraire  juré  de  l'Université  de  Paris.  Hermann,  qui  avait 
reçu  en  dépôt  un  nombre  assez  considérable  de  livres 
de  l'imprimeur  de  Mayence,  mourut  vers  l'année  1/17/1, 
sans  avoir  de  lettres  de  naturalisation.  Les  commis- 
saires du  roi ,  en  vertu  du  droit  d'aubaine  ,  saisirent 
tous  les  livres  qui  se  trouvaient  chez  Hermann  au  mo- 
ment de  sa  mort.  La  plupart  furent  divertis  ou  vendus , 
parce  que  Conrad  Fust  (autrement  dit  Hanequis)  et 
Pierre  Schoiffer,  auxquels  ils  appartenaient,  ne  purent 
les  réclamer  en  temps  opportun.  Mais,  sur  les  plaintes 
de  ces  derniers,  Louis  Xï  ordonna,  par  un  acte  très- 
connu  et  qu'on  trouvera  plus  loin ,  de  leur  rembourser 

t.  I,  p.  12 1) ,  n'ayant  connu  cet  acte  que  par  la  copie  informe  qu'en  avait 
donnée  le  rédacteur  du  Catalogue  Lavallière ,  a  lu  à  tort  Pisieiisis  pour 
Parisiensis. 

1  Le  jour  de  saint  Laurent  1476 ,  Schoiffer  acheta  la  maison  zum  Korb 
pour  la  réunir  à  son  établissement  (Schaab,  Die  Geschichte ,  etc.  t.  Il, 
p.  70,  et  Wurdtwein ,  Bibl.  Mocj.  doc.  n°  19). 


PREMIÈRE  PARTIE  —CHAPITRE  VI.       289 

une  somme  de  i,lii5  écus,  à  laquelle  ils  avaient  estimé 
la  valeur  de  leurs  livres  l. 

Le  lundi  après  le  dimanche  Jubilate,  c'est-à-dire  le 
28  avril  1  A772,  Schoiffer  s'engagea ,  pour  lui  et  sa  femme 
Dyna  (ce  nom  est  le  diminutif  de  celui  de  Christina), 
par-devant  Jean  de  Sorgenloch,  dit  Gensfleisch,  juge 
laïque  de  Mayence ,  à  vendre  dans  sa  librairie  deux  cents 
exemplaires  (  cent  quatre-vingts  en  papier  et  vingt  en  vé- 
lin) des  Décrétâtes  imprimées  par  lui  dans  l'année  pré- 
cédente3, et  appartenant  à  son  beau-frère  Jean  Fust, 
qui  en  percevrait  le  prix.  Cette  convention  éprouva  sans 
doute  quelque  difficulté ,  car  elle  ne  fut  publiée ,  c'est-à- 
dire  définitive ,  que  le  7  juin  (feria  secundo,  proxima  post 
dominicain  Trinitatis)  1/179. 

J'ignore  à  quel  titre  Jean  possédait  ces  deux  cents 
exemplaires  des  Décrétâtes.  Peut-être  était-ce  comme 
héritier  de  Conrad  Fust,  son  père,  qui  serait  mort  vers 
cette  époque,  c'est-à-dire  entre  le  9  janvier  1/176,  date 

1  Pour  tous  ces  détails,  voyez  l'article  de  Paris,  dans  la  seconde  partie 
de  ce  livre. 

2  Kôbler,  Ehrenrettung  Gutenberg's,  p.  99;  Wetter,  Kritische  Gesch.  etc. 
p.  5o/i.  M.  Scbaab  cite  quatre  fois  cet  acte  d'après  Kôhler,  et  lui  assigne 
autant  de  dates  différentes,  dont  aucune  n'est  bonne  [Die  Geschichte,  etc. 
t.  I,  p.  120- 12  1;  t.  II,  p.  60-6 1 ,  70,  483);  de  plus,  il  donne  à  Scboiffer 
tantôt  le  prénom  de  Pierre,  tantôt  celui  de  Jean. 

3  M.  Scbaab  dit  que  les  Décrétales  en  question  étaient  de  l'édition  de  1^3, 
ce  que  l'acte  n'indique  pas.  Il  me  paraît  beaucoup  plus  probable  qu'il  s'a- 
gissait de  l'édition  de  1476,  récemment  acbevée.  En  effet,  pourquoi  aurait- 
on  fait  alors  une  autre  édition  de  ce  livre ,  s'il  en  fût  resté  encore  deux 
cents  exemplaires  au  moins  à  vendre? 

'9 


290  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

de  la  publication  des  Décrétâtes  dont  Jean  eut  sa  part, 
et  le  10  mars  de  la  même  année ,  où  fut  publiée  la  se- 
conde édition  schoifférienne  de  l'ouvrage  du  cardinal  de 
Torquemada,  intitulé  Expositio  psalterii,  à  partir  de  la- 
quelle Schoiffer  fut  seul  propriétaire  de  l'imprimerie  *. 
Toutefois,  nous  voyons  encore  figurer  Conrad  Fust  sous 
le  nom  de  Henékes  dans  un  procès  pendant  en  1  48o 
entre  Pierre  Schoiffer  et  la  veuve  de  Hans  Bitz ,  un  de 
ses  facteurs  de  librairie  établi  à  Lubeck,  qui  était  mort 
sans  lui  rembourser  le  prix  des  livres  dont  il  avait  été 
chargé  d'opérer  la  vente.  L'électeur  Diether  delsemburg, 
qui  était  remonté  sur  son  siège  archiépiscopal  après  la 
mort  d'Adolphe  de  Nassau ,  délivra  pour  cette  affaire  un 
rescrit  au  magistrat  de  Francfort ,  qui  l'adressa ,  avec  une 
lettre  d'envoi,  au  conseil  de  Lubeck.  Ce  conseil  fit  com- 
paraître la  veuve  de  Bitz  et  le  tuteur  de  ses  enfants,  et 
donna  acte  de  cette  citation  dans  une  réponse  au  magistrat 
de  Francfort.  La  citation  de  la  veuve  de  Bitz  et  celle  du 
tuteur  sont  datées  de  la  Saint-Barnabe  (1  1  juin)  i  Zi8o.  On 
lit  sur  ces  pièces,  qui  sont  conservées  à  Francfort,  un  titre 
allemand  dont  voici  la  traduction  :  «  Plainte  de  Conrad 
Henekes  et  Pierre  Schelfer,  imprimeurs  à  Mayence2.  » 
Du  reste,  la  mention  de   Conrad  sur  ces  actes  ne 

1  Faut-il  admettre,  au  contraire,  que  Jean  Fust,  associé  jusque-là  aux 
bénéfices  de  l'imprimerie,  avec  sa  sœur  Christine  et  son  père  Conrad,  ju- 
geant la  chose  incompatible  avec  sa  qualité  et  son  rang  dans  la  hiérarchie 
ecclésiastique ,  crut  devoir  prendre  avec  sa  famille  certains  arrangements , 
à  la  suite  desquels  il  resta  propriétaire  des  livres  en  question  ? 

2  J'emprunte   ce   renseignement  à  M.  Schaab  (  Die   Geschichte,  etc. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  VI.       291 

prouve  pas  absolument  son  existence  à  cette  époque.  Il 
se  pourrait  que  Bitz  fût  mort  avant  1/176,  et  que  les 
poursuites ,  commencées  aussitôt  contre  ses  héritiers  par 
les  deux  associés,  se  soient  prolongées  jusqu'en  1/180, 
aux  mêmes  noms.  L'acte  de  1/180  entendu  ainsi,  celui 
de  1A77  devient  parfaitement  clair. 

En  tout  cas ,  l'existence  de  Conrad  ne  se  prolongea 
guère  au  delà  de  1  A80 ,  car  son  nom  ne  paraît  plus  nulle 
part  après  cette  époque. 

De  son  côté,  Schoiffer,  qui  vieillissait,  avait  alors  perdu 
beaucoup  de  son  activité.  A  partir  de  1/180,  son  impri- 
merie, qui  s'était  maintenue  assez  active  jusque-là,  com- 
mença à  décliner,  et  bien  loin  de  donner,  comme  en 
1/176,  quatre  éditions  par  an,  il  n'en  donna  pas  tou- 
jours une.  Cependant  on  le  voit  s'occuper  encore  avec 
assiduité  de  ses  affaires  jusqu'en  1/189. 

Dès  l'année  1/179  (le  6  septembre),  il  s'était  fait  re- 
cevoir bourgeois  de  Francfort-sur-le-Main,  où  l'appe- 
lait souvent  son  commerce.  Il  paya  pour  cela  1  o  livres 
h  schellings  \  et  prêta  serment  en  cette  qualité2.  Le  2  1  juil- 
let i/i 8 5  (vicjilia  sanctœ  Mariœ  Magdalenœ) ,  il  écrivait  de 

t.  I,  p.  5 19),  mais  je  dois  dire  que  j'ai  fait  de  vaines  recherches  pour  voir 
auRômer  ou  ailleurs,  à  Francfort,  les  pièces  citées  ici;  MM.  Hertzog,  Ec- 
chard  et  Kloss ,  ayant  cherché  pour  moi ,  n'ont  rien  pu  trouver  non  plus. 

1  C'est  la  somme  qu'avait  payée  vingt  ans  auparavant  ie  briefdrucJter 
Jean  de  Petersheim.  (Voyez  la  deuxième  partie  de  ce  livre,  à  l'article  de 
Mayence,  p.  18.) 

2  Schaab,  Die  Geschichte ,  etc.  t.  II,  p.  70  et  484,  d'après  l'original 
(  Bùrgerbucli)  existant  aux  archives  de  Francfort. 

»9- 


292  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

la  même  ville  à  Jean  Gensfleisch ,  juge  laïque  de  Mayence, 
pour  lui  réclamer  le  payement  d'une  créance  déjà  an- 
cienne, payement  dont  il  avait  besoin  pour  ses  affaires1. 

Le  titre  de  collègue  que  Schoiffer  donne  amicalement 
à  ce  Gensfleisch  dans  sa  lettre  nous  ferait  croire  qu'il  était 
déjà  juge  lui-même.  En  tout  cas,  on  a  la  preuve  qu'il  le 
devint  en  1 48o,2,  car  il  existe  des  actes  judiciaires  scellés 
par  lui  cette  même  année  d'un  sceau  où  on  lit  :  Sig. 
Pétri  Schoeffer,  jud.  sec.  judic  Mogunt.  (Sceau  de  Pierre 
Schoeffer,  juge  séculier  de  la  justice  de  Mayence.) 

Cette  circonstance  explique  sans  doute  le  déclin  qu'é- 
prouva alors  l'imprimerie  de  Schoiffer.  Absorbé  par  ses 
fonctions  de  magistrat,  il  ne  pouvait  plus  lutter  avec 
avantage  contre  la  concurrence  de  plus  en  plus  active  que 
lui  faisaient,  non-seulement  les  imprimeurs  du  dehors, 
mais  encore  ceux  qui  s'étaient  établis  à  Mayence  même. 
D'ailleurs  son  âge  (il  avait  au  moins  soixante  ans  en  1/190) 
ne  lui  permettait  pas  de  suivre  avec  assez  de  rapidité  les 
modifications  qu'éprouvaient  les  procédés  d'exécution.  La 
nécessité  d'admettre  dans  les  ateliers  typographiques ,  vu 
leur  multiplication ,  des  ouvriers  d'une  intelligence  et  d'une 
instruction  secondaires ,  forçait  à  matérialiser  l'œuvre.  G'est 
alors  qu'on  voit  se  généraliser  l'usage  des  signatures ,  des 
réclames,  des  folios,  destinés  à  simplifier  la  besogne  de  l'im- 
primeur et  du  relieur,  mais  qui  n'avaient  longtemps  été 

1  Fischer,  Essai,  etc.  p.  45;  Wetter,  Kritische  Geschichte,  etc.  p.  424. 
C'est  la  lettre  dont  il  a  été  question  précédemment,  p.  202. 

2  Gudenus,  Cod.  dipl.  t.  II,  p.  492. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  VI.       293 

employés  que  par  quelques  artistes.  Schoiffer,  jadis  no- 
vateur, mais  aujourd'hui  devancé  par  ses  confrères,  fut 
un  des  derniers  à  adopter  ces  signes  typographiques ,  qui 
caractérisent  une  nouvelle  période  de  l'art.  A  la  fin  ce- 
pendant il  fut  obligé  de  suivre  le  courant,  ou  du  moins 
de  laisser  à  ses  ouvriers  la  liberté  de  le  suivre.  Il  est  un 
point,  toutefois,  sur  lequel  il  ne  céda  pas.  Partout  la 
forme  des  caractères  fut  changée  :  mais  Schoiffer  n'aban- 
donna jamais  ceux  qui  avaient  fait  sa  gloire.  Soit  entête- 
ment de  vieillard ,  soit  reconnaissance  ou  affaire  de  goût, 
il  continua  à  imprimer  avec  ses  vieux  caractères  go- 
thiques ,  tandis  que  beaucoup  de  ses  confrères ,  même  en 
Allemagne ,  avaient  adopté  les  caractères  romains ,  dont 
la  forme  nette  et  précise  devait  l'emporter  un  jour  chez 
tous  les  peuples  libres  de  préjugés.  Aussi  le  déclin  de 
son  atelier  devint-il  de  plus  en  plus  sensible.  Durant  les 
douze  ans  qui  se  sont  écoulés  de  1/190  à  i5o2,  on  ne 
connaît  que  six  ouvrages  de  lui  :  c'est  deux  ans  pour  un 
volume.  Le  dernier  fut  une  édition  du  Psautier,  datée 
du  20  décembre  1  5o2.  C'est  par  cette  quatrième  édition 
qu'il  finit  sa  carrière  typographique  ,  comme  il  l'avait 
commencée ,  près  d'un  demi-siècle  avant ,  par  la  première 
et  célèbre  édition  de  1  h 5 7. 

Pierre  Schoiffer  est  probablement  mort  dans  les  pre- 
miers mois  de  1 5o3 ,  car  son  fils  Jean  publia  cette  année 
même,  la  vigile  des  Rameaux (8  avril),  le  Mercurius  Tris- 
metjistm,  qu'il  déclare  dans  la  souscription  être  son  pre- 
mier livre. 


294  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

On  ignore  non-seulement  le  jour  où  mourut  Pierre 
Schoiffer,  mais  encore  le  lieu  où  il  fut  enterré.  Sa  femme 
Christine,  qui  l'avait  épousé  fort  jeune,  car  il  est  pro- 
bable que  ce  fut  son  âge  seul  qui  retarda  le  mariage 
jusqu'en  i/i65,  se  remaria  et  lui  survécut  plusieurs  an- 
nées :  c'est  du  moins  ce  qui  me  semble  résulter  d'une 
inscription  tumulaire  en  allemand  publiée  par  M.  Schaab 1, 
et  qui  est  datée  de  l'année  1619.  Quant  à  son  fds  Jean, 
qui  devait  probablement  ce  prénom  à  son  bisaïeul ,  du 
vivant  duquel  il  vint  au  monde,  il  exerça  la  profession 
d'imprimeur  une  trentaine  d'années  après  son  père.  Il 
employa  parfois  le  double  écusson  de  Fust  et  Schoiffer; 
mais  il  se  servit  aussi  de  dessins  particuliers  :  ainsi  je  vois 
sur  un  livre  imprimé  par  lui  en  1  5  2 1\ ,  et  intitulé  Qua- 
tuor Evangeliorum  consonantia ,  une  gravure  représen- 
tant un  berger  qui  garde  des  moutons,  par  allusion  à  son 
nom  de  famille,  qui  veut  dire  berger2;  près  de  là  on 
aperçoit,  pendues  à  un  arbre,  ses  initiales  entrelacées,  et 
au-dessous  un  autre  écusson ,  où  paraît  un  simple  chevron 
accompagné  de  deux  étoiles  en  chef  et  d'une  quinte- 
feuille  en  pointe.  C'est,  sauf  la  quintefeuille ,  qui  rem- 
place une  étoile,  celui  des  deux  écussons  employés  par 

1  Die  Geschichte,  etc.  t.  II,  p.  62. 

2  Marchand  [Histoire  de  l'imprimerie,  1. 1,  p.  49)  a  imprimé  une  marque 
analogue,  qui  est,  je  crois,  non  pas  de  Jean,  comme  il  le  dit,  mais  de 
Ives  Schoiffer.  Le  sujet  représente  également  un  berger, au-dessus  duquel 
est  le  chevron  paternel ,  et  au-dessus  encore  sont  les  lettres  I.  S.  On  trou- 
vera dans  le  premier  volume  de  l'ouvrage  de  M.  Schaab  une  liste  de  livres 
publiés  tant  par  Jean  que  par  Ives,  son  successeur. 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  VI.       295 

son  père,  et  qui  lui  était  propre,  l'autre  appartenant  à  la 
famille  Fust1. 

Avant  de  clore  ce  chapitre,  qui  termine  la  première 
partie  de  mon  livre,  je  dois  réfuter  l'assertion  de  quelques 
auteurs,  qui,  se  fondant  sur  des  récits  inexacts,  ont  pré- 
tendu attribuer  à  Schoiffer  seul  l'honneur  de  l'invention 
des  caractères  mobiles  de  métal  fondu.  C'est  dans  un  récit 
de  Trithème  et  dans  une  souscription  de  Jean  Schoiffer, 
qu'on  a  puisé  cette  opinion  ;  je  vais  les  discuter  l'un  et 
l'autre.  Je  commencerai  par  la  narration  de  Trithème , 
qui  est  la  plus  importante,  et,  pour  le  faire  avec  plus  de 
fruit,  je  donnerai  d'abord  le  texte  latin  fidèlement  copié 
sur  l'édition  originale  de  la  Chronique  d'Hirscliau,  impri- 
mée seulement,  comme  on  sait,  dans  le  cloître  de  Saint- 
Gall,  en  1 690 ,  quoiqu'elle  ait  été  rédigée  avant  1  5 1  !\  -  : 

His  temporibus ,  in  civilate  Moguntina  Germanise ,  prope  Rhe- 
num ,  et  non  in  Italia,  ut  quidam  falso  scripserunt ,  inventa  et  exco 
gitata  est  ars  iila  mirabilis  et  prius  inaudita  imprimendi  et  charac- 
terizandi  libros  per  Joannem  Guttenberger,  civem  Moguntinum , 
qui  cum  omnem  pêne  substantiam  suam  pro  inventione  bujus  artis 
exposuisset,  et  nimia  diflicultate  laborans,  jam  in  isto,  jam  in  alio 
deficeret ,  jamque  prope  esset  ut  desperatus  negolium  intermil 
teret,  consilio  tandem  et  impensis  Joannis  Fust,  aeque  civis  Mo- 
guntini,  rem  perfecit  incœptam.  In  primis  igitur  cbaracteribus 

1  Ives  Schoiffer  se  servait  d'une  vignette  tout  à  fait  semblable  à  celle  de 
Jean  son  père.  (Voyez-en  la  représentation  dans  l'ouvrage  de  Roth-Schoitzius 
intitulé  Insigna  bibliopolarum  et  tjpographorum ,  in-foi.  n°  1 1.) 

2  Annales  Hirsaugienscs ,  deux  vol.  in-fol.  1690.  (Voyez  sous  l'an  i45o, 
t.  II,   p.  42  1.) 


296  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

litterarum  in  tabulis  ligneis  per  ordinem  scriptis,  formisque  corn- 
positis,  vocabularium  Calholicon  nuncupatum  impresserunt ;  sed 
cum  iisdem  formis  nihil  aliud  potuerunt  impnmere,  eo  quod 
characteres  non  fuerunt  amovibiles  de  tabulis,  sed  insculpti,  sicut 
dLximus.  Post  haec  inventis  successerunt  subliliora,  invenerunt- 
que  modum  fundendi  formas  omnium  lalini  alpbabeti  litterarum , 
quas  ipsi  matrices  nominabant  ;  ex  quibus  rursum  aeneos  sive 
stanneos  cbaracteres  fundebant ,  ad  omnem  pressuram  sufficientes, 
quos  prius  manibus  sculpebant.  Et  rêvera  sicuti  ante  3o  ferme 
annos  ex  ore  Pétri  Opilionis  de  Gernsbeim,  civis  Moguntini,  qui 
gêner  erat  primi  artis  inventons,  audivi,  magnam  à  primo  in- 
ventionis  suse  baec  ars  impressoria  habuit  difficultatem.  Impi^essuri 
namque  Bibliam ,  priusquam  tertium  complessent  in  opère  qua- 
ternionem ,  plus  quam  4ooo  florenorum  exposuerunt.  Petrus  au- 
tem  memoratus  Opilio ,  tune  famulus ,  postea  gêner,  sicut  diximus , 
inventons  primi ,  Joannis  Fust ,  bomo  ingeniosus  et  prudens ,  fa- 
ciliorem  modum  fundendi  cbaracteres  excogitavit,  et  artem,  ut 
nunc  est,  complevit.  Et  hi  très  imprimendi  modum  aliquandiu 
tenuerunt  occuitum,  quousque  per  famulos,  sine  quorum  minis- 
terio  artem  ipsam  exercere  non  poterant,  divulgatus  fuit,  in  Ar- 
gentinenses  primo,  et  paulatim  in  omnes  nationes. 

Voici  maintenant  la  traduction  : 

§  iei.  «Ce  fut  à  cette  époque  (i/t5o),  dans  Mayence, 
«  ville  de  Germanie ,  sur  le  Rhin ,  et  non  en  Italie ,  comme 
«quelques-uns  l'ont  écrit  faussement,  que  fut  imaginé 
«  et  inventé  cet  art  admirable ,  et  jusqu'alors  inouï,  d'im- 
«  primer  les  livres  au  moyen  de  caractères,  par  Jean 
«  Gutenberg ,  citoyen  mayençais.  » 

Tri  thème  semble  avoir  copié  ici  la  Chronique  de  Co- 
logne, dont  nous  avons  donné  précédemment  la  tra- 
duction. Comme  l'auteur  de  ce  livre,  il  réfute  ceux  qui 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  VI.       297 

prétendaient  attribuer  à  l'Italie  l'honneur  de  la  décou- 
verte; mais  il  ne  dit  rien  des  travaux  des  Hollandais, 
auxquels  il  semble  pourtant  faire  allusion  dans  un  pas- 
sage de  sa  Chronique  de  Spanheim  écrite  vers  1 5 06  1, 

§  2.  «Après  avoir  compromis  jusqu'à  son  existence 
«  pour  la  recherche  de  cet  art ,  et  lorsque ,  travaillé  par 
((  la  nécessité ,  il  faillissait  de  tous  côtés ,  et  était  sur  le 
«  point,  dans  son  désespoir,  d'interrompre  son  entreprise , 
«  Gutenberg  trouva  enfin  dans  les  conseils  et  les  avances 
«  en  argent  de  Jean  Fust,  également  citoyen  de  Mayence, 
«  les  moyens  de  mener  à  fin  son  œuvre  commencée.  » 

Il  n'y  a  rien  à  dire  sur  ce  paragraphe. 

§  3.  «Ils  imprimèrent  d'abord  au  moyen  de  carac- 
«  tères  gravés  l'un  après  l'autre  sur  des  tablettes  de  bois , 
«  et  dont  les  figures  étaient  artistement  faites,  le  vocabu- 
«  laire  appelé  Catholicon;  mais  ils  ne  purent  imprimer  rien 
«autre  chose  avec  ces  caractères2,  parce  qu'ils  ne  pou- 
ce vaient  être  séparés  des  tablettes,  y  étant  gravés,  comme 
«  nous  l'avons  dit.  » 

Ici  Trithème  mêle  à  des  notions  positives  de  vagues 

1  «His  quoque  temporibus  (i£5o),  ars  imprimendi  et  characterizandi 
«  iibros  a  novo  reperta  est  in  civitate  Moguntina ,  per  quemdam  civem  qui 
«  Joannes  Gutenberg  dicebatur  ;  qui  cum  omnem  substantiam  propter  ni- 
«  miam  difficultatem  inventionis  nova?  in  eam  perficiendam  exposuisset , 
«  consiiio  et  auxilio  bonorum  virorum  Jobannis  Fust  et  aborum  adjutus  , 
«  rem  incœptam  perlicit.  Primus  autem  bujus  artis  dilatator  fuit,  post 
«  ipsum  inventorem ,  Petrus  Opiiionis  de  Gernsbeim ,  qui  multa  volumina 
«suotempore  impressit.  »  (Chron.  Sponlieim.  Francfort,  1601,  in -foi. 
p.  366.) 

2  Mot  à  mot,  «  avec  ces  figures  (formis),  parce  que  les  caractères. ...» 


298  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

renseignements  sur  l'origine  de  l'art.  Ce  n'est  pas  pour 
imprimer  des  planches  xylographiques ,  procédé  connu 
depuis  plus  d'un  demi-siècle ,  que  Gutenberg  aurait  com- 
promis jusqu'à  son  existence.  Cette  partie  du  récit  de 
Trithème  est  non-seulement  improbable  ,  mais  encore 
formellement  contredite  par  les  termes  de  l'acte  d'asso- 
ciation de  Gutenberg  et  de  Fust,  dont  nous  avons  donné 
une  traduction.  Trithème  cite,  il  est  vrai,  un  livre  qui 
aurait  été  exécuté  de  cette  manière  -,  mais  son  assertion 
est  fausse  de  tous  points  s'il  veut  parler  du  Catholicon  de 
1 46o,  attribué  à  tort  jusqu'ici  à  Gutenberg,  et  tout  à  fait 
invraisemblable  s'il  a  entendu  parler  d'un  autre  livre 
dont  il  ne  resterait  pas  de  trace  aujourd'hui. 

§  4.  «Plus  tard,  à  ces  inventions  en  succédèrent  de 
«  plus  ingénieuses  :  ils  trouvèrent  le  moyen  de  fondre  les 
«figures  de  toutes  les  lettres  de  l'alphabet  latin  (qu'ils 
«  appelaient  matrices) ,  au  moyen  desquelles  ils  fondaient 
«  ensuite  des  caractères  en  airain  ou  en  étain ,  résistant  à 
«  toute  pression ,  caractères  qu'ils  sculptaient  auparavant 
«à  la  main.  » 

Ce  passage  de  Trithème  est  très-obscur.  Parlant  de 
choses  qu'il  ne  connaît  pas ,  le  bon  abbé  fait  une  confu- 
sion déplorable.  Suivant  lui ,  les  inventeurs  gravaient 
d'abord  à  la  main  leurs  caractères.  Il  veut  sans  doute  par- 
ler ici  des  caractères  sur  planches  fixes  ;  mais  comme  ce 
membre  de  phrase  vient  après  celui  où  il  est  question  de 
la  fonte  des  caractères,  Meerman  en  a  conclu  que  Guten- 
berg avait  d'abord  fondu  des  corps  de  lettre  sur  lesquels 


PREMIERE  PARTIE. —  CHAPITRE  VI.       299 

il  gravait  ensuite  l'œil.  Ce  système  est  tout  simplement 
absurde;  il  fait  d'ailleurs  peu  d'honneur  au  génie  de  Gu- 
tenberg,  en  lui  déniant  l'idée  si  naturelle  de  fondre  Y  œil 
en  même  temps  que  le  corps  de  la  lettre.  Ensuite,  dit  Tri- 
thème  ,  ils  fondirent  des  matrices  de  toutes  les  lettres  de 
Yalphabet  latin.  Je  ne  discuterai  pas  sur  ce  mot  d'alpha- 
bet latin  donné  aux  caractères  gothiques  dont  les  pre- 
miers imprimeurs  de  Mayence  se  sont  servis ,  parce  qu'en 
réalité  les  caractères  gothiques  ne  sont  pas  autre  chose 
que  des  lettres  latines  déformées ,  et  que  Trithème  a  pu 
leur  donner  ce  nom  par  opposition  aux  lettres  de  l'al- 
phabet grec,  par  exemple;  mais  ce  que  je  n'admets  pas 
aussi  facilement ,  c'est  la  fonte  des  matrices.  Il  est  difficile 
de  croire  que  Gutenberg  n'en  était  encore  arrivé  qu'aux 
matrices  fondues,  lorsqu'il  a  commencé  sa  Bible.  La 
chose  sérail  admissible,  peut-être,  s'il  s'était  agi  de  fondre 
quelques  caractères.  M.  Prunelle  d'abord1,  et  M.  Wet- 
ter  ensuite2,  ont  fait  des  essais  qui  prouvent  qu'on  peut, 
à  la  rigueur,  fondre  tant  bien  que  mal  une  certaine  quan- 

1  «Je  sais  par  expérience  qu'en  se  servant  du  mélange  ordinaire  on 
peut  couler  dans  une  matrice  de  plomb  jusqu'à  120  à  i5o  lettres,  sans 
que  la  matrice  soit  fondue.  Seulement,  après  les  5o  ou  60  premiers  jets, 
elle  paraît  un  peu  altérée,  et  les  traits  les  plus  fins  des  caractères  dispa- 
raissent, pour  faire  place  à  d'autres  traits  plus  durs.  On  peut  donc  fournir 
cette  première  raison  des  différences  que  présentent  les  mêmes  lettres 
dans  une  même  page,  »  [Magasin  encyclop.  de  Millin,  1806,  t.  I,  p.  7/1.  ) 

2  Kritische  Geschickte,  etc.  p.  34o,  et  pi.  II.  M.  Wetter  m'a  montré  à 
Mayence  ses  matrices  en  plomb.  Comme  pour  ses  caractères  de  bois,  il  a 
eu  soin  de  choisir  des  caractères  très- gros,  ce  qui  infirme  un  peu  ses 
conclusions. 


300  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

tité  de  lettres ,  non  pas  de  cuivre ,  mais  de  plomb ,  avec 
une  matrice  en  plomb  fondu1.  Mais,  dans  le  cas  particu- 
lier qui  nous  occupe ,  ce  n'est  pas  par  centaines ,  c'est  par 
milliers,  par  centaines  de  mille  qu'on  a  procédé,  comme 
nous  l'avons  vu,  et  je  doute  fort  qu'on  eût  pu  arriver  à 
un  résultat  par  le  moyen  des  matrices  en  plomb.  J'ajou- 
terai que  le  seul  livre  connu  pour  avoir  été  exécuté  par 
Gutenberg  est  imprimé  avec  un  caractère  parfaitement  ré- 
gulier, employé  plus  tard  par  Schoiffer  lui-même ,  le  pré- 
tendu inventeur  des  poinçons.  Evidemment,  Trithème 
confond  ici  les  premiers  essais  de  Gutenberg  avec  les 
premiers  travaux  de  l'association  mayençaise. 

§  5.  «Et  en  vérité,  il  y  a  de  cela  près  de  trente  an- 
«  nées,  j'ai  appris  de  la  bouche  de  Pierre  Schoiffer2,  de 
«  Gernsheim ,  citoyen  de  Mayence ,  qui  était  gendre  du 
«premier  inventeur,  que  cet  art  de  l'imprimerie  avait 
«  rencontré ,  dès  les  premiers  pas  de  son  invention ,  de 
«  grandes  difficultés.  » 

Trithème  prétend  tenir  ce  qu'il  dit  de  Schoiffer  lui- 
même  ,  qui  le  lui  aurait  raconté  trente  ans  auparavant. 
Si  nous  retirons  trente  ans  de  1  5 1  h ,  époque  où  fut  ter- 
minée la  Chronique  d'Hirschau,  nous  trouvons  iàSl\.  Or 
il  y  avait  plus  de  trente  ans  alors  que  Gutenberg  avait 
réalisé  ses  plans  -,  il  y  en  avait  près  de  vingt  qu'il  était 

1  Voyez  ce  que  j'ai  dit  moi-même  à  ce  sujet,  p.  i44  note.  On  verra  du 
reste,  à  l'article  de  Strasbourg,  un  essai  de  ce  genre  de  fonte. 

-  Le  mot  de  Schoiffer  veut  dire  berger  en  allemand;  Trithème  le  tra- 
duil  par  le  mot  latin  opilio,  qui  a  le  même  sens. 


PREMIÈRE  PARTIE. —  CHAPITRE  VI.       301 

mort.  Ce  n'est  pas  tout,  Trithème  reçoit  à  vingt  ans  les 
confidences  de  Schoiffer,  et  c'est  trente  ans  après,  lors- 
que ce  dernier  est  mort  aussi,  qu'il  les  consigne  sur  le 
papier.  Joignons  à  cela  qu'il  ignorait  complètement  la 
pratique  de  la  profession ,  et  que  Schoiffer,  qui  n'assista 
pas  aux  premiers  essais  de  l'association,  a  pu,  par  amour- 
propre  ,  ne  pas  lui  dire  exactement  la  vérité. 

Je  relèverai  en  passant  la  contradiction  manifeste  qu'il 
y  a  dans  ce  paragraphe,  où  Trithème  donne  le  titre  de 
premier  inventeur  à  Fust  (non  pas  beau-père,  mais  grand- 
bcau-père  de  Schoiffer,  s'il  est  permis  de  s'exprimer  ainsi, 
pour  être  plus  exact),  et  celui  où  il  attribue  cet  hon- 
neur à  Gutenberg  seul  :  c'est  sans  doute  de  sa  part  un 
simple  lapsus  calami;  mais  cela  prouve  qu'il  ne  faut  pas 
prendre  à  la  lettre  tout  ce  qu'il  dit. 

§  6.  «En  effet,  ayant  entrepris  d'imprimer  la  Bible, 
«  avant  qu'ils  eussent  achevé  le  troisième  cahier  [quater- 
«  nionem),  ils  avaient  dépensé  plus  de  Zi,ooo  florins.  » 

Lambinet,  dont  cependant  tout  le  système  est  basé 
sur  le  récit  de  Trithème  ,  rejette  dédaigneusement  ce 
passage ,  qui  me  semble  à  moi  parfaitement  exact.  «  Est- 
il  probable,  dit-il1,  que  (les  inventeurs)  aient  commencé 
leur  opération  par  la  Bible  ? . . . .  Dans  la  supposition 
qu'ils  l'aient  commencée,  je  ne  pense  point  qu'ils  l'aient 

achevée Les  trois  premiers  quaternions  leur  avaient 

déjà  coûté  /i,ooo  florins  du  Rhin.  Or,  chez  les  anciens 
imprimeurs,  le  quaternion  était  un  assemblage  de  quatre 

1   Origine  de  l'imprimerie,  t.  I,  p.  1 33. 


302  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

feuilles  formant  seize  pages  in-folio ,  et  les  trois  quaternions 
quarante-huit.  Selon  le  rapport  des  monnaies  anciennes 
aux  modernes,  que  l'on  trouve  dans  le  recueil  de  Sal- 
zade  (Bruxelles,  176/1,  in-quarto),  le  florin  du  Rhin  est 
évalué  à  3  livres  de  notre  monnaie.  Les  trois  quaternions 
auraient  donc  coûté  1  2,000  francs.  Il  fallait  encore  plus 
de  cent  quaternions  pour  achever  une  Bible  de  huit  cent 
soixante  et  dix  feuillets,  semblable  à  celle  deSchelhorn. 
Que  l'on  juge  par  là  des  travaux  et  des  dépenses  d'une 
pareille  exécution  ! ...  La  Bible  aux  trois  quaternions  de 
Gutenberg  et  de  Fust  n'est  donc  pas  celle  qu'on  a  cru  re- 
marquer dans  l'exemplaire  décrit  par  Schelhorn.  On  ne 
la  retrouvera  point  non  plus  dans  celle  aux  lx 2  lignes  qui 
suit.  >)  Ici  vient  une  description  de  la  Bible  de  Gutenberg, 
dans  laquelle  Lambinet  confond  tout.  Ainsi ,  suivant  lui , 
le  caractère  de  la  Bible  de  k  2  lignes  serait  le  même  que 
celui  du  Calendrier  de  i/i5y,  et  celui  de  ce  Calendrier 
le  même  que  celui  employé  dans  un  Donat  imprimé  par 
Schoiffer.  Cela  est  d'autant  plus  étrange  que  Lambinet 
donne  un  fac-similé  de  ce  dernier  Donat  et  de  la  Bible 
de  A 2  lignes.  J'ai  précédemment  éclairci  cette  question; 
je  n'y  reviendrai  pas.  Je  relèverai  seulement  le  singulier 
calcul  de  Lambinet  à  propos  des  frais  qu'auraient  occa- 
sionnés, suivant  Trithème,  les  trois  premiers  quaternions 
de  la  Bible  de  Gutenberg.  A  ce  prix ,  le  livre  aurait  coûté 
800,000  francs.  Qui  ne  voit  combien  ce  raisonnement 
est  faux?  Il  est  évident  que  les  trois  premiers  cahiers  de 
la  Bible  de  Gutenberg  ont  dû  coûter  fort  cher,  si  on  leur 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  VI.       303 

applique,  comme  cela  est  naturel,  toutes  les  dépenses 
des  essais  antérieurs.  Pour  pouvoir  imprimer  ces  trois 
cahiers,  il  fallait  non-seulement  avoir  résolu  toutes  les 
difficultés  typographiques ,  avoir  gravé  et  fondu  le  carac- 
tère nécessaire  à  tout  l'ouvrage,  mais  encore  avoir  ras- 
semblé tous  les  matériaux,  papier,  parchemin ,  encre ,  etc. 
On  a  pu  voir,  au  reste ,  par  ce  que  nous  avons  dit  précé- 
demment, que  cette  somme  ronde  de  /i,o.oo  écus  (ou  flo- 
rins) avait  été  dépensée  et  au  delà  par  Gutenberg  avant 
la  publication  de  sa  Bible ,  si  l'on  y  comprend ,  ce  qui  est 
de  toute  justice ,  les  frais  de  l'association  de  Strasbourg , 
dont  tous  les  travaux  ne  furent  sans  doute  pas  perdus. 

Je  dois  relever  une  autre  erreur  de  Lambinet.  Suivant 
lui,  le  mot  quaternion  désignait  autrefois,  chez  les  impri- 
meurs, un  cahier  de  quatre  feuilles  d'impression.  A  ce 
compte,  il  pouvait  résolument  affirmer  que  Gutenberg 
n'avait  pas  imprimé  de  Bible,  car  il  n'y  en  a  pas  une  seule 
ancienne  et  anonyme  qui  ne  soit  en  cahiers  de  cinq 
feuilles. . .  Seulement  il  se  serait  trompé  doublement.  Le 
mot  de  quaternion  ou  de  quaterne  n'avait  pas  du  tout  le 
sens  absolu  que  lui  attribue  Lambinet,  et  la  preuve, 
c'est  que  Schoiffer  le  donne  lui-même  à  des  livres 
imprimés  dont  les  cahiers  sont  de  cinq  feuilles,  comme 
on  peut  le  voir  dans  la  quittance  qu'il  fournit  en  1/468 
au  collège  d'Autun  pour  un  exemplaire  de  la  Somme  de 
saint  Thomas.  Ce  mot  servait  tout  simplement  à  désigner 
les  cahiers  d'un  livre1 ,  de  quelque  nombre  de  feuilles  qu'ils 

1  Voyez  le  Glossaire  de  Ducange  au  mot  quaternio. 


304  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

fussent  composés.  Il  est  encore  en  usage  avec  ce  sens  géné- 
ral dans  l'Allemagne  et  la  Hollande1,  où  un  livre  en  qua- 
ternes  désigne  un  livre  non  relié ,  c'est-à-dire  en  feuilles 
ou  en  cahiers.  Il  tirait  sans  doute  son  origine  de  l'usage 
où  l'on  était  précédemment  de  composer  les  cahiers  des 
livres  de  quatre  feuilles  ou  huit  feuillets,  comme  on  le 
voit  dans  les  plus  anciens  manuscrits,  et  il  subsista  en 
dépit  d'un  usage  différent  introduit  par  l'imprimerie 2. 

§  7.  «Mais  Pierre  Schoiffer,  déjà  nommé,  alors  ou- 
«vrier,  ensuite  gendre,  comme  nous  l'avons  dit,  du  pre- 
«mier  inventeur  Jean  Fust,  homme  ingénieux  et  habile, 
«  imagina  un  mode  plus  facile  de  fondre  les  caractères , 
«  et  donna  à  l'art  la  perfection  qu'il  a  aujourd'hui.  » 

Nous  avons  déjà  vu  que  Trithème  se  trompait  en  attri- 
buant à  Schoiffer  le  titre  de  gendre  de  Fust  (il  n'était  que 
son  petit-gendre) ,  et  qu'il  se  trompait  également  en  don- 
nant à  celui-ci  le  titre  de  premier  inventeur,  ce  qui  est 
en  contradiction  avec  le  commencement  de  son  récit.  Il 

1  Et  même  en  France  et  en  Italie.  En  effet,  je  lis  dans  les  Archives 
administratives  de  la  ville  de  Reims,  publiées  par  M.  Varin ,  dans  la  Collection 
des  documents  inédits  de  l'histoire  de  France,  une  lettre  du  xvne  siècle,  où 
il  est  question  d'un  quaterne  de  neuf  feuilles  (t.  I,  p.  cxxiii).  Et  d'un 
autre  côté  je  trouve  dans  le  livre  qu'a  publié  M.  Antonelli  (Giuseppe), 
sur  les  premiers  livres  de  Ferrare  [Ricerche  bibliogr.  sulle  edizioni  Ferra- 
resi  del  secolo  xv,  Ferrare,  i83o,  in-4°),  le  curieux  passage  que  voici 
(p.  o,3)  :  «Quaderno  con  questo  nome  s'  intende  indicare  dai  bibliografi 
«  un  fasciocolo  di  carta  qualunque  si  sia  di  tre,  di  quattro  o  di  più  fogli.  » 

2  C'est  ainsi  que  nous  donnons  aujourd'hui  le  nom  de  plume  à  un  ins- 
trument en  fer  qui  n'a  aucun  rapport  avec  celui  auquel  on  l'a  donné  pri- 
mitivement, si  ce  n'est  que  comme  lui  il  sert  à  écrire. 


PREMIÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  VI.       305 

ne  se  trompe  pas  moins  s'il  attribue  à  Schoiffer,  comme 
on  le  prétend,  l'invention  des  poinçons  et  tout  ce  qui 
s'ensuit.  Plusieurs  années  avant  qu'il  fût  employé  par 
l'association ,  cette  dernière  avait  commencé  l'impression 
de  la  Bible  de  k  i  lignes ,  et  le  commencement  et  la  lin 
de  ce  livre  sont  exécutés  avec  le  même  caractère ,  carac- 
tère fondu,  dont  Schoiffer  s'est  servi  lui-même  plus  tard. 
Si  l'on  rejetait  cette  conclusion,  en  contestant  l'attribu- 
tion de  la  Bible  de  Zi2  lignes  à  Gutenberg,  je  pourrais 
encore  m'appuyer  sur  un  autre  monument  d'une  date 
incontestable,  les  Lettres  d'indulgences  de  iA5/i.  La 
beauté  et  la  netteté  des  caractères  qui  figurent  dans  la 
composition  de  ces  Lettres,  qui  a  3 1  lignes,  démontrent 
qu'on  avait  déjà  fait  usage  de  poinçons  et  de  matrices 
frappées  avant  Schoiffer.  Mais,  en  admettant  que  tout  ce 
que  dit  Trithème  dût  être  cru  à  la  lettre ,  malgré  les  rai- 
sons qu'il  y  aurait  de  s'en  délier,  je  ne  vois  pas  où  Four- 
nier,  Lambinet  et  autres  ont  pu  y  trouver  la  preuve  de 
leur  système.  Il  dit  seulement  que  Schoiffer  a  inventé  un 
mode  plus  facile  de  fondre  les  caractères1,  ce  que  j'admets 

1  H  a  pu  proposer  un  mélange  de  métaux  plus  convenable  que  celui 
employé  jusque-là  par  Gutenberg.  «Ce  n'est  qu'après  nous  les  avoir  re- 
présentés, Fust  et  Gutenberg,  occupés  des  premiers  essais  de  cet  art,  et 
luttant  contre  les  difficultés,  qu'il  (Trithème)  prononce  enfin  le  nom  de 
Schoiffer,  et  qu'il  amène  cet  ingénieux  artiste  pour  découvrir  seulement 
une  manière  plus  facile  de  fondre  les  caractères. . .  H  y  a  plus  de  cent  ans 
que  Tentzel  a  interprété  ainsi  les  paroles  de  Trithème.  Il  est  difficile  de 
concevoir  pourquoi  on  leur  a  donné  un  autre  sens.  »  (Daunou,  Aperçu,  etc. 
p.  i3o,  et  dans  la  réimpression  de  Lambinet,  t.  I,p.  A17.) 


306  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

volontiers.  Schoiffer  a  perfectionné  l'art,  cela  est  cer- 
tain; mais  qu'on  lui  doive  l'idée  du  poinçon,  je  le  nie, 
et  en  cela  je  me  fonde  non-seulement  sur  ce  que  dit 
Trithème ,  mais  encore  sur  toutes  les  souscriptions  de 
Schoiffer  lui-même  ,  qui ,  quoique  très-élogieuses  pour 
lui,  ne  la  revendiquent  pas.  Que  réclame -t- il  dans  ces 
souscriptions?  Uniquement  l'honneur  d'avoir  trouvé  le 
moyen  d'exécuter  sans  plume,  non  pas  le  texte  de  ses 
livres ,  mais  les  rubriques  et  les  capitales  :  «...  venustate 
«  capitalium   decoratus ,  rubricationibusque  sufïicienter 

«  distinctus absque  calami  ulla  exaratione.  »  Quant  à 

l'invention  de  l'imprimerie ,  ni  lui  ni  Fust  n'y  prétendent 
rien.  Ils  disent  seulement  que  leurs  livres  sont  exécutés 
par  un  art  nouvellement  inventé  :  « . . .  artificiosa  quadam 
«  adinventione  imprimendi  seu  caracterizandi.  »  Ils  n'au- 
raient pas  désigné  par  quadam  une  invention  à  laquelle 
ils  auraient  eu  une  si  grande  part.  Auraient-ils  négligé 
de  s'attribuer  le  principal,  lorsqu'ils  se  glorifiaient  tant 
de  l'accessoire  ?  Une  pareille  hypothèse  n'est  pas  soute- 
nable.  Dans  les  vers  imprimés  à  la  fin  de  l'édition  des  Ins- 
titutes  de  i/i68\  alors  que  Fust  et  Gutenberg  étaient 
morts ,  Schoiffer  déclare  positivement  que  ces  deux 
Mayençais  l'avaient  précédé  dans  l'art  de  graver.  Il  dit, 
il  est  vrai ,  qu'il  les  a  surpassés ,  ce  qui  n'aurait  rien  de 
surprenant;  mais  ce  qui  pourtant,  pour  être  admis  sans 
conteste ,  aurait  besoin  de  venir  d'un  autre  que  de  lui- 
même  ou  de  ses  employés. 

1  Voyez  ci-dessus,  p.  273. 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  VI.        307 

§  8.  «  Tous  trois  tinrent  pendant  quelque  temps  secret 
«leur  mode  d'imprimer,  jusqu'à  ce  que  leurs  ouvriers, 
«  sans  le  travail  desquels  ils  ne  pouvaient  exercer  leur 
«art,  l'eussent  fait  connaître  d'abord  à  Strasbourg,  et 
«  successivement  chez  les  autres  nations.  » 

Je  n'ai  rien  à  dire  sur  ce  paragraphe,  sinon  que  ce 
prétendu  secret  imposé  aux  premiers  ouvriers  typographes 
n'avait  pas  empêché  plusieurs  d'entre  eux  de  s'établir  tant 
à  Mayence  qu'ailleurs  avant  qu'il  en  vînt  aucun  à  Stras- 
bourg. C'est  ce  que  je  démontrerai  dans  la  seconde  partie 
de  ce  travail. 

Venons  maintenant  à  ce  qu'a  écrit  Jean  Schoiffer  dans 
la  souscription  du  livre  de  Trithème  intitulé  Compcn- 
clium  sive  breviarum  primi  voluminis  annaliam  sive  historia- 
rum  de  origine  regain  et  gentis  Francorum,  etc.  in-folio, 
Mayence,  1 5 1  5.  Je  copie  fidèlement  cette  souscription 
sur  l'édition  originale  : 

Impressum  et  completum  est  presens  chronicarum  opus,  anno 
Domini  mdxv.  in  vigilia  Margaretae  virginis,  in  nobili  famosaque 
urbe  Moguntina,  hujus  artis  impressoriae  inventrice  prima,  per 
Joannem  Schôffer,  nepotem  quondam  honesti  viri  Joannis  Fusth , 
civis  Moguntini,  memorate  artis  primarii  auctoris.  Qui  tandem 
imprimendi  artem  proprio  ingenio  excogitare  specularique  coepit 
anno  Dominicae  nativitatis  mccccl.  indictione  xin.  régnante  illus- 
trissime- Ro.  imperatore  Frederico  III.  présidente  sanctae  Mogun- 
tinae  sedi  reverendissimo  in  Christo  pâtre  domino  Theoderico, 
pincerna  de  Erpach,  principe  electore.  Anno  mcccclii.  perfecit 
deduxitque  eam  (divina  favente  gratia)  in  opus  inprimendi  (opéra 
tamen   ac  multis  necessariis  adinventionibus  Pétri  Schôffer  de 


308  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Gernsheim,  minislri  suique  filii  adoptivi).  Cui  etiam  filiam  suam 
Christinam  Fuslhin  pro  digna  laborum  multarumque  adinventio- 
num  remuneratione  nuptui  dédit.  Retinuerunt  autem  hii  duo  jam 
prœnominati  Joannes  Fusth  et  Petrus  Schôffer  hanc  artem  in  se- 
creto  (omnibus  ministris  ac  familiaribus  eorum,  ne  illam  quo- 
quomodo  manifestarent ,  jurejurando  astrictis).  Quo  tandem  de 
anno  Domini  mcccclxii  per  eosdem  familiares  in  diversas  ter- 
rarum  provincias  divulgata  haud  parum  sumpsit  incrementum. 

Voici  la  traduction  :  «  L'impression  de  la  présente  chro- 
nique a  été  achevée  l'an  du  Seigneur  1  5 1  5  ,  à  la  vigile 
de  Marguerite  vierge ,  dans  la  noble  et  célèbre  ville  de 
Mayence,  où  l'art  de  l'imprimerie  vit  le  jour,  par  Jean 
Schôffer,  descendant  de  feu  l'honorable  Jean  Fusth,  ci- 
toyen de  Mayence,  inventeur  de  l'art  ci-dessus  rappelé.  Ce 
fut  en  l'année  î  45o,  î  3e  indiction,  sous  le  règne  du  très- 
illustre  empereur  romain  Frédéric  III,  le  très-révérend 
père  en  Christ  monseigneur  Théodoric ,  grand  bouteiller 
d'Erpach,  prince  électeur,  occupant  le  siège  sacré  de 
Mayence,  que  ce  Jean  Fusth  commença  d'imaginer  et 
qu'il  réalisa  enfin ,  par  la  seule  puissance  de  son  génie, 
l'art  d'imprimer.  L'an  i452,  la  grâce  divine  aidant,  il 
avait  donné  à  son  art  assez  de  perfectionnements  pour 
produire  des  impressions;  perfectionnements  pour  les- 
quels cependant  il  eut  besoin  des  travaux  et  des  décou- 
vertes de  Pierre  Schôffer,  son  ouvrier  et  son  fils  adoptif, 
à  qui  aussi,  en  récompense  de  ces  travaux  et  découvertes, 
il  donna  en  mariage  sa  [petite-]  frile  Christine  Fusth.  Les 
deux  susdits  Jean  Fusth  et  Pierre  Schôffer  gardèrent  d'a- 
bord le  secret  de  leur  art,  exigeant  à  cet  effet  de  leurs 


PREMIÈRE  PARTIE.  — CHAPITRE  VI.       309 

ouvriers  et  familiers  le  serment  qu'ils  n'en  divulgueraient 
en  aucune  manière  les  procédés;  cependant,  à  partir  de 
l'an  1/162,  porté  par  ces  mêmes  ouvriers  dans  les  diverses 
parties  du  monde ,  il  prenait  un  grand  développement.  » 
Il  ne  sera  pas  nécessaire  d'insister  longuement  pour 
faire  voir  l'inexactitude  de  ce  document,  où  le  nom  de 
Gutenberg  ne  paraît  pas  même.  Il  est  évident  que  Jean 
Schoiffer  a  voulu  donner  à  sa  famille  tout  le  mérite  de 
l'invention ,  afin  d'avoir  plus  de  relief  auprès  de  ses  con- 
temporains. Il  a  saisi  pour  cela  un  moment  opportun , 
celui  où  tous  ceux  qui  auraient  pu  le  contredire  étaient 
morts.  Mais  les  menteurs  ne  s'avisent  jamais  de  tout  : 
Jean  Schoiffer  avait  déjà  rendu  justice  au  mérite  de 
Gutenberg  dans  la  dédicace  en  vers  allemands  d'un  Tite- 
Live  publié  quelques  années  avant  (1  5o5)  :  «  Que  Votre 
Majesté,  disait-il,  s'adressant  à  l'empereur  Maximilien, 
daigne  accepter  ce  livre ,  imprimé  à  Mayence ,  ville  dans 
laquelle  l'art  admirable  de  la  typographie  fut  inventé,  l'an 
iA5o,  par  l'ingénieux  Jean  Gutenberg,  et  ensuite  per- 
fectionné aux  frais  et  par  le  travail  de  Jean  Fust  et  de 
Pierre  Schoiffer.  »  Voilà  la  vérité  tout  entière 1. . .  Toute- 
fois Jean  Schoiffer  aurait  été  plus  exact  s'il  eût  dit  que 
l'art  avait  été  perfectionné  «  aux  frais  de  Jean  Fust  et 
par  le  travail  de  Pierre  Schoiffer ,  »  car,  dans  toute  cette 

1  Cela  n'empêcha  pas  cet  empereur  de  déclarer  officiellement  plus  tard, 
dans  le  privilège  d'un  Tite-Live  latin  publié  par  le  même  imprimeur,  et 
daté  du  9  décembre  1 5 1 8 ,  que  l'aïeul  de  Jean  Schoiffer  avait  inventé  l'im- 
primerie (chalcographiu) ,  tant  le  mensonge  audacieux  a  de  puissance  ! 


310  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

affaire ,  Jean  Fust  n'a  eu  qu'un  mérite ,  celui  d'avoir  de 
l'argent  d'abord,  et  ensuite  des  descendants  qui,  par 
vanité,  ont  cherché  à  faire  rejaillir  sur  lui  la  gloire  de 
Gutenberg,  que  personne  n'était  directement  intéressé 
à  défendre.  Il  est  du  reste  curieux  de  suivre  ici  les  pro- 
grès de  l'erreur  :  la  Chronique  de  Cologne,  tout  en  attri- 
buant un  grand  mérite  à  l'invention  de  Gutenberg ,  cons- 
tate pourtant  une  invention  hollandaise  antérieure  qui 
avait  inspiré  Gutenberg  lui-même.  Dans  les  récits  de  Tri- 
thème1  et  de  Jean  Schoiffer,  l'invention  hollandaise  ne 
figure  plus,  et  l'on  donne  à  Gutenberg  deux  associés  dont 
la  Chronique  de  Cologne  n'avait  pas  parlé;  dans  la  sous- 
cription de  ïAbrécjé  de  l'histoire  des  Français,  de  1 5 1  5 ,  il 
n'est  plus  question  de  Gutenberg,  et  ce  sont  les  derniers 
venus  qui  ont  tout  le  mérite  de  l'invention. 

Je  crois  que  ce  que  j'ai  dit  suffit  pour  caractériser  par- 
faitement le  rôle  de  chacune  de  ces  trois  personnes  dans 
l'invention  de  l'imprimerie.  Je  terminerai  cette  partie  de 
mon  travail  par  quelques  observations  relatives  à  un  livre 
sans  date ,  de  Schoiffer,  qui  a  beaucoup  occupé  les  bi- 
bliographes. 

La  Bibliothèque  nationale  de  Paris  possède  quelques 
fragments  en  vélin  de  deux  Donats  in-folio  imprimés 

1  Les  Annales  d'Hirschau  n'ont  été  connues  que  fort  tard,  à  la  fin  du 
xvne  siècle  ou  au  commencement  du  xvnie,  et  n'ont  pu  par  conséquent 
avoir  d'influence  sur  les  historiens  antérieurs  ;  mais  déjà,  dans  la  Chronique 
de  Spanhcim  (ou  Sponhcim),  publiée  au  commencement  du  xvie  siècle,  Tri- 
thème  avait  dit  à  peu  près  la  même  chose ,  quoique  avec  moins  de  déve- 
loppements. (Voyez  ci-dessus,  page  297,  note  1.) 


PREMIERE  PARTIE. —CHAPITRE  VI.       311 

avec  le  caractère  de  la  Bible  de  ki  lignes,  c'est-à-dire  en 
gothique  de  dix-huit  points  typographiques.  L'un  de  ces 
Donats  a  33  lignes  à  la  page;  les  initiales  n'en  sont  pas 
imprimées ,  mais  dessinées  à  la  main ,  comme  dans  la 
Bible  de  Gutenberg  :  je  n'ai  pas  hésité  à  l'attribuer  à  ce 
dernier.  Quant  à  l'autre  Donat,  qui  a  35  lignes,  quelques 
auteurs  l'ont  attribué  également  à  Gutenberg,  mais  c'était 
avant  qu'on  eût  acquis  la  preuve  qu'il  ne  lui  appartient 
pas,  ce  qui  n'eut  lieu  qu'en  i8o3.  A  cette  époque,  une 
personne  de  Trêves  céda  à  la  Bibliothèque  nationale  de 
Paris  quelques  fragments  de  vélins  détachés  de  la  cou- 
verture de  vieux  livres ,  et  parmi  ces  fragments  se  trouva 
un  feuillet  du  Donat  en  question  sur  lequel  est  imprimée 
en  rouge  la  souscription  suivante  : 

Explicit  Donatus  arte  nova  impriniendi  seu  caracterizandi  per 
Petrum  de  Gernszheym,  in  urbe  Mogunlina ,  cum  suis  capilalibus 
absque  calami  exaratione  effigiatus. 

En  présence  d'un  pareil  témoignage,  le  doute  n'est 
plus  permis  ;  mais  ce  témoignage  n'existât-il  pas  qu'il  n'y 
aurait  pas  sujet  de  douter  davantage.  En  effet,  ce  livre 
porte  d'autres  preuves  qu'il  est  sorti  des  presses  de  Schoif- 
fer.  Ces  preuves  sont  :  î  °  l'impression  des  capitales  en  cou- 
leur; 2°  l'emploi  des  mêmes  lettres  ornées  que  dans  le 
Psautier  de  î  k^q.  Quanta  la  date  de  l'impression  du  Donat, 
s'il  n'est  pas  possible  de  la  fixer  d'une  manière  précise,  il 
est  du  moins  certain  qu'elle  eut  lieu  après  î  466,  époque 
de  la  mort  de  Fust,  car  il  n'y  est  pas  question  de  ce  der- 
nier, qui  conserva  toujours,  de  son  vivant,  comme  nous 


312  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

l'avons  vu,  la  haute  main  sur  l'atelier  typographique  de 
Gutenberg,  dont  il  était  en  réalité  le  seul  propriétaire. 

Quelques  bibliographes ,  frappés  de  cette  circonstance 
de  la  possession  du  caractère  de  la  Bible  de  l\  i  lignes  par 
Schoiffer,  en  ont  inféré  que  cette  Bible  appartenait  à  ce 
dernier,  et  ont  attribué  alors  à  Gutenberg  la  Bible  de 
36  lignes;  M.  de  Laborde  a  même  imaginé  sur  ces  don- 
nées tout  un  roman1.  Le  rang  distingué  que  tient  ce  sa- 
vant parmi  ceux  qui  se  sont  occupés  de  l'origine  de  l'im- 
primerie me  fait  un  devoir  de  le  réfuter. 

M.  de  Laborde  suppose  que,  dès  1 452  ,  Gutenberg  et 
Schoiffer,  dans  un  but  de  rivalité,  travaillaient  séparé- 
ment, quoique  dans  le  même  atelier  et  pour  la  même 
association ,  celle  dont  Fust  était  le  bailleur  de  fonds ,  à 
se  supplanter  clans  l'esprit  de  ce  dernier,  et  qu'ils  produi- 
sirent chacun  deux  caractères  différents  (l'un  dit  de  mis- 
sel, et  l'autre  de  somme),  qui  trouvèrent  leur  premier 
emploi  dans  les  Lettres  d'indulgences,  pour  l'exécution 
desquelles  les  deux  artistes  furent  obligés  de  mêler  leurs 
types.  «Immédiatement  après,  dit-il,  Schoiffer  imprima 
un  Donat,  et  Gutenberg  un  Appel  contre  les  Turcs,  cha- 
cun avec  le  caractère  qui  lui  appartient » 

Il  est  évident  que  tout  ce  système  est  basé  sur  un  seul 
fait,  celui  de  l'impression  du  Donat  par  Schoiffer.  Or 
M.  de  Laborde  renverse  lui-même  son  raisonnement  lors- 
qu'il ajoute  en  note2  :  «Je  ne  suis  pas  encore  compléte- 

1  Débuts  de  l'imprimerie  à  Mayence  et  à  Bamberg ,  p.  2  i  et  suiv. 

2  Ibid.  p.  2  2 ,  note  1 . 


PREMIERE  PARTIE.  —CHAPITRE  VI.       313 

ment  fixé  sur  l'époque  de  la  publication  de  ce  Donat.  Le 
nom  de  Schoiffer  à  la  fin  serait  peut-être  un  indice  qu'il 
suivit  la  mise  au  jour  de  la  Bible.  C'est  d'ailleurs  un  fait 
de  peu  d'importance »  Comment  !  de  peu  d'impor- 
tance! Mais  toute  la  question  est  là!  Suivant  moi,  le  nom 
de  Schoiffer  figure  seul  dans  la  souscription  du  Donat, 
parce  qu'il  n'a  été  imprimé  qu'après  la  mort  de  Fust. 
Comment  admettre,  en  effet,  que  celui-ci,  dont  le  nom 
paraît  toujours  le  premier  dans  les  souscriptions  des  livres 
publiés  par  l'association ,  et  quelquefois  même  tout  seul , 
eût  permis  à  Schoiffer  de  se  proclamer  l'unique  impri- 
meur du  Donat  de  35  lignes,  si  remarquable  d'exécu- 
tion, s'il  eût  été  publié  dès  i452  ou  1  Zi  S  Zi.  ?  Il  n'a  donc 
pu  l'être  que  plus  tard.  Or  nous  savons  qu'en  i/i55  Fust 
devint  propriétaire  de  tout  l'attirail  typographique  de 
Gutenberg;  il  n'est  donc  pas  surprenant  qu'on  retrouve 
dans  l'atelier  dont  Schoiffer  hérita  le  caractère  de  la  Bible 
de  ki  lignes. 

J'ignore  complètement  sur  quoi  s'est  fondé  M.  de  La- 
borde  pour  prétendre  que  Gutenberg  et  Schoiffer  mêlè- 
rent leurs  caractères,  car  on  ne  connaît  pas  un  seul  livre 
imprimé  avec  les  deux  petits  caractères  des  Lettres  d'in- 
dulgences ,  et  il  est  impossible  de  dire  par  conséquent  à 
qui  ils  appartiennent.  Au  reste ,  toute  son  argumentation 
pèche  par  la  base.  A  qui  persuadera-t-on ,  en  effet,  que 
Fust,  qui  avançait  avec  tant  de  peine  à  Gutenberg  l'argent 
nécessaire  à  l'impression  de  sa  Bible,  eût,  de  gaieté  de 
cœur,  doublé  ses  dépenses  en  payant  les  frais  de  deux 


314  DE  L'ORIGINE  DE  L'IMPRIMERIE. 

Bibles  imprimées  simultanément?  qu'il  eût  perdu  ainsi 
son  temps  et  son  argent  à  faire  graver  pour  le  même  ate- 
lier des  caractères  différents,  mais  différents  de  si  peu  de 
chose ,  qu'ils  peuvent  passer  pour  semblables  ?  En  vérité 
on  ne  reconnaît  pas  là  la  sagacité  habituelle  de  M.  de  La- 
borde  dans  les  questions  typographiques. 

Une  fois  lancé  dans  cette  fausse  voie ,  ce  savant  a  été 
entraîné  vers  d'autres  erreurs.  Ainsi ,  ne  pouvant  nier  la 
possession  par  Pfister,  dont  nous  parlerons  bientôt,  des 
caractères  de  la  Bible  de  36  lignes,  il  en  a  conclu  que 
Gutenberg,  auquel  il  a  gratuitement  attribué  ce  carac- 
tère ,  l'avait  donné  à  son  ancien  élève.  Mais  Pfister  im- 
primait certainement  avec  ce  caractère  en  1 46 1 , à  Bam- 
berg,  et  nous  voyons  que  l'atelier  de  Gutenberg  existait 
encore  à  Mayence  en  1  468.  Une  des  raisons  sur  les- 
quelles M.  de  Laborde  appuie  son  hypothèse,  c'est  que 
les  caractères  qui  ont  servi  dans  les  derniers  ouvrages 
de  Pfister  paraissent  usés  :  il  n'y  aurait  rien  d'étonnant  à 
ce  que  ces  caractères  eussent  été  usés  après  le  long  ser- 
vice qu'ils  avaient  fait  depuis  plusieurs  années,  et  sur- 
tout après  l'impression  de  la  Bible ,  qui  a  été  exécutée , 
comme  nous  le  verrons,  par  Pfister  avant  i46o;  mais 
l'observation  de  M.  de  Laborde  n'est  pas  parfaitement 
exacte,  car  on  connaît  quelques  ouvrages  de  Pfister  qui 
sont  aussi  nets  que  la  Bible. 

Dans  son  système,  M.  de  Laborde  est  obligé  de  sup- 
poser que  la  Bible  de  4  2  lignes  a  été  imprimée  par  Schoiffer 
dans  l'espace  de  sept  mois,  c'est-à-dire  dans  l'intervalle 


PREMIERE  PARTIE.  — CHAPITRE  VI.        315 

qui  s'est  écoulé  entre  la  rupture  de  l'association  de  Gu- 
tenberg  et  Fust,  en  novembre  i/i55,  et  le  mois  d'août 
iA56,  date  que  porte  l'exemplaire  de  la  Bibliothèque 
nationale  souscrit  par  Cremer.  Une  pareille  célérité  est 
inadmissible  au  début  de  l'art ,  quelque  activité  et  quelque 
adresse  qu'on  suppose  dès  lors  à  Schoiffer  et  à  ses  aides 
Ajoutons  pour  conclure  que  cet  artiste  paraît  comme 
simple  témoin ,  et  non  comme  associé  de  Gutenberg  et 
de  Fust,  dans  le  procès  que  ces  deux  Mayençais  eurent 
ensemble  en  1  k  5  5 ,  ce  qui  prouve  qu'il  n'était  encore 
alors  qu'un  simple  ouvrier  de  leur  atelier  typographique, 
et  non  pas  le  concurrent  du  premier,  comme  semble  le 
croire  M.  de  Laborde. 


FIN  DE  LA  PREMIÈRE  PARTIE. 


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